« M. Holmes, vous pouvez entrer. »

L'homme, qui brillait par sa grande taille -selon lui uniquement valorisée par la coupe parfaite de son épais manteau de tweed, qui retombait lourdement au moins jusqu'au creux de ses genoux-, sa coupe chaotique de cheveux et la pâleur intense et excessive de sa peau, finit par se lever en rangeant son smartphone dans sa poche et en lissant du plat de la main son écharpe bleue, qu'il portait nouée lâchement après avoir été pliée en deux dans le sens de la longueur. La plupart des patients assis dans la salle d'attente levèrent la tête, le scrutant avec application et avec une certaine méfiance : il faut dire que la prestance de l'homme ainsi que sa silhouette étrange et maladive lui donnaient un drôle d'air peu amène. Il quitta la salle, puis suivit le praticien jusqu'à son propre bureau. Ils finirent par s'assoir après s'être légèrement serré la main, et le médecin prit alors la parole :

« Bien, M. Holmes...Je suis heureux de vous voir. Comment allez-vous depuis la dernière fois ?

-Eh bien..., commença le détective en se grattant la tête. Ça va...mieux, docteur Williams.

-Bien, bien..., sourit le docteur. J'ai reçu vos échographies il y a peu, peut-être il y a deux semaines, reprit-il alors en sortant de son bureau une grande enveloppe de kraft basique, tamponnée au nom de l'hôpital St Barts. Je les ai examinées, et vous constaterez que votre mélanome est plutôt lent, heureusement -il avait ressorti les échographies et les montrait au détective tout en les expliquant avec une certaine application-. Ce qui m'inquiète, c'est qu'il est totalement possible qu'il continue à se propager, et même ailleurs que dans votre choroïde, et donc qu'il pourrait s'attaquer à d'autres cellules pigmentées de vos yeux. Si tout ceci se produit, une cécité totale et définitive pourrait arriver.

-Le pire dans ma situation. Je ne peux pas travailler si je ne vois plus rien du tout.

-Je le sais, et c'est pour cela que je veux vous parler d'une réelle innovation scientifique développée par des chercheurs oncologues de Rhode Island, aux États-Unis, un traitement nommé le DFT-236. Il est certes médicamenteux dans un premier temps, et se suit d'une intervention chirurgicale, mais ce traitement est beaucoup moins lourd qu'une chimiothérapie classique. Les effets secondaires constatés sur des animaux de laboratoire sont pour l'instant minimes mais étudiés de près car nous ne les connaissons pas encore totalement bien. Une fois le traitement optimal sur le mélanome, on effectue une intervention afin de l'éliminer au maximum. On part du principe que l'on admet entre cinq et dix pourcents d'échec pour le moment. Ça peut en rebuter certains, mais la plupart des oncologues pensent que ce traitement est le successeur de la chimiothérapie et le traiter pour commencer sur des cancers extérieurs tels que ceux de la peau ou des yeux -votre cas, M. Holmes- permettrait de constater à l'œil nu sa progression sur le patient malade.

-Ça semble prometteur, dites-moi.

-Ça l'est. Toutefois..., reprit le praticien en rangeant les échographies dans l'enveloppe en faisant s'envoler dans l'air de minuscules particules de kraft visibles uniquement à la lumière artificielle de sa lampe de bureau. Je me dois d'être honnête avec vous, M. Holmes. Ce traitement est géré par les meilleurs oncologues de Londres qui officient ici, au St Barts. Vous correspondez certes exactement au type de patient visé dans un premier temps par ce traitement, mais il demeure pour le moment extrêmement coûteux, entre vingt-quatre et vingt-huit mille livres sterling.

-O...Oh...», murmura alors Sherlock, incapable de prononcer le moindre mot.

Plus de vingt mille livres. C'était énorme, au-delà du raisonnable, et il savait pertinemment qu'il aurait beaucoup de mal à suivre, et que débourser une telle somme d'argent allait se révéler extrêmement difficile, d'autant plus qu'il savait d'ores et déjà qu'il refuserait le soutien financier que Mycroft ou ses parents pourraient lui apporter. Mais alors, comment allait-il s'y prendre pour financer un si lourd traitement en économisant le plus de temps possible ? Alors qu'il réfléchissait à tout ceci, pensif, le docteur Williams reprit après s'être raclé la gorge :

« Vous savez, c'est la compétence que nous facturons à un tel prix, M. Holmes. En...En soi, on considère que le traitement médicamenteux dure entre huit et dix mois pour l'instant, même si l'on pense qu'il peut être efficace dès six mois en moyenne d'après les résultats d'expérience. Ensuite, un mois de sevrage complet avant l'intervention. Puis, quatre à six semaines avec les yeux dans le noir le plus complet, certainement engoncés dans des bandages ou ce genre de choses.

-Et...Et le traitement seul ? Combien coûte-t-il ?

-Rien que le traitement ? Il faut compter dix-neuf mille livres.

-Dix-neuf mille livres...Di...Disons que je n'ai pas le métier le plus stable au monde, et réunir autant d'argent en un temps que je veux voir le plus court possible me paraît être un véritable défi.

-Hum..., reprit le médecin en joignant les mains, en pleine réflexion. Tout ce que je peux vous conseiller, c'est de trouver un travail plus stable tout en poursuivant votre activité actuelle afin de cumuler les rentrées d'argent. Je ne vois pas comment vous pourriez vous y prendre sinon. »

Le docteur Williams se releva tout en prononçant ces derniers mots, suivi de près par son patient, puis ils se serrèrent à nouveau la main. Ensuite, Sherlock quitta le bureau, paya sa consultation au secrétariat, puis sortit de l'hôpital avant de s'adosser à l'un des murs de grès blanchâtre et d'allumer une cigarette. Il avait repris l'habitude de fumer depuis que John était parti, et cela faisait donc quatre mois qu'il consommait cigarette sur cigarette sans réfléchir, machinalement, sans même vraiment s'en rendre compte.

Plus de vingt mille livres...Il avait appris à vivre avec son cancer depuis la fin de l'affaire Olffstein, et même s'il était affreusement lent dans sa progression, il savait très bien qu'il finirait par prendre le dessus sur lui. Alors, s'il voulait continuer à voir et à travailler -d'ailleurs, à son niveau, travailler sur des cas sordides et glauques n'était même plus une volonté ou une envie mais une réelle nécessité dont il craignait l'emprise sur la totalité de son être-, il devait être opéré le plus rapidement possible, ce qui impliquait donc qu'il finance et le traitement et l'intervention chirurgicale dans les plus brefs délais. Il savait qu'il devait avoir dans les dix mille livres d'économies personnelles, et il devait également payer le loyer à Mrs. Hudson, qui était devenu beaucoup plus conséquent maintenant qu'il était seul à l'assumer. Malgré la gentillesse de sa logeuse et sa conciliation, il ne pouvait se résoudre à ne pas assurer le loyer pendant trop longtemps. Il devait donc, en toute logique, trouver un travail où il pourrait mettre à l'œuvre ses formidables -mais éphémères- compétences d'observation et de déduction. Alors, il eut une idée. Il tira une latte sur sa cigarette puis commença à doucement marcher dans Londres en direction d'un endroit bien précis, n'ayant même pas envie d'héler un taxi : tout ce qu'il espérait maintenant, c'était que Lestrade avait en ce moment des problèmes de sous-effectif.