Chap.1: Tendre Enfance.

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n endroit sombre, tellement, que l'on se croirait au début de la vie, avant l'éclatement des mondes concentrés dans une petite étincelle, au tout début d'une histoire, d'une légende.

Une petite main cherche à s'agripper aux ombres, elle va, et vient, cherchant son chemin dans le noir. Cette petite main est spéciale, d'abord par sa blancheur presque éblouissante dans l'ombre mais parce que c'est une main, libre, sans bras pour l'attacher tristement à un corps. Elle semble pourtant bien commandée par quelqu'un. Car elle tâte le sol tel un aveugle cherchant sa route. C'est une petite main d'enfant. Un enfant qui ne tardera à émerger à son tour des ténèbres. Sa figure si innocente et angélique se distingue parfaitement dans le noir. Mais ce n'est pas un enfant comme les autres. Son physique est. vraiment original, tous ses membres sont totalement détachés de son corps. Il n'a ni bras, ni jambes, ni cou. Il dirige ses mains et ses pieds par une force invisible qu'il peut agrandir à sa guise. Ce qui est un atout pour se faufiler à travers des passages étroits. Son curieux physique lui à valut le nom de Rayman. Son visage était lui aussi étrange, ses grands yeux étaient bleu foncé, et descendaient lentement vers un noir total. Son nez était bizarrement avancé comme un museau et cela lui donnait parfois des allures animales avec ses deux grandes mèches blondes qui lui retombaient devant les yeux, comme deux grandes oreilles.

Il tentait de s'extirper de l'endroit sombre dans lequel il était bloqué. Des sons métalliques se produisaient lorsqu'il se cognait contre les parois froides qu'il avait autour de lui. Sa main, toujours en avant tentait encore de chercher un objet invisible. Derrière lui, ont distinguait quelques voix d'enfants. Puis une voix plus lourde, presque caverneuse se fit entendre ;

-« Alors le démembré ! Tu le trouve ce blocage ! ? »

A cette seule voix, Rayman se fit plus rapide, voir même affolé. A tel point que sa main heurta un ensemble de rouage en métal sur lequel elle se coupa. Il était encore sous l'une de ses machines, l'une des énormes machines à filer qui s'entreposaient par dizaines dans l'usine de tissu de M.Griffin. Un homme froid, massif, portant toujours une énorme veste dans lequel il rangeait ses clefs, ses outils et autres pièces de travail. Tout cela provoquait une multitude de sons métallique lorsqu'il marchait, ce qui était une chance puisque cela signalisait son arrivée quand il approchait. Son visage, Rayman l'avait rarement vu. Une tête carrée, des yeux écrasés sous ses joues énormes et des cheveux noirs qui virevoltaient en tous sens sortant timidement d'un bandeau brun et taché qui recouvrait sa tête, comme celui d'un pirate. D'ailleurs, Rayman avait parfois discerné une petite pierre en or encrée dans son oreille et un anneau du même métal qu'il portait sur une chaîne autour de son cou. Rayman n'avait aucune idée de l'endroit d'où il avait pu tirer des choses pareilles, son village n'avait jamais eu de ressources d'or ou de diamants. Peu importe. M.Griffin régnait donc en maître sur son petit territoire et cela suffisait à répandre la terreur sur les ouvriers y compris Rayman qui pourtant n'était pas effrayé par grand chose. Griffin ne pensait qu'à ses machines à filer qui lui procuraient les textiles dont il avait besoin pour s'enrichir d'avantage. Il arrivait parfois que l'une de ces machines tombe en panne à cause de fils trop épais, qui se retrouvaient coincés dans les mécanismes. Il fallait donc aller les décoincer, et c'est la que Rayman intervenait. M.Griffin dans sa grande générosité, n'employait que des enfants et des personnes âgées. Après tout, ils n'avaient pas besoin d'être payée cher ? Donc, Rayman et quelques enfants travaillaient ici pour un salaire pitoyable. Mais Rayman risquait souvent sa vie en « décoinçant » les machines ; elles pouvaient très bien se remettre en marche lorsqu'il était dedans. Tout ça, à cause de son physique. Il ne savait pas si cette souplesse était un cadeau ou un fardeau.

Il continuait alors son périple dans l'obscurité et la poussière des lieux. Il avait maintenant du mal à respirer, sous une chaleur étouffante, et ses yeux lui brûlaient jusqu'aux joues. Les cendres et la fumée sombre noircissaient son visage pourtant si pâle d'habitude. Il passait entre les mécanismes noir et salissant, lorsqu'il aperçut un torchon déchiqueté à travers deux rouages. Coincé sous un cylindre encore brûlant et emprisonné dans les câbles à force de se faufiler dans le noir, il se débattit et tendit sa main en avant pour attraper le morceau de tissu. Sa main s'entortilla à l'intérieur. Il sentit le contact de la toile, douce et encore chaude, mais pourtant crasseuse et déchirée. Pendant un instant, il crut s'endormir, cette douceur était comme une récompense après un dur périple. Une récompense ! Hé ! Cela faisait une demi-heure qu'il était à l'intérieur de cette machine pour récupérer ce fichu morceau de chiffon ! Il tira alors, et le tissu craqua. Il ne devait pas en ramener qu'un morceau, il prit alors une position plus spécifique à sa situation. Du haut de ses huit ans, il ne faisait encore penser qu'à un enfant, mais il pensait vite, il était malin, très malin, et dans certains cas, être malin, valait mieux qu'être intelligent. C'était une autre caractéristique qui lui faisait défaut, en plus de son physique. En fait, les habitants de son village, ne l'aimait pas pour trois raisons. D'abord, pour son physique anormal, et son esprit vif. Mais aussi par son étrange symbole. Un cercle blanc. Ce symbole était pour certains, un signe de mauvaise augure. Il était inscrit sur une toile violetée qui recouvrait son corps, autrement dit, juste son ventre. Il cachait donc cela par de grandes chemises en toile. Du moins, sa mère lui demandait de faire cela. Rayman vivait chez des parents adoptifs. Il avait été trouvé bébé, dans la forêt, emmitouflé dans une couverture sale. Ses parents n'étaient pas mal vus des autres villageois, tant que Rayman ne posait pas de problèmes. Sa mère l'habillait donc de façon à cacher le plus possible ses différences, mais elle n'aimait pas ça, elle savait que Rayman aimait se sentir le plus naturel possible par rapport aux autres, mais pour elle, c'était stupide de devoir traiter son fils différemment d'un autre. Mais elle et son mari avait toujours voulut avoirs un enfant, sans résultat. Jusqu'à ce qu'ils découvrent Rayman. Depuis ce jour, ils avaient toujours nié ses différences. Mais il y avait une chose qu'ils ne pouvaient pas ignorer, Rayman demanderait un jour, pourquoi, il est différent.

Rayman se mit donc sur le dos et libéra sa deuxième main, qui rejoignit l'autre, toujours dans le morceau de tissu. Il tira, et réfléchit alors. Il lui vint une pensée désagréable, qu'adviendrait-il de lui, s'il réussissait son excursion ? Tous ces rouages et ces cylindres, sous lesquels il était bloqué, ils étaient arrêtés par ce morceau de chiffon. Il savait penser et c'était une chance. L'échine de son dos frissonnas et Rayman eu une nouvelle bouffée de chaleur avant d'avaler sa salive. Il eut une idée, finalement son physique n'était pas si mal que ça. Il bloqua ses mains sur le tissu et se mit à reculer lentement. L'air se fit plus frais et la lumière plus intense. Il en avait presque mal aux yeux après toute cette obscurité. Il continua ainsi jusqu'à ce que ses pieds soient dans le vide et qu'il ressorte enfin à l'air libre. Il était à peine debout, que des enfants se collèrent contre lui ;

-« J'espère que t'as trouvé le blocage, sinon, on est tous morts ! » Dit l'un.

-« Ouais ! Dépêche-toi avant qu'il revienne ! » Dit un autre.

Ils étaient une dizaine, attendant là, depuis une demi-heure maintenant. Ils étaient eux aussi sous l'emprise de M.Griffin, dans la même situation que Rayman. Ils étaient aussi tous terrorisés à l'idée que Griffin revienne et découvre que le petit blondinet n'avait pas progressé d'un poil. Rayman se concentra donc sur ses mains, toujours prisonnières de la machine.

Il tira lentement, puis, plus fort. Le tissu lâcha prise rapidement et Rayman se retrouva violemment projeté sur le dos avec dans les mains, un morceau de chiffon crasseux. La machine repartie en trombe en émettant un vacarme assourdissant et en crachant sa fumée noire. Rayman eut de nouveaux un frisson. Mais il avait réussi, et c'est ce qui contait, enfin pas pour tout le monde. Une myriade de son métalliques retentirent au rythme d'un pas lourd.

-« Alors le pantin, tu t'en es encore sortit ? Tant mieux, parce que j'ai du travail pour toi. »

Rayman soupira en fermant ses yeux. Il se tourna vers Griffin.

-« Va donc décrasser les turbines d'aération, ça te fera un peu d'exercices. Et fait attention de pas y perdre tes mains se serai dommage. »

Puis il repartit avec un rire sinistre. Rayman n'avait pas le choix. Il devait travailler pour Griffin. Sa mère gagnait à peine de quoi le nourrir, et son père n'était jamais revenu d'un certain voyage. Depuis, il sentait sa mère plus fragile, même si elle se forçait à le cacher tous les jours, il se demandait s'il n'était pas un poids pour elle, mais elle lui répétait que s'ils ne l'avaient pas trouvé, elle et son mari n'aurait jamais eu d'enfants. Malgré ça, il se sentait trop lourd à porter pour elle et il savait qu'elle ne tiendrait plus longtemps. Il passait donc ses journées à travailler pour gagner de quoi réjouir sa mère le soir en rentrant, mais c'était plutôt de le voir rentrer qui la réjouissait. Il rentrait si tard.Il fallait dire que Rayman était le « Chouchou » de Griffin. Celui-ci s'amusait à le faire travailler plus que les autres sous prétexte qu'il était plus agile et plus résistant, bon sang ! Il n'avait que huit ans ! Mais tellement avancé pour son âge.Griffin se montrait plus ferme et autoritaire avec lui qu'il ne l'était déjà avec les autres. C'était comme ça et pas autrement. Rayman avait toujours subit les moqueries des autres. Et de Griffin en premier. C'est pourquoi il tentait tous les jours de ressembler un peu plus aux autres. Il cherchait aussi à se faire remarquer en imaginant des idées abracadabrantes pour attirer l'attention sur lui, le problème était qu'il se faisait toujours remarquer par les mauvaises personnes, et ses erreurs le rejetaient immédiatement sous les railleries des autres. Mais il était comme ça, et cela empirait avec l'âge. Un jour, il se mit en tête de déplacer un moulin à eau alimentant une installation électrique, soit disant qu'il fonctionnait mal. Il voulut le remonter à contre courant de la rivière pour lui donner plus de puissance, mais l'une des cordes tenant la machine lâcha et l'engin dériva rapidement dans les violents torrents, avant de se fracasser sur un énorme rocher. Rayman eut à peine le temps d'imaginer ce qu'il lui arriverait, qu'il fut surpris par. Le propriétaire du moulin. Griffin. Et c'est comme ça depuis ce jour.

Quand il eut assez travaillé à son goût, Griffin revint rappeler Rayman.

-« C'est bon petit, je veux que tu sois en forme pour demain. »

Puis il partit, traînant derrière lui le son tant caractéristique des outils en ferraille s'entrechoquant et suivant le rythme de ses pas lourds. Comme des dizaines de petits diables riant des souffrances qu'endurent ceux qui travaillaient ici.