1. Un mariage

Harry Potter se réveilla brutalement et aussitôt sa mâchoire se crispa. Il passa sa main sur son menton piquant : il devait raser quotidiennement depuis quelques semaines quelques poils hirsutes. Il était de mauvaise humeur et il y avait de quoi. Il se leva et un bref coup d'oeil par la fenêtre n'arrangea pas la situation : une jeune voisine montait en voiture. Elle avait les cheveux roux et Harry soupira douloureusement en pensant à Ginny. Il l'avait vu dix jours auparavant... Harry se rallongea et se remémora...

Comme convenu, les Weasley avaient marié leur fils Bill à Fleur Delacour. En raison des évènements récents, la noce avait été réduite au plus simple. Mme Weasley avait craint que cette modestie ne heurte sa fière belle-fille mais celle-ci n'avait pas paru s'en plaindre. Pour s'y rendre, Harry avait été escorté par Maugrey Fol-Oeil et trois autres Aurors grâce à un Portoloin. Harry s'était réjoui de la tête des Dursley quand il leur avait annoncé la visite des quatre sorciers. Mais ni son oncle ni sa tante n'avaient osé protester à voix haute : Harry était revenu chez eux avec un tel regard qu'ils avaient compris qu'un évènement grave s'était produit. Harry ne leur avait rien dit. Loin d'éprouver de la compassion pour leur neveu, les Dursley comptaient avec impatience les jours qui les sépareraient définitivement de Harry, c'est-à-dire son dix-septième anniversaire, synonyme de la rupture du pacte de protection de Harry via la maison des Dursley.

Harry s'était retrouvé dans le jardin des Weasley, comme égaré dans ce lieu pourtant familier. Autour de lui régnait un chaos indescriptible : des tables, leurs chaises et les nappes volaient. Des terrines apparaissaient dans de gros pots et Harry et ses protecteurs durent se baisser brusquement pour ne pas être heurtés de plein fouet par des chapelets de saucisses. Des bouquets de fleurs se composaient tout seul. Quelques sorciers que Harry ne connaissait pas criaient, couraient, essayaient d'attraper des farfadets qui volaient les bouquets. De la maison provenaient des cris impatients.

- Maman, où sont mes chaussettes vertes ?

- Maman, Fred a ensorcelé ma robe, elle essaie de me ligoter avec les manches !

Harry avait souri : c'était la voix de Ron. Il s'avança vers la maison, le regard fixe pour ignorer tous ceux qui le regardaient avec curiosité et compassion. Il entra et sourit pour la première fois depuis qu'il avait quitté Poudlard : Hermione se tenait face à lui.

- Ravie de te voir, Harry.

Son ton était grave mais sincère. Harry la serra contre lui.

- Ron est là-haut à se débattre avec une robe ensorcelée...

- J'ai entendu, dit Harry avec un sourire.

Mme Weasley, des cheveux s'échappant de sa coiffure de cérémonie, entra dans la cuisine et fondit sur Harry avant qu'il eut le temps de réagir. Elle l'étouffa presque et lui demanda bien cinq ou six fois comment il allait. Elle sembla vouloir dire autre chose mais se ravisa :

- Ron et...tout le monde sont en haut...

- Merci, madame Weasley.

Harry se demanda si elle savait pour Ginny et lui. Il grimpa lentement les escaliers, redoutant les moments à venir. Il entendit parler français en passant devant la première chambre et déduisit que Fleur finissait de s'y préparer avec sa famille. Une autre porte s'ouvrit et Harry ne bougea plus. Il entendit Hermione bafouiller une excuse en s'eclipsant.

- Bonjour Harry.

- Bonjour Ginny.

Il sentait son coeur palpiter : Ginny était vêtue d'une robe de sorcier verte joliment brodée de fils argentés. Un long silence s'installa et Ginny se força à sourire :

- Elle est aux couleurs de Serpentard mais tant pis...

Harry rit doucement :

- Aucune importance, tu es très belle...

Bien qu'une petite voix dans sa tête lui souffla non, il s'approcha de Ginny et ils échangèrent un baiser.

- Nous nous faisons du mal, déclara Ginny en détournant la tête.

- Je sais, répondit Harry en serrant les dents.

Il voulut lui prendre la main mais une porte s'ouvrit violemment et Ron, plus rouge que ses oreilles, en sortit en hurlant :

- Fred, je vais te tuer ! HARRY !

Les deux amis s'étreignirent et Harry écouta complaisamment Ron lui expliquer les sorts que lui avaient jeté Fred et George depuis la veille. Il jeta un oeil derrière lui et vit que Ginny n'était plus dans le couloir. La voix perçante de Molly Weasley s'éleva jusqu'à eux :

- DESCENDEZ ! Ca commence dans cinq minutes !

Harry et Ron descendirent, ce dernier l'abreuvant de paroles futiles pour ne pas avoir à lui parler des évènements récents et de leur séparation. Dans la cuisine, Harry félicita le futur marié qui faisait les cent pas, un peu nerveux, en jetant des regards intéressés sur la montagne de steacks pour le repas. Ron lui souffla :

- C'est la seule manifestation pour le moment de sa morsure par un loup-garrou !

Fred et George apparurent et saluèrent Harry, un peu gênés. Les jumeaux n'avaient pas digérés la vente d'un de leurs produits destinés à créer une nuit artificielle, qui avait permis à Drago Malefoy de faire circuler des Mangemorts dans les couloirs de Poudlard.

Arthur Weasley indiqua sa place à Harry, au premier rang, à côté de Ginny. Elle lui sourit tristement et Harry ferma les yeux de douleur. Quand il les rouvrit, il vit plusieurs personnes à la grille du jardin, qui ne regardaient pas du côté des invités.

- Des Aurors et des membres du ministère, chargés de la sécurité, lui dit Ginny.

Harry hocha la tête en silence. C'était surtout pour lui, pas pour les autres.

- Remus et Tonk ne sont pas là ?

- Non, en mission d'après McGonagall.

- Elle est là ?

- Oui, trois rangs derrière nous.

Harry se retourna et croisa le regard de la nouvelle directrice de Gryffondor : elle se força à lui sourire mais la fatigue et les soucis marquaient son visage.

- Et Hagrid ?

- Pas là non plus. Il fallait quand même quelqu'un pour continuer à surveiller Poudlard...

A midi moins deux, Fleur apparut dans une très belle robe dorée, rayonnante, au bras de son père. Elle souriait largement, offrant un contraste avec le reste de l'assemblée qui se forçait à la gaieté. Ron souriait bêtement à Fleur et Hermione lui mit un coup de coudes dans les côtes. Harry se sentit mal à l'aise : il était vêtu de son meilleur pantalon et de sa chemise la plus élégante mais il se distinguait au milieu des invités presque tous vêtus de robe de cérémonie pour sorciers. La petite sorcière qui officiait demanda, une fois Fleur parvenue aux côtés de Bill, si la cérémonie pouvait commencer.

- Non ! Pas encore !

Tous regardèrent, incrédules, Molly Weasley, ses yeux implorant. Harry vit qu'elle tenait la fameuse horloge indiquant où se trouvait chaque membre de sa famille. Des murmures s'élevaient et Fleur ne souriait plus. Arthur Weasley parla à l'oreille de sa femme et elle se rassit, les larmes aux yeux.

- Allez-y, chère madame, dit Mr Weasley, un peu pâle, à l'officiante.

- IL ARRIVE ! cria Molly Weasley.

Harry comprit enfin et un BANG ! retentit : Percy Weasley se matérialisa et s'assit, les yeux fixés au sol, sur la première chaise libre qu'il trouva.

Le repas détendit un peu l'atmosphère mais personne ne prononça le nom d'Albus Dumbledore : Hermione et Ron ne parlèrent à Harry que de potins et de Quidditch. A peine le gâteau fini, Percy salua son frère et Fleur, embrassa sa mère, serra froidement la main de son père et transplana. Fred et George maugréèrent : leur mère les avaient supplié de ne pas embêter Percy et c'est cette supplique, au lieu de la légendaire colère de leur mère qui avait eu raison des jumeaux.

- Mr Potter, puis-je vous parler un instant ?

Harry leva les yeux vers le professeur McGonagall et la suivit sans rien dire, conscient des regards posés sur eux. S'étant éloignés des oreilles indiscrètes, la nouvelle directrice de Poudlard dévisagea Harry avec douceur, comportement inhabituel qui augmenta le malaise de Harry.

- Comment allez-vous, Harry ?

- Pas très bien.

Cette franchise soulagea momentanément Harry mais le professeur McGonagall retrouva son air dur.

- Comme nous tous...je veux dire ceux qui déplorent la perte d'Albus Dumbledore...

Un silence pesant s'installa et la nouvelle directrice se racla la gorge.

- Hum...Quand la fête aura pris fin, votre escorte ne vous ramènera pas directement chez votre oncle et votre tante. Vous irez par Portoloin au Ministère de la Magie. Nous avons réussi, après de dures négociations, je ne vous le cache pas, à obtenir que vous passiez votre permis de Transplanage avant votre anniversaire...

- Pourquoi ne pas attendre quinze jours ? coupa Harry.

- Parce qu'il est fort à craindre que le jour de votre anniversaire des Mangemorts se présentent à Privet Drive pour vous retrouver et que vous aurez plus à penser à votre sécurité ce jour-là qu'à vous présenter au Ministère ! D'ailleurs, sachez que des mesures seront prises pour assurer une protection à votre famille. Il n'est pas impossible que les Mangemorts les soumettent à l'Imperium pour leur arracher un renseignement...

- Je ne leur ai jamais rien dit, ils ne savent même pas pour...

Le professeur McGonagall posa la main sur l'épaule de Harry.

- Mais ça, les Mangemorts ne le savent pas ! Et malgré ce que les Dursley vous ont fait endurer, je doute que vous vouliez apprendre qu'ils ont été tués !

Harry hocha la tête pour approuver.

- Je vous attends à Poudlard pour le premier septembre. Où voulez-vous aller en attendant ? Square Grimmaurd ?

- Professeur, je ne retournerai pas à Poudlard...

La directrice le dévisagea, s'attendant visiblement à cette réponse.

- Vous serez en sécurité à Poudlard plus qu'ailleurs, malgré tout...

- Il me faut retrouver Voldemort et le tuer...ou me faire tuer...

- Néanmoins, Poudlard...

- Pensez-vous que vous aurez beaucoup d'élèves à la rentrée, professeur ?

Il avait touché le point faible.

- Je pense que non, Mr Potter. J'ai reçu déjà beaucoup de lettres et peu m'assuraient de la confiance de leurs auteurs en la sécurité à Poudlard. Et je ne peux leur en vouloir...

- J'en suis navré, professeur. Ces élèves et leur famille seront isolés et à la merci des Mangemorts. Je suppose qu'un certain nombre de parents pensent que c'est ma présence à l'école qui la rend dangereuse ?

Harry lut la réponse dans le regard navré de la directrice.

- Si vous saviez à quel point cela me navre, Harry...

Harry détourna la tête et le professeur McGonagall reprit :

- Ecoutez-moi attentivement. Le jour de votre anniversaire, dès minuit, vous transplanerez là où vous avez choisi d'aller. Des Aurors seront autour de la maison pour protéger votre famille...

Ma famille est ici ! protestait une petite voix dans la tête de Harry.

- Vous devez me dire où vous allez, Potter !

- Dans la maison de mes parents, Lupin m'a dit qu'elle était inoccupée.

La directrice de Gryffondor inspira profondément et un léger sourire se dessina sur son visage fatigué.

- J'ai bien fait en prévoyant un système de protection autour de cette maison... Mais il faudra faire comme si la maison était inhabitée, c'est-à-dire garder les volets fermés par exemple.

- Mais quand les Mangemorts auront constaté que j'ai quitté la maison de mon oncle, ils penseront sans doute à Godric's Hollow et s'ils ne peuvent y rentrer, ils sauront que j'y vis !

- C'est vrai, c'est pourquoi D... euh... quelqu'un a eu une idée : la maison de vos parents a subi un sortilège très puissant. Une sorte de mirage a été créé : tout le monde, y compris les Mangemorts, verra une maison normale et vide en apparence, même en y entrant. Cependant, vous devrez ne pas vous montrer et si vous quittez la maison, ne le faîtes pas pas la porte. Nous avons cassé une vitre de la cave : cela vous obligera à des acrobaties mais ça devrait aller. Bien entendu, utilisez votre cape d'invisibilité. Des Aurors se relayeront auprès de vous, vous serez rarement seul et plusieurs Portoloins seront installés afin de vous permettre de gagner divers endroits, comme Poudlard...

Harry ouvrit la bouche de surprise mais son interlocutrice fronça les sourcils et reprit :

- Poudlard, disai-je, ainsi que le Ministère de la Magie, bureau des Aurors. Mais vous devez me promettre, ajouta-t-elle d'un ton sévère, de ne pas utiliser ces Portoloins, notamment celui de Poudlard, pour vous changer les idées.

Harry hocha la tête et la directrice se radoucit :

- Je sais que la tentation sera grande mais il ne faudra pas le faire à moins d'un danger extrême. Il ne faut pas permettre à nos ennemis de nous surprendre dans nos dernières défenses et je sais que vous aimez suffisamment certaines personnes pour ne pas les exposer encore plus qu'elles ne le sont. Promettez, Harry !

- Je vous le promets, dit-il d'une voix grave. C'est Dumbledore qui a suggéré le mirage de la maison, n'est-ce pas ? Puisqu'il vous donne des conseils, ne pourrais-je pas me rendre parfois à Poudlard pour lui parler ?

Le professeur McGonagall fronça tristement les sourcils.

- Harry, reprit-elle doucement, le fait qu'Albus ait son tableau à Poudlard ne signifie pas qu'il est toujours vivant. C'est un état particulier, très particulier, comme l'est celui de fantôme, par exemple. Une infime partie de son esprit survit dans ce tableau, et vous savez que la mort est un long, très long repos. Albus a besoin de beaucoup de sommeil et il ne peut plus être celui qu'il a été... Harry, devenir adulte, c'est accepter de vivre sans l'aide de ceux qui nous quittent, en nous souvenant de ce qu'ils nous ont appris.

Harry déglutit douloureusement, saisissant confusément que le professeur McGonagall avait raison.

Elle lui fit plusieurs autres recommandations, notamment de communiquer le moins possible par hibou. Puis elle inspira longuement et le dévisagea :

- Vous serez quand même amené à quitter votre domicile pour...pour...

- Affronter Voldemort.

- Oui.

- J'ignore comment vous comptez vous y prendre mais je sais que vous disposez d'indices... Allez rejoindre les Weasley, Harry, et bonne chance !

Harry regarda la directrice avec lassitude : rien, vraiment rien n'assurait qu'ils auraient à nouveau l'occasion de se parler. Elle lui tendit lamain qu'il serra et vit dans ses yeux des larmes refoulées.

Harry regagna la noce et s'efforça à la gaieté : personne ne lui avait demandé de rapporter sa conversation, se doutant du drame qui se jouait. Harry s'efforça de retarder le moment des adieux mais bientôt les invités partirent les uns après les autres, ainsi que les mariés. Arthur Weasley baillait et les blagues des jumeaux se firent plus rares. Le silence tomba soudain et chacun évitait de regarder Harry. Le sang battant douloureusement dans ses tempes, Harry se leva :

- J'y vais.

Molly Weasley étouffa un cri et serra Harry contre lui. Hermione s'était levée mais Harry tendit le bras :

- Non, non ! Trop difficile...

Hermione ne bougea plus et Harry vit du coin de l'oeil ses gardes du corps se rapprocher.

- A bientôt, murmura-t-il dans un sanglot.

Il se détourna et toucha le morceau de pneu qui servait de Portoloin pour le 4 Privet Drive en risquant un dernier coup d'oeil pour voir Ginny très pâle aux yeux embués de larmes.