" Être étonné, c'est un bonheur ; et rêver, n'est-ce pas un bonheur aussi ? Edgar Allan Poe.
Quelques grains de sable
...
Immobile sur la grève, ses cheveux bruns flottants au gré du vent, un vent vif et légèrement piquant venu du large, ce vent annonçant la venue d'un froid prochain, ce vent, la faisant frissonner. Elle regarda la marée monter lentement au rythme des vagues et des courants et elle songea, à ce qu'elle était devenue. Laissant son esprit vaquer bien au-delà de l'instant présent.
Regina ne savait trop à quel moment la chance l'avait abandonnée mais il y avait, c'était presque une évidence, un certain temps déjà que cela s'était produit. Elle n'était pas superstitieuse au point de croire que la réalisation d'un événement ne nécessitait pas un lien de cause à effet, la réalisation d'une quelconque action relevait d'un désir de faire et, ce qui était communément appelé chance n'existait pas. Mais, aussi irrationnelle que cela puisse être, elle avait besoin de croire en cette chance, ce féroce hasard qui lui faisait à l'heure actuelle bien défaut.
Que faisait-elle là au juste ? Elle haussa les épaules, son corps suivant le court de ses sombres pensées. Elle scruta l'horizon, cherchant un signe, quelque chose, même d'insignifiant et minime lui prouvant la nécessité de sa présence ici-bas. Il lui semblait que la vie la quittait doucement, lui laissant un arrière-goût amer. Qu'avait-elle fait ou surtout non fait pour que son âme la piétine sans ménagement ? Pour ne ressentir que misère et solitude au fond du cœur ? Elle ne savait pas vraiment et, si elle écoutait l'idée folle qui était de nombreuse fois venue lui mordiller l'esprit, elle jurerait qu'elle était en train de payer pour les mauvaises actions qu'elle avait certainement commises dans une autre vie, dans d'autres temps, d'autres lieux.
Elle secoua la tête. Qu'elle était bien pathétique, si déplorable de penser ainsi. La mélancolie qui la parcourait sans ménagement lui imposait des idées saugrenues. Elle croisa les bras avant de détourner lentement ses yeux de la houle, faisant quelques pas prudents sur la plage plus caillouteuse que sableuse, complètement déserte en cette période de l'année. Elle aimait la solitude de ce lieu, banc immense s'étalant à perte de vue.
Marchant sans but précis, laissant ses cheveux lui battre le visage, elle continua de ressasser le chemin qu'elle avait parcouru jusqu'ici, cherchant ce qui avait fait de sa vie une existence insipide, morne et plate. Le regard dans le vague, elle perdit rapidement le fil du temps, se laissant doucement glisser dans une mémoire sans réelle saveur.
Regina était née dans l'abondance et le luxe, n'ayant pendant l'enfance jamais manqué de rien si ce n'était de chaleur humaine, sans doute. Ne fréquentant sa famille qu'à de trop rares occasions, seule tache noire et sombre dans son cœur d'enfant. Elle ignorait ce que c'était qu'être réellement aimée, fait dont elle avait cruellement souffert pendant ses jeunes années avant qu'à l'adolescence, la souffrance ne devienne de l'indifférence. Plombant son cœur de pierres afin de ne plus rien ressentir, inhibant la faiblesse de ce sentiment niais, elle avait fini par se persuader que nager dans l'opulence sans jamais avoir à respirer était une forme de bonheur. Le manque affectif de ses parents n'était rien que l'argent ne puisse compenser.
Elle avait toujours excellé en toutes choses, autant sportivement qu'intellectuellement. Et après avoir fait de brillantes études de droit sortant dans les premiers de sa promotion, intégrant rapidement un grand cabinet d'avocat, gagnant des affaires créant sa notoriété, elle avait su créer sa place dans la société. Elle sourit tristement, elle était une femme libre et indépendante pourtant elle ne regardait pas l'avenir avec la foi de ceux de son âge, convaincu d'avoir l'éternité devant eux et la chance de leur coté. Elle ne voyait pas l'avenir avec la conviction inébranlable de ceux s'imaginant bénis des dieux.
Elle poussa un faible soupir qui devint nappe de buée lors de sa rencontre avec l'air ambiant, il faisait froid, pourtant, elle n'en avait que faire. La morsure glaciale de l'atmosphère lui rappelait qu'elle était humaine, faisant éprouver à son corps mort par le vide de son cœur des sensations. Elle secoua de nouveau la tête espérant que sa bêtise ne finisse pas par la rendre malade et stoppa sa marche.
Après avoir grimpé sur plusieurs mètres, Regina avait délaissé la plage pour les hauteurs, ses pieds foulants désormais la roche grise des falaises où se dispatchait, ça et là, quelques touffes herbeuses colorées de petites fleurs mauves. C'était joli, elle ne pouvait le nier, alors pourquoi son cœur ne ressentait qu'indifférence face à ce décor ? Elle fronça les sourcils en s'approchant davantage du bord de l'escarpement rocheux, là où le vent soufflait plus fort. Elle s'avança encore, ses cheveux qui manquaient pourtant de longueur lui battirent violement le visage. Elle fit encore un pas, se plaçant aux premières loges pour apercevoir la sauvagerie de la mer. Un pas de plus, fascinée par la violence des éléments. Et un autre pour…
Elle n'avança pas plus, son corps prit dans un étau fut contraint de reculer sans ménagement. Avec une rapidité qui ne lui laissa pas le temps de comprendre la situation, elle se retrouva tirée à plusieurs mètres du bord.
« Non mais vous n'êtes pas bien ! »
Un cri. Un être humain mécontent venait avec brusquerie de l'éloigner du bord. Elle cligna plusieurs fois des yeux cherchant à prouver la réalité du moment. De toute sa vie, personne ne s'était jamais permis de lui parler ainsi.
« Vous ne devriez pas faire quelque chose d'aussi irréfléchi ! »
Face à elle se tenait une femme aux cheveux blonds, longs et sauvages, sans doute plus jeune qu'elle d'un ou deux ans, les yeux semblants lancer des éclairs d'indignation. Continuant de la maintenir loin du bord de la falaise après avoir lâchée son buste, une main fermement resserrée sur son avant bras, dans une prise douloureuse.
« Qu'est-ce que… »
« Je ne sais pas ce qui peut bien se passer dans votre vie », coupa la blonde avec un brin d'affolement dans la voix, « mais les choses ne peuvent être aussi… »
« Co-Comment… ? »
« Ne faites pas ça ! »
Une phrase prononcée avec force en un cri se terminant dans une pointe aigue et dissonante, lui faisant froncer les sourcils de mécontentement. Non mais c'était qui cette espèce de folle ?
« Je suis sûre et certaine que les choses vont s'arranger pour vous, » continua d'hurler la blonde, « la vie mérite… »
Un regard sombre, empli d'éclairs. Des lèvres pincées, signe de colère. La blonde stoppa son discours devant ce visage effrayant.
« C'est quoi votre problème ? » Lança alors Regina d'une voix sombre en accentuant chaque mot, pouvant enfin en placer une. « Et lâchez-moi, ne me touchez pas ! » D'un geste sec elle retira son bras, agrandissant les yeux de surprise en découvrant l'emprunte rougit laissée par les doigts de cette étrange femme qui la regarda en affichant un sourire déconfit.
« Vous n'êtes pas bien ? » Demanda la brune en se frottant le bras, cherchant à faire circuler son sang.
« Quoi ? Vous, vous n'êtes pas bien ! » Lui répondit-elle, « de plus sauter d'ici ne vous tuerez sans doute pas, vous ne feriez que vous abîmer physiquement. »
« Non mais qu'est-ce que vous croyez ? » Répliqua-t-elle pleine de mépris, « vous avez vraiment un problème ma parole. Espèce de folle »
« Moi ? Je suis folle ? »
« Il n'y a pas foule sur cette plage. »
« Je ne cherche qu'à vous aider ! »
« Je ne vous ai rien demandé ! »
« Très bien. Je suis, ô terriblement désolée, d'avoir permis à une ingrate comme vous de rester en vie avec sa totale capacité de mouvement, » lui lança-t-elle pleine d'ironie, « la prochaine fois demandez-moi, je me porte volontaire pour vous pousser de cette falaise. »
« Vous n'êtes pas folle, vous êtes complètement cinglée. »
« Et vous, vous n'êtes pas ingrate, vous êtes une mégère pour ne pas dire une véritable pétasse ! »
La brune se figea, les yeux agrandis par la stupeur devant cette dernière réplique. Non, décidément, personne ne lui avait jamais parlé de la sorte, sur ce ton, employant de tels mots. Elle secoua la tête, lâcha un faible sourire, secoua de nouveau la tête réalisant subitement l'ironie de la situation.
Priver la société de sa magnifique présence était une idée bien séduisante…non mais quelle horreur ! Ironie, ironie quand tu nous tiens, voilà plutôt une idée qui rimait fortement avec les pensées qui ne cessaient, ces derniers temps, de flotter au travers de son esprit. Va et vient continuel d'idées stupides, parfois, réconfortantes, souvent, mais jamais réellement apaisantes comme tout ceci pointait du doigt le désert de solitude qui avait établi un empire sur son être. Continuer à vivre ou mourir ? Un choix qu'elle avait refusé de penser clairement mais, inconsciemment, ne venait-elle pas de tenter cette voie de la facilité en cet instant ?
« Je ne comptais pas mettre fin à mes jours », finit-elle par dire avec nonchalance dans un soupçon de dédain.
« Voudriez-vous me faire croire que vous avez le goût du risque ? » Répliqua la blonde suspicieuse.
« Peut-être bien que si. »
« Vous n'en avez pas franchement l'air. »
« Que savez-vous de ma vie au juste ? » Demanda-t-elle, faisant un pas vers elle. « Vous ne connaissez rien de moi », continua-t-elle dans un murmure sombre presque menaçant qui fit frissonner la blonde, « je ne fais pas partie de ces gens qui abandonnent si facilement, je ne suis pas si faible. »
La blonde haussa un sourcil avant de planter ses yeux dans les siens.
« Vous savez, » commença-t-elle, « la faiblesse n'a rien à voir là-dedans. »
Billes émeraude plantées dans les siennes, magnifiques. Regard d'une intensité rare, mélange de force enragée teinté d'une douceur dont Regina n'avait pas l'habitude. La brune recula subitement, se prenant les pieds dans un enfoncement rocheux. Elle chuta, lourdement, et atterrit sans la moindre classe sur les fesses. La blonde face à elle, après un instant d'inquiétude se mit à rire, un rire sincère et franc qui alluma une chaleur en elle, inhibant en quelques secondes la douleur de l'impact.
Regina se passa une main nerveuse dans les cheveux, sourit, fronça les sourcils devant son attitude inhabituelle, depuis quand était-elle du genre nerveuse ? C'était vraiment du n'importe quoi… Elle se passa une nouvelle main dans les cheveux avant de reprendre d'un ton qui se voulait proche de l'agacement :
« Quand vous aurez fini, mademoiselle, de vous moquez de moi, peut-être tendrez-vous la main pour m'aider à me relever. »
« Oh, moi qui pensais que je ne devais pas vous toucher… »
Regard vif, piquant et menaçant. La blonde tendit immédiatement la main pour la remettre sur ses pieds. Touché réconfortant et agréable et accueillant et plaisant et apaisant et chaud et… exquis... Elle retira vivement sa main qui avait un peu trop traîné dans celle de l'autre, paralysant la folie avec laquelle était en train de jouer son esprit.
« Et donc, que faisiez-vous là au juste ? » Reprit l'étrangère blonde comme si de rien n'était.
« Pardon ? »
« En plus de vos mauvaises manières vous êtes sourde ? Vous les cumulez ma chère. »
« Je ne suis pas votre chère, nous ne nous connaissons pas ! »
« Effectivement, sinon j'aurais su m'en souvenir », répliqua-t-elle, avec une intensité qui surpris la brune. « Apprenons à nous connaître alors. »
« Certainement pas. »
« Emma Swan, enchantée », enchaina la blonde sans tenir compte de la réponse qui venait de lui être faite, tendant une main qui se voulait chaleureuse.
Regina dévisagea un instant cette main qu'elle avait déjà tenue quelques instants plus tôt.
« Si vous croyez, une seule seconde, que je vais serrer dans la mienne cette main que vous me tendez, vous pouvez vous mettre le doigt dans l'œil immédiatement Miss Swan. »
« Quoi ? Ne me dites pas que vous préférez que l'on se prenne dans les bras ! »
« Vous êtes une idiote. »
« Non, je suis simplement civilisée contrairement à vous ».
« Je suis civilisée. »
« Dans quel monde vivez-vous ? Vous n'avez rien de civilisée, et arrêtez d'afficher ce regard et de pincer ainsi vos lèvres, c'est effrayant. »
La brune ne répliqua pas, se contentant de fixer cette étrange femme qui, contrairement à bons nombres de ses interlocuteurs habituels, ne se démontait pas devant son expression intimidante et taciturne.
« Et vous ? » Finit par demander Regina, dans une attitude qu'elle souhaita plus avenante, après de nombreuses secondes où seul le vent s'était fait entendre. « Que faites-vous ici au juste ? »
« Quelle question, je sauve les jolies dames en détresse bien sûr ! »
La brune haussa un sourcil interrogateur avant de demander dans un brin de provocation dont elle avait le secret :
« Vous me trouvez jolie Miss Swan ? »
« Qu-… Non, oui enfin non la question n'est pas là… Ne cherchez pas à m'embrouiller ! »
« Moi ? Je vous embrouille ? »
La provocation avait dépassé le stade du brin, s'affichant dans une mauvaise foi catégorique et arrogante, une sensualité qu'elle n'avait pas prévue dans le fond de la voix.
« A-Absolument pas. »
« Vous venez pourtant d'affirmer le contraire Miss Swan. »
Pas en avant, lueur prédatrice dans le regard. Elle s'avança près de la blonde, cherchant à la déstabiliser encore un peu plus, jouant de la voir déglutir lorsqu'elle arrêta son visage à quelques centimètres du sien. Elle ouvrit la bouche pour lancer une remarque cinglante, une de ces piques qui avait le pouvoir de mettre à terre son adversaire, l'achevant dans un subtil jeu de mots… Mais ça ne se passa pas comme prévue. Elle ouvrit la bouche… pour la refermer. Et la rouvrir, et…
Elle dévisagea littéralement le visage lui faisant face, y prêtant réellement attention pour la première fois depuis le début de cette étrange rencontre. Ce paysage, si doux, lui donna subitement l'envie de voyager. S'imprégnant d'un simple regard de l'innocence qu'elle y trouva, de la pureté qu'elle rencontra, de la force qui s'y dégageait, de l'étrange tristesse qui semblait s'y cacher et de ce besoin de vivre qui avait sans conteste établit un règne.
Dans un battement rageur, le cœur de Regina propulsa le sang au travers de ses veines, éveillant le moindre de ses sens. Elle combattit pendant quelques instants contre le désir intense de la combler, de faire d'elle la chose la plus précieuse qu'il puisse exister en ce vaste monde. Ce bel être était en train de lui tourner la tête et, elle su, intime conviction sortant de nulle part, que face à cette femme, elle ne saurait lutter.
« Vous allez bien ? »
Question chuchotée, léger malaise dans la voix.
« Hé oh, je vous parle... »
Emma s'agita devant le manque de réaction de la brune, dansant d'un pied sur l'autre avant de prendre la décision de se reculer, prenant de la distance face à cette étrange proximité avec cette étrange inconnue.
« Ne bougez pas. »
La blonde stoppa ses jambes, affichant un regard de surprise qui fit sourire Regina, un sourire qu'elle n'avait plus affiché depuis bien longtemps, un sourire qu'elle trouva agréable d'esquisser. Cette phrase n'était pas un ordre, elle était loin d'avoir été prononcée avec directive pourtant, le ton employé ne laissait place à aucune possibilité contraire.
Regina tendit une main, presque craintive, en direction du visage de la blonde qui l'attrapa en vole avant que les doigts froids ne viennent rencontrer sa joue.
« Que voulez-vous ? »
Demande légitime. Qu'était-elle en train de faire au juste ? Elle ne connaissait absolument pas cette femme. Grand n'importe quoi. Ridicule. Irréalité. On n'agissait pas ainsi avec les inconnus… C'était elle à présent qui souhaitait s'éloigner, mais, Emma garda fermement la main de Regina qu'elle cala, dans une pression douce, entre les siennes. La brune ne pu s'éloigner.
« ... je ne sais pas, » finit-elle par répondre dans un souffle. « Qui êtes-vous donc ? »
« Emma Swan, » répliqua dans un sourire la blonde avec une pointe d'incertitude, « je vous l'ai dit il y a quelques minutes, à peine. »
« En effet. »
Regina ne pu s'empêcher de sourire, et oui, encore une fois. Elle qui avait le don d'afficher une expression morose et renfermée semblait avoir perdu ce petit contrôle. Plusieurs secondes défilèrent sans qu'aucune des deux n'effectuent le moindre geste, profitant de ce moment figé dans l'irréalité.
La nature finit pourtant par les rappeler à l'ordre comme il se mit à pleuvoir, fines perles d'eau malmenées par le vent qui devinrent, en peu de temps, un véritable déluge. La blonde lâcha la main qu'elle tenait précieusement entre les siennes avant de jeter un coup d'œil à la montre sur son poignet, de lâcher un juron, et de tourner les talons.
« À un de ces jours belle inconnue, » lança Emma en lui adressant un dernier regard, accompagnant sa remarque d'un clin d'œil. « Et pas de bêtises d'ici-là évidemment. »
La blonde s'éloigna sans attendre de réponse, partant dans une course qui l'enleva rapidement à la vue de Regina qui, cherchant encore à comprendre ce qu'il venait de se passer, finit trempée de la tête aux pieds devant son manque de réaction.
La pluie ne cessa de tomber qu'en fin de journée après avoir déversée de nombreux litres d'eau sur le pays, après avoir partagé son empire sur le ciel avec quelques éclairs amis du tonner, après avoir fait passer la belle brune pour une folle aux yeux de ses collègues lorsqu'elle s'était présentée en début de matinée, véritable piscine vivante, sur son lieu de travail. Et le sourire et la bonne humeur et l'enthousiasme dont elle fit preuve n'arrangèrent pas la vision de son entourage, un changement soudain d'attitude qui souleva des questions auxquelles elle se contenta de renvoyer un regard noir. Regina était toujours Regina finalement.
La journée était passée rapidement, occupée par des affaires, nombreuses, occupée par un regard, émeraude, occupée par un sourire, tendre et franc. Un visage doux, des cheveux blonds, un corps fin et élancé, certainement musclé, cette femme, étrange… Une obsession.
Une véritable obsession qui ne la quittait plus depuis quatre jours à présent. Quatre jours, quatre-vingt seize heures, cinq mille sept-cent soixante minutes, trois cent quarante-six mille cinq cent secondes… Une éternité, un véritable supplice pour ne pas parler de calvaire. Chaque matin, elle passait sur cette plage, lieu de leur rencontre, y faisant un tour le soir également, espérant la voir… Mais rien. Aucune trace de la blonde, aucun signe de sa présence. Regina en venait même à se demander si elle n'avait pas rêvé cette rencontre.
Une obsession hein… Depuis quand était-elle attirée par les femmes d'ailleurs ? Bon, elle n'avait jamais eu de grandes histoires d'amour mais tout de même, elle n'avait jamais porté un tel regard sur une femme, elle n'avait jamais envisagé… Qu'envisageait-elle au juste ? Elle secoua la tête, refusant ce genre de questions pour le moment.
La brune lâcha un petit soupir en posant un pied sur le sable, il était tard, le soleil déclinait déjà, bien sûr qu'Emma ne serait pas là. Une journée épuisante venait de s'écouler, elle avait juste besoin de calme, non, elle n'était pas déçue de ne pas croiser la blonde, elle ne venait pas ici avec ce fol espoir. Non… Elle avait juste besoin de calme, besoin de souffler, besoin de vide et de silence, besoin de calme…
« Des talons à la plage, sérieusement ? »
Regina sursauta en se retournant vivement, calmant la fureur de son cœur qui après un instant effrayé par la surprise, martela sauvagement ses cotes au plaisir d'entendre de nouveau cette voix, de voir de nouveau ce visage qui l'avait hanté jour et nuit.
Elle sourit en parcourant la blonde des yeux.
« Miss Swan… »
« Oh vous vous souvenez de moi, j'ai craint un instant que ce ne soit le cas. Où étiez-vous passée au juste ? »
Un reproche ? Regina mit quelques secondes à réagir.
« Co-Comment… ? »
« J'ai eu beau passer plusieurs fois par jours sur cette foutue plage, je ne vous voyais nulle part. Après votre instant suicidaire, vous auriez pu vous douter que j'allais m'inquiéter de ne pas vous voir ! »
Oui, décidément c'était bien un reproche. Pourtant, elles ne se connaissaient pas. Avait-elle, elle aussi, obnubilé l'esprit d'Emma ?
« Vous ai-je manqué ? » Se contenta-t-elle de demander ne cherchant pas à apporter une réponse précise.
Le léger rougissement qui passa sur les joues de la blonde fit manquer un battement au cœur de Regina, lui enlevant le sourire qui venait d'apparaître sur ses lèvres, qu'était-il en train de lui arriver au juste ? Pourquoi cette blonde l'affectait tant ? Elle ne comprenait pas, elle ne se comprenait, absolument pas.
« Alors, » reprit Emma après un instant, « où étiez-vous donc ? »
« En quoi cela vous regarde. »
Le ton de la brune s'était fait plus autoritaire et violent qu'elle ne l'aurait voulu, les vieilles habitudes ayant la vie dure.
« En rien c'est vrai, » répliqua-t-elle en haussant les épaules, « mais j'aime entretenir ma culture personnelle. »
Un sourire. Regina se détendit et demanda d'une voix amicale :
« Votre culture personnelle, vraiment ? »
« Tout à fait. »
« Vous êtes une jeune femme bien étrange. »
« Un peu comme vous. »
« Non, » répliqua la brune amusée, « je suis mystérieuse, petite nuance. »
Emma se mit à rire, subitement, surprenant Regina qui écouta avec ravissement ce son clair et frais, rajeunissant.
« Vous êtes surtout morte de froide, » finit par dire la blonde en rompant le silence qui venait de s'installer, une fine trace d'inquiétude dans le regard ou peut-être un soupçon de quelque chose de plus subtil.
« Ça va, je ne devrais pas tarder à rentrer de toute façon ».
« Vous devriez en effet, mais… », Emma s'interrompit, faisant un pas dans sa direction, réduisant la distance qui les séparait. Elle la surprit en lui attrapant subitement la main, « vous avez les doigts gelés, » s'exclama-t-elle en affichant une moue d'anxiété.
« Je ne m'en été pas rendu compte avant que votre main ne touche la mienne… »
« Vous devriez vous couvrir davantage lorsque vous venez ici, en cette saison la fraîcheur n'est jamais loin. »
« Vous pouvez parler avec votre vieux blouson de cuir. »
La blonde haussa les épaules en souriant.
« J'ai le sang chaud. »
« Voulez-vous dire que vous êtes irascible et querelleuse ou plutôt… que vous aimez faire la fête dirons-nous ? »
Nouveau sourire d'Emma, plus large et pétillant, une lueur malicieuse dans ses beaux yeux verts.
« Venez le découvrir par vous-même », lui lança-t-elle en la traînant à sa suite, gardant sa main bien au chaud dans la sienne, n'écoutant pas les protestations de la brune qui lutta quelques instants avant de la suivre, conciliante. « Et mon blouson est top, » ajouta-elle en s'engagea sur l'avenue commerciale.
Elles entrèrent dans un café où une atmosphère chaude les accueillie.
« Allons boire un coup, » s'exclama joyeusement Emma lâchant sa main.
« Ai-je vraiment le choix Miss Swan ? » Répliqua la brune, levant les yeux au ciel, dissimulant tant bien que mal un sourire.
« Oh, taisez-vous un peu et venez vous asseoir au lieu de faire votre mijaurée. »
Emma lui fit un clin d'œil avant de filer rejoindre une table dans le fond du café, un coin au calme où elles pourraient discuter tranquillement, ne vérifiant pas que la brune la suive, sachant pertinemment, qu'elle allait le faire.
Regina arriva quelques instants plus tard. Quittant sa veste, elle s'installa face à la blonde, ne pouvant empêcher un sourire de parcourir ses lèvres.
« Bonjour, » lança alors cette jeune blonde d'un air mutin, « je ne vous avez encore jamais vu par ici… »
« Que-… Quoi… ? »
« Est-ce la première fois que vous venez au Granny's ? Et vous souhaitez occuper ma table ? Je dois avoir un charme fou pour que vous agissiez ainsi. »
« Miss Swan, qu'est-ce que… »
« Oh allons belle inconnue, jouez un peu le jeu, il n'est pas juste que vous sachiez mon identité et que moi j'ignore la votre. Le mystère c'est bien mais tout de même, j'aimerais pouvoir mettre un nom sur votre joli visage. »
La brune ne répliqua pas, trop abasourdie pour répondre quoi que ce soit, luttant pour empêcher le rouge de lui monter aux joues.
« Emma Swan, » reprit la blonde comme si elles venaient tout juste de se rencontrer, ne relevant pas son malaise ou ayant le tact de ne pas mettre l'accent dessus.
« Regina Mills, » répondit la brune en attrapant et serrant doucement la main d'Emma, s'attardant dans cette étreinte en plantant ses yeux dans l'océan émeraude lui faisant face.
« Mills, Mills, Mills… » Enchaîna la blonde, récupérant sa main. « Mills comme ce pimpant, prestigieux et sans pitié cabinet d'avocats qui fait sa renommé en ville ? »
« Sans pitié ? »
Regina arqua un sourcil avant de reprendre :
« Ce monde est sans pitié Miss Swan, nous nous ne faisons que travailler. »
« Si vous le dites. »
Emma esquissa un faible sourire, presque une excuse mais pas tout à fait avant de demander, changeant totalement de sujet :
« Que voulez-vous boire ? Un café ou chocolat ou quelque chose de plus corsé ? »
« Etonnez-moi. »
« Un défi ? »
« Pas vraiment. »
« Vous aimez les surprises ? »
« Non plus, je déteste ça. »
« Alors… »
« Mon Dieu Miss Swan, vous cherchez bien trop loin. Faut-il qu'il y ait une explication pour tout ? Je n'espère pas car notre rencontre n'aurait alors pas raison d'être. »
« J'aime que les choses soient explicables. »
« Elles ne le sont pourtant pas toujours. »
« Tout dépend des points de vues, ce n'est pas parce que vous ignorez quelque chose que cette chose n'existe pas. »
« Vous êtes sérieuse ? »
Regina ne pu s'empêcher de sourire devant le regard pantois et incertain de la blonde, son cœur se serra pourtant, elle se sentit obligée de la rassurer et, sans comprendre son geste, sans vraiment le réaliser, elle posa une main apaisante sur le bras d'Emma qui reposait tranquillement sur la table.
« Je ne prétends pas que vous ayez tord, seulement sommes-nous réellement en train de discuter de… de quoi au juste ? D'un sujet aussi futile que ça ? »
La blonde se mit à rire, chose qui semblait facile chez elle et Regina se délecta une fois de plus avec ravissement de ce son souhaitant presque que cela ne s'arrête jamais.
« Vous êtes décidément une femme bien étrange Regina. »
« Autant que vous je suppose. »
« Nous voilà avec un point commun, le premier d'une longue liste peut-être. »
« J'en doute fort. »
Le sourire d'Emma s'effaça devant cette pique pourtant réaliste. Elle secoua rapidement la tête, dégagea son bras de la main de la brune et se leva pour passer commande. Elle revint quelques minutes plus tard au grand soulagement de Regina qui avait craint un instant de l'avoir fait fuir.
« J'ai choisi simple, je nous ai pris un cocktail chacune. »
« Vous placez votre simplicité dans un cocktail Miss Swan ? » Demanda la brune une lueur d'amusement dans les yeux, « un cocktail est un mélange d'ingrédients, ça n'a rien de simple. »
« Une fois de plus Regina, tout dépend des points de vues. Oh, vous qui semblez joueuse, devinez ce qu'il y a dans le votre. »
« Nous n'avons pas le même ? »
« Certainement pas, » répliqua la jeune blonde avec malice, « comme ça je pourrais goûter votre verre. »
« Très malin, » répondit Regina en portant son verre à ses lèvres.
« Je suis une personne maligne. »
« C'est ce que je vois, en effet. Vodka, triple sec, jus de Cranberry et citron vert. »
« Vous buvez souvent ? »
« Non. »
« Alors comment… ? »
« Un Cosmopolitan est un cocktail fréquent et simple Miss Swan, peu original. La couleur du verre m'a aiguillée, le goût du contenu m'a assuré. »
« Je vois... »
« Et vous j'ose pariez que vous buvez un Bloody Tonic. Vodka, jus de Cranberry et Schweppes. »
Regard victorieux, elle avait tapé juste et en était très fière.
« Vous êtes… »
« Épatante, oui je sais. »
« Non, surprenante je dirais plutôt. »
« Je vais vous avouer mon secret, » commença-t-elle en avançant la tête pour continuer dans une voix presque chuchotante, « j'ai surtout eu un aperçu de la préparation, le comptoir du bar n'est pas loin, pas besoin de lunettes. »
« Très malin, » répondit Emma en portant à son tour son verre à ses lèvres, la regardant droit dans les yeux.
« Je suis une personne maligne. »
« Je n'en ai aucun doute. » Elle sourit, « alors comme ça vous portez des lunettes ? Quoi ? Ne me lancez pas un tel regard Regina, ça donne un air sexy les lunettes ! »
« Selon qui au juste ? » Questionnement sombre, la brune peu convaincue par ce dernier commentaire.
« Selon moi mais pour ce que vous en avez à faire. Oh, vous souriez, voilà qui est bien mieux. Alors Regina, vous qui ne faites pas dans la futilité, parlez-moi de vous. »
« De moi ? »
« A moins que Regina ne soit soudainement plus votre prénom, oui de vous ».
La brune sourit.
« Il n'y a pas grand-chose à dire sur moi. »
« Je suis sûr que si. »
« Rien de bien intéressant alors. »
« Je ne vous connais pas, la moindre chose me semble intéressante. »
La brune sourit, oui, encore une fois mais elle ne pouvait s'en empêcher, c'était plus fort qu'elle et malgré son caractère renfermé, une certaine timidité sans doute et son âme solitaire, elle se mit à parler d'elle. Les mots semblaient lui venir facilement, sans qu'elle ait besoin de les chercher, sans que la gêne ou un quelconque trouble ne vienne perturber son esprit. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle se sentait bien, comme à sa place.
Elle lui parla un peu de tout, sans pourtant réellement entrer dans les détails.
« Vous avez une vie banale en réalité, » commenta finalement Emma, « ah non, ne me lancez pas ce regard, par banale j'entends comme le commun des mortels. »
« A quoi vous attendiez-vous au juste Miss Swan ? »
« Franchement aucune idée mais vous aimez la nature, la lecture, la cuisine, la musique et le sport... Enfin, l'équitation est-ce réellement du sport ? »
« Évidemment que c'est un sport. »
« Mais c'est le cheval qui fait tout le travail. »
« Vous ne savez pas de quoi vous parlez. »
« Ça c'est une évidence. »
« Alors taisez-vous. »
« Une autre fois peut-être, » répliqua la blonde tout sourire. « Il est facile de vous provoquer Regina. »
« Et vous en êtes fière, je suppose. »
« Tout à fait, vous partez au quart de tour. C'est marrant. »
« Riez, riez Miss Swan et après nous parlerons de vous. »
« Une autre fois peut-être, il commence à se faire tard et il est temps pour moi de rentrer. »
« Oh, déjà. »
« Voilà des heures que nous sommes ici Regina. »
« Le temps passe vite. »
« Je vais prendre ça pour un compliment. »
« Qu-Quand… »
« Oui ? » Questionna Emma alors qu'elle ne poursuivait pas sa phrase.
« Non rien. »
La brune sortit du Granny's à la suite d'Emma qui se tourna alors vers elle.
« Demain. »
« Co-Comment ? »
« N'alliez-vous pas me demandez quand est-ce que nous nous reverrons ? »
Regina fronça les sourcils.
« Peut-être bien mais cessez cet air triomphant Miss Swan, rien n'est moins sûr. »
« Vous ne savez pas mentir Regina. Petit-déjeuner ou déjeuner en ma compagnie, demain au Granny's, je suis une grande habituée des lieux. Et si vous ne pouvez pas, passez quand bon vous semble ici, il est fort probable que vous m'y trouviez. Euuh… Regina ? Ça ne va pas ? Nous pouvons aussi faire un tour sur la plage si vous préférez. »
« Non, non c'est parfait le Granny's. »
Air absent, regard dans le vide, légère stupeur dans le fond des yeux. Emma s'approcha d'elle pour lui saisir la main, cherchant à lui procurer un certain réconfort par ce geste.
« Regina ? »
Son prénom, presque chuchoté.
« Miss Swan… Que sommes-nous en train de faire ? »
« Comment ça ? »
« Nous… Je… Sommes-nous en train de… comment dire… de nous tourner autour ? »
Emma éclata de rire.
« Sérieux, de nous tourner autour ? Mais dans quel monde vivez-vous Regina ? »
« La question n'est pas là Miss Swan, » rétorqua la brune dans un regard noir.
« Ahah très bien, ne vous fâchez pas, je… Non mais attendez, vous êtes sérieuse de chez sérieuse ? Vous me posez vraiment la question ?! »
« Pourquoi mes lèvres auraient-elles esquissé ces mots sinon. »
Pointe d'agacement dans la voix, la brune n'était pas en train de faire de l'humour.
« Aah euhm… », Emma ne sue que répondre, contrôlant tant bien que mal un excès de rire.
« Cessez de vous moquez de moi. »
« Ce n'est pas ce que je fais. »
« Alors que faites-vous au juste ? »
La brune était irritée.
« Je… Non mais c'est juste que… »
« Que ? »
« Vous êtes trop mignonne Regina, on dirait une véritable adolescente. »
« Et vous vous n'êtes qu'une enfant. »
L'irritation n'était que façade apparemment car la brune finit par joindre son sourire à celui d'Emma.
« Alors nous ne nous tournons pas autour ? » Finit par reprendre Regina après un moment de silence.
« A votre avis ? » Répliqua la blonde taquine, en resserrant sa main sur celle de l'autre, dans un mouvement doux.
« Emma… Nous sommes deux femmes… Pourquoi souriez-vous bêtement subitement ? Ne prenez-vous donc rien au sérieux ? »
« Vous daignez enfin employer mon prénom, c'est plaisant. Il sonne bien dans votre bouche. »
« Ne vous y habituez pas trop. »
« Et vous ne rêvez pas trop. »
« Que… »
La brune se tue sous le regard intense que lui renvoya Emma, elle ne pu s'empêcher de rougit avant de récupérer sa main pour se la passer nerveusement dans les cheveux.
« Vous êtes adorable lorsque vous êtes mal à l'aise, » ne pu s'empêcher de constater la blonde.
« Oui… Bon… Où en étais-je avant d'être interrompu par vos enfantillages… »
« Nous sommes deux femmes. »
« Oui, effectivement, vous êtes une femme. »
« C'est ce qu'on déclaré les médecins à mes parents lorsque je suis née. Vous pensez qu'ils ont fait erreur ? »
« Vous êtes une idiote. »
Une remarque légère, un sourire doux.
« Non Regina, je constate seulement que vous ne m'apprenez rien. Nous sommes toutes les deux des femmes. Et donc ? »
« Vous… Vous ne voyez pas le problème ? »
« Non pas vraiment. »
« Mais… »
Regina se tue avant de cligner des yeux, réalisant subitement la situation.
« Vous voulez dire que… »
« Ne soyez pas le genre de personne qui place les gens dans des cases, je déteste ça. Mais oui, je suis comme ça, pour vous le dire tout en douceur, histoire de vous éviter la crise cardiaque, disons que je suis une femme qui aime les femmes. »
« Ah. »
« Ah ? C'est tout ce que vous trouvez à dire ? »
« Il semblerait. »
Silence.
« Vous ne vous enfuyiez pas ? »
« Pourquoi ? »
« Vous voulez que je vous fasse un dessin ? »
« Vous êtes une idiote. »
Les deux jeunes femmes se sourirent.
« Ce n'est pas la première fois que vous me le dites. »
« Nous commençons donc à avoir de charmantes habitudes, » Regina sourit devant son air perplexe avant de tourner les talons en secouant la tête d'amusement, « et bien, à demain Emma ».
La brune s'éloigna rapidement, s'enfuyant presque, ne réalisant qu'à l'instant ses propres paroles. Elle rougit furieusement, gênée, fronça les sourcils, agacée. Non mais à quoi jouait-elle au juste ? Elle ne jouait pas. Qu'était-il en train de lui arriver ? Elle ne savait pas. Quelle importance au fond ? Oui, bon ça avait une certaine importance mais, devait-elle s'en préoccuper pour l'instant ? Pas vraiment. Une seule chose lui semblait certaine : elle avait hâte d'être au lendemain.
