Je me laissais souvent hypnotiser par l'ondulation de ses cheveux blonds, j'étais faible face à l'attirance que j'avais pour elle. Elle marchait quelques mètres devant moi et ses cheveux frappaient son dos dénudé.
- " Arrêtes de la regarder! "
Je me tournais vers Antoine, marchant à mes côtés, son visage aussi impassible qu'à l'ordinaire. Tout comme moi, il regardait devant lui mais ses yeux glacials étaient sur la nuque de Lucrèce.
- "Antoine, si je pouvais... Elle est ma tua cantante! "
Ma mauvaise habitude de parler trop fort finirait probablement par me coûter la vie. Son regard furieux n'était adressé qu'à moi, c'est contre moi qu'elle s'énerva:
- " Mon sang ne chante plus!"
Sa colère n'avait plus d'effet sur moi depuis bien longtemps: je ne voyais que sa bouche parfaite, ses seins qui se soulevaient aux rythmes des respirations dont elle n'avait pas encore perdu l'habitude. J'étais impulsif, un autre de mes défauts: je bondis sur elle pour l'embrasser. Elle me repoussa, m'envoyant valdinguer à plusieurs mètres de là, comme aurait pu le faire Antoine. Maudit soit son pouvoir!
Lucrèce s'empressa de la prendre par le bras et elle se détourna de moi, comme souvent, je l'avais mis en colère. Antoine m'aida à me relever: par moment, j'appréciais son impassibilité, un autre en aurait ri.
-"Adonis, quand te décideras tu à m'écouter?"
Je ne lui répondis pas.
La tua cantante.
C'est Antoine qui le premier, nous avait conté ce mythe, lorsque nous étions ensemble chez les Volturi. Je me souviens encore de la scène: Antoine, le plus érudit de tous les soldats des Volturi; Démétri, Félix, Heidi, Chelsea et moi assis face à lui. Une époque lointaine...
-"Il y'en a peu pour croire à ce que beaucoup considèrent comme une légende. Mais on dit qu'à travers le monde, il y'a pour chaque vampire un humain ou une humaine dont le sang l'attire d'une manière irrépressible."
Nous en avions ri, nous l'élite des soldats des Volturi, si confiants en nous, en nos pouvoirs, en notre capacité à nous maîtriser lorsque nous le désirions. Quelques semaines plus tard, Félix avait rencontré la sienne; son corps mutilé nous avait alors fait douter. Nous étions donc faillibles.
Mais ainsi, lorsque j'avais vu Sienna pour la toute première fois,des décennies plus tard, je n'avais eu aucun doute sur ce qu'elle était, ce qu'elle représentait à mes yeux. Mais au contraire de Félix, je ne la détruisis pas. Sa beauté m'attira presque autant que l'odeur de son sang.
Je ne fus pas surpris qu'elle me dise être italienne. Lucrèce l'était également et bien que je sois grec et Antoine anglais, l'Italie représentait nos débuts comme vampire et tous les plaisirs que nous en tirions encore.
Déjà comme humaine, Sienna était différente: certains auraient appelé cela de la maturité, pour moi et au vu de son don, c'était plus de la conscience.
Et malgré la haine qu'elle éprouve aujourd'hui pour moi, malgré le mal que j'eus à arrêter de boire son sang, je n'ai jamais regretté de l'avoir transformé.
Un siècle avait passé depuis qu'elle nous avait rejoint mais sa haine n'avait pas évolué. Malgré l'amour que je lui portais, elle refusait que je la touche, crachant alors sa haine contre moi: légitime alors que ma frustration éclate parfois.
Sous le conseil de Lucrèce, à ma connaissance la seule femme qu'Antoine ait aimé, j'étais allé voir d'autres femmes. Mais elles ne servaient qu'à renforcer mon amour pour elle et donc ma frustration, Sienna était seule dans ma tête et dans mon cœur, bien qu'elle refusa encore et toujours de l'admettre.
La nuit était profonde et Lucrèce commençait à avoir faim: nous nous arrêtâmes près d'une maison, perdue en pleine campagne chinoise. Les parents, deux fils, c'était là que leur vie s'arrêtait. Antoine et Lucrèce entrèrent les premiers et la mère avait déjà commencé à crier que je contemplais toujours Sienna.
Je ne pus résister:
- "Sienna?"
- "Quoi?"
- "Si je n'entrais pas, est ce que cela changerait quelque chose? "
- " Les choses sont comme elles ont toujours été. "
Je m'approchais, elle ne recula pas.
- "Oseras tu me dire que tu ne m'as jamais aimé? "
- "Jamais!"
Sa voix était tranchante, glaciale: j'ignorais si c'était de la provocation mais cela marchait, sans aucun doute. Je poussais un grognement de colère:
- "Tu m'as offert ta virginité! "
- " Tu l'as prise! "
Je sentais la colère monter en moi, bouillir:
- " Je ne t'es pas violé! "
- " Tu m'as séduite, c'est tout comme. "
- " Ne dis pas ça! Je suis tombé amoureux de toi! "
- " Tu n'es pas capable d'aimer, Adonis! Tu n'aimes que toi! "
- " Eh, les enfants, on se calme! "
Lucrèce était sorti de la maison sans que je ne l'entende, elle nous regardait, ses yeux d'un rouge sombre passant de l'un à l'autre.
- "Tu n'es qu'un monstre, Adonis! "
- " Sienna. "
Elle posa son regard sur nous, plus triste encore qu'elle ne l'était en temps normal, puis se retourna et partit vers la forêt.
- " Adonis, tu dois renoncer à elle, tu la blesse plus que tu ne l'imagine. "
- " Je ne fais pas ça pour la blesser, je n'arrive pas à la laisser partir, je n'arrive même pas à être loin d'elle sans me sentir vide. Si elle ne m'avait jamais aimé, j'aurais renoncé à elle, il y a bien longtemps."
- " Elle n'est pas prête! Pas prête à être aimé ni à aimer. "
- " Lucrèce, j'attends depuis plus d'un siècle, j'attendrais le temps qu'il faudra. "
Elle me sourit.
- " Autant d'amour, je ne sais pas comment tu fais. "
- " Moi non plus. "
Ce soir là, le sang humain me parut presque fade.
Elle reparut à l'aube, son visage était calme et quand nos regards se croisèrent, elle ne parut même pas en colère. Seigneur, qu'elle était belle. Elle se changea, abandonnant son jean et son bustier pour une robe blanche, simple mais qui mettait à mal mon désir. Elle était la première. Même de mon vivant, je n'avais jamais connu l'échec dans mes histoires avec les femmes. Mais avais-je, de mon vivant, jamais été aussi amoureux? J'avais été un séducteur, abandonnant les femmes après les avoir séduite. Mais Sienna était différente, elle m'inspirait des sentiments que je n'avais jamais connu, que je ne croyais pas pouvoir éprouver. J'avais ri de Félix, tombé amoureux d'une mortelle qui avait fini par être tué, d'Antoine, quand il m'avait présenté Lucrèce. Mais j'étais comme eux, faible,humain...
Nous avons quitté la maison en voiture, un énorme 4x4 qu'Antoine adorait conduire. Comme d'habitude, Sienna posa sa tête sur la fenêtre. La Chine était derrière nous lorsque en plein milieu de la route, à quelques centaines de mètre de nous.
Antoine freina brusquement et Sienna sortit aussitôt: il n'y avait que pour elle que ses silhouettes aux manteaux sombres étaient inconnues.
