Tout est tranquille dans le quartier de Gōtokuji. Les rumeurs de la vie quotidienne résonnent légèrement dans les rues irrégulières de maisons étroitement serrées. Le soleil descend lentement à la rencontre de l'horizon, enflammant les toits d'éclats orangés. Bien que l'endroit soit densément peuplé, à cette heure il n'y a pas un chat.

Soudain la quiétude de l'endroit est troublée une porte s'ouvrant sur la rue. Elle appartient à une petite maison aux façades claires, les fenêtres encadrées de volets de bois, et séparée de la rue par une petite terrasse rectangulaire, parsemée de fleurs et surmonté par un petit préau à moitié transparent.

Par la porte sort une jeune femme habillée d'un manteau rouge. La couleur de ses cheveux sort de l'ordinaire : une sorte de brun tirant sur le rouge. Dans la lumière brûlante du soleil, ces mêmes cheveux, longs et ondulés lui tombant sur les épaules, semblent se mêler à sa veste. Ses yeux marrons restent discrets dans cette silhouette chatoyante.

Passant le pas de la porte, le sourire au lèvre, elle se retourne pour faire face aux deux personnes derrière elle.

Un homme, de forte stature, aux cheveux courts grisonnants, en chemise retroussée au dessus des coudes et affublé de fines lunettes carrées à monture cuivrée et une femme de plus petite taille, plus chétive, ses cheveux bruns clairs rassemblés en chignon et piquetés de quelques mèches blanches, et portant un pull laineux beige. Tout deux arborent une mine radieuse, leur accordant un air plus jeune que ne le laisserait penser leu cinquantaine.

La jeune femme les happe dans une grande accolade et les embrasse chaleureusement.

- Portez-vous bien ! Je repasserais d'ici un mois quand mon travail me le permettra …

La femme qui lui fait face lui réplique alors sur un ton léger.

- Et si, pour changer, c'est nous qui venions te rendre visite ?

Un sourire en coin se dessina sur le visage de la jeune fille.

- Je n'arriverais pas à te faire changer d'avis, n'est-ce-pas ?

- Non. Jamais ! Il est temps pour toi de montrer à ta mère comment tu cuisines.

Son ton faussement autoritaire trahit son amusement. Sa fille joue le jeu en prenant un air sérieux.

- Très bien. Ce sera un catastrophe : mais tu l'auras cherchée !

À ces mots, son père éclate d'un rire spontané. Entre deux hoquets, il réussit

- J'ai bien peur que notre fille tienne plus de moi dans ce domaine.

Visiblement outrée, sa femme se retourne contre lui et lui assène une pluie de petits coups sur le bras, qu' il ignore superbement avec un sourire espiègle.

- Ne lui donne pas d'excuse ! Sinon elle deviendra aussi bonne à rien que toi …

La pique semble faire mouche : Elle cesse son petit martèlement et croise les bras tout en contemplant fièrement la mimique déconfite de son mari.

Mimique qu'il abandonne trois seconde plus tard lorsqu'elle vient se blottir contre lui.

De son côté, leur fille, la larme à l'œil d'avoir tant rit, se reprend.

- Tu as gagné : je essayer de ne pas te décevoir … Mais prévenez-moi avant de venir !

Son père lui répond avec affection :

- Ne t'inquiètes pas, on y pensera.

Tournant les talons, elle passe le portique donnant sur la rue en leur adressant un dernier signe de la main, avant d'entamer sa marche dans les rues de Setagaya.

Somme toute une journée parfaite à Tokyo.

Mais le soleil n'est pas encore couché …