ERSATZ

Chaque soir le rituel. À la fois un apaisement et une déchirure. La délivrance après une journée de solitude, une journée à cacher sa douleur et ses pleurs, une journée à encourager les autres à avancer, à reconstruire, alors que son cœur et son âme sont morts. Alors que tout ce qu'elle voudrait, c'est mourir. Mais ses compagnons ont besoin d'elle, de son assurance. Aucun ne se doute que celle-ci n'est plus que feinte. Sans sa force délicieuse qui l'attirait, sans sa présence discrète qui la réchauffait même au loin, Marine se sent vide.

Le soir est le seul moment où elle laisse la femme parler. Ou plutôt pleurer. Son regard étendu sur ce pilier, symbole de douceur et de malheur. Observer ce visage tant admiré, si secrètement aimé, figé dans cette pierre, suspendu dans l'absence, c'est une déchirure. Mais elle se l'impose chaque soir, c'est le seul moyen d'être proche de lui, proche et séparée, à jamais

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Les mois passent vite, mais pour Marine, le temps s'écoule comme du sang d'une blessure. Elle se retranche dans un silence presque monial. Ses compagnons n'arrivent à lui arracher que le strict minimum. Elle néglige les apprentis qu'on lui confie, ils finissent tous par suivre les cours de d'autres instructeurs. Plus rien ne l'intéresse. Elle arrête même ses propres exercices, et perd chacun des combats amicaux organisés entre chevaliers.

Seiya et Shina tentent de lui parler. Elle écoute poliment, mais la joie, l'envie, l'espoir l'ont quitté insidieusement. Elle laisse passer les jours. Il n'y a que ça à faire. On finit par la laisser dans sa mélancolie.

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En ce jour, sont organisé des tournois amicaux, pour marquer le retour des voyages solitaires du Phénix. Lors d'un combat avec Pégase, il s'énerve :

- J'en ai marre de tes vieux tours ! Tu ne sais pas innover ou quoi ? Remets-toi à l'entraînement mon vieux, tu te rouille ! Marine, tu devrais lui redonner des cours à ton petit protégé, il se ramollit ! - - plaisante Ikki. Seiya proteste aussitôt mais Ikki est étonné du manque de réaction de l'Aigle, pourtant pas du genre à accepter les remontrances. Bien que moins explosive que Shina, il avait remarqué son caractère fort et indépendant. Il s'attendait à une remarque, voire une mise au défit, ce qui ne lui aurait pas déplu. Mais elle reste silencieuse. Elle n'a pas pu ne pas l'entendre pourtant ?

C'est ainsi que le Phénix, intrigué, se mit à la surveiller plus attentivement. Il allât même jusqu'à l'épier. Ses visites quotidiennes au pilier qui garde enfermées les âmes des chevaliers d'or ne lui échappent pas longtemps.

- Voilà ton secret Marine. Ce secret qui te ronge de l'intérieur. Je comprends, je l'ai vécu aussi. J'avais transformé ma peine en haine, et c'est ainsi que j'ai gagné mon armure. Mais je vois que tu la laisse t'emprisonner et t'ôter toute joie de vivre, goutte après goutte

- Mêle-toi de tes affaires !

- Tiens tu sais parler maintenant ? Ça fait un bail qu'on avait plus entendu le son de ta voix

- Laisse-moi tranquille

- Youai ! C'est ce que tout le monde a fait, et c'est pas une réussite

- Je t'ai rien demandé

- Justement, c'est là le problème. Tu ne dis rien, tu ne demande rien, tu ne veux rien

- Je n'ai plus de force…

- Depuis quand un chevalier s'apitoie sur son sort ? Relève-toi Chevalier, relève-toi ! Bats-toi jusqu'au bout, quelle que soit la bataille à mener

- Elle est perdue d'avance… j'ai tout perdu

- Moi aussi j'ai déjà perdu une guerre, mais je me suis relevé. C'est ce qu'Il attend de toi ! Fais-lui honneur, en lui montrant qu'il n'est pas mort pour rien

- Tais-toi ! Ne parles pas de Lui ! Tais-toi !

- Ok. Pour ce soir, je te laisse réfléchir. Mais sache que je ne vais plus te lâcher désormais

C'est ainsi que Ikki tenta, lentement mais avec fermeté de redonner à Marine l'envie de vivre. Il n'en parla à personne, cela n'aurait fait que la braquer davantage, elle était déjà si peu réceptive ! Et il partait aussi du principe que, puisque les autres n'avaient pas été capables de voir sa détresse, ils ne pouvaient pas l'aider.

Il y eut des moments difficiles : Marine tombant dans l'apathie, d'autres dans la colère, où le Phénix en prenait plein les dents. Mais c'était l'effet recherché : il fallait qu'elle réagisse, même négativement, mais qu'elle se bouge.

- De quel droit tu me donne des ordres ? De quel droit tu te mêle de ma vie, hein ? Je veux que tu dégage ! Retourne d'enfoncer dans ton trou de lave ! Va-t-en !

Elle le frappait et il se laissait faire. C'était ça aussi la thérapie.

- Vas-y, passe tes nerfs sur moi. C'est bien

- Va-t'en ! Laisse-moi seule

- Je ne te laisserai pas Marine, tu le sais bien. Alors défoule-toi, frappe-moi, même plus fort, c'est pas grave. Mais je veux que tu vives. Que tu vives !

- Je... je n'ai pas envie…. Pas sans lui

Elle abandonne ses coups pour se réfugier sous le pilier de pierre, dressé au beau milieu de l'arène, que désormais tous évitait, comme un endroit maudit.

Elle posa ses mains et son front dessus, et se laissa glisser à terre, en pleurs. Ikki l'avait suivie.

- Vas-y pleure. Pleure longtemps

- Je ne lui ai jamais dit - murmure-t-elle.

- Alors fais-le maintenant

- Il est mort ! Qu'importe maintenant ! C'est trop tard !

- Non ce n'est pas trop tard. Tu dois lui dire. Ne reste pas enfermée dans tes regrets, soulage ton cœur. Et je suis sur que son âme t'entendra

- Tu es débile ! Il est mort. Parti à jamais. Je reste seule… sans sa lumière… sa chaleur

Ikki releva les yeux sur les visages émergeant de la pierre. La face qu'elle avait choisie portait trois visages qu'Ikki examina pour les différencier. Il eut un peu de mal avec le premier, mais la petite fossette du menton lui fit reconnaître Dokho, la Balance. Au dessus de lui, le Cancer, avec sa coiffure proche de la sienne. A côté, était-ce le Sagittaire ? Non, Ayoros était sur une autre face, avec son bandeau caractéristique, c'était donc son frère le Lion.

- Il a toujours été là…. Je sentais sa présence là-haut dans son temple, et ça me suffisait, ça me rendait heureuse…. De le savoir si près…. Maintenant…. Il n'y a plus que le froid…. Le vide… je ne sens plus sa chaleur…. Le monde est noir….

Ikki s'agenouille en face d'elle : - Marine, le monde n'est ni froid ni noir. Il n'a pas changé. C'est ton regard qui a changé. Tu dis qu'il est parti, c'est faux. Moi je le sens encore. Je les sens encore tous ici ! Leurs souvenirs, leurs âmes, imprègnent le Sanctuaire, qui n'existe que grâce à eux. Ne laisse pas ce qu'ils ont bâti dépérir. C'est ainsi qu'ils mourront

- Comment faire ?

- Je vais t'aider

- Pourquoi ? Pourquoi perdre ton temps avec moi ?

- Parce que j'ai traversé le même désert. Et si quelqu'un m'avait tendu la main à ce moment-là, ma vie aurait été moins criminelle

Il tend une main vers elle. Elle hésite puis y pose la sienne dedans.