Chapitre un
Addison ne parvenait pas à trouver le sommeil. Une longue nuit blanche se profilait. Pourtant, pas un bruit ne venait troubler la quiétude de la chambre d'hôtel. Mais rien n'y faisait. Trop de soucis encombraient ses pensées. L'écume d'un mariage laissé à la dérive, une relation entamée par un compagnon volage, un embryon avorté… rien n'avait épargné Addison ces dernières années. Pas même l'humiliation, le spectacle quotidien de son ex-mari se pavanant avec sa nouvelle petite amie. Chaque épreuve laissait des stigmates que le temps peinait à effacer.
Malgré tout, elle se voulait optimiste, pensant qu'elle aussi avait droit à sa part de bonheur. Et si le temps ne gommait pas la souffrance, un nouveau bonheur viendrait peut être aseptiser l'amertume qu'elle ressentait en pensant à ces dernières années. Alors il y avait Mark et son sourire enjôleur, ses promesses qui pansent les blessures du cœur et que l'on voudrait croire. Cette idée de pari lui était venue soudainement. Elle savait Mark en proie à ses démons, elle savait qu'elle ne pourrait plus lui faire confiance. Lui qui n'avait eu aucune considération lorsqu'il s'envoyait toutes les minettes de l'hôpital où ils exerçaient à New York. Lui qui, à peine débarqué à Seattle, draguait Meredith et se retrouvait dans le même lit que Callie. Mark avait toujours été le prince de l'éphémère séduction, mais derrière la belle armure se cachait plus un tyran qu'un prince charmant
Néanmoins Addison espérait un peu qu'il ait vraiment changé. Elle savait qu'elle ne pourrait l'aimer comme elle avait aimé Derek mais peut être pouvait il lui offrir un avenir heureux. Et si son cœur émettait de sérieux doutes quant au succès de ce pari, sa raison envisageait de lui accorder une seconde chance. Et puis, ce n'était pas comme si elle avait l'embarras du choix. La solitude était le pire des maris, elle ne voulait pas finir en vieille femme aigrie.
Son esprit vagabondait pour trouver des concurrents potentiels à la candidature de Mark. Un nom, un visage, une voix ne cessait de lui revenir à l'esprit mais elle se refusait à y penser. En fait, cela faisait des mois qu'elle s'interdisait de penser à cet homme là. Et malgré toutes ces semaines d'efforts, rien ne chassait son image de son esprit, mais surtout de son cœur. Travailler avec lui relevait d'un alchimie étonnante, un délectable supplice auquel elle était confrontée quasiment 7 jours sur 7. Alex Karev était le plus beau poison qu'elle n'ait jamais goûté. Il avait un don hors du commun pour lui donner du fil à retordre, mais elle aimait sa sincérité, son intégrité et par-dessus tout, la façon dont il la regardait. Elle se sentait vivante dans le miroir de ses yeux et il savait lui faire comprendre qu'elle existait. Mais il était son interne et elle se devait de garder ses distances. Parfois, la tentation était trop forte et elle se laissait aller à quelques confidences, mais très vite elle bridait à nouveau ses envies et écoutait ce que la morale lui dictait.
Et pourtant… pourtant ses lèvres gardaient encore le goût de leur baiser, et ses mains le toucher de sa peau. Un moment idyllique qu'elle n'oubliait pas, qu'elle ne parvenait à ranger au rayon souvenir de sa vie. Souvenir non partagé se disait-elle, car Alex avait été explicite sur son acte : il ne l'avait embrassé en retour que parce qu'elle était sa patronne. Des paroles qui lui déchiraient encore le cœur. Etait-elle si peu séduisante ou avait-il essayé de se protéger en utilisant son statut comme excuse ? Quoiqu'il en soit, il avait clairement exprimé son désir de ne plus jamais renouveler l'expérience.
Addison attrapa sa montre posée sur la table de nuit. 4h30. Sa garde commençait dans moins de 4 heures. Et le sommeil ne l'assommait toujours pas. Elle tremblait dans ce grand lit vide. Les nuits blanches à Seattle n'avaient vraiment rien d'hollywoodien. Elle se retourna, pressa sa tête dans l'oreiller puis ferma les yeux. Des souvenirs douloureux dansaient toujours dans sa tête. Rien ne voulait les arrêter. A bout de rêves, son existence lui semblait d'une tristesse inégalable.
En arrivant le matin suivant à l'hôpital, Addison compris dès qu'elle eut franchit les Portes du Seattle Grace que la journée s'annonçait difficile. A quelques mètres d'elle, attendant l'ascenseur, Derek débordait d'attention pour sa petite amie. Un café, une caresse sur la joue, un sourire… des attitudes qu'Addison n'avait pas vues depuis si longtemps. Incapable de feuilleter plus longtemps le catalogue de son bonheur perdu, elle opta pour les escaliers. Son café à la main, un journal dans l'autre, elle gravissait soigneusement une à une les marches lorsqu'elle fut déséquilibrée par un individu arrivant à toute vitesse en sens inverse. Et ce qui devait arriver arriva… Addison lâcha café et journal pour se rattraper à la rembarre et éviter la chute. En tombant, le gobelet plein de café chaud se répandit sur sa robe à 200$. Les yeux emplis de fureur, elle regarda quelques mètres plus bas pour découvrir qui était l'auteur de ce massacre. Etalé de tout son long, Alex gisait sur le sol. Il se releva rapidement, plus blessé dans son orgueil que par sa courte chute. Remarquant qui était sa victime, il demanda si tout allait bien et bredouilla quelques excuses. Sans qu'elle puisse vraiment fournir d'explications, la colère d'Addison s'était très largement estompée par la découverte de son agresseur.
« Ce sont des choses qui arrivent… et je ne faisais pas vraiment attention moi non plus » lui répondit-elle. « Tout…vous allez bien ? »
« Oui, quelques cotes cassées tout au plus » ironisa-t-il.
Elle sourit. Lui seul avait la faculté de ridiculiser une telle situation. Puis un silence s'installa progressivement, laissant ses yeux dialoguer avec les siens. Addison se sentait perdue mais se reprit avant de sombrer définitivement dans le regard de son interne.
« Comment se porte votre patiente ? » demanda-elle
« Ava ? Elle s'est remise de l'intervention, mais il faut attendre encore quelques jours avant d'enlever les pansements. Et le bébé se porte bien »
« Bien, très bien, je passerai la voir aujourd'hui. Nous nous croiserons certainement… »
Il fit un signe de tête et lui sourit. Addison récupéra son journal puis repris son ascension. En arrivant en Neonat, elle croisa Yang qui observa avec attention sa robe maculée de café. Décidément, cette journée s'amorçait de la pire des manières.
Elle se changea et débuta ses visites. Irritée par ce début de journée plus que mauvais, elle n'avait pas vraiment le cœur à travailler. De plus, le manque de sommeil commençait cruellement à se faire sentir. Elle commença ses visites et fut surprise de trouver Alex dans la chambre de l'une de ses patientes.
« Ordre de Bailey » répondit-il à l'air inquisiteur de sa titulaire. Il lui présenta alors le patient, et Addison l'écoutait avec attention, cherchant désespérément à lutter conte la fatigue qui s'emparait d'elle. Elle prescrit de nouveaux examens, expliqua à sa patiente qu'il n'y avait pas lieu de s'alarmer et sortit de la chambre, suivie par Alex. Constatant le manque évident de dynamisme d'Addison, il lui demanda si elle allait bien. Surprise par sa question, elle s'arrêta de marcher et le regarda. S'il savait, si seulement il pouvait deviner tout ce qui lui brûlait les lèvres, toutes ces demandes sans réponses… Mais elle choisit de ne rien dire et lui assura que tout allait bien. Le vertige de la tristesse ne devait pas l'entraîner sur un chemin qu'elle ne voulait surtout pas emprunter.
Ils poursuivirent leurs visites, et Addison trouva enfin un peu de répit en fin de matinée, après sa première intervention. Jamais une naissance ne lui avait semblée aussi sinistre, jamais une césarienne ne lui avait semblé aussi compliquée. La journée était déjà trop longue et Addison était d'humeur noire. Alors qu'elle se reposait dans la salle de garde, Callie ouvrit la porte, la mine fatiguée et le regard vide. Elle salua Addison, se servit une tasse de café avant de s'asseoir à son tour sur l'un des canapés.
« Mauvaise journée » questionna-t-elle
« Plutôt oui… manque de sommeil, d'envie… » Répliqua Addie « Et toi, ça n'a pas l'air d'aller non plus. Veux-tu en parler ? »
« C'est donnant-donnant. Je te raconte mes ennuis, tu me parles des tiens. Je sais combien c'est agréable de se focaliser sur les problèmes des autres, alors je veux en profiter moi aussi » proposa Callie avec un léger sourire.
« Ok. A toi l'honneur »
« George… ce salaud déguisé en agneau… ce petit nain de pinocchio… a eu une aventure avec Stevens. Et m'a crue assez stupide pour ne pas comprendre. Ah si je le tenais je… »
« Je suis navrée… mais tu es sure ? »
« Oui. Il m'a menti, il m'a menti jusqu'à ce que je lui sorte les vers du nez. 10 jours qu'il me cachait ses bassesses, et agissait avec Stevens comme si de rien était… mais je sentais qu'il y avait un malaise.. Alors je l'ai cuisiné »
« Je suis vraiment désolée. Si je peux faire quoi que ce soit… »
« J'en ai déjà fait bien assez. Apres lui avoir filé la raclée de sa vie, je suis allée chez Joe… j'ai pris un verre, puis deux… j'étais vraiment à bout… tu sais, j'aime vraiment George, je ne pensais pas qu'il était ce genre de mec… »
« Je sais, mais peut-être avez-vous été trop vite… en tout cas ne t'en fais pas, je noie aussi mes soucis dans l'alcool de temps en temps »
« Oui sauf que… il n'y a pas que dans l'alcool que j'ai noyé ma déception. J'ai croisé Mark chez Joe »
Les yeux d'Addison s'écarquillèrent. « Comment ça, tu as vu Mark chez Joe ? » demanda-t-elle en essayant de masquer autant que possible son inquiétude.
« Je n'avais rien prévu… il est passé au bon endroit au bon moment. Je me sentais seule, moche, j'avais la Tequila qui coulait dans mes veines et Mark, tu sais, c'est Mark… je savais qu'il ne poserai pas de questions donc… » Elle fut interrompue par la sonnerie de son biper. « Merde, les urgences, je dois y aller » Et notant le changement d'attitude de son amie elle demanda : « Ca va aller, toi ? Ca ne te pose pas de problèmes pour Mark, vous n'êtes plus ensemble, c'est bien ce que tu m'avais dit ? »
Addison balbutia un « oui » et laissa son amie partir. Mark venait une nouvelle fois de lui planter un couteau dans le dos. Une hache, même. La désillusion était grande, la chute amère. Addison était de celles qui tombent amoureuse comme on se jette dans un précipice et elle allait se jeter dans le gouffre béant que Mark lui avait proposé. Elle aurait pu céder, elle aurait pu y croire. Mais Callie avait raison. Mark restera toujours Mark, qu'importent les mots. Addison s'en voulait d'avoir été aussi naïve, elle avait mis sa main toute seule dans la gueule du loup. Il fallait s'attendre à être blessée. Elle haïssait cet homme à femme. Elle ne pu contenir ses larmes et se mis à sangloter toute seule, dans la pénombre de la salle de garde.
Soudain la porte s'ouvrit. Addison eut juste le temps de se détourner pour éviter d'être prise en flagrant délit par l'intrus qui pénétra dans la pièce. « Docteur Montgomery ?» Elle reconnut immédiatement la voix d'Alex. Tentant tant bien que mal de réprimer ses pleurs, elle le questionna sur l'objet de son intrusion.
« Je vous ai bipée, mais vous n'avez pas répondu, je voulais vous montrer une anomalie dans les résultats de Madame Dickinson. C'est assez inquiétant » répondit-il
Sans toutefois se tourner vers lui complètement, Addison fit quelques pas et s'empara du dossier qu'il lui tendait. Elle laissa échapper un sanglot dans ce mouvement qui lui sembla d'une difficulté surhumaine. Elle parcouru le dossier, examina avec attention la feuille de résultat et d'une voix fébrile et mal assurée, demanda à Alex de programmer sa patiente pour une ovariectomie en début d'après midi. Elle ajouta : « Dites à Mme Dickinson que son intervention a été avancée, et que je passerai la voir d'ici quelques minutes ». Addison ne tenait plus, elle devait expédier Alex hors de la pièce au plus vite. Elle était au bord des larmes et ne parvenait à retrouver son souffle.
« Docteur Montgomery… euh…Tout va bien ? » lui demanda-t-il. Il avait dès les premières minutes compri que quelque chose n'allait pas. Il ne supportait pas de la voir si triste.
Addison murmura un « oui » dans un souffle. Elle sentait son corps se dérober, ses mains tremblaient. « Addison regardez moi » supplia Alex. C'était la première fois qu'il l'appelait par son prénom. Mais devant l'urgence de la situation, il avait décidé de braver ses craintes et ses bonnes résolutions. Elle éluda la question, ne pouvant se montrer ainsi. Mais l'étau se resserrait, Addison sentit qu'il avait compris. Il posa sa main sur son bras, l'agrippa, et la contraint doucement se retourner. Les yeux embués de larmes, elle ne pouvait le regarder. Alex se sentit désarmé face à la détresse de femme qui n'était alors plus sa patronne, mais tout simplement l'être qu'il désirait le plus au monde.
Il posa sa main sur sa joue, essuyant avec son pouce une larme qui roulait péniblement. Pétrifiée, Addison ne trouvait pas les mots pour s'échapper de ce cauchemar inextricable. Elle n'aurait jamais voulu qu'il la voie ainsi. Ne sachant trop quoi faire, Alex décida qu'il était temps de laisser le naturel devenir maître de lui. Sans trop savoir ni pourquoi ni comment, il attira Addison vers lui et la serra dans ses bras. D'abord interdite, elle s'abandonna ensuite dans les bras qui s'offraient à elle. Elle posa sa tête sur son épaule, son visage effleurant son cou. Elle sentait son parfum, l'odeur de sa peau. Elle libéra quelques larmes tandis qu'Alex mis ses mains autour de sa taille et la serra un peu plus contre lui.
Ils restèrent ainsi figés quelques instant, le temps pour Addie de rassembler ses esprits et de se calmer. Elle brisa l'étreinte, s'arracha difficilement au confort de son épaule et le regarda. « Merci » murmura-t-elle « Je suis navrée, je ne sais pas ce qu'il ma pris… c'est… une dure journée et parfois, vous savez, on se demande juste si tout ne s'acharne pas contre nous… »
« Vous n'avez pas besoin de vous excuser » rassura-il, esquissant un sourire.
En instant, elle se perdit dans le regard mystérieux d'Alex. Elle ne savait comment réagir à ses propos et à ses actes, et ne parvenait à penser raisonnablement. Parmi toutes les tragédies qu'elle vivait, il était une bouffée d'oxygène dans cette journée noire, un remède miracle dont elle ne voulait cesser de s'abreuver. Elle s'inquiétait bien évidemment des incidences de sa faiblesse devant son interne, mais était plus préoccupée pour le moment par la gentillesse dont il avait fait preuve en lui offrant son soutien. Elle sentait ses mains autour de sa taille, ses doigts caressant délicatement le tissu de sa blouse.
Le son strident du biper d'Alex les fit sursauter. Addie se dégagea de son emprise, l'invitant à prendre connaissance de son message. Il regarda son biper et l'informa : « Les urgences, j'avais oublié, une femme enceinte est tombée et arrive avec quelques contusions, il faut vérifier l'état du bébé ». Addison n'était pas d'humeur à lui reprocher cette négligence. Elle essuya ses joues, se dirigea vers la glace pour vérifier son maquillage puis revint vers Alex. « Ok, allons-y » lança-t-elle. Elle inspira profondément, tentant de trouver son calme et 100 de ses moyens.
« Tout va bien ? » lui dit-il.
« Ca va aller, c'est passé, merci … merci pour tout ».
Elle avait la voix encore hésitante, pas tout à fait remise de ses émotions. Mais elle ne pouvait se laisser aller à d'autres divagations, elle devait rester professionnelle avant tout, en dépit de la fatigue qui exacerbait ses malheurs du moment. Alex décela cette volonté de bien paraître dans les yeux d'Addie. Il savait que ça n'allait pas, mais décida malgré tout de la laisser lui mentir. La brusquer aujourd'hui n'était sûrement pas la meilleure stratégie pour lui remonter le moral.
Il traversèrent rapidement les couloirs de l'hôpital, grimpèrent dans un ascenseur bondé et y trouvèrent Derek et Meredith. A peine les portes de l'ascenseur fermées que les minauderies de ces deux derniers servaient de spectacle à l'assemblée. Addison jeta un coup d'oeil aux deux protagonistes et inspira, tentant de contenir le chagrin qui la gagnait et les larmes qui l'accompagnaient. Alex remarqua les efforts qu'elle faisait pour se maîtriser et saisit immédiatement ce qui posait problème. Il glissa la main contre la sienne, puis l'attrapa doucement et maintint sa main dans la sienne pendant le reste du trajet. L'ascenseur était empli de médecins et d'infirmières aussi distraits qu'imperturbables. Aucun d'entre eux ne nota le geste d'Alex. Puis les portes s'ouvrirent, Addie le regarda, soulagée d'avoir trouvé un peu de réconfort. Elle lui offrit un sourire un guise de remerciement.
L'ascenseur se vida, Alex abandonna la main d'Addison. Elle fit un pas s'apprêtant à filer aux urgences. Il attrapa son bras, profita du fait qu'il n'y eut personne pour l'attirer vers lui et déposa un baiser sur sa joue. Relâchant son bras, il lui souffla au creux de l'oreille « Tout ira bien. Vous n'êtes pas seule. »
Les portes de l'ascenseur se refermaient, il sortirent in extremis et regagnèrent les urgences.
