Lorsque j'écris, je peux m'amuser à placer les personnages dans des situations différentes de celle du livre original, mais j'aime particulièrment changer le caractère de l'un ou l'autre des protagonistes. Bien sûr, c'est toujours le cas lorsqu'on écrit de la fanfiction, puisque notre interprétation des personnages ne sera jamais tout à fait identique à la vision qu'en avait l'auteur, mais parfois ces déviatons sont plus flagrantes. C'est le cas ici.
Cette histoire se compose de cinq chapitre. Deux restent encore à traduire, mais je pense avoir fini de poster d'ici deux semaines tout au plus.
Chapitre 1
Les deux mois qui venaient de s'écouler avaient été riches en événements aux alentours de la petite ville de Meryton, dans le Hertfordshire. Un jeune homme célibataire pourvu d'une considérable fortune s'était installé dans le voisinage, faisant la joie des familles dans lesquelles se trouvaient des jeunes filles en âge de se marier. La famille Bennet, qui résidait à Longbourn, en comptait cinq à elle seule, avait été de celles qui espéraient que le nouveau venu était en quête d'une épouse. Mr Bingley avait fait preuve d'une telle inclination envers l'aînée des jeunes filles que Mrs Bennet l'avait bientôt considéré comme la propriété légitime de celle-ci.
Mr Bingley n'était pas arrivé seul, mais ses amis n'avaient pas suscité le même enthousiasme auprès de ses voisins. Ils semblaient se considérer au-dessus des vingt-quatre familles locales, et ni leur fortune, ni leurs connexions, ne parvenaient à convaincre les gens de Meryton et des environs que les soeurs de Mr Bingley et son ami Mr Darcy fussent un tant soit peu aimables.
Bien que Mr Bingley n'eût d'yeux que pour Jane Bennet, les autres jeunes filles ne se sentaient pas en manque de compagnie, car un régiment de la Milice s'était récemment établi à Meryton et devait y passer tout l'hiver. La présence des officiers donnait de l'entrain aux réunions, et aucune jeune fille ne se trouvait délaissée lorsque l'on dansait, ce qui suffisait à combler les plus jeunes d'entre elles.
Il s'était aussi produit, durant ce temps, des choses plus désagréables, du moins du point de vue des demoiselles Bennet. Miss Bennet était tombée malade alors qu'elle était venue rendre visite à Miss Bingley et sa soeur Mrs Hurst à Netherfield. A peine fut-elle assez rétablie pour rentrer au domicile familial que la visite d'un lointain cousin leur était annoncée. Ce jeune homme sérieux et pompeux, qu'elles rencontraient pour la première fois, était en possession, non d'une belle fortune, mais d'une position avantageuse. De plus, étant donné que Mr Bennet n'avait que des filles, il devait hériter de Longbourn. Ayant des scrupules à chasser ses cousines de leur maison une fois leur père décédé, il avait décidé d'épouser l'une d'elles et fit part de ses intentions à Mrs Bennet. Cette dernière, sans réfléchir au fait que leurs tempéraments n'étaient pas compatibles, lui suggéra de diriger ses attentions vers la deuxième de ses filles, Elizabeth. Cette dernière ne prit conscience des intentions de son cousin que lorsque Mr Bingley donna un bal, et cette information, ainsi que le fait que presque toute sa famille se fût comportée de manière à lui faire honte, l'avait empêchée d'apprécier la soirée. Le fait qu'elle n'avait pas pu éviter de danser avec Mr Darcy et regrettait l'absence de Mr Wickham, un charmant jeune homme ayant récemment pris une commission d'officier dans la milice, ne firent rien pour arranger son humeur.
La journée suivante commença de la même manière que la précédente s'était terminée. Mr Collins ne crut pas pouvoir attendre davantage avant de demander en mariage sa chère cousine, et reçut de sa part un refus catégorique. En conséquence, Longbourn était en ébullition, et Mrs Bennet gardait l'espoir que sa fille, à force de remontrances, pourrait être convaincue de changer d'avis.
A une courte distance de là, ignorant tout de ce drame familial, Mr Bingley et Mr Darcy trottaient de concert. Le premier avait décidé de se rendre à la capitale pour ses affaires et avait proposé à son ami de l'accompagner quelque temps. Bingley avait laissé à sa soeur cadette une note afin de la rassurer quant à la localisation de leur invité.
Après avoir parcouru un peu plus d'une lieue, alors qu'ils passaient à travers un bois, Bingley arrêta son cheval. Darcy regarda autour de lui mais ne remarqua rien de particulier. Ils se tenaient dans une clairière semblable à mille autres clairières, si ce n'était pour l'arbre que l'on pouvait voir sur l'une de ses lisière. C'était un vieux chêne dont les branches descendaient bas, semblant inviter les passants à y grimper. Bingley était descendu de sa monture et se tenait sous ses frondaisons, l'air préoccupé. Il regardait alternativement sa montre et les environs, comme s'il attendait que quelqu'un les rejoigne. Darcy essaya d'attirer l'attention de son ami afin de lui demander des explications, mais le jeune homme ne semblait plus voir que sa montre et les bois, en particulier lorsqu'un bruit se faisait entendre par-dessus le bruissement des feuilles.
Avait-il bel et bien rendez-vous ? Mais alors, avec qui ? Peut-être Miss Bennet, avec qui il avait parlé autant qu'il le pouvait la nuit du bal. Darcy était surpris que la jeune fille eût accepté de retrouver son soupirant en un lieu si isolé, mais supposa qu'elle viendrait sans doute accompagnée de l'une de ses soeurs, et que Bingley lui avait demandé de se joindre à lui afin de discuter avec la demoiselle pendant que lui-même échangerait des mots doux avec celle qu'il qualifiait d'ange. Tout à son agacement au sujet des cachotteries de son ami et à son espoir que Miss Elizabeth Bennet serait celle qui accompagnerait sa soeur, Darcy manqua de sursauter en voyant deux de ses cousins descendre de cheval à moins de dix pas de lui — il n'avait pas entendu les cavaliers approcher.
Derrière le vicomte Jeffreys et le colonel Fitzwilliam se tenait un troisième homme qu'il remarqua à peine et qui était probablement l'ordonnance du colonel. Darcy salua ses cousins et entama une discussion avec l'aîné, qu'il n'avait pas vu depuis quelque temps. Bingley était également venu saluer les nouveaux venus et se tenait maintenant à l'écart avec le colonel. Darcy fronça les sourcils en réalisant que son ami n'avait pas été surpris par l'arrivée du trio. Il semblait même qu'il avait arrangé ce rendez-vous — mais pour quelle raison ? Ils auraient pu se retrouver en ville cela était bien étrange. Se tournant vers son ami, Darcy demanda :
« Bingley, avez-vous organisé... »
La question mourut sur ses lèvres. Il se trouvait nez-à-nez avec le canon d'une arme. Bingley et le colonel Fitzwilliam, deux hommes qu'il avait toujours considéré comme des amis proches, lui faisaient face, un sourire narquois aux lèvres et un pistolet à la main, le menaçant ainsi que le vicomte. Un coup d'oeil lui révéla que le troisième homme, qui était resté près des chevaux, les tenait également en joue, rendant impossible toute tentative d'évasion. Cela ne pouvait pas être réel. Les deux messieurs affables; en qui il avait confiance plus qu'en toute autre personne, n'avaient pas pu se métamorphoser en ces créatures froides et calculatrices. Il n'était pas exclu qu'ils lui jouassent quelque tour, mais dans ce cas, pourquoi le vicomte était-il présent ? Alors que Darcy était encore en train de comprendre ce qui se déroulait sous ses yeux, son cousin avait retrouvé sa voix.
« Que diable se passe-t-il ? demanda-t-il avec colère.
— Mon bien cher frère, lui répondit le colonel avec un sourire glacé, il se trouve que vous êtes sur le point de vous marier et cela ne me convient guère. Je ne peux prendre le risque de vous laisser avoir des fils, car je compte bien vous succéder et la présence d'héritiers directs me compliquerait la tâche. Bingley et moi avons eu une discussion fort intéressante voilà quelques mois, et nous avons décidé de faire d'une pierre deux coups. »
Un silence s'ensuivit. Il devint clair que le colonel attendait que son frère lui répondît avant de poursuivre.
De mauvais gré, le vicomte s'exécuta. « Qu'entendez-vous par là ?
— Tout simplement que notre bien-aimé cousin disparaîtra en même temps que vous.
— Pourquoi ?
— Après la mort tragique de Darcy, je deviendrai le seul tuteur de Georgiana et, une fois qu'elle aura quitté le deuil, Bingley aura ma bénédiction pour l'épouser, après quoi il n'aura pas besoin de renouveler son bail à Netherfield. Vous vous demandiez pourquoi il avait loué le domaine plutôt que de chercher à s'établir pour de bon : il devait vous attirer à la campagne, sans pour autant que le lieu soit trop éloigné de Londres. La région de Meryton était adéquate, mais il était inutile qu'il achetât une propriété, puisque Pemberley lui reviendra. »
Il n'y avait pas la moindre trace d'humour dans la voix du colonel, pas plus que sur le visage de Bingley. Darcy voulait croire que ce n'était là qu'une plaisanterie de mauvais goût, mais plus le temps passait, et moins cette explication semblait plausible.
« Bingley, dit-il d'une voix faible. Je vous croyais mon ami. Pourquoi feriez-vous une chose pareille ? »
Le jeune homme haussa les épaules. « Savez-vous à quel point il est frustrant de voir que toutes les jeunes femmes vous suivent des yeux lorsque vous entrez dans une pièce ? Non que vous les remarquiez. Avez-vous seulement une idée du nombre de personnes qui cherchent à gagner votre faveur dans l'espoir que vous les fréquentiez de temps à autre ? Malgré cela, vous n'êtes proche que de quelques-uns. Que d'opportunités gâchées !
— Je ne suis pas sûr de bien saisir...
— J'ai tout simplement la conviction que je ferai, avec vos ressources, de plus grandes choses que vous, dit Bingley en faisant la moue. Vous dépensez beaucoup pour peu de gain en termes de statut. Frais médicaux de vos fermiers, investissements dans le commerce, dépense de milliers de livres dans le vain espoir qu'une personne réforme son caractère... »
En disant cela, Bingley fit un geste vers leur complice qui se tenait toujours auprès des chevaux, et pour la première fois, Darcy regarda vraiment le troisième homme.
« Wickham ! cracha-t-il.
— Wickham ? Comme le fils de l'intendant de votre père ? s'étonna le vicomte. Mon frère me l'a présenté comme étant Mr George. Qu'a-t-il à gagner dans cette affaire ?
— Un certain nombre de livres, j'imagine, did Darcy d'un ton mordant. Combien exactement, Wickham ?
— Un paquet, dit l'homme en haussant les épaules. Cela t'importe-t-il vraiment ? Si tu veux tout savoir, Fitzwilliam m'a engagé l'été dernier je devais convaincre ta soeur de s'enfuir avec moi, mais tu a fait échouer le projet.
— Je venais d'apprendre que vous songiez sérieusement à épouser Lady Constance, Henry, et il me fallait passer à l'acte rapidement. J'avais bon espoir que le scandale créé par Georgiana et Wickham aurait conduit la famille de la demoiselle à prendre ses distances, ce qui m'aurait laissé le temps d'élaborer un plan plus poussé.
— Et quel est donc ce fameux plan ? Darcy tâchait d'avoir l'air assuré, mais sa voix le trahissait.
— Je vais me rendre à Londres comme je l'ai annoncé, et le colonel fera de même, dit Bingley avec un grand sourire. Mr Wickham vous tiendra compagnie quelque temps — ne songez pas à fuir, vous serez gentiment ficelés avant que nous partions — puis il s'en ira rejoindre son régiment avant que le jour baisse. Avant cela, cependant, il se chargera de vous tuer. Quand on trouvera vos dépouilles, on songera à un duel qui se sera terminé tragiquement.
— Un duel ? Pour quelle raison nous battrions-nous ?
— Oh, ce sera fort simple à expliquer. Une fois de retour à Londres, ne vous voyant pas revenir, je confierai mon inquiétude à votre sujet. Il me sera simple d'expliquer que vous, Darcy, aurez fait une remarque désobligeante au sujet de la fiancée de mon frère, et qu'il vous aura demandé des excuses que vous n'étiez pas prêt à présenter. Personne ne croira que vous vous soyez volontairement battus jusqu'à la mort, bien sûr, mais il leur sera aisé d'admettre que vous ayez pu vous laisser emporter une fois le combat commencé. Profitez bien de vos dernières heures, messieurs ! Bingley ? Si nous voulons être à Londres avant la nuit, il nous faut partir maintenant. »
Après un salut moqueur, les deux conspirateurs montèrent à cheval et partirent, laissant derrière eux les deux cousins que Wickham avait ligotés entretemps. Ce dernier les regardait à présent d'un air pensif. Darcy essayait désespérément de trouver une idée qui leur permette de s'échapper, quand le vicomte prit la parole.
« Si c'est de l'argent que vous désirez, Wickham, je vous garantis que nous pouvons vous offrir davantage que ce qu'ils vous ont promis.
— Je n'en doute pas. Toutefois, je ne trouverai jamais une aussi belle occasion de me venger de Darcy vous me voyez obligé de décliner votre offre.
— Pourquoi tenez-vous à ce que nous mourions ensemble ?
— Pourquoi tenez-vous à savoir cela ?
— Puisque nos heures sont comptées, j'aimerais autant les passer à parler, et c'est le sujet qui m'intéresse le plus à présent.
— Très bien, dit Wickham avec un haussement d'épaules. C'est d'une simplicité ennuyeuse : Bingley, ne fait pas suffisamment confiance au colonel pour se contenter de sa parole que vous seriez tué plus tard, il fallait donc que vous mouriez ensemble.
— Ne craignent-ils pas que vous les fassier chanter ?
— Qui me croirait ? De plus, le colonel en sait trop sur moi pour que je prenne un tel risque.
— Vous courez cependant le risque d'être exposés, remarqua le vicomte. Deux morts à quelques mois ou semaines d'intervalle auraient été considérées comme une série d'accidents tragiques, mais ce ridicule duel ne fera qu'attirer l'attention sur nos allées et venues d'aujourd'hui, et vos mensonges seront bientôt découverts.
— Pas du tout, dit Wickham avec un sourire qui n'avait rien de réconfortant. Il est peu vraisemblable que qui que ce soit suspecte quoi que ce soit. Personne ne s'inquiétera à votre sujet avant plusieurs jours. Les gens du coin penseront, Darcy, que tu as quitté le pays sur un coup de tête et choisi d'accompagner ton ami à Londres. De son côté, Bingley expliquera que tu as choisi de rester à Netherfield et avertira tes domestiques de ton changement de plans afin qu'ils ne s'inquiètent pas en voyant arriver tes malles sans toi.
— Mes malles ? Mais elles ne sont pas faites, et mes domestiques n'ont aucune raison d'anticiper mon retour à présent.
— Oh, c'était peut-être vrai ce matin, mais ce n'est plus le cas. Bingley a confié à sa soeur le soin de veiller à cela. Ton valet de chambre sera bientôt en route avec tes affaires, demain au plus tard, je pense. Quant à vous, mon cher vicomte, le colonel expliquera que vous l'avez quitté pour voyager de votre côté. Ils espèrent ainsi qu'il se passera quelques jours avant que l'on entame des recherches, permettant aux souvenirs des uns et des autres de se teinter d'incertitude, et à vos corps de ne pas trahir la véritable manière dont vous serez morts.
— Comment cela ?
— Nous comptons sur l'intervention de nos amis les animaux de la forêt. » dit-il avec un sourire malveillant.
Wickham était si concentré sur son triomphe sur les deux hommes qu'il ne prêta attention que trop tard à ce qui se passait au-dessus de lui.
Longbourn, plus tôt le même jour
Quand elle vint rejoindre sa famille au salon, Elizabeth Bennet semblait très calme. Ni le sourire suffisant de sa mère ni l'air satisfait de son cousin ne vinrent troubler sa sérénité. Sa soeur aînée, en revanche, semblait préoccupée. Elizabeth s'assit à côté d'elle et lui jeta un regard empreint de sympathie avant de sortir son ouvrage.
« Lizzy, dit leur mère, nous n'avons pas de temps à perdre : Mr Collins souhaite que son mariage soit célébré d'ici six semaines. »
Le grand jeune homme opina avec solennité.
« Je ne vois pas en quoi cela me concerne, Maman, dit Elizabeth, concentrée sur ses points.
— En voilà une sottise ! Cela vous concerne au plus haut point, puisque c'est avec vous qu'il se marie !
Elizabeth leva les yeux. « Il me semblait avoir été très claire ce matin, et mon père l'a également été. Je n'épouserai pas mon cousin.
— N'avez-vous donc aucune compassion pour moi ? D'abord Mr Bingley, puis vous ! Qu'adviendra-t-il de nous lorsque votre père mourra ?
— Mr Bingley ? Qu'a-t-il à voir dans cette histoire ?
— N'avez-vous pas entendu ses soeurs hier ? se lamenta Mrs Bennet. Elles disaient qu'elles n'accepteraient jamais qu'il se lie à Jane, et qu'il respecterait leurs souhaits. Elles n'ont même pas essayé de baisser la voix quand elles ont vue que j'étais près d'elles ! »
Elizabeth fronça les sourcils. La dernière fois qu'elle avait vu Mr Bingley, ce dernier n'avait d'yeux que pour Jane. L'idée qu'il la délaisse afin de plaire à ses propres soeurs semblait incongrue à la jeune fille.
« Maman, dit Jane, s'il choisissait de suivre l'avis de ses soeurs, je ne peux pas lui en tenir rigueur.
— Fi ! Je ne vois pas pourquoi il les laisserait dicter sa conduite, s'exclama Mrs Bennet avec entêtement.
— Vous ne pouvez pas vouloir une chose et son contraire, lui répondit l'aînée de ses filles doucement mais fermement. Vous ne pouvez pas blâmer à la fois Mr Bingley pour se plier aux désirs de sa famille et Lizzy pour refuser d'agir de la sorte. »
Un silence s'ensuivit, et avant qu'on pût lui répondre, Jane se leva, annonça son intention d'aller marcher dans le jardin, et demanda à Elizabeth de se joindre à elle. Les jeunes filles quittèrent rapidement la pièce, laissant derrière elles une mère indignée, un cousin froissé, et trois soeurs en train de se quereller (Mary avait reproché aux benjamines leurs gloussements, qu'elle jugeait inconvenants).
Dans le jardin, Jane écouta d'abord Elizabeth se plaindre de l'insistance de sa mère, et ne parla que lorsqu'il fut clair que sa soeur attendait une réponse de sa part. Ce qu'Elizabeth ignorait, c'est que Jane avait accepté de présenter sous un jour favorable les arguments de Mrs Bennet dans l'espoir que sa soeur change d'avis.
« Lizzy, je vous conseille de réfléchir encore. Pensez à quel point Maman serait heureuse, et songez la félicité que vous êtes en mesure d'apporter à notre famille : en devenant la maîtresse de Longbourn, vous serez en mesure d'augmenter nos chances de faire un bon mariage. Les messieurs, par prudence, n'osent nous faire la cour de peur de devoir, lorsque papa décèdera, subvenir aux besoins de Maman et de nos soeurs non mariées en plus de ceux d'une nouvelle famille, mais si vous êtes à Longbourn, leur support est déjà assuré, et la charge ne serait plus aussi lourde.
» Un tel soulagement ne compense-t-il pas l'inconvénient d'être mariée à un homme pour lequel vous n'éprouvez pas d'affection ? Il semble satisfait de suivre les conseils de sa bienfaitrice, et je suis persuadée qu'il ne demande pas mieux que de suivre aussi les vôtres. Vous seriez à même de l'inciter à se conduire ainsi que vous le souhaiteriez, c'est là un luxe dont peu d'épouses disposent. »
Elizabeth s'était arrêtée net. Elle regardait Jane, bouche bée.
« Lizzy, continua cette dernière avec hésitation, c'est peut-être la seule demande en mariage que vous recevrez, et… »
Elle se tut, ne sachant pas comment continuer sans blesser Elizabeth. Cette dernière, entretemps, s'était reprise.
« Jane ! Comment pouvez-vous imaginer un seul instant que je puisse être heureuse à l'idée d'être l'épouse de Mr Collins ? Même Mr Darcy ferait un meilleur mari ! Il peut se montrer exaspérant et manquer de la politesse la plus élémentaire, mais au moins je ne cours pas le risque de mourir d'ennui ou de mortification à chaque fois qu'il ouvre la bouche ! »
Jane soupira.
« Vous savez que je ne vous le suggèrerais pas si je ne le pensais pas, dit-elle en guidant Elizabeth vers un banc.
— Je le sais, dit Elizabeth après qu'elles se furent assises, et c'est bien ce qui me sidère. J'aurais cru que vous m'auriez enjointe de ne jamais me marier sans affection j'ai l'impression de ne plus vous connaître. »
Jane tenta d'embrasser sa cadette, mais Elisabeth lui échappa et se décala sur le bord du banc. Craignant que sa soeur ne parte, Jane resta où elle se trouvait.
« Vous avez tendance à ne voir que les faits qui corroborent vos idées, et à laisser de côté ceux qui sont contradictoires avec la manière dont vous pensez — pour prendre un exemple récent, la semaine dernière, n'avez-vous pas décidé que Mr Wickham devait avoir été traité de manière cruelle par Mr Darcy, simplement parce que cela correspondait à vos idées préconçues à son sujet ?
— Mr Wickham n'a fait que confirmer ce que les manières de Mr Darcy laissaient déjà entendre, s'indigna Elizabeth.
— C'est bien ce que je dis, Lizzy, dit Jane avec un faible sourire. Vous êtes si fière de votre capacité à juger du caractère d'une personne que vous détestez que l'on vous pointe vos erreurs. Mais revenons à Mr Collins : comprenez-moi, je ne souhaite pas que vous preniez une décision qui vous rende malheureuse. Je vous aime trop pour cela. Je pense simplement que vous avez mal jugé notre cousin, et que pourriez tout à fait être heureuse si vous l'épousiez. Promettez-moi seulement de prendre le temps de bien réfléchir. »
Elizabeth soupira.
« Me détesterez-vous si je persiste à rejeter son offre ?
— Jamais, Lizzy ! Nous n'avons pas toujours les mêmes opinions, et je ne suis pas toujours d'accord avec les décisions que vous prenez, mais cela n'affecte en rien mes sentiments pour vous. N'en doutez pas. »
Elizabeth cligna des yeux pour éviter de fondre en larmes. Ne souhaitant pas bouleverser davantage sa soeur, Jane se leva, lui baisa le front, et la laissa à ses réflexions.
La stupeur d'Elizabeth était sans bornes. Elle n'était pas sans savoir que sa mère espérait que Jane se joigne à ses efforts pour la faire revenir sur sa décision, mais elle n'aurait jamais imaginé que sa chère Jane, à qui elle avait confié ses rêves et ses espoirs, accepterait. Elle était troublée en réalisant à quel point les mots de Jane reflétaient ce que Charlotte Lucas lui avait dit quelques semaines auparavant. L'espace d'un instant, elle se demanda si l'intérêt que Jane portait à Mr Bingley était avant tout motivé par la fortune du jeune homme, mais elle se reprit. Les sentiments de Jane pour leur voisin étaient sincères, mais elle devait craindre qu'il n'ose pas la demander en mariage à la pensée qu'il devrait peut-être, un jour, devoir subvenir aux besoins de cinq femmes supplémentaires. Jane ne le lui avait pas dit directement, mais elle devait penser que, si l'une de ses soeurs acceptait de prendre Mr Collins pour époux, cela aiderait Mr Bingley à oser lui demander sa main. Peut-être même les soeurs de ce dernier, se sachant à l'abri d'une invasion de Bennet le jour du décès du père de famille, ne seraient-elles plus autant opposées à cette union.
Pouvait-elle faire passer le bonheur de Jane avant le sien ? Pouvait-elle prendre le risque de détruire, peut-être pour toujours, le bonheur de sa soeur bien-aimée ? Elizabeth ne pensait pas qu'elle dormirait beaucoup la nuit suivante.
Bientôt, cependant, elle réalisa qu'épouser Mr Collins ne la conduirait qu'au ressentiment, et elle pouvait aisément s'imaginer jalouse du bonheur de Jane. La situation eût-elle été inversée, Jane se serait, sans aucune hésitation, sacrifiée pour que sa soeur soit heureuse. Aussi surprise qu'elle ait été par le soutien de Jane au projet de leur mère, Elizabeth connaissait suffisamment sa soeur pour savoir qu'elle ne lui conseillerait pas d'accepter une situation qu'elle aurait refusé pour elle-même. Toutefois Elizabeth n'était pas aussi bonne que son aînée. De plus, si la situation avait été inversée, Elizabeth était certaine qu'elle aurait supplié sa soeur de ne pas épouser leur cousin.
Elle s'était levée pour arpenter le jardin tout en réfléchissant, et il ne lui fallut pas longtemps pour se trouver satisfaite de sa décision. Elle ne se sentait pas prête, cependant, à retourner auprès de sa famille, plus particulièrement auprès de sa mère. Le seul endroit où elle pouvait espérer se trouver au calme était le bureau de son père, et il avait expressément demandé à ce qu'on ne le dérange pas. Elle décida d'aller se promener dans les environs et rentra brièvement pour changer de chaussures et prendre un livre.
Une fois en route, elle reprit ses réflexions, au sujet cette fois de ce que sa soeur avait dit de son caractère. Jane lui avait dit que sa capacité à juger du caractère d'une personne, dont elle était très fière, n'était peut-être pas aussi bonne qu'elle le croyait elle avait pris pour exemple son traitement de Mr Darcy. Elizabeth à se remémorer une conversation qu'ils avaient eu à Netherfield. L'ai-je accusé d'être orgueilleux quand ce défaut est peut-être le mien ? Plus elle y pensait, plus cette déplaisante possibilité semblait raisonnable. Elle avait pris en grippe Mr Darcy après qu'il eut fait preuve d'impolitesse envers elle, mais après cela, n'avait-elle pas uniquement prêté attention à lui afin de cataloguer ses défauts ? Il semblait que ce fût l'opinion de Jane, et, bien que cela ennuyât beaucoup Elizabeth, il se pouvait qu'elle eût raison et qu'elle se montrait coupable de la chose même qu'elle reprochait au gentilhomme.
Cela n'avait, au fond, pas vraiment d'importance, car même si Mr Bingley épousait Jane, il y avait peu de chances pour qu'Elizabeth se trouvât souvent en présence de son ami. Elle décida toutefois de le traiter d'une manière plus juste et, à l'avenir, de se baser sur davantage que sa première impression pour se faire une idée sur quelqu'un. Ses pensées se tournèrent vers Mr Wickham, dont elle avait décidé, au premier regard ou presque, qu'il devait être parfaitement aimable. De fait, il ne s'était nullement montré désagréable, mais était-il vraiment la victime de Mr Darcy ? Maintenant qu'elle repensait à la conversation qu'ils avaient eue, elle se demandait s'il n'avait pas, par moment, manqué de cohérence. Aurait-elle pris conscience de cela si Jane ne lui avait pas ouvert les yeux ?
Peut-être finirait-elle vieille fille, mais au moins, elle aurait gagné en sagesse.
Elizabeth avait choisi de suivre un chemin qu'elle n'avait pas emprunté récemment, et ses pas la menèrent dans une clairière qu'elle n'avait pas vu depuis des années — depuis le jour où sa mère lui avait interdit de mettre le pied dehors pour une semaine après qu'elle fut tombée d'un arbre.
L'arbre en question était toujours là, cinq années de plus n'avaient pas altéré son apparence. Se sentant d'humeur rebelle, Elizabeth, après s'être assurée que personne ne pouvait la voir, entreprit de découvrir si son perchoir préféré était aussi confortable que dans son souvenir. Elle projetait de s'installer parmi les branches avec le livre qu'elle avait pris au hasard en partant.
Hélas, son enthousiasme retomba rapidement. Tout d'abord, elle avait emporté un livre de poésie. Comme elle avait besoin d'une allusion de plus à l'amour à présent ! Par ailleurs, être assise dans un arbre n'était ni aussi confortable, ni aussi amusant qu'elle se le rappelait. Enfin, au moment où elle décida d'entamer sa descente, deux cavaliers pénétrèrent dans la clairière. En les reconnaissant, elle grommela quelques mots qui ressemblaient de manière suspecte à des jurons. Après quelques minutes, cependant, elle commença à penser que c'était peut-être la Providence qui l'avait envoyée se percher là.
Mr Bingley et l'un des officiers étaient partis, et le deuxième — Mr Wickham ! elle avait été bien sotte de le croire — faisait les cent pas tout en parlant à ses captifs. Il s'arrêtait de temps à autre, et se tenait à présent juste à la verticale d'Elizabeth. Craignant de ne pas avoir une autre chance pour intervenir, elle sauta.
Recevoir d'un coup sur le dos soixante kilogrammes de jeune fille, accessoires compris, est assez pour étourdir la plupart des individus, et Wickham ne fit pas exception à la règle. Elizabeth ne s'arrêta pas pour regarder s'il était inconscient ; elle courut auprès des deux gentilhommes et les détacha aussi vite qu'elle le put. Le vicomte fut le premier libéré et se dépêcha de ramasser l'arme de Wickham avant que ce dernier eût repris ses esprits. Quand il fut libre à son tour, Darcy rassembla les cordes, mais ne pouvait s'empêcher de jeter de temps à autre un regard à Elizabeth. Si ce n'était pour la douleur au niveau de ses poignets — Wickham avait serré leurs liens aussi fort qu'il l'avait pu — il aurait juré qu'il était en plein rêve. Comment Elizabeth avait-elle pu apparaître aussi soudainement ? Elle avait paru tomber du ciel. Se reprenant, il rejoignit son cousin, et ils lièrent les mains et les pieds de Wickham afin d'empêcher qu'il ne s'échappe. Le scélérat avait perdu connaissance et ne revint à lui que lorsqu'ils eurent terminé.
« Maudit arbre, maudites branches ! Je ne l'ai même pas entendue craquer. »
Wickham s'assit avec précaution, jurant à nouveau lorsqu'il s'aperçut que des cordes limitaient ses mouvements. Il regarda autour de lui, puis fronça les sourcils. « Où est-elle passée ? »
Les cousins échangèrent un regard surpris.
« De quoi parlez-vous ?
— De cette foutue branche ! dit-il en fouillant la clairière du regard. Je jurerais avoir entendu quelque chose bouger dans l'arbre avant d'avoir été frappé. Une branche a dû casser. »
Son regard se durcit quand il aperçut Elizabeth qui se tenait à quelques coudées de là, l'air préoccupé.
« Que diable faites-vous ici ?
— Vous connaissez la demoiselle ? Parfait ! J'aimerais que vous nous présentiez, dit le vicomte comme si la situation était des plus naturelles.
— Je la connais également, dit Darcy en jetant un regard noir à son cousin pour sa désinvolture. Miss Bennet, permettez-moi de vous présenter l'aîné de mes cousins, Henry Fitzwilliam, le vicomte Jeffreys. Henry, voici Miss Elizabeth Bennet, de Longbourn. »
Le vicomte s'inclina d'une manière qui n'aurait pas dénoté dans un salon, mais la révérence d'Elizabeth était loin d'être impeccable. Maintenant que tout danger immédiat était écarté, elle était saisie de tremblements et ressentait une douleur sourde à la cheville. Cette douleur augmentait, et elle luttait pour ne pas tomber lorsqu'une main vint la soutenir. Elle suivit le bras auquel elle appartenait et rencontra le regard plein de sollicitude de Mr Darcy. Etait-ce pour elle qu'il se faisait du souci ?
Si elle pouvait seulement arrêter de trembler, retrouver quelque peu ses esprits, elle pourrait guider les messieurs jusqu'à Longbourn, ou peut-être Netherfield, à moins qu'ils ne décident de gagner Londres au plus vite. Elle tenta de reporter une partie de son poids sur sa cheville et ne put contenir un glapissement, ce qui attira sur elle l'attention de son pilier.
« Miss Bennet, qu'avez-vous ? Etes-vous blessée ?
— Ce n'est rien, je me suis simplement fait mal à la cheville — je n'ai rien senti au début, mais cela commence à être douloureux.
— Où vous teniez-vous ? » demanda Darcy en jetant un coup d'oeil à l'arbre.
Elizabeth lui montra une des branches, et Darcy pâlit. « C'est à plus de trois mètres du sol ! Vous auriez pu vous tuer ! Où aviez-vous la tête ?
— Je songeais à trouver un moyen d'éviter que vous ne vous fassiez tuer ! » siffla-t-elle en retour.
Avant que Darcy ne pût répondre, son cousin, voyant qu'il était sur le point de contre-argumenter, les interrompit.
« Peut-être ne devrions-nous pas rester ici. Le temps est à la pluie, et vous devez faire soigner votre cheville. Habitez-vous loin d'ici ?
— Longbourn se trouve dans cette direction, dit-Elizabeth en étendant le bras. En allant d'un bon pas, il y en a pour une dizaine de minutes. »
Le vicomte hocha la tête et se tourna vers son cousin. « Allons-y. Nous serons plus rapides à cheval. Le vôtre est plus reposé que le mien, je propose que vous preniez Miss Bennet avec vous.
— Ne puis-je pas plutôt prendre celui de Mr Wickham ? dit Elizabeth, aussi peu enthousiaste à l'idée de partager un cheval avec Mr Darcy qu'elle l'avait été à celle de danser avec lui la veille.
— Non, nous en aurons besoin afin de l'emmener avec nous. Il nous faut savoir ce qu'il sait, et je préfère ne pas le laisser seul un instant.
— Pensez-vous qu'il acceptera de vous parler ? demanda Darcy.
— Contre quelque rétribution ? Oui, je le crois.
— Vous ne perdez rien à essayer, j'imagine. Peut-être devrions nous partir maintenant. La discussion sera sans doute longue et j'aimerais mieux qu'elle ait lieu dans un salon chauffé plutôt que dans un bois humide.
— Je suis bien d'accord avec vous, répondit son cousin avant de se tourner vers Wickham. Je vais vous détacher pour vous permettre de monter à cheval. N'essayez pas de faire un seul geste de travers. »
L'homme hocha docilement la tête et sembla coopérer, mais le vicomte avait été trop confiant. Sitôt qu'il fut debout, Wickham le repoussa violemment, sauta à cheval, et galopa ventre à terre vers Meryton. Depuis le sol où il s'était retrouvé, Jeffreys jura. Darcy, qui soutenait toujours Elizabeth, ne put que regarder disparaître l'officier avec désarroi.
« Réjouissons-nous du fait qu'il ne soit pas parti rejoindre Bingley et votre frère, dit-il enfin. Que pensez-vous que nous devions faire à son sujet ?
— Je doute qu'il s'attarde dans le voisinage, et je crains qu'il ne nous faille le laisser partir. Il a trop d'avance sur nous. Miss Bennet, pourriez-vous avoir l'obligeance de nous indiquer le chemin ?
— Bien sûr, mais êtes vous certain que nous ne pouvons pas marcher ?
— Vous n'êtes pas en état de le faire. » Avant qu'elle eût pu protester, Mr Darcy la prit par la taille et l'assit sur son cheval. Elle en agrippa la crinière.
« Si vous êtes mal à l'aise à l'idée que m'installe derrière vous, je marcherai. Le ciel ne semble pas si menaçant, je pense que nous aurons le temps d'arriver à Longbourn avant que la pluie ne tombe. S'il en est autrement, nous aviserons. Cela vous convient-il ?
Elizabeth opina du chef, son cousin haussa les épaules, et ils se mirent en route. Du haut de son cheval, sans autre occupation que pointer du doigt le bon chemin quand ils atteignaient un croisement, elle avait tout le temps de réfléchir davantage à la manière dont elle s'était comportée, jusque-là, avec Mr Darcy. Son antipathie envers lui pouvait bien être irrationnelle, et lorsqu'elle était restée à Netherfield, elle avait pris plaisir à s'opposer à Mr Darcy à chaque fois que la conversation le permettait.
Peut-être pourrait-elle s'excuser auprès du jeune homme pour son impertinence. A peine eût-elle envisagé cette résolution qu'elle l'écarta. Elle s'était trompée au sujet de Wickham et de Bingley, mais cela n'absolvait pas Darcy de son arrogance. Elle pourrait, en revanche, remercier Mr Darcy pour l'avoir avertie au sujet du caractère de Mr Wickham — et passerait sous silence le fait qu'elle ne l'avait pas cru avant d'avoir assisté à la rencontre de ce matin. Clairement, quelle que fût la vérité au sujet de la cure, c'était Mr Wickham qui avait fort mal traité les Darcy récemment, et non l'inverse.
Mr Darcy marchait d'un bon pas, et le trio arriva rapidement à Longbourn. Un valet d'écurie vient prendre les chevaux, et Elizabeth et les deux cousins entrèrent dans la maison. Le calme régnait, et Elizabeth demanda où se trouvait sa famille. Son père était dans son bureau, deux de ses soeurs dans la salle de musique — on pouvait en effet entendre Mary jouer. Mrs Bennet et ses benjamines étaient parties pour Meryton, quant à Mr Collins, il était à Lucas Lodge où il avait été invité par Charlotte Lucas.
Le fait d'avoir reposé sa cheville avait fait du bien à Elizabeth, qui était maintenant capable de marcher seule, quoiqu'avec précaution. Elle décida de monter trouver son père dans son bureau. Lorsqu'elle frappa à la porte, cependant, il lui ordonna d'une voix irritable de le laisser en paix car il avait déjà été témoin de suffisamment d'agitation. Voyant la mine déconfite d'Elizabeth, le vicomte lui assura qu'il n'était pas nécessaire que Mr Bennet fût immédiatement informé de la situation. Expliquant qu'il désirait s'entretenir avec son cousin au sujet de la trahison de leurs proches, du colonel Fitzwilliam en particulier, il lui demanda s'il y avait une pièce dans laquelle ils pourraient se tenir sans être dérangés. Elizabeth leur montra la salle à manger et, préférant la solitude à la compagnie de ses soeurs, iniqua qu'elle se tiendrait dans le salon adjacent. Après que Mrs Hill leur eut apporté du thé, les cousins commencèrent à réfléchir à leur stratégie.
Pendant ce temps, Elizabeth avait repris son ouvrage. Elle était en train de broder un mouchoir lorsqu'un remue-ménage se fit entendre depuis l'entrée. Mrs Bennet et ses filles étaient rentrées; Kitty et Lydia gloussaient, comme elles le faisaient lorsqu'elles avaient eu connaissance de commérages particulièrement croustillants, mais Elizabeth était surprise de ne pas entendre leur mère se joindre à elles.
« Nous sommes déshonorés ! Mr Bennet, vous devez les obliger à se marier ! »
Elizabeth fit la grimace. Elle avait espéré que sa mère aurait abandonné son projet de la voir mariée à Mr Collins. Sur ces entrefaites, ses soeurs entrèrent dans le salon.
« Oh, vous voilà enfin ! dit Lydia qui ne tenait pas en place.
— Wickham a vendu sa commission et quitté Meryton en toute hâte. Quel dommage ! » dit Kitty avec un soupir à fendre l'âme.
Elizabeth pinça les lèvres. Voilà qui n'a rien de surprenant.
« Et vous nous avez fait des cachotteries !
— De quoi parlez-vous ?
— De ce dont tout le monde parle en ville, vos rendez-vous avec Mr Darcy dans les bois ! »
Elizabeth pâlit. Il y avait fort à parier que c'était là un cadeau d'adieu de Wickham.
