La veille avait été mouvementée, un commentaire du coach des Bobcats, suivis du départ d'un joueur de l'équipe junior de hockey de New York, avait fait scandale, et Miranda, la relationniste de presse (et ma patronne) et moi avions passé la journée et une bonne partie de la nuit à répondre à des questions de journalistes ou de commanditaires inquiets pour la future saison.

J'avais peu dormi et les nuages qui se massaient dans le ciel ce matin n'avaient pas aidé mon humeur. J'avais somnolé chez ma collègue, donc je portais toujours mes vêtements d'hier, ma jupe cigarette et mon débardeur noir, mes cheveux étaient hirsutes sur ma tête, et mon eye-liner s'était permis de visiter l'entièreté de mon visage durant mes quelques heures de sommeil.

J'avais les yeux à moitié clos lorsque Miranda me tendit une tasse de café brûlant. Cette odeur, forte, sombre et magique suscita un sourire sur mes lèvres… un bref instant puisque me téléphone portable hurla sur la table de chevet. Un grognement m'échappai, mais je répondis, un sourire dans la voix, à un autre journaliste, résistant à l'envie de balancer par la fenêtre l'appareil. La voix de l'homme était désagréable au plus haut point, mais ses questions étaient les mêmes que celles qu'on m'avaient posées la veille, donc j'avais déjà les réponses en temps. Les répétant comme un enfant qui ne connaît qu'une seule comptine.

Lorsqu'il raccrocha, j'enfilai mes souliers, remercia Miranda et déguerpie prendre un peu d'air frais. Elle m'avait donné la matinée pour dormir un peu avant la conférence de cet après-midi, mais bien que mes yeux étaient lourds je n'avais pas envie d'aller dormir et perdre une demi-journée. J'allais bien pouvoir dormir plus tôt ce soir et tout le week-end qui suivait.

L'air était humide et le macadam trempé, mais il ne pleuvait pas et les nuages semblaient vouloir partir. Les rues étaient envahies par des travailleurs, bien habillés et pressés. Une matinée new-yorkaise typique. Les gens passaient près de moi, parlant au téléphone, gesticulant et frappant parfois un voisin.

Il était tous dans leur monde, un monde de travail, de performance dans lequel je n'appartenais qu'à moitié. Je n'étais qu'employée à temps partiel d'une entreprise d'événements sportifs, mais je faisais tout pour conserver cet emploi, délaissant doucement ma vie sociale pour celle professionnelle. Ma mère disait que j'entrais dans la vie adulte. Mais ce matin, je n'avais pas l'impression d'être mature et professionnelle, j'avais l'impression d'avoir fêté toute la nuit.

Au coin de la 44e et de la 9e avenue, je remarquai un changement de public. Les gens d'affaires étaient remplacés par des ordres de filles en colère. Je restais de mon coté de la rue pendant que je pouvais encore respirer. Je demandai au propriétaire un stand de sac à main ce qui se passait, mais il l'ignorait. Je préférai éviter l'attroupement et les cris en rebroussant chemin pour aller sur la 8e avenue. Plusieurs curieux restaient en retrait, regardant ce qui se passait. J'approchai une petite dame blonde qui souriait en regardant la foule d'excitées.

''Excusez-moi, mais qu'est-ce qui se passe ici?

-Il y a un tournage cette semaine dans cette hôtel. Une comédie romantique pour…

-Adolescentes, j'imagine!

Elle rit un peu et hocha la tête. Elle semblait sympathique, je restais donc un peu avec elle, tournant mon visage vers la foule.

''J'imagine que Brad Pitt ou Tom Cruise jouent dedans.

-Non. L'acteur principal est Josh Hutcherson.

-Je comprends un peu mieux l'engouement!

J'avais vu son dernier film, un succès un Box-Office, donc je le connaissais un peu. Il était mignon donc cela expliquait bien pourquoi toutes les adolescentes de Manhattan se retrouvaient dans un rayon de 500 mètres. La dame blonde me regarda quelque instant avant de me demander sur un ton moqueur :

''Maintenant que vous savez qui joue dedans, cela vous intéresse?

-Oh! Pas vraiment. Enfin un peu de curiosité, le gars à une belle gueule, mais 19 ans … je les préfère un peu plus matures.

-Oh, s'il vous plaît! Vous avez quel âge 23-24?

-Bientôt 23 ans.

-La différence d'âge n'est pas si flagrante.

-Peu importe, la question n'est pas là. On parle d'un acteur au cinéma, qui tourne une scène dans un hôtel devant lequel il y a des centaines de filles. Peu importe si c'était l'homme idéal, il est quand même là-bas, pendant que je suis, ici. Je ne le rencontrerai jamais, a moins de faire la queue pendant 10 heures. Ce qui n'est pas dans mon agenda.

-Bien d'accord avec vous ma chère. Et même si vous attendiez 10 heures, il en aurait vu d'autres avant. Vous ne feriez pas le poids.

Ce n'était pas dit méchamment, mais je le pris personnel, et je lui répondis en riant.

''Vous me connaissez plutôt mal! Je suis certaine que je saurais attirer son attention si je le voulais.

Elle leva le sourcil. Et voyant que je n'étais qu'a moitié sérieuse et rit un peu.

''Qu'elle est votre nom mademoiselle?

-Madison

-êtes-vous du coin?

-Oui, je vis ici depuis que j'ai 16 ans.

-Je cherche un restaurant pour ce soir, en avez-vous un à me conseiller?

-Dans quel quartier êtes-vous?

-La petite Italie.

-Alors Da Nico, sur Mulberry street. Meilleures pasta que j'ai mangé dans ma vie.

-Merci beaucoup, Madison.

-De rien. Au revoir.

Je regardai une dernière fois en direction de la foule. Mais aucun acteur en vu, je repartit donc un peu déçue lorsque la dame me rappela a elle.

''Désirez-vous vous joindre à moi ce soir?

Je fus prise de court. Une parfaite inconnue, sympathique, mais étrangère m'invitait au restaurant. C'était un peu louche, peut-être me trouvait-elle de son goût. Ou qu'elle n'avait pas de vie sociale… comme moi depuis 6 mois. Mon hésitation lui fit perdre son sourire.

''Je suis désolée, Madison. Je ne voulais pas vous ennuyer. C'est simplement que je suis temporairement à New York. Et j'aurais aimé qu'un New Yorkais m'en parle un peu. Je trouve que c'est une ville splendide!

-Non, vous ne m'avez pas ennuyée. Je réfléchissais simplement si j'étais libre ce soir. Je veux bien vous faire visiter la ville. Mais j'ai un rendez-vous d'affaires, demain. Donc je devrais partir tôt. Mais ce sera avec plaisir. On dit 19 heures, au Da Nico?

-Parfait!

Il semblait que je venais de faire sa journée en acceptant d'être sa guide pour la soirée. Pour ma part je me demandais pourquoi j'avais accepté. Elle avait été sympathique et je n'avais rien de mieux à faire, sauf peut-être dormir.

Je retournai lentement vers mon appartement, espérant que la journée et le mal de tête qui me prenait allaient passer rapidement.