Parker arrêta sa berline sur le gravier qui se trouvait en face de la grande bâtisse. Elle en sortit et claqua la porte derrière elle. Elle ne bougea pas pendant quelques instants pour observer cette maison à laquelle appartenait un bon lot de souvenirs bons ou mauvais. Malheureusement son habitant été mort comme tout son entourage, ou à quelque chose près. Cette maison appartenait à celui qu'elle avait appelé Papa depuis toujours. Une sorte de quiproquo, une mascarade qui illustrée sa vie faite d'impostures : il n'était pas son père, elle était la fille d'un des hommes les plus terribles de cette planète. Pourquoi fallait-il que tout tourne mal pour elle ?

Après un long soupir, elle s'engagea dans l'allée, le cœur lourd et la gorge serrée. Les graviers bruyants sous ses pieds elle profita de l'air frais pour se reprendre.


« Maman est morte. C'est comme ça que ma vie a pris un tournant aussi douloureux qu'inattendu. Moi qui étais cette fillette douce et quelque part naïve, j'ai été plongée dans ce monde de solitude et de terreur qui, je le savais déjà, ne finirait jamais.
Alors, même pas un mois après la mort de Maman, j'étais dans ce jet avec cette vieille femme qui me servirait de chaperon durant tout le voyage. Je n'avais dit au revoir à personne, même ceux qui m'étaient très proches... Sans parler de toi à qui je n'avais pas pu adresser la parole depuis ce qu'ils appelaient « l'accident ». J'avais été bouleversée, toi aussi, je le sais. Ils ne voulaient pas que l'on se rapproche plus dans la peine alors ils nous avaient éloignés. C'était dur.

Je regardais le tarmac et mon père entrer dans la limousine avant même que les moteurs de mon avion ne se mettent en route. J'étais bel et bien seule.
Où allais-je ? Que ferai-je une fois là-bas ? Je n'en avais aucune idée.
Et l'avion atterrit des heures plus tard dans un pays où il faisait si froid que j'en avais mal à la tête. La vieille me tendit un manteau bien lourd et nous attendîmes la voiture qui nous emmena à la suite dans ce qui devait devenir mon nouvel établissement scolaire : une énorme bâtisse en pierre entourée d'une épaisse forêt de conifères recouverte de blanc. C'était sinistre mais beau.

J'étais en Russie, dans une école mixte ce qui me surprit dans un premier temps – ce n'était pas le genre de Papa – mais qui me réjouit par la suite. Je m'y plus assez rapidement car ce cadre épuré, calme et sérieux estompa peu à peu ma tristesse. Et de jour en jour, je levais la tête. Je voulais être fière, pour elle, comme elle.
Je rencontrais une ribambelle de filles et de garçons, enfants de chefs d'entreprises et d'hommes d'état. Nous nous entendions tous dans nos similarités. Nous avions, avant de venir ici, à quelques choses près tous le même quotidien : un père absent, une mère parfois effacée et quelques mystères quant aux réelles professions de nos parents. Je commençais à aller mieux.

Et puis, à ma surprise, je découvris que nous devions changer de pays à la fin de l'année. Je ne rentrerais donc pas à Blue Cove pour les vacances d'été, je ne reverrais donc pas Papa. Impossible d'ailleurs de savoir si oui ou non il était encore conscient de l'existence de sa fille… Rares étaient les coups de téléphone voir même les lettres.
Si mon père me manquait, ton absence était dure. Je ne cessais de penser à toi, à ce que tu étais devenu si loin de moi. J'essayais de t'imaginer mais c'était sans succès. Et puis je commençais à m'impatienter. Jamais tu n'as répondu à une de mes lettres. Jamais. A chaque fois que j'en envoyais une, je guettais le courrier tous les jours. A chaque fois j'étais un peu plus déçue.

Les années passèrent et j'oubliai de plus en plus qui j'étais à l'origine, me transformant en une véritable femme et en écrasant toutes mes concurrentes potentielles.
Je passais par la Russie, la France et la Suisse pour mes années de collèges et par le Cambodge pour mes années de lycée. Et quand vint le temps des études supérieurs je continuais de voyager de pays en pays jusqu'à me retrouver au Japon ou en Afrique. Je dois avouer que j'ai eut de la chance de pouvoir voir autant de cultures différentes, d'observer autant de paysages. Mais je me sentais coupable à chaque fois que je voyais quelque chose de nouveau. Je visitais le monde, tu tourner dans ta cage. Je rencontrer constamment de nouvelles personnes, tu vivais un quotidien sans doute morne et gris. Cette injustice me pesait encore et encore.

Je n'ai jamais cessé de penser à toi. Jamais. Pas même quand j'étais à des kilomètres de toi. Et j'ai toujours continué à t'écrire, à te raconter tout ce que je vivais. Je voulais te faire partager mes découvertes et mes rencontres parce que je me rappelais de ton regard lorsque je t'expliquais ce qu'il se passait à l'extérieur. Mais tu n'as pas répondu. Tu m'as certainement oublié. Le problème est que je ne l'ai pas fait.

Cette lettre est la dernière. Je vais bientôt rentrer à Blue Cove et je risque de te croiser. Je ne suis plus la même, tu ne dois plus être le même. Les gens changent et j'en suis un exemple. Peut être que nous nous recroiserons. Ne t'attend pas à quelque chose qui se rapprocherait de près ou de loin à ce que nous avions. Nous étions si naïfs. Je connais à présent les rouages de la vie, je sais comment les personnes que l'on aime nous abandonnent et comment certaines autres font tout pour nous détruire. Je ne suis plus la fillette douce et candide, je suis cette femme redoutable qui se rappelle avec amertume les années tendres qu'elle a vécu.

Laisse moi te dire que… »