Prologue (entièrement repris de la fin de Journey's End)
Le Docteur sort de la maison de Donna sous la pluie battante.
« Docteur ? lui demande Wilfred Mott. Et vous, maintenant ? Qui vous reste-t-il ? Je veux dire… tous vos amis…
– Ils ont tous quelqu'un, répond le Docteur. Mais ça va. Je vais bien.
– Je vous chercherai, monsieur.
– Vous ne devez jamais lui en parler !
– Non, non ! Mais tous les soirs, Docteur, quand la nuit tombera, et que les étoiles apparaîtront, je regarderai le ciel… pour elle. Je regarderai le ciel… et je penserai à vous.
– Merci. »
Le Docteur se dirige vers le TARDIS, sous le regard triste du vieillard.
Il y entre et rejoint la console, pensif. Il enlève sa veste mouillée et la jette sur le siège. Puis il démarre l'engin. Wilfred referme la porte de la maison quand celui-ci a enfin disparu.
Chapitre 1 : The Claws of Axos
La machine tourbillonne au hasard dans le vortex. Le Docteur n'a pas choisi de but précis à sa course. Il s'est assis sur la banquette de Cadillac et laisse son esprit vagabonder. Il n'est pas dans les habitudes du Seigneur du Temps d'être nostalgique. Mais ce soir, il revient sur les événements passés.
« Vous vous comportez comme si vous étiez toujours seul, Docteur, lui a dit Sarah Jane, mais regardez, vous avez la plus grande famille qui existe au monde. »
Où est-elle cette famille, maintenant ?
Ses pensées dérivent vers une autre famille. Celle qui fut la sienne, autrefois, sur Gallifrey. Ses parents, son frère, sa femme, ses enfants. Lorsqu'il était parti de sa planète, il y a si longtemps, il ne lui en restait déjà plus qu'un seul membre : Arkytior, sa petite-fille. Qui avait pris le nom de Susan en arrivant sur Terre.
Puis il songe à son enfance, à ses amis. À son ami. Qu'il a tenu si fort dans ses bras récemment, et qui a refusé de se régénérer. Une douleur soudaine traverse ses deux cœurs. Le revoir ! Même juste une minute. Pour apaiser cette souffrance.
« Je ne peux pas retourner sur Gallifrey pour nous retrouver jouant dans les champs d'herbes rouges, pense-t-il. Mais je peux revenir sur notre passé commun, en dehors de notre planète. Il ne me sera pas possible d'intervenir bien sûr, mais juste être témoin, en me cachant. »
Le revoir. Encore une fois.
Souriant maintenant, le Docteur se lève et programme le TARDIS pour une destination bien précise. La Terre, en 1971. La côte sud-est de l'Angleterre.
ooo
Josh pédale en grommelant sur la route du complexe Nuton. Sa récolte a été maigre : quelques hameçons pris dans des filets de pêche et une poupée pas trop abîmée. Il avait trouvé un vieux vélo aussi, mais inutilisable. Pas de quoi remplacer son antique engin, ni se faire le moindre penny à la revente. De plus, le complexe l'oblige, depuis quelques années, à faire un long détour pour rentrer dans sa cabane.
Une lumière aveuglante éclate soudain. Déstabilisé, Josh zigzague sur la route et dévale la pente jusqu'à une mare d'eau glacée. Il en ressort en râlant contre sa mauvaise fortune, le temps de fous qu'il fait en ce début du mois de mars, et l'univers tout entier.
Revenu sur le chemin, il pousse sa bécane à pieds, toujours furieux.
Il s'arrête soudain. À quelques mètres de la route, un étrange objet attire son attention. Avec un croassement d'étonnement, il s'en approche, se demandant s'il n'y a pas un peu d'argent à se faire là. Partagé entre une certaine crainte et la curiosité, il fait rapidement le tour de cette butte qui dépasse du sol. Il s'arrête finalement devant ce qui lui paraît être l'entrée, et qui vient de s'ouvrir comme les pétales d'une monstrueuse fleur.
Une racine jaunâtre en surgit, mais avant qu'elle n'ait pu l'atteindre, quelqu'un se jette sur lui et elle claque dans le vide, se retirant aussitôt, tandis que les sépales triangulaires de cette curieuse porte se referment dans un souffle.
« Vite, par ici ! » lui crie celui qui l'a bousculé.
Il l'aide à se relever et l'entraîne à toute vitesse dans le fossé, de l'autre côté de la route.
« Quoi ? grogne Josh.
– Chut, taisez-vous ! lui chuchote l'inconnu en l'obligeant à se baisser. Il ne faut pas qu'on nous voit.
– Pourquoi ? grommelle à nouveau le vagabond.
– Je vous expliquerai plus tard. Maintenant, silence et pas un mouvement. »
Ils assistent à l'arrivée d'une grosse voiture américaine. Un homme en sort et s'approche à son tour de l'objet. Comme pour Josh, la porte s'ouvre et la racine en jaillit. Elle saisit le nouvel arrivant à la gorge et l'entraîne à l'intérieur.
« Voilà ce qui vous attendait, murmure le compagnon de Josh.
– Quéqui va 'ui arriver ? questionne celui-ci, également à voix basse.
– À lui, rien de grave. Mais vous, vous auriez été vidé de toute substance.
– Quoi ? marmonne Josh, sans rien comprendre.
– Autrement dit, vous seriez mort. Attention, les autres arrivent ! »
Son sauveur attrape le vagabond par les épaules et l'oblige à se baisser. Seuls, le sommet de leurs crânes et leurs yeux émergent du bas-côté plein d'eau bourbeuse.
Une longue file de véhicules militaires, camions, voiture et motos, s'arrête sur la route et des soldats en surgissent ainsi qu'une troupe de civils qui se dirigent vers le mystérieux bulbe.
« De quel mauvais goût je faisais preuve à l'époque ! chuchote l'homme à l'oreille de Josh. Regardez-moi ça ! Une chemise à jabot de dentelle ! Et cette cape ! Ridicule ! Heureusement, mon sens de l'esthétique s'est amélioré par la suite… enfin… il a fallu du temps quand même.
– Quoi ? ronchonne à nouveau le clochard.
– Chut ! Je vous expliquerai plus tard. »
Les civils sont entrés dans le truc bizarre et les soldats se sont déployés autour.
« Bon, reprend le compagnon de Josh. Il ne sortira pas de là avant au moins deux ou trois heures. Nous avons le temps d'aller nous sécher et nous réchauffer un peu.
– Quoi ? Qui ça ? Où ça ? demande le vieillard.
– Venez ! » se contente de lui répondre l'autre.
Ils s'éloignent, d'abord en rampant pour ne pas se faire remarquer, puis en courant, dès que la colline les dissimule à la vue des militaires.
ooo
Le Docteur ouvre la porte du TARDIS et y fait entrer son invité.
Le clochard regarde autour de lui, et le Seigneur du Temps attend la phrase que prononcent tous ceux qui arrivent ici la première fois. Mais elle ne vient pas. Le vieil homme se contente de laisser pendre sa mâchoire et de cligner des yeux dans la lumière dorée de la machine.
« Hum ! Bon ! Nous sommes tous les deux gelés et couverts de boue. Que diriez-vous de vêtements chauds et d'un bon thé ? propose le Docteur finalement.
– Ouais, répond brièvement le vagabond.
– Je suis le Docteur, ajoute le Seigneur du Temps, en lui tendant la main. À qui ai-je l'honneur ? »
Sans cesser d'inspecter avec des yeux ronds ce qui se trouve autour de lui, le clochard répond en serrant la main tendue, de ses doigts toujours recouverts de mitaines miteuses :
« Pigbin. Josh Pigbin.
– Bienvenu dans le TARDIS, M. Pigbin. Je peux vous appeler Josh ?
– Ouais.
– Bien. Alors Josh, la garde robe, c'est par ici. »
Quelques minutes plus tard, ils sont assis tous les deux dans la salle de commande, un mug de thé brûlant à la main.
Le Docteur a changé son costume marron rayé contre un costume bleu, et ses converses rouges contre des converses beiges. Le vieil homme a déniché des hardes qui ressemblent furieusement à celles qu'il portait. Seulement plus neuves et plus propres. Il a même enfilé une nouvelle paire de mitaines que le Docteur reconnaît comme lui ayant appartenues. Et il a coiffé sa tête d'un bonnet en astrakan.
« Allons-y ! s'exclame le Docteur, la dernière goutte de thé avalée. Il ne faudrait pas le rater.
– Mais qui ? s'enquiert Josh.
– Un ami. Enfin, quelqu'un que je veux voir. Juste voir, vous comprenez. Pas lui parler, juste le voir.
– Non, pas compris, répond le clochard en hochant la tête.
– Oui. Enfin, c'est compliqué. J'ai une vie compliquée. Pleine de méli-mélo temporels.
– Hein ?
– J'expliquerai plus… heu non, en fait. Je vais arrêter de dire que j'expliquerai plus tard, parce que je ne le fais jamais. Dépêchons-nous ! »
Ils sortent en hâte du vaisseau spatio-temporel et le vieil homme jette un coup d'œil à son aspect extérieur qu'il n'avait pas eu le temps de détailler en arrivant.
« Ah ! fait-il. Z'êtes un flic, alors !
– En quelque sorte, Josh, finit par reconnaître le Docteur. Mais Chut !, je suis en mission top secrète. Alors, soyez discret. Pas un mot de tout ça à quiconque, hein ? »
Le vagabond rit dans sa barbe. Il semble ravi d'être le confident d'un homme aussi important.
Ils s'installent derrière la bosse qui les avait dissimulés tout à l'heure. C'est un peu loin du théâtre des opérations, mais le Docteur ne veut surtout pas se faire repérer. Il sort une paire de jumelles de sa poche.
« Ah, murmure-t-il. Le voilà ! »
Il y a un souffle de joie contenue dans sa voix. Presqu'aussitôt suivit par un gémissement :
« Oh non ! J'avais oublié ça !
– Quoi ? Quoi ? s'inquiète Josh.
– Qu'il avait tué ce soldat.
– Hein ? Qui ? Votre ami ?
– Oui. Je ne le considérais plus comme un ami à l'époque. Enfin… presque plus.
– Faut fair' quéqu' chose, l'policier ! grogne le clochard.
– Oh, mais je vais faire quelque chose ! bougonne le Docteur. Ah ça oui ! Je vais l'envoyer dans une boucle temporelle inextricable, en espérant qu'il va y rester pour toujours. »
Il pousse un soupir et s'assoit, méditatif.
« Comment s'en est-il sorti, d'ailleurs ? réfléchit-il. Je serais bien curieux de le savoir. »
Le Docteur retrouve son sourire.
« Eh bien voilà ! C'est ma prochaine étape. Je me souviens parfaitement des coordonnées de cette boucle temporelle. Je vais aller voir.
– Sais pas c'qué c'te boucl', ma j'vas avec vous.
– Impossible, M. Pigbin. Ça pourrait être dangereux.
– M'avez sauvé la vie, mon gars. J'vas aque vous !
– Si vous voulez », soupire le Docteur, secrètement soulagé de ne pas être seul.
ooo
« Là, regardez ! »
Le Docteur montre à Josh, sur l'écran de contrôle, le petit point de forme légèrement ovoïde qu'est Axos. Il fait et refait toujours le même circuit, formant une sorte de huit.
« Ah, et me voilà ! »
Se détachant du grain de riz qu'est le vaisseau des Axons, quelque chose semble foncer vers eux, mais passe en réalité à distance respectable. Cependant, il n'est pas difficile d'y reconnaître un parallélépipède de couleur bleue avec une lumière clignotante sur le dessus.
« Rapprochons-nous, commente le Docteur. Le TARDIS du Maître ne devrait pas tarder à se libérer aussi. Hum, si j'osais… »
Le Seigneur du Temps sait que pour voir réellement ce qui s'est passé, il faudrait qu'il se matérialise à l'intérieur même de la créature. Seulement, c'est extrêmement risqué. Il pourrait ne plus arriver à sortir lui-même de la boucle temporelle. Sans compter qu'Axos ne manquera pas de se défendre contre cette intrusion. Il pianote nerveusement sur un des panneaux de la console. La tentation est forte. Il se décide brusquement.
« Allons-y ! » s'exclame-t-il, en poussant trois leviers et en donnant un bon coup de marteau en caoutchouc sur une série de boutons.
L'intérieur familier du vaisseau des Axons apparaît sur l'écran. Le TARDIS du Maître est toujours là. Il est au trois quarts recouvert par une substance que le Docteur reconnaît comme de l'axonite en pleine activité. Une mousse nacrée d'un blanc jaunâtre qui essaye de dissoudre l'appareil spatio-temporel. Elle n'y arrivera pas bien entendu, mais elle l'empêche de se dématérialiser.
On peut voir ses tentatives répétées échouer successivement. Avec un demi-sourire, le Docteur imagine la fureur du Maître à l'intérieur.
Inutile, Maître, annone la voix monotone d'Axos. Vous êtes prisonnier avec nous pour toujours. La stupidité de l'autre Seigneur du Temps en est la cause. Quant à vous, c'est le prix à payer pour avoir échoué.
Le Docteur fronce les sourcils. Le TARDIS du Maître bascule lentement. Il semble s'enfoncer dans le sol spongieux. Axos arriverait-il à le digérer ?
« C'est impossible ! murmure le Seigneur du Temps. Nos machines sont à toute épreuve. Surtout la sienne qui est plus récente et en meilleur état que la mienne.
– Quoi ? marmonne Josh. Il est où vot' ami ?
– Là dedans, explique le Docteur en se tournant vers lui et en lui montrant l'écran. C'est le même appareil que le mien, même s'il a un aspect différent.
– C'petit bout qui dépass' de l'écume, là ? questionne le vagabond.
– Oui… Oh, mer… je veux dire zut ! » s'exclame le Docteur en agrippant ses cheveux ébouriffés.
En l'espace de quelques secondes, l'engin spatio-temporel a été presque entièrement avalé par le vaisseau vivant.
« Se pourrait-il… se pourrait-il que… »
Le Seigneur du Temps fait les cent pas nerveusement près de la console en continuant à se frotter la tête vigoureusement, sous le regard surpris du vieil homme. Il jette de temps en temps un coup d'œil au moniteur, où le TARDIS du Maître n'est plus visible que par un angle dépassant des bulles.
« Il ne faut pas. Je ne dois pas intervenir. Il ne faut pas changer le passé, vous comprenez ? ajoute-t-il, en s'adressant à son compagnon.
– Chais pas, répond celui-ci. Pas changer l'passé, ça veut dir' laisser les copains dans la mouise ?
– Il n'est pas dans la… "mouise", comme vous dites. Je le connais, il va s'en sortir. Il s'en sort toujours. Enfin… presque toujours, murmure-t-il avec amertume en songeant au bûcher qu'il a allumé, il n'y a pas si longtemps.
– L'a pas l'air pourtant, constate Josh en hochant la tête. On l'voit mêm' pus.
– Vous avez raison ! s'écrie le Docteur brusquement. Tant pis pour le passé ! »
Il se met à courir autour de la console, programmant une manœuvre bien précise.
« Josh Pigbin, s'exclame-t-il, avant de pousser le dernier levier, vous allez assister à un événement rarissime ! Et extrêmement dangereux, bien entendu. Accrochez-vous ! »
Avec une violente secousse, le TARDIS se dématérialise. Les deux hommes sont ballottés, et le clochard tombe les quatre fers en l'air. Il agite bras et jambes comme un insecte qu'on aurait retourné sur le dos.
La salle de commande semble vouloir se tordre sur elle-même. Josh a l'impression de passer dans l'essoreuse de sa grand-mère. Un son de cloche retentit.
« Oui, oui, je sais, ça ne te plaît pas, ma belle. Un petit effort, ça ne va pas être long », grogne le Docteur avec une voix déformée.
Au milieu de la pièce, un objet apparaît. Ou plutôt… tente d'apparaître. Ça ressemble à une armoire en bois clair couverte de sécrétions nacrées. Le TARDIS du Maître.
Le Docteur appuie plus fort sur le levier qui essaye de reprendre sa place, et le pousse jusqu'au bout. La cloche tinte à toute volée, maintenant et tous les sons deviennent de plus en plus graves. Josh gémit : grand-mère s'active sur l'essoreuse avec enthousiasme.
Enfin, l'armoire finit de se matérialiser.
« Vite ! s'écrie le Docteur. Josh, venez m'aider. Il faut appuyer sur ces trois boutons en même temps, pendant que je laisse le levier reprendre sa place doucement. Si je le lâche brusquement, Axos va exploser et nous avec. »
Le clochard se ramasse péniblement, titube jusqu'au panneau en face du Docteur, et questionne :
« Quels boutons, m'sieur ?
– Le bleu, le vert et… l'autre vert. Non ! Pas celui-là ! C'est le bouton de délestage. Qui sait ce qui pourrait disparaître d'important encore. La dernière fois que je l'ai utilisé, ça m'a supprimé la Chambre Zéro.
– Ç'ui-ci, ç'ui-ci et ç'ui-ci ?
– Voilà, c'est ça. Appuyez bien tous les trois en même temps, hein ? »
La distorsion s'accentue et on entend un énorme bruit de succion. Puis comme le son d'un bouchon de champagne qui sauterait. Mais un bouchon de la taille d'une grosse colline. Pendant quelques secondes, Josh n'entend plus rien et voit juste les lèvres du Docteur remuer.
« …a réussi ! »
Soudain, tout redevient normal dans la salle de commande. Le Docteur sort un mouchoir rouge d'une des poches de sa veste et s'éponge le front.
« Ouf ! soupire-t-il. J'ai bien cru que nous resterions coincés dans la boucle, nous aussi. »
Sur l'écran de visualisation, il regarde l'armoire s'éloigner d'eux à toute vitesse.
« Bonne continuation, Maître », chuchote-t-il.
Puis il ajoute joyeusement à l'adresse de Josh, en se frottant les mains :
« Bien, M. Pigbin ! Les meilleures choses ont une fin. Je vais vous redéposer chez vous. Merci beaucoup pour le coup de main. Je n'y serais pas arrivé sans vous.
– À vot' service, m'sieur. »
