L'anniversaire.

Le jour s'est levé sur le monde de Weyard depuis plusieurs heures déjà. Alors que les différentes populations qui peuplent cet univers se réveillent les unes après les autres, deux êtres marchent en pleine campagne, chacun portant sur son dos, un sac. Depuis le début de leur périple pédestre, le duo n'a croisé aucune âme qui vive et ils ne peuvent dire si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Dans leur passé commun, il arrivait parfois que la moindre rencontre ne fût guère synonyme d'événement positif. Même s'ils n'en donnent pas l'impression, Ivan et Sofia sont deux redoutables guerriers et ils savent très bien se défendre.

« Nous en sommes encore loin ? » Se plaint la jeune femme.

En guise de réponse, Ivan s'arrête un instant et plonge sa main droite à l'intérieur de sa veste grise. Peu après, l'homme en tire un document soigneusement plié et lorsque son contenu se révèle sous sa bonne volonté, une carte de la région se dévoile.

« D'après mes calculs, on devrait en avoir pour une dernière petite heure.

- Tu plaisantes ? C'est ce que tu m'as dit il y a de cela quelques minutes.

- Vraiment ?

- Oui. »

Ne voulant pas que cette promenade tourne à une quelconque dispute inutile, Sofia prononce une phrase mais dans son esprit. Toutefois, elle a oublié que celui qui marche devant elle a la faculté de lire dans ces derniers et forcément…

« Non nous ne sommes pas perdus. C'est juste que c'est la première fois que je me rends dans le village de Garet et Vlad.

- Tout comme moi. »

Et dire qu'ils font tout ça pour être sûrs de ne pas arriver en retard pour l'anniversaire de Vlad. Ils ont reçu l'invitation il y a de cela une semaine et les deux protagonistes se sont croisés à un carrefour. Heureux de s'être retrouvés après plusieurs mois de séparations, Ivan et Sofia ont jugé prudent de poursuivre la route ensemble. Cependant, ils ne sont pas très doués en ce qui concerne l'orientation et l'absence de cette qualité ne tarde pas à leur peser.

« Si j'avais su, j'aurais sollicité les services d'un cocher, poursuit Sofia.

- Et dire qu'auparavant, tu étais une sacrée marcheuse. Faut croire que le repos t'a beaucoup changé ma chère et j'ai hâte d'entendre nos deux compagnons à ce sujet.

- Tu ne vas pas leur dire ?

- Si car je n'avais pas d'autres sujets à évoquer à leur présence. De plus, quelque chose me dit qu'on devrait bien rigoler.

- Tu es un être cruel Ivan, tu le sais ça ?

- Maintenant, oui. »

Même si ses pieds commencent à lui faire mal, Sofia est très heureuse de faire ce bout de chemin avec son compagnon d'antan. Depuis que leur combat contre les forces maléfiques s'est terminé, le calme dans lequel elle s'épanouissait dernièrement l'ennuyait beaucoup. Combien de fois a-t-elle rêvé de parcourir à nouveau le monde en compagnie de Vlad, Garet et Ivan ? Bien sûr, les monstres n'étaient pas invités dans ses rêveries et pourtant, elle était prête à tout pour revenir à cette époque afin d'avoir le sentiment de vivre son existence à cent pour cent. Soudain, le télépathe s'immobilise une nouvelle fois et regarde droit devant lui.

Face à cette attitude, Sofia ralentit le pas et s'interroge.

« Que se passe-t-il Ivan ?

- Est-ce moi ou c'est un monstre que je vois là-bas ? »

Intriguée à son tour par la communication de cette information, Sofia concentre son regard dans la direction fixée par son ami de longue date et se rend compte que celui-ci a parfaitement raison. Toutefois, les caractéristiques du monstre sont particulières et la jeune femme ne se prive pas pour faire connaître son ami.

« Voilà ce que je nomme une bien étrange créature. Est-ce moi ou elle ressemble à un verre brisé ?

- C'est exact et j'opterais pour la contourner sans trop attirer son attention.

- C'est la plus sage des solutions. J'espère qu'elle ne va pas sentir nos puissances magiques car sinon, j'aurais des raisons de craindre le pire.

- Nous sommes deux Sofia et nous savons nous défendre. Si ce monstre nous cherche des crosses, nous saurons nous défendre. »

Et c'est vrai. Combien de créatures ont-ils su mettre en déroute à l'aide de leur don ? Bien sûr, le duo était aidé par les djinns et ces derniers sont partis faire leur vie depuis que les forces maléfiques ont été réduit au silence mais même sans leur concours, Ivan et Sofia savent encore se montrer redoutables. Toutefois, pour ne pas s'éloigner de la route qui doit les conduire au village de Vlad et de Garet, les deux compères veillent à respecter leur idée et s'éloignent du monstre de plusieurs mètres. Une fois la bestiole loin derrière eux, les compagnons de route se sentent un peu plus soulagés et espèrent arriver à bon port très prochainement.

Afin de briser la monotonie de ce voyage, Sofia retire son sac et l'ouvre une fois que celui-ci repose contre sa poitrine, sous ses yeux. Elle en sort un livre et dès que le bouquin échoue dans l'une de ses mains, la femme replace son sac l'a où elle l'avait pris.

« C'est un livre qui traite de quoi ? Se montre curieux Ivan.

- Du domaine artistique. Depuis peu, je nourris une passion pour l'art et je souhaite en savoir un peu plus chaque jour. »

Cela fait longtemps que l'homme du petit groupe ne s'est pas non plus penché sur le sujet et pourtant, l'art, c'était toute sa vie. Quand Sofia ouvre le livre et semble passionnée par un article, l'homme continue de se montrer intéressé.

« Tu es vraiment devenue une grande passionnée, fait-il remarquer.

- Si tu savais. Là, je suis en train de lire un article sur un très grand artiste qui se nomme Hayao Miyazaki. Celui-ci se plaît à faire mouvoir des séries de dessins pour en faire des films.

- Des films ? Qu'est-ce que c'est ?

- Comment te dire ça ? »

Tout en marchant, Sofia plonge dans ses réflexions afin de donner une réponse correcte et précise à son ami. Néanmoins, comme elle n'a jamais eu l'occasion de voir un film de ses propres yeux, elle ne sait de quelle façon répondre.

« En fait, je ne sais pas. »

Après avoir entendu cette phrase à laquelle il ne s'y attendait pas du tout, Ivan tombe à la renverse mais se relève très vite. Une chose est sûre : Sofia sait vendre ce qui la passionne mais manque encore de pratique, surtout lorsque le sujet qu'elle évoque lui est encore parfaitement inconnu.

« En tout cas, je sais que regarder un film relève de l'enchantement, poursuit-elle.

- Comme ça ? Demande Ivan tout en se donnant un air normal suite à sa chute.

- J'ai lu de nombreux commentaires dans des magazines au sujet de ses films et chaque personne qui ressort d'une projection semble être heureuse. J'espère que j'aurais la chance d'assister à l'une de ses séances afin de pouvoir partager la même impression.

- Et c'est tout le mal que je te souhaite. »

Au bout de quelques minutes de marche, Sofia range soigneusement sa lecture dans son sac à dos et pousse un soupir d'exaspération.

« Nous en sommes encore loin ?

- Tu le fais exprès ou quoi ? Si tu étais observatrice un minimum, tu pourrais constater que nous sommes presque arrivés. »

Suite à cette remarque qui aurait pu paraître blessante si Sofia ne reconnaissait pas sa mauvaise foi, la voilà qui regarde droit devant elle à cet instant, un ensemble de maisons apparaît dans son champ de vision.

« Ne me dis pas que c'est …

- Si. »

Même si elle se plaisait à dire qu'elle était épuisée par cette longue marche, Sofia fait soudainement preuve de ressources insoupçonnées. Ni une ni deux, la femme attrape les pans de sa robe bleutée pour être sûre que cette dernière ne la gêne pas et la voilà en train de piquer un sprint afin de regagner le village. Naturellement, pendant sa course, l'héroïne ne s'occupe pas d'Ivan qui préfère poursuivre son avancée d'un pas plus calme.

« On pourra dire ce que l'on voudra mais elle a beaucoup changé. » Dit-il en souriant.

Et il n'a pas tort. Il y a quelques années de cela, Sofia était une femme posée et très patiente. Même lorsqu'elle était confrontée face à une créature diabolique, elle faisait toujours preuve d'un calme olympien. Il faut croire désormais que cette qualité ne lui appartient plus mais il se pourrait aussi que l'idée de ces retrouvailles joue énormément sur son tempérament. Alors que Ivan poursuit sa route en solitaire, Sofia est déjà arrivée au village en question.

Néanmoins, suite à son effort, elle ressent le besoin de s'accorder quelques secondes pour retrouver son souffle et c'est à ce moment que Garet et Vlad montrent leur minois. Lorsque les deux hommes aperçoivent l'ancienne combattante, l'un d'entre eux s'interroge.

« C'est Sofia ? S'étonne Vlad.

- Ouais et il serait bien que tu rentres à la maison le temps que j'aille discuter avec elle. »

Vlad aimerait s'exécuter mais cela fait tellement longtemps qu'il n'a pas vu Sofia qu'il demeure interdit et immobile le cours de quelques secondes. Voyant son incapacité soudaine à la réaction, Garet décide de se montrer brutal.

« Bon, tu te bouges le cul ou je dois m'en charger moi-même ? »

Rapidement, Vlad retrouve ses esprits et décide de se montrer docile, à contrecœur. Si cela se trouve, si Sofia est arrivée au village, c'est sûrement à cause de son anniversaire et si c'est la raison, l'homme sait de suite à quel point le bonheur qu'il s'apprête à ressentir sera grand. Tout en s'éloignant de son amoureux afin de regagner leur demeure, Vlad ne peut s'empêcher de regarder une dernière fois en direction de Sofia et l'apercevoir suffit à le mettre de meilleure humeur. De son côté, Garet va à la rencontre de la demoiselle et se fait une joie de l'accueillir avec un magnifique sourire sur ses lèvres.

« Sofia, comme je suis heureux de te revoir après toutes ces années.

- Et moi donc Garet. »

Aussitôt, l'homme et la femme se prennent dans les bras l'un de l'autre et ce rapprochement affectif se veut véritablement sincère. Après cette accolade, ils se libèrent et se regardent plusieurs secondes.

« Tu n'as pas beaucoup changé, lui dit la manipulatrice de l'eau.

- Toi non plus. »

Après cette si longue séparation, les deux amis ressentent encore le besoin de se serrer fort dans les bras et ne se privent pas pour le faire. C'est à ce moment précis que le télépathe arrive et devant ce spectacle, il y va de son petit commentaire.

« Quand je pense que j'ai fait un bout de chemin avec elle et qu'elle n'a pas daigné me faire un câlin alors qu'avec toi, elle se montre soudainement bien généreuse. Faites des gamins devant tout le monde pendant que vous y êtes ! »

Levant les yeux en direction de l'entrée du village, Garet remarque la présence d'Ivan et apercevoir le plus jeune élément de leur bande le bouleverse beaucoup. Ce n'est plus un adolescent qui se tient devant lui mais un homme accompli. Très vite, le petit ami de Vlad abandonne Sofia au profit d'Ivan et une fois à quelques centimètres de ce dernier, il ne peut éviter de le serrer tout contre lui.

« Pas si fort, tu m'étouffes ! Crie-t-il.

- Faudrait savoir ! Se mêle Sofia qui regarde les deux hommes se câliner. Tu te plains qu'on ne te fait pas de câlin et lorsque l'on t'en fait un, tu te plains encore. Tu vas finir par devenir un Français, fais gaffe.

- Un français ? C'est quoi cette …, Ivan ne se donne même pas la peine de terminer sa phrase qu'une autre possibilité lui traverse l'esprit. Attends ! Ne me dis pas que tu sors encore ce mot de tes magazines ?

- Ben si, tu crois qu'ils me viennent d'où sinon ? »

Ivan reconnaît bien volontiers que son amie est devenue beaucoup plus intelligente depuis qu'il risque son regard au sein de ces bouquins. A la base, c'est une femme très futée mais là, son quotient intellectuel a dû gagner quelques points supplémentaires grâce à ces étranges lectures.

« Au fait, se lance la guerrière de l'eau, Vlad est au courant de notre venue ?

- Non mais il t'a aperçu lorsque tu es arrivée, lui répond Garet. Maintenant, je dois trouver quelque chose car forcément, tu te doutes bien qu'il mourrait d'envie de discuter un peu avec vous, depuis le temps qu'on ne s'est pas vu. »

Et pour l'heure, Garet ne sait pas quoi sortir comme excuse bidon à son homme afin d'endormir sa vigilance. Ce dernier n'ignore pas que son anniversaire va avoir lieu dans quelques minutes mais maintenant qu'il a vu Sofia dans le village il y a de cela quelques minutes, la surprise est à moitié loupée. Du coup, l'homme va devoir trouver une idée mais il ignore laquelle. C'est aussi pour cette raison qu'il expose son souci aux deux personnes qui sont présentes.

« Je voulais que votre venue soit un cadeau d'anniversaire pour Vlad mais j'ai bien peur que l'effet ne soit plus là. Comment vais-je faire pour lui faire croire que Sofia était une vision et non une personne bel et bien réelle ?

Au même moment, un vieillard du village passe près du groupe et poursuit son chemin comme si de rien n'était. Même si ses cheveux gris sont cachés sous un petit chapeau de paille, ses pensées ne sont pas pour autant protégées et les voilà qui sont repérées par le télépathe du trio.

« Tu connais « l'herbe innocente » ? Demande-t-il.

Entendant ses pensées ainsi révélées, le vieillard s'immobilise et se permet de regarder Ivan quelques secondes. Remarquant que cet homme n'est pas originaire de la petite bourgade, il ne tarde pas à se questionner sur ses origines. Soudain, l'ancêtre s'affole et prend ses jambes à toute allure afin de rentrer chez lui afin de se mettre à l'abri en cas si Ivan était un sorcier. Après tout, un humain qui lit dans les pensées des gens n'est pas vraiment un être normal et c'est ce que craint le vieil habitant.

« Oui. C'est une plante qu'on peut trouver un peu partout dans le village mais pourquoi m'en parles-tu ? Poursuit Garet.

- Le vieil homme qui est passé près de nous il y a de cela un instant était en train d'y penser. Je le soupçonne d'avoir écouté notre conversation mais il n'a pas osé s'en mêler de peur de passer pour une personne malpolie.

- Je vois. »

Garet ne dit plus rien et porte sa main droite sous son menton afin de le soutenir pendant sa réflexion.

« Je me souviens que c'est une plante totalement innocente qui est souvent utilisée pour jouer des tours à quelqu'un. Si je me pointe chez nous avec une petite quantité sur moi, je pourrais faire croire à Vlad qu'il souffre d'un mal quelconque, d'où ses visions.

- C'est un peu cruel de lui faire ça, se mêle Sofia.

- Certes mais tu veux que je fasse quoi d'autres ?

- On peut très bien aller le trouver tous ensemble et passer le restant de la journée en sa compagnie. On est ici pour lui et il a le droit de savoir la vérité. »

Et Ivan est tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit. Posant son bras le long de son cours, Garet n'a pas d'autres choix que de capituler.

« Bien mais que vais-je bien pouvoir lui faire comme cadeau maintenant ? »

Aussitôt, Sofia retire son sac qui reposait toujours sur son dos et l'ouvre une fois que la besace se trouve contre sa poitrine. Ensuite, elle plonge sa main à l'intérieur et sort un présent soigneusement recouvert d'un papier cadeau vert plutôt brillant.

« Tiens ! Lui dit-elle.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Je suis venue avec plusieurs présents du fait que cela faisait un petit moment qu'on ne s'était pas vu. Du coup, je peux bien te confier le plus rare et le plus cher d'entre eux et te demander de le faire passer pour ton cadeau.

- Tu n'y penses pas ? »

D'une extrême bonté, Sofia hoche positivement de la tête en guise de réponse. Comprenant qu'elle ne cédera pas face à cette situation, Garet décide d'accepter le présent mais souhaite savoir de quoi il retourne.

« Par contre, si tu veux que je lui fasse l'honneur de ce cadeau, il faudrait que je sache sa nature si jamais il me pose la question.

- C'est une plaque de pierre qui a été trouvé dans mon village il y a de cela quelques mois. La légende raconte qu'elle a un lien avec les djinns mais même si j'ai été en contact avec plusieurs d'entre eux il y a de cela quelques années, je n'ai jamais su les faire revenir avec l'aide de cette effigie. Peut-être que Vlad saura la faire fonctionner correctement. »

Garet ne préfère ne rien dire à ce sujet mais si Sofia n'a pas su le faire marcher à la perfection, il doute que son petit ami en soit capable également.

« Je te devrais une dette Sofia.

- Laisse tomber. Si je me suis permise d'agir de cette manière, ce n'est pas pour attendre un retour de ta part et je pensais que tu avais compris que j'étais au-dessus de ça. »

Réalisant qu'il pourrait la blesser bien malgré lui, Garet décide que c'est le moment pour lui de conduire ses amis auprès de Vlad. Ne voulant perdre la moindre minute, il demande à Sofia et à Ivan de le suivre jusqu'à sa résidence et c'est à l'intérieur de cette dernière que l'homme qui partage sa vie sentimentale fait preuve d'une certaine patience.