Assis à sa table, il regarde la grande salle, dont les murs se parent de lourdes tentures ployant sous leurs propres poids. Le plafond nuageux éclaire de sa lumière terne et sans éclat les immenses tables couvertes de l'argenterie. Dans les gobelets d'argent massif se reflètent les tapisseries vertes. Les serpents se meuvent en fixant d'un air goguenard les tables des anciennes maisons adverses. La grande salle n'est que vert et argent là où autrefois cohabitaient les quatre maisons de Poudlard. L'air est lourd, pesant. Le silence est de mise pour trois des tables. Pour elles, la vie ne tient qu'à un fil. Tout n'est que mutisme, effroi. Une peur dont les remugles empuantissent l'air.
Quant à la dernière, les rires se font entendre. Léger bruissement. Rires presque chuchotés. Sourires flottant joyeusement dans l'air ambiant. Pourtant, ses rires et conversations sont comme autant d'insultes lancées à la face des autres élèves qui mangent en silence. Autant de bulles de bonne humeur qui viennent crever contre les relents fétides de haine et peur qui affadissent l'ambiance.
Et lui, il est là. Contemplant les autres. Son ennui se lisant sur ses traits aristocratiques. Assis fièrement à sa table. La table des gagnants.
Il regarde les sévices d'une guerre qui approche à grands pas. Les cicatrices blanchâtres qui s'étirent sur les membres torturés. Les regards las qui courbent l'échine devant leurs tortionnaires.
Il n'est pas comme eux. Tellement différent des élèves qui mangent aux autres tables.
Ses yeux d'onyx fouillent l'air, pesants, avec l'espoir de trouver quelque chose d'intéressant. Sa peau noire n'est pas couverte de cicatrices. Il mange à sa faim, son corps est fort, non malingre.
Il fixe machinalement, sans vraiment les voir, leurs airs trop graves. Signes des sinistres que la guerre qui s'annonce au loin a déjà tracés dans leurs chairs. Des préoccupations d'adultes qui creusent les visages de rigoles et ravins. Qui soufflent la lumière qui vacille dans leurs yeux.
La guerre est déjà là dans la grande salle, elle appesantit l'atmosphère et gerce les sourires, crève les rires et éteint les conversations.
Ses yeux balaient la salle avant qu'ils ne soient attirés par un sourire lumineux. Des lèvres qui cachent en leur sein des perles nacrées, qu'elles dévoilent en se fendant d'un sourire. Magnifiques lèvres ourlées reposant dans un visage rosé ou deux diamants bleues pétillent de joie. Le tout encadré gracieusement par des cheveux blonds dont quelques mèches s'enroulent amoureusement sur le front et les tempes.
Blonde et lumineuse Daphné.
Ses bras graciles se tendent vers les mets appétissants trônant sur la table. Tout en pépiant et mangeant, elle se tourne soudainement vers lui et plonge ses yeux bleus lumineux dans les siens noir des ténèbres. Ses lèvres se fendent alors d'un sourire amusé, creusant ses joues en deux minuscules fossettes.
Insensible à l'ambiance qui plane autour d'elle, elle continue de sourire. Elle se berce d'illusions, préférant oublier. Elle rit pour fendre l'angoisse qui l'environne. Elle balance ses cheveux blonds pour percer l'obscurité qui l'étreint. Peu lui importe le sort de ses condisciples, elle tente de les oublier. Elle se plonge sans remords dans l'oubli. Et clos ses si beaux yeux devant leur agonie. Insensible et cruelle Daphné.
Mais pour lui, elle est bien plus que ces deux facettes qu'elle présente. Dualité sans lendemain dont elle joue pour se voiler la face. Pour se protéger.
Son sourire, c'est le phare qui perce l'obscurité de ses nuits. Ses yeux de saphir le guident à travers les ténèbres. Ses cheveux d'or lui rappellent la clarté des jours heureux. Daphné, elle est le gardien de ses nuits et la lumière de ses jours. Sans elle, il se serait effondré depuis longtemps sous l'assaut des vagues. Il aurait plongé sans remords dans le froid qui menace de l'engloutir. Parce qu'il est Serpentard, il n'a pas le droit de ressentir de détresse. Parce qu'il est l'ennemi, il doit subir les crachats et la haine des autres. Il est le mal. La noirceur dévore son corps, et engloutit les restes brisés de son coeur. Il n'a pas droit à la compassion. Il mérite les regards qu'on lui lance et qui le brisent.
Les gens ne cherchent pas à le comprendre, il n'est qu'un visage anonyme parmi tant d'autre. Un visage ennemi de par sa naissance. Un miroir sans âme et sans reflet que les gens s'acharnent à fissurer et à briser.
