C'était inévitable. Malgré ce qu'ils laissaient paraître, lui, l'avait senti depuis bien longtemps. Oh, comme il aimerait revenir des années auparavant, quand il n'avait pas à se soucier de tout cela. Il n'avait pas à se soucier de sa différence, de cette chose qui s'insinuait en lui, de plus en plus chaque jour. Dès qu'elle s'était manifestée, il s'était tourné vers eux, désireux de la contrôler, ou de l'éradiquer, et ils s'étaient montrés bienveillants… du moins, en apparence.

Il avait lu au fond de leurs yeux, il y avait vu le dégoût, la haine, et un peu de crainte aussi.

Lui, qui se sentait effrayé par cette puissance, n'avait plus rien à se raccrocher, rien pour l'aider à ne pas perdre pieds, rien pour l'éclairer.

Seul.

Ce mot était celui qui le décrivait le mieux Keith à ce moment. La porte de bois de la maison qui, quelques minutes plus tôt, était la sienne, s'était refermée violemment dans son dos. Les passants lui lançaient des regards curieux, et c'était compréhensible : aucun être humain normalement constitué ne resterait debout, sous la pluie, à peine plus couvert que lors d'une belle journée de printemps. De plus, son physique ne l'aidait pas beaucoup à passer inaperçu, et avait d'ailleurs du les convaincre qu'il n'était pas normal. Un jeune homme aux cheveux blancs et au corps couverts de tatouages bleus, ce n'est pas discret.

Quelques mois plus tôt, alors qu'il aidait ses parents dans leur scierie, une chose étrange se produisit. Son père, comme à son habitude, insatisfait de son travail, le lui fit savoir par une remarque cinglante, à laquelle Keith réagit très mal. Il s'apprêtait à se défendre lorsqu'une bourrasque sortie de nulle part poussa son paternel contre le tas de bûches, le faisant tomber. Keith ne s'était pas excusé, ne sachant même pas qu'il était à l'origine de cet incident, mais plus les jours passaient, plus il réalisait qu'il était celui qui provoquait tout cela. Il avait évidemment demandé conseil à ses parents, qui, bien que trop exigeants, étaient les seules personnes à qui il pouvait se confier. Mais il se trouve que lui, être mystérieusement habité par la magie, avait été engendré par des personnes réticentes à cette dernières, qui la détestaient…

C'est pourquoi il se trouvait là, seul, tremblant presque sous la pluie froide s'abattant sur ses bras nus. Les maigres affaires qu'il possédait étaient rassemblées dans un petit sac de toile à ses pieds. Il savait qu'il ne devait pas rester devant cette porte si il tenait à sa vie, mais il savait également que personne ne voudrait lui offrir un toit pour la nuit avec sa tête et sa tenue. Il s'engagea donc vers la sortie de son village, espérant trouver une âme généreuse sur la route, et si personne ne l'aidait, alors il se débrouillerait, ou mourrait.