Sanji retint un grognement excédé. Et encore, s'il le retint, ce fut par pure considération pour les deux magnifiques demoiselles devant lui, qui ne méritaient pas sa mauvaise humeur. Surtout si ladite humeur était causée par un certain épéiste.
Non, il était venu leur apporter des rafraichissements pour les aider à supporter la chaleur ardente qui les accablait depuis le début de la journée, pendant que ces deux beautés se prélassaient sur des chaises longues qu'il espérait assez confortables pour leurs corps délicats. Il n'était certainement pas venu pour leur imposer un de ces innombrables coup de sang qui le saisissait dès qu'il était question de Zoro. Il voulait bien admettre qu'il réagissait souvent de manière excessive à sa vue, mais ce n'était pas sa faute. Il était tellement agaçant !
Rien qu'à cet instant, torse nu sur le pont, il s'entrainait à soulever de la fonte pour entretenir sa musculature. Bien entendu, il suait sang et eau, tout entier focalisé sur sa tâche, ne se souciant guère de ce qui l'entourait. Bon sang, était-il vraiment obligé de s'exhiber ainsi ? Pensait-il seulement à la délicatesse des deux jeunes femme à bord, qu'il heurtait probablement avec ses manières de rustre ? Même de là où il se trouvait, Sanji pouvait voir la sueur qui dégoulinait sur le corps couturé de cicatrices du sabreur, et il pesta intérieurement en imaginant l'odeur infâme qui devait se progager autour de lui à cet instant même.
Sans quitter l'objet de son dégoût des yeux, il fronça les sourcils. Il osait espérer que cette maudite tête de gazon aurait au moins la décence d'aller se laver après ces efforts : Hors de question qu'il trouble le repas de ses chères Nami et Robin en empestant la salle à manger ! S'il le fallait, lui, Sanji, le chevalier de ces dames, n'hésiterai pas à le mettre à la porte à coups de pied !
- Sanji-kun !
La douce voix autoritaire de sa chère Nami, en l'interpellant, le ramena sur Terre.
- Oui, Nami-swaaaaan ? J'exaucerai le moindre de tes désirs !
Sans faire cas de sa déclaration, elle lui déclara d'une voix très ferme :
- Sanji-kun, j'apprécierai que toi et Zoro évitiez d'entamer un énième combat alors, s'il te plait, retourne dans la cuisine.
Un instant, il resta bouche bée, avant de se rendre compte qu'il avait effectivement fixé l'épéiste avec agressivité, même s'il n'avait eu aucune intention de le provoquer.
"Cette fois, peut-être" murmura une voix insidieuse au fond de son crâne.
En effet, il ne pouvait s'en vouloir qu'à lui-même si tout le monde s'imaginait qu'ils allaient se battre chaque fois qu'ils se voyaient... Après tout, combien de fois s'étaient-ils jetés à la gorge de l'autre, pour une futilité ?
Penaud, Sanji acquiesca et regagna sa cuisine, se promettant de confectionner un fabuleux dessert à ses déesses pour le repas, afin de se faire pardonner. Mais après tout, c'était aussi la faute de ce foutu sabreur ! Maussade, Sanji se mit à la vaisselle. Qu'est-ce qu'il y pouvait, lui, s'il ne supportait pas cet épeiste arrogant, sauvage, stupide et paresseux ? Il ne faisait que s'entraîner à longueur de temps, ou se battre, ou dormir. Et même quand il avait pioncé toute la journée, il trouvait encore le moyen de ronfler la nuit. Et bruyamment en plus !
Comme si cela ne suffisait pas, il avait également un sens de l'orientation épouvantable, obligeant tout le monde à garder un oeil sur lui à chaque descente à terre pour éviter qu'il ne s'égare définitivement. Un véritable emmerdeur. Cet abruti était probablement capable de se perdre sur le Sunny !
Stoppant un instant sa friction sur l'assiette qu'il avait en main, Sanji se demanda si c'était déjà arrivé. Il en doutait. Même si c'était le cas, on ne lui aurait de toute façon probablement rien dit, pour éviter un nouveau conflit. Et puis quand même, même Zoro n'était pas une cause aussi désespérée ! N'empêche que sa curiosité était piquée, il se posait la question... Les yeux dans le vague, il rumina un instant, pesant les probabilités, avant de se reprendre. Après tout, les déboires de ce type ne l'intéressait pas. Il rinça l'assiette qu'il tenait, saisit un verre et se remit au travail, jetant un oeil sur le pont à travers la lucarne de la cuisine pour s'assurer que ses trésors ne manquaient de rien.
A cet instant, il vit Zoro lancer à la navigatrice une réplique qu'il n'entendis pas mais qu'il devina cinglante, à la frontière du mépris. Il eut envie de sortir le frapper, pour lui apprendre à respecter les dames, et seule la remontrance encore fraiche de Nami le retint. Grand bien lui en prit, car Zoro avait apparemment réussi à énerver les deux femmes, se les mettant à dos. Elles ne le loupèrent pas : Robin le maintint immobile avec ses bras fins sortis de nulle part, tandis que Nami lui assénait sur le crâne un des ces coups féroces dont elle avait le secret.
Réprimant un soupir, Sanji se dit qu'à la longue liste des défauts de l'épéiste, on pouvait rajouter ses manières hautaines, à la limite du machisme. Heureusement que les femmes de ce bâteau étaient fortes ! Ce n'était certainement pas le genre à laisser un homme les rabaisser, ni l'une ni l'autre. Mais malgré leur caractère en acier trempé, Sanji estimait qu'elles méritaient plus de douceur que ce que cet équipage de brutes leur offrait... Heureusement qu'il était là, lui !
Sanji se détourna, un sourire aux lèvres, entendant presque les plaintes et reproches de la "victime". Stupide Zoro... Efficace comme deux dans un combat, il manquait en revanche cruellement de subtilité, de finesse, et ses connaissance en matière de comportement féminin frôlaient le néant absolu.
Sanji se figea brusquement, stupéfait par ses propres pensées : Venait-il de reconnaître la valeur du sabreur au combat ? Grommelant dans son bouc, il dut bien admettre que oui, et qu'au fond il le pensait sincèrement. Il ne pouvait nier qu'il était utile et, oui, efficace, même si ce mot avait du mal à sortir. Zoro vivait pour le combat et excellait dans sa pratique. Combien de fois avait-il tiré l'équipage d'un mauvais pas ? Combien de fois avait-il, par sa volonté hors du commun, sidéré tant ses ennemi que ses camarades ? Rien que face à Kuma, il l'avait abasourdi : N'importe qui aurait succombé face à une telle douleur !
Fort heureusement pour sa fierté, lui, Sanji, n'avait pas encore eu besoin de dépendre de ses talents, mais qui sait si cela n'arriverai pas un jour ? Et si un tel jour devait arriver, il savait que, malgré leur antipathie mutuelle, Zoro n'hésiterai pas une seconde à l'aider, quitte à se mettre en danger.
Zoro était devenu fort pour protéger son entourage, atteindre son but et, derrière son attitude bourrue, tout en lui le clamait. Il se donnait à fond pour son objectif et, dans l'esprit de Sanji, passait donc à côté de vérités essentielles, comme l'amour des femmes, et le respect qu'on devait à leur beauté.
Alors oui, Zoro était paresseux, ignorant, indélicat, stupide et inexplicablement insensible aux charmes de la gente féminine, en un mot, insupportable, mais s'il était honnête, Sanji devait bien avouer qu'il était également loyal et intègre, un homme sur qui on pouvait compter en cas de besoin. Ils ne seraient sans doute jamais amis, trop différent pour l'être, mais au fond, au delà de l'agacement profond qu'il ressentait envers cet épéiste aux cheveux verts, sans doute y avait-il quelque chose qu'il n'admettrai jamais devant quiconque. Un sentiment qu'il avait déjà du mal à s'avouer à lui-même et qui pourtant était bien là, et grandissait à chaque épreuve traversée : du respect.
Et peut-être une minuscule, vraiment infime, touche d'admiration.
