Seconde mort
Ce fut très rapide.
Le chevalier de la mort fut maîtrisé trop rapidement pour le laisser réagir. Il fallut quatre paladins solides pour l'empêcher de se dégager pendant que le démoniste enchaînait les malédictions, l'empêchant de jeter ses propres sorts.
Il avait été trouvé en train de massacrer des réfugiés, cachés dans une ruine de la ville, quand la troupe de paladins était intervenue. Le combat fut bref, la créature rapidement entravée, sa capuche retirée et une corde passée autour de son cou.
Le chef des paladins fit une brève oraison funèbre pour ses victimes puis souhaita à l'horrible créature le repos éternel de son âme et fit signe à ses hommes de tirer la corde.
Le mort-vivant n'eut que le temps de pousser un juron en thalassien avant que le lien ne se tende.
Le paladin attendit quelques minutes, observant l'être ignoble se tordre au bout de sa corde. Puis, quand son corps se fut entièrement détendu, il baissa la main.
Ses hommes lâchèrent la corde, laissant le cadavre retomber sur le sol meuble.
Avec une dernière prière à la lumière, leur chef ferma les yeux de la pauvre créature puis se redressa avec un regard navré. Qu'avait été l'elfe avant de devenir un des chiens du Roi Liche? Depuis que les chevaliers de la mort étaient apparus, des rumeurs horribles couraient sur eux, certains reconnaissant dans leurs traits des disparus, de nobles héros morts durant les combats précédents. La crémation devenait de plus en plus fréquente, réclamée par les mourants pour ne pas finir comme eux, pantins du roi maudit. Avec un dernier soupir sur ce gâchis, le paladin se releva et remit son casque, souhaitant de tout coeur que celui-ci ait enfin trouvé la paix.
Les paladins rassemblèrent les survivants, soignèrent les blessés et repartirent, déterminés à emmener leurs charges à l'abri.
Le cadavre du chevalier de la mort fut laissé dans la ruine ouverte aux vents.
Quelques minutes s'écoulèrent en silence.
Puis la main du chevalier noir bougea. Lentement d'abord, ses doigts frémissant. Un gémissement inarticulé lui échappa et ses mouvements se firent plus frénétiques alors qu'il tâtonnait sur le collier de corde serré autour de son cou. Il parvint à le desserrer, ses gestes rendus maladroits par les gants de mailles autour de ses mains. Il s'agenouilla, massant sa gorge meurtrie et jeta un regard perdu autour de lui.
Il n'y avait plus de voix dans sa tête.
Disparue la voix glacée et discordante du Roi Liche.
Il l'avait quitté quand la corde l'avait étouffé, quand il avait compris que l'elfe ne lui serait plus utile désormais.
Il n'y avait plus rien que les souvenirs des derniers jours, de quand il s'était levé, avait juré allégeance au Roi Liche, avait tué et torturé pour lui, avait...
Son regard tomba sur les cadavres d'humains alignés sur le sol et il eut soudain un haut-le-coeur.
Il avait tué pour le Roi Liche.
Lui qui avait tant combattu contre le Fléau, qui avait nettoyé Mortholme avec une détermination sauvage, aidé de son faucon-dra...
Son faucon-dragon.
Où était Zaram?
-Za... commença-t-il avant de se râcler la gorge.
Il porta la main à sa bouche et poussa un sifflement suraigu.
-Zaram! appela-t-il.
Où était-il? Il ne se promenait jamais loin de lui, même quand il trouvait une femelle ou dormait, lové sur lui-même, la tête sous une aile. Tout le monde le savait, dans leur unité c'était devenu une blague courante, qu'on ne voyait jamais Zaram sans son maître et inversement.
Aucun d'eux n'avait probablement été surpris que Zaram soit mort en protégeant le corps de Donovàn...
L'elfe se figea.
Donovàn était son nom.
Il avait été chasseur.
Il avait eu un faucon-dragon du nom de Zaram.
Et il était mort.
Un bruit de pas se fit entendre et l'elfe sursauta, cherchant instinctivement son arc.
Une silhouette en armure noire se détacha dans l'ouverture de la porte. Grande, dégingandée, des mains à trois doigts serrées sur la garde d'une épée scintillante de givre.
Le troll baissa la tête sur lui et détacha une main de son épée pour achever de retirer la corde du cou de l'elfe.
-Dépèch-ti Donovàn, marmonna le troll en se redressant, le Mét nou atann.
Il se releva puis se tourna, repassant la porte d'un pas raide, laissant l'elfe sur le sol.
Donovàn était mort en combattant le Roi Liche.
Et par ce qui restait du Puits de Soleil, il le ferait joyeusement une seconde fois, si cela pouvait débarrasser Azéroth de ce fléau.
Il n'était pas un voleur ni un assassin mais de l'intérieur, de là où il pouvait voir le Roi Liche de ses propres yeux, ce serait facile.
Il remit sa capuche, retenant un frémissement d'horreur à l'odeur du sang qui le couvrait.
Puis il se releva à son tour, reprit son épée abandonnée par les paladins et sortit de la ruine.
Le troll s'éloignait vers sa monture, un monstrueux cheval mort-vivant, assez grand pour pouvoir le supporter. Une autre monture, presque semblable bien que plus petite, attendait à ses côtés. Elle avait plusieurs flèches alliées dans le corps, qui semblaient l'agacer presque autant qu'une mouche.
Sa monture, se souvint Donovàn, sentant presque un pincement au coeur, semblable à ceux qu'il avait ressenti chaque fois que Zaram était blessé en combat. Il retira les flèches une à une et donna une petite tape sur l'encolure du cheval qui ne réagit pas, quelques gouttes de sang sombre perlant à peine à chaque blessure. Puis, imitant le troll, il l'enfourcha.
-Le Mét apel, murmura le troll de sa voix grave avant de tourner sa monture dans une direction.
Le troll avait un nom aussi.
Mok'ai.
Le troll se tourna en entendant l'elfe l'appeler.
-Allons-y, répondit Donovàn. Pour le Maître.
-Pou le Mét.
Il attendrait. Patient, dans l'ombre, de trouver le moment où il serait assez proche pour planter son épée dans le corps du Roi maudit.
Fin
Dico franco Mok'ai
Dépèch-ti Donovàn, le Mét nou atann.
Dépêche-toi Donovàn, le Maître nous attend.
Le Mét appel
Le Maître appelle
Pou le Mét.
Pour le Maître
