La pièce est gigantesque ! A l'image de tout le manoir, les murs blancs semblent monter tellement haut qu'ils pourraient atteindre le ciel sans efforts et le sol de marbre est tellement bien poncé et nettoyé qu'on peut presque se voir dedans, ce qui donne envie de faire de longues grimaces pour qu'elles se reflètent sur les dalles. On pourrait presque courir le cent mettre sans tourner une seule fois dans la salle. C'est trop grand pour une seule petite famille de trois personnes, c'est malsain de se dire que tout ça n'est même pas pour eux, que tout n'est qu'un grande mise en scène. Que chaque sourire, chaque mot qui sortira de chaque bouche ce soir n'est qu'un jeu, que rien n'est réel. Il devrait s'y habituer, cela fait depuis qu'il sait marcher qu'on joue la comédie avec lui mais rien n'y fait, il ne le fera jamais, c'est impossible pour lui. Des dizaines d'elfes de maisons s'affairent à placer des tables contre les murs latéraux et à les recouvrir de dizaines de plats semblants délicieux. Il sait qu'il ne mangera pas beaucoup ce soir, c'est une réception, il doit rester digne et engouffrer des morceaux de dindes dans sa bouche n'est pas bon pour son image. C'est père qui le lui a dit, et père a toujours raison. Père dit beaucoup de choses. Il dit que les sentiments sont inutiles, que rien ne vaut un masque sérieux et de bonnes relations. Père dit qu'il est bon de manipuler les gens. Père a toujours raison, alors ce doit être la vérité. Père dit aussi que les Moldus sont des sous-hommes, qu'on a le droit de leur marcher dessus, nous, race supérieure. Père a toujours raison, alors il déteste ces gens qu'il n'a jamais vu, qu'il ne connaît que par son père qui les insulte. Père n'est pas vulgaire sans raisons. Ces « Moldus » doivent avoir fait quelque chose de mal, c'est pour ça que Père ne les aime pas. C'est pour ça qu'il ne les aime pas non plus. Ce sont des gens inutiles qui forcent les sorciers à se cacher d'un monde qui devrait leur appartenir. Un jour, il sait que les Moldus se prosterneront à leur pieds et c'est tout ce qui compte.

La pièce est très étroite. Il ne peut pas se lever sans se prendre le plafond, il ne peut même pas s'allonger alors il reste assis, accroupis en fait. Ses jambes lui font mal, il n'a pas bougé depuis plusieurs heures. La poussière macule les murs, le sol et même la petite étagère où trône le petit soldat de plomb, toujours debout malgré sa jambe en moins. Il lui ressemble beaucoup, ce petit jouet cassé. Tout seul sur sa planche en bois, il semble tanguer sous la force de vagues destructrices mais il reste debout, comme s'il gardait une petite trace d'espoir de pouvoir marcher à nouveau un jour et sortir de ce petit placard. Sa petite main toute maigre attrape le jouet pour le serrer gentiment, comme un nounours. Sa tante lui dit tout le temps qu'il est inutile, indigne d'être aimé. Il ne se connaît pas autrement que par les yeux de ses relatifs et c'est une horreur. Parce qu'il aimerait être quelqu'un de bien mais on lui dit que ce n'est pas le cas. Il voudrait être un gentil garçon mignon, mais on lui dit que ce n'est pas le cas. Un petit monstre. Il n'aime pas les monstres, Sa tante et son oncle ne le font pas et il fait pareil qu'eux, pour recevoir un jour une félicitation quelconque même si la logique voudrait qu'il arrête d'espérer. Il sent quelque chose monter le long de son bras et il sait que c'est une araignée ou un autre insecte vivant à l'intérieur de sa chambre. Il vit en colocation et même si ses colocataires ne sont pas bavards et sont minuscules, au moins il n'est pas tout seul et ça lui fait du bien. Autour de lui, les gens sont hypocrites. On ne le regarde jamais, on joue à un jeu chaque jour avec lui. En dehors de la maison, il doit sourire et faire semblant d'aimer ses relatifs comme ils font semblant de l'apprécier lui. Un jeu, c'est tout ce que c'est. Si, un jour, il a espéré que cette comédie soit la réalité, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il sait très bien que ça n'arrivera jamais, il s'y est habitué. Ce n'est pas grave, au fond. Il doit bien y avoir quelqu'un qui l'aimera un jour.

Il entend les gens parler autour de lui, ils doivent bien être des centaines et des centaines ! Un grand sourire se forme sur ses lèvres dès que Père le regarde. Faire bonne figure, c'est ce que Père lui a demandé de faire toute la soirée, c'est la seule chose qu'il doit retenir. Sinon, il fera honte à Père et Père ne sera pas content du tout. Il n'aime pas quand Père est en colère, parce qu'il est très terrifiant dans ces moments là et qu'il ne peut pas se cacher puisque Père connaît toutes les cachettes du manoir. Des invités, il n'en connaît pas la moitié mais il sait qu'ils sont tous des gens important et qu'il est très utile de leur faire bonne impression pour les utiliser par la suite. C'est Père qui lui a apprit à manipuler son prochain. C'est très important comme notion, il sait que Père est devenu si puissant au ministère grâce à ça. Même s'il n'a pas le droit de le dire -il ne sait pas pourquoi, Père dit que la manipulation c'est bien, mais il n'a pas le droit de dire quand Père le fait, c'est étrange- il sait toujours quand Père manipule quelqu'un parce que le soir, il rentre au Manoir en disant qu'il a fait de bonnes affaires aujourd'hui. Quelques invités viennent le voir pour lui demander s'il passe une bonne soirée, il répond par l'affirmative à chaque fois. Père est fier de ce qu'il fait ce soir, il vient même poser une main sur son épaule en lui tendant un petit-four. L'odeur des plats est merveilleuse et lui met l'eau à la bouche. Il prend une bouchée de ce que lui tend Père. Il a tout pour être heureux, pas vrai ? De l'argent, une famille, de la nourriture et tout ce qu'un être humain peut rêver d'avoir. Dans le coin droit de la salle, à une centaine de mètre de là, il peut entrevoir une montagne de cadeaux empilés les uns sur les autres, il sait que tous sont pour lui mais qu'aucun n'est vraiment important. Une montagne de présents mais rien ne lui aurait fait plus de bien qu'un paquet portant son nom avec la belle écriture de Père, mais aucun, il le sait, ne le fait ce soir et ça le rend un peu triste. Les cloches sonnent, c'est Noël.

Il entend ses relatifs parler dans le salon. Il est tout seul et il se sent tout triste et tout.. Seul. Il essaie vraiment de ne pas pleurer, sa tante n'aime pas quand il pelure, elle dit que ça le fait ressembler à un petite limace toute baveuse et elle déteste les limaces, elle les tue avec de l'insecticide. Il veut pas mourir alors il contient comme il peut ses larmes. Personne n'est venu le voir depuis le début de la soirée. Il a cuisiné, il a fait le message et il a posé les décorations. Il a tout fait, mais il n'a pas le droit de participer, ce n'est pas la première année que cela se passe ainsi. Il sait très bien qu'il ne pourra jamais passer du temps avec cette jolie famille qui fête Noël dans le salon d'une jolie maison, dans un jolie cartier. Une famille tout ce qu'il y a de plus normal. Il n'est que l'ombre au tableau que l'on rêverait d'effacer d'un revers de la main, la petite tache sur un vêtement que l'on fout à la machine pour ne plus la voir. La bonne odeur de la dinde qu'il a cuisiné lui chatouille les narines, il a envie de croquer à l'intérieur. Son ventre gargouille et lui fait mal. Il n'a pas le droit de manger, ce soir, comme il n'a pas eu le droit de manger hier et avant-hier. Il n'a pas comprit ce qu'il avait fait de mal, un moment il faisait la poussière et avait fait tomber un vase, et le moment d'après, le vase s'était brisé avant de se réparer comme par magie. Son oncle avait beaucoup hurlé et l'avait puni dans son placard. Il a faim, il a froid. Et il se sent véritablement seul et abandonné. Il n'aura pas de cadeau cette année, il le sait mais il espère encore toujours un peu que sa tante va ouvrir la porte de sa chambre pour lui donner quelque chose, juste un cintre, comme l'année dernière, lui aurait suffit ! Mais rien de rien. Pourtant il a bien vu les cadeaux cachés dans la voiture de son oncle ! Il sait qu'il y a des cadeaux et il sait aussi que tous sont pour son cousin et ça fait un peu mal au cœur, un peu beaucoup. Il n'y a rien pour lui, jamais rien. Les cloche sonnent, joyeux Noël.

« -Je suis Malfoy, Draco Malfoy. Bonjour, je suis souffrance.
-Harry Potter.
Bonjour souffrance, je suis douleur.
-Je te hais.
Je suis désolé.
-Moi aussi.
Moi aussi. »