- « Ainsi vous avez survécu, Oromis, Glaedr » dit Galbatorix.

Les mots roulaient sur sa langue d'orateur accompli, le ton était suave, faussement amical :

- « Je pensais depuis longtemps que les elfes me cachaient peut-être un dragon ou un Dragonnier. Quelle satisfaction de voir mes soupçons se confirmer.

- Va-t'en, vil briseur de serments, s'écria Oromis. Tu n'obtiendras rien de nous !

- Quel accueil ! Que de dureté ! gloussa Galbatorix. Honte à toi Oromis-elda. Les elfes auraient-ils oublié leur légendaire courtoisie au cours du dernier siècle ?

- Tu ne mérites pas plus de courtoisie qu'un loup enragé.

- Allons, allons, Oromis. Souviens-toi ce que tu m'as dit quand je me tenais devant toi et les autres Anciens : « La haine est un poison. Tu dois la chasser de ton esprit ou elle te corrompra. » Tu serais bien avisé de suivre tes propres conseils.

- Je ne me laisserai pas prendre aux discours retors de ta langue de vipère, Galbatorix. Tu es une abomination, et nous veillerons à ce que tu sois anéanti, fût-ce au prix de nos vies.

- Pourquoi vous sacrifier, Oromis ? Pourquoi vous opposer à moi ? Quel dommage que la haine ait terni ta sagesse ! Car tu étais sage autrefois. Peut-être le plus sage de notre caste. Tu as été le premier à voir la folie qui me rongeait l'âme, et c'est toi qui as convaincu les Anciens de ne pas m'accorder un autre œuf de dragon. Une sage décision. Futile, certes, mais sage. Ensuite, tu as échappé je ne sais comment à Kialandí et Formora, ceux-là mêmes qui t'avaient brisé, et tu es resté caché jusqu'à ce que tous tes ennemis sauf un soient morts. En cela aussi tu as fait preuve de sagesse, elfe. »

Galbatorix marqua une brève pause avant de reprendre :

- « Il n'est plus nécessaire de lutter contre moi. J'avoue avoir commis des crimes terribles dans ma jeunesse. C'était il y a longtemps. Cette époque est révolue. Ma conscience me torture quand je pense au sang que j'ai versé. Hélas, qu'y puis-je ? On ne revient pas en arrière. À présent, je m'attache à assurer la paix et la prospérité de l'Empire dont je suis le seigneur et maître. Ne vois-tu pas que j'ai perdu ma soif de vengeance ? La rage qui brûlait en moi s'est épuisée, réduite en cendre. Réfléchis, Oromis. Qui est responsable de la guerre qui sévit dans toute l'Alagaësia ? Pas moi. Ce sont les Vardens qui ont déclenché les hostilités. Je me serais contenté de gouverner mon peuple, laissant les elfes, les nains et les Surdans vivre comme ils l'entendaient, si les Vardens m'avaient laissé tranquille. Ce sont eux qui ont décidé de voler l'œuf de Saphira, eux qui ont couvert la terre de montagnes de cadavres. Pas moi. Tu étais sage, autrefois, Oromis, et tu peux le redevenir. Renonce à ta haine et rejoins-moi à Ilirea. Quand tu seras à mon côté, nous mettrons un terme à ce conflit et ouvrirons les portes à une aire de paix pour des millénaires. »

Glaedr n'était pas convaincu. Il resserra l'étau de ses mâchoires, et Thorn se mit à hurler. Après le discours de Galbatorix, ce cri de douleur semblait incroyablement perçant.

D'une voix claire et sonore, Oromis répliqua :

- « Non. Tu ne nous feras pas oublier tes atrocités par tes mensonges mielleux. Relâche-nous ! Tu n'as pas les moyens de nous garder suspendus ici beaucoup plus longtemps, et je refuse de perdre mon temps en vains échanges avec un traître de ton espèce.

- Bah ! Tu n'es qu'un sot sénile ! déclara Galbatorix, courroucé. Tu aurais dû accepter mon offre tu aurais été le premier parmi mes esclaves. Je te ferai regretter ton dévouement aveugle à l'idée que tu as de la justice. Et tu te trompes. Je peux vous retenir ici autant qu'il me plaira. Je suis devenu aussi puissant qu'un dieu, personne ne peut rien contre moi !

- Tu ne vaincras pas, dit Oromis. Les dieux eux-mêmes ont une fin. »

Galbatorix lâcha un ignoble juron.

- « Elfe, ta philosophie ne s'applique pas à moi ! Je suis le plus grand des magiciens et, bientôt, je serai plus grand encore. La mort m'épargnera. Toi, tu mourras. Et, avant de mourir, tu souffriras. Quand vous aurez tous deux enduré des souffrances inimaginables, alors je vous tuerai, et je prendrai ton cœur des cœurs, Glaedr, et tu me serviras jusqu'à la fin des temps.

- Jamais ! » s'exclama Oromis.

Le tintement des épées contre les armures reprit de plus belle.

Si Glaedr avait exclu son compagnon de ses pensées pour la durée du combat, le lien qui les unissait transcendait la pensée consciente il le sentit se raidir, paralysé par la douleur dévastatrice de son mal-rongeur-d'os-et-de-nerfs. Alarmé, il relâcha la patte de Thorn et tenta de l'éloigner. Le dragon rouge glapit sous ses coups de patte, mais ne bougea pas. Le sort de Galbatorix les tenait, limitant leurs déplacements à quelques pieds.

Choc violent du métal contre le métal. Et soudain, Glaedr vit Naegling passer devant lui. Brillant de tous ses feux, l'épée dorée tombait. Pour la première fois, la peur lui glaça le sang. L'énergie-de-victoire-par-les-mots d'Oromis était en grande partie stockée dans le pommeau de l'épée ses protections magiques étaient liées à la lame. Privé de Naegling, il était sans défense.

Le dragon d'or se jeta de tout son poids contre le mur invisible dont Galbatorix les entourait. En vain, il se démena sans parvenir à le briser. Il sentit qu'Oromis se remettait de sa crise puis il sentit avec horreur qu'on lui arrachait l'elfe-aimé. Il hurla, tenta de le reprendre. Mais Murtagh avait posé son épée contre la gorge de son compagnon, menaçant de le tuer.

Une force inexorable s'enfla dans son ventre, la barrière se brisa et il dut fuir avant d'être pris lui aussi.

Il les retrouverait. Ils ne lui échapperaient pas il les rattraperait, les brûlerait, les mettrait en pièces, les réduirait à rien. Le monde serait débarrassé d'eux.

De son côté, Oromis était terrifié. Murtagh lui maintenait les bras, l'empêchant de bouger, et son épée était posée contre sa gorge, menaçant de le tuer à tout instant. L'elfe ferma les yeux, inspira profondément, chassant la terreur et vérifia ses barrières mentales, se coupant également de Glaedr : si quelqu'un parvenait à entrer dans son esprit, il ne pourrait pas s'en servir pour atteindre le dragon.

Il ne chercha pas à se défendre lorsque son ravisseur lui frappa le crâne avec le pommeau de Zar'roc, et sombra dans l'inconscience.

Le jeune homme en profita pour l'attacher à la selle, et Thorn s'en retourna vers Urû'baen.

Nul doute que Galbatorix récompenserait une telle prise.