La Disparition de Da Vinci
Segment mémoire 1 : un coup de dé jamais n'abolira…
Cesare Borgia avait refait surface.
En Navarre, disait-on, où après la mort de son père et par là même la fin des crédits colossaux que lui autorisait le Vatican, il avait du fuir pour se refaire une situation. Se battre pour gagner ses deniers, ses galons, et la confiance d'un autre « mécène ». Le terme était à peine exagéré : Cesare était un artiste des coups de poignards dans le dos et des scènes de violence incontrôlables. Ajoutez à cela un seigneur désireux de placer ses pions au bon endroit et vous obtenez un dangereux mélange pour la survie des peuples. Il était temps que le règne des Borgia s'achève. Dans le sang, comme il avait commencé. J'avais beau avoir passé des heures dans l'Animus, je ne voulais pas faire de pause. Je ne voulais pas arrêter, pas en si bon chemin.
Mais pour aller en Navarre, territoire alors Espagnol, il fallait affréter un bateau au départ de Rome. Qu'importe : Rome lui appartenait, et Ezio avait de l'argent plein les poches. Quand bien même l'argent viendrait à manquer (mais ça n'arriverait pas à un fils de banquier soucieux de préserver ses fonds), il suffirait d'attendre quelques jours en vivant sur les recettes de la Rose Fleurie pour voir les caisses se renflouer. Le banquier qui avait regardé Ezio à son arrivée à Rome avec un air suspicieux n'en pouvait plus de dégouliner de flatteries et de paroles mielleuses quand revenait celui qui était devenu son meilleur client. Et pour cause : Monteriggioni mis à sac, l'Assassin ne pouvait plus compter que sur Rome. Adieu Florence et ses environs, joyau de la Renaissance, ville natale, et bonjour Rome, berceau de l'antiquité et siège social de la Borgia Corporation.
Ezio était en train de fixer à sa ceinture bourse pleine de monnaie sonnante et trébuchante (encore une chose que j'enviais à mon ancêtre) lorsqu'il entendit parler d'une exposition où figureraient des œuvres du maestro Da Vinci que l'on disait exceptionnelle, bien que certaines d'entre elles n'aient jamais été terminées. Du Leonardo tout craché. Lui qui ne voyait la peinture à présent que comme un art secondaire et sans finalité avait bien du mal à finir les tableaux qu'on lui commandait, et la plupart des amateurs avisés s'en désolaient. Mais malgré cela, ses tableaux se vendaient à prix d'or. Et puisque tout allait bien pour lui, pourquoi ne pas lui rendre une petite visite ? Malgré leurs réunions épisodiques, Leonardo avait toujours été d'un grand secours. Le Codex aurait nécessité des années de travail sans son génie pour le déchiffrer. La pomme d'Eden elle-même semblait contenir de curieuses images et un message qui parlait à Leonardo plus qu'à quiconque. Sans parler des armes améliorées qui avaient fait d'Ezio un Assassin redoutable qui faisait trembler les armées les mieux entraînées. Et puisque le génie était dans le coin, pourquoi ne pas se fendre d'une visite chez son vieil ami ?
L'emplacement de son atelier n'était plus un lieu tenu secret : une fois débarrassé du joug de Cesare (grâce à un Ezio au sommet de sa forme) il avait pu abandonner son béret d'ingénieur reprendre ses activités habituelles. En pressant le pas, l'Assassin se rendit à l'endroit où le maestro officiait, selon la Volpe qui ne se trompait jamais. Il toqua donc et entra sans attendre de réponse, certain de se trouver au bon endroit. Un béret rouge se leva en entendant la porte s'ouvrir, et le visage de son ami s'illumina d'un sourire radieux.
« Ezio ! Je dois me faire vieux, je ne savais pas que tu étais de retour à Rome ! »
Le visage de Leonardo accusait en effet le poids des années et le stress du travail sous les ordres des exigeants Borgia. Son regard était marqué par les cernes mais son regard pétillait toujours, comme à chaque fois qu'Ezio venait lui rendre visite. Entre le Codex, la pomme, ou même sa simple compagnie, Leonardo ne s'ennuyait jamais quand son Florentin préféré était dans les parages. Ezio tendit les bras et Leonardo l'embrassa comme un frère : leurs retrouvailles signifiaient beaucoup pour l'un comme pour l'autre.
« Je ne fais que passer, amico mio, je dois affréter un bateau pour la Navarre afin d'y déloger notre ami commun.
- Tu veux un bateau ? Je connais un capitaine très arrangeant qui… Attends, je vais trouver son nom. »
Tandis qu'il fouillait dans le capharnaüm sans nom qu'était son atelier (comme les ateliers de Florence, Venise, et sans doute Milan aussi, Leonardo se complaisait dans un désordre savamment étudié et refusait de jeter la plupart de ses travaux), Ezio se pencha sur les feuillets sur lesquels travaillait son vieil ami avant qu'il n'arrive. Encore cette écriture en pattes de mouche illisible. Un des assistants de Leo avait un jour confié à Ezio que le génie écrivait toujours de droite à gauche. A cela il fallait ajouter une écriture particulièrement minuscule, ce qui rendait le tout indéchiffrable. Mais les symboles sur lesquels Leonardo avait posé des annotations, ceux là ne lui étaient pas inconnus.
« Je connais ces symboles… De quoi ça vient ? demanda-t-il en voyant Leonardo remuer son fouillis, sachant très bien qu'il ne retrouverait rien du tout dans son fatras.
- De Pythagore, tu te rappelles de Pythagore ? demanda Leonardo d'un ton entendu comme si c'était un ami de longue date avec qui ils avaient eu un dîner la veille.
- Rafraîchis-moi la mémoire ?
- Un théoricien, un Grec qui aurait percé les secrets des sphères célestes…
- Ces symboles, ça vient de lui ?
- Depuis que j'ai vu la pomme, j'ai ces symboles gravés en mémoire, je n'arrive pas m'en défaire et… Ah, Ezio, je ne trouve plus le nom de ce capitaine.
- La pomme est en lieu sûr. Ne t'en fais pas et concentre-toi sur ta peinture. J'aime bien celui là, d'ailleurs. Qu'est-ce que c'est ?
- Le portrait d'une femme. Mona Lisa. Mais c'est sans grande importance, je vois bien qu'il est raté. Ce sourire figé, cet air inexpressif… Mais oublie donc cette peinture. Figure-toi qu'il y a quelque jours, j'ai fait une découverte d'une extrême importance après des années de recherche, si tu voyais… Salai, apporte-nous donc le… »
Leonardo s'interrompit, l'air ennuyé.
« Salai mon assistant. Il n'est pas rentré, il est encore sorti très tard et il doit encore faire je ne sais quoi à la taverne du Renard assoupi. Pourrais-tu aller me le chercher ? Il gardera l'atelier et je viendrai avec toi trouver ce capitaine sur le port.
- Bene, je te le ramène vite fait bien fait.
- Ce serait sous-estimer Salai, répondit Leonardo d'un air malicieux.
- Tu verras. » répondit Ezio de son ton assuré habituel.
Il sortit, siffla son cheval et fila bride abattue vers le Renard Assoupi, la taverne qu'il avait restaurée de sa poche pour en faire le Q.G. de la Volpe et de ses voleurs… Et accessoirement le lieu de malchance le plus renommé pour les gardes des Borgia qui venaient profiter des quelques courtisanes que Claudia y envoyait en se faisant allègrement soulager de leur solde.
Comme à son habitude, la taverne était bondée. Il était toujours agréable de voir que ses investissements étaient rentables. Le père d'Ezio aurait été fier de lui. Il était en train de se dire que retrouver Salai sans le connaître au milieu de cette foule allait être plus compliqué que prévu quand des cris de joie attirèrent son attention.
« Di nuovo! Exultait un jeune homme à l'allure féminine en sautillant à côté de ses dés qui venaient de faire le nombre escompté.
- On t'avait dit, petit, joue encore ! l'encouragea un homme avec une capuche qui n'était pas sans rappeler celle de la Volpe. Mais ce n'était pas le voleur.
- Oui ! cria Salai, encore une fois ! J'ai une veine aujourd'hui, c'est incroyable !
- Gian Giacomo ? demanda Ezio.
- Je ne connais personne de ce nom là, répondit Salai d'une voix flûtée.
Ezio leva les yeux au ciel. Cette voix suffisante et cet air efféminé lui tapaient sur le système.
- Salai ? reprit-il non sans laisser passer l'exaspération qui commençait à le gagner dans sa voix.
- Qui le demande ?
- Ton maître a besoin de toi.
- Il attendra ! répondit effrontément Salai en tendant la main vers les dés pour les relancer une fois encore.
- Non. »
Le ton de l'Assassin était sans appel. Son pied posé sur les dés aussi. Salai fit la moue en voyant ses dés bien aimés disparaitre sous la botte recouverte de jambières d'Ezio, et il consentit à se lever.
« C'est quoi ce capuchon ? Vous êtes l'un des moines du pape Jules ou quoi ?
- Ce n'est pas un habit de moine, je ne sers pas le royaume de Dieu.
- Qui ne sert pas Dieu sert les hommes… C'est là que se trouvent vos préférences, messere ? demanda Salai d'un ton lourd de sous entendus.
- Viens avec moi, et tu le sauras, répondit Ezio en serrant les dents.
- Revenez, vous n'avez pas fini ! lança le type encapuchonné près de la table des jeux de dés.
- Si, c'est fini, et toi tu viens avec moi. » conclut Ezio en poussant Salai devant lui.
Grand, mince, les traits fins, un peu trop bien habillé pour un simple assistant (se payer un col en fourrure avec une paie aussi misérable?!) et pour couronner le tout une coiffure sophistiquée qui n'aurait pas déparé sur la tête de sa sœur Claudia. Quelques siècles plus tard on appellerait ça des « anglaises », mais pour le moment, c'était juste une parure de bouclettes qui encadraient un visage sur lequel la main d'Ezio démangeait de pouvoir s'abattre avec un joli bruit sec. Mais Leonardo attendait. Il fit signe à Salai de le suivre, non sans remarquer le couteau de boucher qui pendait à la ceinture du jeune homme. Il n'avait pas peur de casser l'un des ongles de ses longs doigts fins avec une arme pareille ? Une ébauche de sourire moqueur se forma sur les lèvres d'Ezio mais il s'évanouit vite, à quelques mètres à peine de la porte de la taverne qu'ils venaient de quitter.
« Ne te retourne pas, et presse le pas. On est suivis. » Lança-t-il à voix basse au gamin.
Mais bien entendu, obéir aux ordres était optionnel pour messere Salai, et il se retourna avec de grands gestes théâtraux pour faire face à trois silhouettes encapuchonnées.
« Qu'est ce que vous me voulez ? Je n'ai plus envie de jouer !
- Ça tombe bien, nous non plus. » gronda l'un des hommes.
Et soudain, sept autres capuchons sortis de nulle part attaquèrent de concert en se joignant aux trois autres. A dix contre un, ils n'étaient pas vraiment vaillants, les mercenaires du dimanche. Contre un ? Non, contre deux ! Salai, contre toute attente, avait dégainé une épée fine qu'il avait à sa ceinture et montait à la castagne comme un seul homme. Mais ça restait un gamin taillé comme un cure-dent, et Ezio ne pouvait pas se battre et faire en sorte que le gamin ne soit pas blessé. Repoussant un assaillant à la force des bras grâce à la protection métallique qui cachait sa lame, il profita d'une seconde de répit pour siffler aussi fort que possible.
Quelques secondes plus tard, deux Assassins de sa guilde tombaient sur le col des mystérieux agresseurs et moins d'une minute plus tard, dix cadavres jonchaient la devanture du Renard Assoupi.
Les Assassins cherchèrent le regard de leur mentore, le trouvèrent, et sur un signe de tête ils disparurent aussi vite qu'ils étaient arrivés.
« Il n'y a qu'un homme à Rome qui puisse faire ça. Vous êtes Ezio Auditore, fit Salai d'un ton un peu plus admiratif, cette fois.
- Viens, il ne faut pas traîner. » dit Ezio qui rappela son cheval, y jucha Salai et grimpa à son tour avant d'éperonner sa monture.
Une fois arrivé aux quartiers de Rome où il devenait difficile de circuler à cheval, il laissa Sirius, son fidèle destrier noir comme de l'ébène (parfait la nuit, mais cible quasiment inratable en plein jour, au grand dam d'Ezio) et lui donna une tape sur les fesses pour le faire partir plus loin. Il entendit le fracas d'armure des gardes Borgia et les insultes destinées à son cheval qui s'enfuyait au galop et se demanda un court instant si Sirius visait vraiment les gardes, ou si c'était un parfait hasard qu'il en culbute une bonne dizaine dès qu'il l'appelait ou le renvoyait. Il sourit et poussa Salai vers une ruelle étroite et sombre. Inutile d'attirer l'attention.
« Fiou, ces types ne s'arrêtent jamais ! dit Salai d'un ton joyeux.
- Non en effet. J'en ai déjà eu aux trousses, ils voulaient… Un objet qui m'appartenait.
- Vous parlez de la Pomme d'Eden ? demanda Salai sur le ton de la conversation.
- Leonardo t'as DIT ? demanda Ezio incrédule en haussant malgré lui le ton.
Salai esquissa un mouvement de recul. L'Assassin n'avait pas pu réprimer sa colère.
Mais la peur fut de courte durée. L'assistant lui répondit – non sans se pavaner et d'un air plus que suffisant :
- Leonardo me dit tout.
- Hé bien son indiscrétion pourrait lui coûter cher ! Il faut qu'on aille le lui dire !
- Pas besoin de dire un mot de plus, suivez-moi, je connais un raccourci peu emprunté. Pratique, quand on revient de la taverne au petit matin. »
Il se glissa dans la foule, agile et rapide. Au moins un point positif pour lui. Un point qui lui éviterait peut-être de prendre un carreau d'arbalète dans une partie de son anatomie que Leonardo devait chérir. Quitte à employer un gamin aussi mal élevé, il aurait au moins pu lui apprendre à respecter ses aînés ! A fortiori ses aînés qui pouvaient le tuer en un geste. Sale gosse.
Il le suivit néanmoins sans broncher. Du moins pas à voix haute. Maudissant dans sa barbe cette manière totalement dénuée de prudence qu'avait Leonardo de penser à voix haute, il guettait chaque coin de rue, et ne tarda pas à découvrir ce qu'il craignait : les capuchons jaunes avaient envahi les rues de Rome. Quelques individus isolés, certes, mais deux ici, plus trois là bas, et encore trois de l'autre côté… Un simple signal de rassemblement et on en avait une vingtaine comme qui rigole, parée à vous tomber sur la couenne au moindre geste trahissant votre présence.
Il s'apprêtait à rejoindre Salai, qu'il laissait courir devant seul, pour ne pas attirer l'attention, lorsqu'il vit se dernier changer brutalement de trajectoire pour éviter l'un des groupes. Tiens donc, il réfléchissait à autre chose qu'à ses coiffures et ses beaux vêtements ? Le gamin monta le long d'une échelle et s'arrêta sur le rebord d'une maison pour reprendre son souffle. Mais pas question de faire grâce à Ezio de son babillage incessant.
« On est obligé de – de faire des détours, haleta-t-il. Quelques enjambées sur les toits, rien de bien méchant, il n'y a pas de gardes dans ce secteur.
- Leonardo m'a dit qu'il avait découvert quelque chose d'important ? relança Ezio soucieux de ne pas faire dériver la conversation vers des éléments qui lui mettraient les nerfs en biseau.
- Oui, il explore les catacombes depuis quelques années. Apparemment il aurait trouvé quelque chose d'important sous Rome. Vous n'avez pas idée de ce qu'il est. Un travailleur forcené ! Il ne pense qu'au travail ! On ne sort jamais. En plus je dois le supplier pour avoir de l'argent ! C'est insensé !
- Il te donne de l'argent, finalement ?
- Oui et non. Enfin parfois il m'en donne, mais il n'est pas forcément au courant, vous voyez ? Ce qu'il ignore ne peut pas lui faire de mal. Alors, Signore, reprit-il très vite, vous venez de Florence ? Dites-m'en plus !
L'Assassin le gratifia d'un regard noir et le releva sans ménagement.
- Bien, bien, je vais donc utiliser mon imagination ! » conclut Salai sans se démonter.
Sur les toits, ils pouvaient continuer à discuter. Pas que cette perspective enchantât Ezio mais…
« Qu'est-ce que Leonardo a découvert ?
- Un temple de je ne sais plus quoi, qu'il avait lu dans ses livres. Je ne l'ai pas vu aussi excité depuis des années ! » continua le jeune homme avec un geste efféminé de la main.
Ezio se demanda un instant si Claudia n'était pas plus masculine que ce gamin. Il leva les yeux au ciel avant de sauter sur le toit voisin et de continuer sa course. Il entendit la voix du jeune assistant quelques mètres plus loin et pressa le pas.
« Viens donc tâter de ma lame ! » criait-il aux encapuchonnés qui l'attaquaient.
Bravoure ou bêtise ? Sans doute un peu des deux. La jeunesse…
Il attrapa les couteaux de lancer accrochés à sa ceinture et en lança quatre d'un coup. L'un manqua sa cible, trop remuant, mais les trois autres se fichèrent dans la gorge, le dos et la jambe des trois assaillants. Celui qui avait été touché à la gorge s'effondra avec un ultime gargouillis qui teinta ses lèvres de sang. Celui qui était touché au dos continuait de se battre comme un beau diable. Ezio lui tomba dessus sans ménagement et lui planta sa lame dans la nuque. Il cessa immédiatement de remuer. Le troisième, aux prises avec Salai eut la chance de voler comme un oiseau quelques secondes. Ezio le prit par les épaules et le fit atterrir trois étages plus bas dans une mare de sang.
« Mais pourquoi… commença Salai incrédule.
- Il distraira les gardes et ses petits copains le temps qu'on arrive à l'atelier. On n'aura plus qu'à s'y enfermer. Les gardes n'aiment pas les Hermétiques. »
Ils reprirent leur course et quelques centaines de mètres plus loin, approchant de l'atelier, ils redescendirent dans les rues bondées malgré l'heure matinale.
« Je suppose que ton maître a parlé haut et fort de ses découvertes, sans pouvoir s'en empêcher, comme d'habitude ? Est-ce qu'il a vu des hommes en robes jaunes rôder autour de lui récemment ?
- Pourquoi devrais-je rester à l'atelier et m'ennuyer à mourir quand je peux prendre du bon temps ? Vous lui demanderez vous-même, nous voilà rendus. »
Il ouvrit la porte nonchalamment, et entra la tête haute, comme un prince en sa demeure. Ezio résista à l'envie de lui botter les fesses pour le faire avancer plus vite et vit son visage se figer. Le désordre qui régnait à présent à l'atelier n'avait plus rien d'organisé. Tout était sans dessus dessous. Les feuillets couverts de pattes de mouche jonchaient le sol, le portrait de Mona Lisa gisait à quelques pas de son chevalet renversé, et le mobilier lui-même semblait avoir subit l'assaut d'une tornade aussi subite que violente. Et bien entendu, Leonardo n'était nulle part. Salai courut dans tout l'atelier en criant le nom de son maître d'une voix où montait les relents de panique. Le regard brillant, il revint en courant vers Ezio.
« Maestro…
- Ils l'ont enlevé.
- Non, il doit… Il doit être dans le coin !
- Non. Tu sais où se trouve ce temple dont il a parlé ?
- Non, je n'en sais rien, répondit Salai d'une petite voix éteinte.
- Cazzo ! cria l'Assassin pour lui-même en donnant un coup de pied dans une chaise renversée.
- Ezio… Il y a quelque chose d'écrit au sol…
- Qu'est ce que ça dit ?
- Je ne sais pas. Je… Je ne sais pas lire. Maestro Da Vinci devait m'apprendre, mais maintenant…
- Villa. Tableaux. Qu'est ce que ça veut dire ?
- Quand Leonardo vivait à votre villa, il cherchait déjà les catacombes.
- Il y avait plusieurs de ses toiles dans la galerie.
- Peut-être y a-t-il des indices dans les toiles ?
- Je n'ai plus ces toiles. Elles ont brûlé dans l'attaque, grogna Ezio que ces souvenirs n'enchantaient guère.
Mais Cesare allait payer…
- Elles n'ont pas toutes brûlé. Seules « Leda » et « Saint Jean » ont brûlé. Les Borgia ont pris le reste ! expliqua Salai.
- Six peintures…
- Cinq, en fait. J'ai dit au marchant d'art que Portrait d'une dame était de Leonardo… Mais j'avais besoin d'argent ! Pour un pourpoint… Je veux dire, c'était la mode à ce moment là!
Ezio résista à l'envie d'être désagréable, et le temps de fermer les yeux une seconde ou deux, et il reprit aussi calmement que possible :
- Où sont ces toiles maintenant ?
- Chez Lucrezia Borgia. Elle vit dans un palais de Ferrare.
- Bien. » fit Ezio d'un ton décidé.
Il embrassa du regard le désordre qui régnait dans l'atelier. Les Hermétiques allaient apprendre ce qu'il en coûtait de s'en prendre aux amis des Assassins. Cette bande d'idiots enfermés dans leur folklore délirant allaient payer le prix fort, et leurs kermesses imbéciles au nom de contre vérités absurdes seraient définitivement terminées. Qu'ils fassent leur propagande discrètement, passe encore. Qu'ils essaient de renverser la puissance Église Catholique pour promouvoir leur Dogme sur l'homme au centre de l'univers à l'air de leur trois pèlerins en capuche amassés devant le château Saint Ange, admettons. Mais toucher à Leonardo, ça c'était inadmissible. Leonardo était la bonté et la générosité incarnées, et l'imaginer prisonnier de ces fanatiques faisait bouillonner le sang d'Ezio. Qui plus est, laisser un génie pareil aux mains de ces détraqués… Même si son affection pour son maestro préféré n'avait pas motivé Ezio, le devoir l'appelait.
« Tiens bon, mon vieil ami. » murmura-t-il en passant la porte de l'atelier, laissant derrière lui un Salai apeuré et complètement perdu.
FIN DU SEGMENT MEMOIRE 1
