Auteur : Moi-même ici présente.
Titre : « Viscérale »
Disclamer : Aux dernières nouvelles, l'univers de DGM ainsi que ses persos sont toujours la propriété de Maître Hoshino.
Rating : M
Genre : Horreur et tragédie. Si vous n'aimez pas les histoires sombres qui finissent mal, partez en courant.
Note : Bon, que dire. Ça fait plusieurs jours que j'ai commencé cette fic et je m'éclate à l'écrire. Je voulais voir si j'arrivais à taper dans un univers un peu plus dark, à vous de me dire si mon pari est réussi ou non. Cependant je tiens à vous avertir, l'univers a beau rester fidèle à l'œuvre originale, les caractères de Lavi et Yû sont quand même différents. Donc si vous n'aimez pas l'OOC, la tragédie et le gore, je suis désolée mais vous risquez de ne pas accrocher. Pour ceux qui on quand même envie de tenter : Bonne lecture! Et n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez!
Chapitre I - "Dévoré vivant"
Lavi laissa lentement glisser son œil sur celui qui se trouvait quelques mètres devant lui. Sans rien laisser paraître, il le déshabillait du regard, le menton nonchalamment posé au creux de sa main, un léger rictus sur les lèvres. N'importe quelle personne extérieure qui l'aurait vu faire à ce moment là aurait pu croire qu'il était simplement perdu dans ses pensées, qu'il avait la tête ailleurs ou qu'il fixait un point au peu plus au loin devant lui sans vraiment faire attention. Mais au contraire, l'archiviste était on ne peut plus concentré. Il ne cessait de fixer sa proie, il la dévorait avec son œil émeraude. Sans un bruit, sans un geste, seulement quelques battements de cils, quelques mouvements d'œil infimes qui suivaient et glissaient sur les courbures du corps qui lui faisait dos à peine quelques tables plus loin.
Personne n'aurait pu imaginer une seconde ce qui se passait dans l'esprit tordu du roux à ce moment précis. Non, les gens passaient sans même faire attention à lui, sans même sentir l'horrible aura de prédateur affamé qu'il dégageait. Personne ne pouvait le percevoir, car Lavi était passé maître dans l'art de contenir ses véritables émotions et de taire ses véritables intentions. Il vivait continuellement avec ce masque d'adolescent enjoué, amical, rieur et quelque peu simplet ou maladroit par moments. Tout le monde tombait dans le panneau. Peu étaient ceux qui arrivaient encore à faire la différence entre le vrai et le faux, l'original et le masque. Et il faut dire qu'il devenait encore meilleur à ce petit « jeu » avec le temps. Meilleur que n'importe qui essayant encore de lire en lui comme dans un vulgaire livre.
Il n'y avait qu'une seule personne qui sentait cette présence sombre flottant autour de lui comme une fumée épaisse et étouffante. Une seule personne qui sentait ce regard posé sur son corps, qui se sentait mis à nu sous son œil dès qu'il le posait sur lui. À chaque fois, il se sentait comme dévoré vivant par une bête sauvage, féroce, et affamée, qui ouvrait son corps de ses crocs pour mieux déchirer ses boyaux et se repaître de sa chair. Et chaque jour, la peur lui tordait un peu plus le ventre. Chaque soir, il déglutissait avec un peu plus de difficulté. Chaque seconde qui passait, chaque minute, chaque heure était plus difficile et plus oppressante car chaque instant qui disparaissait engloutit par l'infernal sablier du temps le rapprochait inexorablement d'une voie sans issue, un piège qui se refermait lentement mais sûrement sur lui, qui le faisait se sentir à l'étroit dans son propre corps. Il aurait voulu fuir mais il n'avait nulle part où aller. Il aurait voulu demander de l'aide mais il était seul face au danger qui se tenait derrière lui et qui grandissait, se nourrissant de sa terreur. Il voulait hurler, mais aucun son ne sortait de sa gorge. Il était pétrifié. Mais il ne voulait pas courir, il ne voulait pas réveiller l'instinct de la bête, alors il marchait, avec lenteur, chaque pas étant toujours plus difficile, ses jambes tremblantes ne supportant plus de le porter, chaque jour il s'enfonçait encore un peu plus profond dans l'obscurité qui lui serait fatale.
Il le savait. Il le savait très bien. Il connaissait son destin. Il savait tout à fait comment il allait finir. Il voyait son propre corps dénué de vie étendu sur le sol chaque fois qu'il fermait les yeux. Mais il ne pouvait rien faire d'autre que subir, car il était sa seule victime. C'était lui, le sacrifice qu'il avait choisi, c'était lui le met final, et personne d'autre. Et il ne le lâcherai jamais tant qu'il ne se serait pas régalé de sa chair encore chaude, tant qu'il ne se serait pas encore délecté de son sang, de ses larmes, de ses spasmes de douleur et de ses cris d'agonie. Il était seul face à la bête qui allait lui prendre la vie. Et depuis quatre années, chaque jour devenait encore plus pénible à supporter. La tension devenait plus forte, plus pesante, lui faisant tourner la tête, l'obligeant de temps à autre à prendre appui sur un mur pour reprendre son souffle et calmer son cœur qui commençait à s'emballer de plus en plus souvent, de plus en plus vite, et toujours plus fort. Mais il n'en laissait rien paraître.
Et cette fois non plus, lorsqu'il sentit qu'il avait pris place non loin derrière lui pour recommencer son éternel petit manège quotidien, il ne s'était pas retourné. De l'extérieur, il n'avait pas sourcillé. Il avait juste arrêté de manger, ne pouvant plus rien avaler. Sa gorge s'était nouée. Il essayait juste de contrôler sa respiration, de ne pas se mettre à paniquer. Il s'était levé, lentement, comme si chacun de ses gestes qui se fut un peu trop brusque aurait pu être interprété comme un signal de passage à l'acte pour l'ennemi. Il s'était levé, donc, puis était parti, sans un mot, sans un geste de plus, les poings serrés pour empêcher les tremblements, essayant de ne pas accélérer le pas. C'était de plus en plus dur de contrôler son propre corps. Il voulait fuir, son instinct de survie lui hurlait de prendre ses jambes à son cou mais il ne pouvait tout simplement pas. Alors aujourd'hui encore, il quittait le réfectoire lentement et calmement, comme n'importe qui d'autre l'aurait fait une fois son repas terminé, sans se faire remarquer, et marcha jusqu'à la sortie, marcha en rassemblant ses forces jusqu'à ce qu'il ne sente plus ce regard perçant sur lui. Et une fois hors de toute vue, une fois seul, il prit appui sur un mur froid, hoqueta dans une grande inspiration, et essaya de calmer son cœur et ses jambes tremblantes, se laissant glisser sur le sol et sentant ses forces le quitter pour laisser place à l'angoisse. S'il le trouvait là, maintenant, si vulnérable, à peine capable de respirer et de se mouvoir, il n'en ferait qu'une bouchée. Il serait mort.
§
« Tiens, Kanda s'en est allé, remarqua Allen en levant la tête de son assiette. Lavi se tourna lentement vers lui.
-C'est vrai, on dirait qu'il n'a même pas fini son repas. Il regarda la place vide laissée par le japonais et son sourire s'étira un peu plus. Je me demande s'il y a quelque chose qui le tracasse. »
À cette annonce, l'anglais lui lança un petit regard inquiet. Malgré ses relations houleuses avec l'autre exorciste, il ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu concerné, il restait un coéquipier.
Ce midi-là, Lavi était assis aux cotés d'Allen, qui lui, se trouvait en face de Lenalee. Ils avaient l'habitude de déjeuner tous les trois, Yû ne se joignait jamais à eux. Ses deux amis se tenant continuellement face à face, l'archiviste avait toujours devant lui le champ libre pour observer le jeune homme solitaire.
« Tu crois qu'il a un problème? Relança le symbiotique alors que son ami avait de nouveau l'œil rivé sur la place vide laissée par l'autre quelques secondes plus tôt.
-Allen, Kanda a toujours un problème. Tu ne devrais pas t'en faire pour lui, lâcha Lenalee qui essayait tant bien que mal de retenir toute l'attention du garçon se trouvant en face d'elle.
-Peut-être, qui sait? Sourit Lavi en les regardant faire. Il trouvait ça marrant, quand même, que la pauvre adolescente gesticule devant lui jour et nuit et que ce benêt soit assez fort pour ne rien remarquer. Ou pour faire comme si, en tout cas. Tu devrais aller lui poser la question, Allen. »
A l'évocation de cette proposition, il sembla songeur.
« Il va m'envoyer bouler à coup de sabre. Tu sais comment il est, il déteste qu'on montre de l'inquiétude ou de la compassion pour lui...
-Mais oui, tu racontes n'importe quoi, Lavi, ne manqua pas de rétorquer la jeune fille en tournant les yeux vers lui. Tu sais très bien qu'Allen vas s'en prendre plein la tête. J'irais, moi.
-Heureusement que tu es là, Lenalee! Se moqua gentiment Lavi sans même que les deux autres ne s'en rendent compte. Puis à son tour, il se leva avec lenteur pour quitter la table, laissant ses amis en face à face. Tu me diras ce qu'il t'as répondu. »
Et c'est sur ces mots qu'il les abandonna, enfin, Allen du moins. La jeune fille, elle, semblait ravie de se retrouver seule avec lui pour un instant. Lavi pouvait d'ailleurs presque sentir le regard du maudit dans son dos. « Ne me laisse pas tout seul avec elle, tu sais que je vais avoir des ennuis. » Désolée mon grand, mas il vas falloir te débrouiller seul. J'ai des affaires, moi aussi.
§
Lavi marchait silencieusement dans les couloirs, d'un pas rapide, discret. Il semblait savoir où il allait. En réalité, il pouvait comme sentir l'odeur de peur que Kanda laissait derrière lui. Voilà à quoi ils passaient leurs journées, lorsqu'ils n'étaient pas en mission. Le japonais se cachait, déambulant le plus discrètement qu'il pouvait dans tout le bâtiment, essayant d'éviter son chasseur, qui lui, lui courait après sans jamais venir à sa rencontre. C'était bien plus amusant de frôler une porte derrière laquelle il se tenait silencieusement, croyant être caché.
Lavi adorait ça, sentir l'air changer, sentir le cœur de l'autre s'arrêter à chaque fois qu'il passait tout près de lui. « Je sais très bien où tu es. Mais aujourd'hui n'est pas le jour. » Voilà ce que ça voulait dire. Puis il s'éloignait en silence pour mieux revenir, attendant de le voir perdre ses moyens, attendant de l'entendre reprendre difficilement sa respiration. Comme c'est drôle, toi qui prétend être si fort, si froid et intouchable. Pourtant, voilà que dès que j'arrive près de toi, tu t'empresses de disparaître aussi vite qu'un courant d'air. Mais je sais que tu es là. Je m'amuse juste avec ma proie. Et bientôt, bientôt, tu seras à bout, et je n'aurai plus qu'à te cueillir, tu ne pourras même pas te défendre. Rien qu'en pensant à ce jour, je jubile, je salive, je serre les crocs. J'ai attendu si longtemps. Je t'ai couru après depuis tant d'années. Quand est ce que j'ai commencé à te faire peur? Dès le début? On dirait bien, car tu m'as toujours évité. Il n'y a rien que tu détestes plus que de te retrouver seul face à moi. Comme lors des missions par exemple. D'ailleurs, j'en ai une bonne pour toi. Devine avec qui t'as envoyé le Grand Intendant pour ta prochaine sortie? Je ne peux pas attendre de voir ta tête quand tu vas me trouver assis dans son bureau. Ah, comme j'ai hâte! Mais je dois être encore un tout petit peu patient. Cette fois, c'est la bonne. Je le sens. Mes longues années de traque s'achèvent enfin. Tu seras bientôt à moi, entièrement à moi. Je pourrais faire ce que je veux de toi, je pourrais tranquillement te dévorer, et tu sera si faible que tu ne pourras même par crier. Oh, mon petit Yû. Je suis si impatient! Je ne tiens plus en place. Je suis affamé. Je te veux, et très bientôt tu seras mien.
§
La nuit était tombée sur la crête où siégeait la haute tour, froide et imposante. À la limite de l'horizon, le ciel était en feu, et dans les hauteurs qui s'assombrissaient toujours plus, les étoiles commençaient faiblement à briller, attendant patiemment la lune qui viendrait à son tour éclairer de sa faible lumière cet endroit lugubre. Dans le bâtiment, tout était calme. Les couloirs et les lieux étaient déserts, tous semblaient vouloir rester cachés, ou plutôt, ne semblaient pas vouloir demeurer dehors. Une atmosphère d'après-guerre à l'arrière goût amer régnait entre les murs de pierre froids, et personne n'était en mesure de dire à quoi était due cette impression étrange. Le seul à savoir d'où venait le mal était silencieux, et s'était enfermé à double tours.
Lavi était le seul hors de sa chambre, affalé dans un des canapés de la salle de repos, les jambes croisées sur la table basse devant lui, une cigarette entre ses lèvres. Peut-être était-ce le temps qu'il avait passé avec le vieux panda qui avait fini par le faire devenir aussi fumeur que lui, ou peut être était-ce pour se donner un peu plus de patience avant son festin, qui sait. La tête renversée en arrière, il était perdu dans ses pensées les plus sombres. Si bien qu'il n'entendit pas qu'on venait lui tenir compagnie.
« Bonsoir, Junior. »
Ah, il y avait si longtemps. Plus personne ne l'appelait comme ça aujourd'hui. Il avait grandi, trop grandi pour qu'on puisse encore avoir envie de lui donner un sobriquet si affectueux… Il avait vingt ans, maintenant. Il redressa la tête pour regarder la personne qui se plaçait en face de lui. Tiedoll s'était installé là, dans le sofa d'en face. Son doux regard posé sur lui et son éternel sourire caché derrière sa moustache, il était l'un des derniers à encore avoir la lubie de l'appeler comme ça… En hommage au bon vieux temps, peut être. Lavi lui rendit son sourire, et se pencha vers lui pour lui tendre son briquet lorsque le peintre sortit à son tour un paquet de sa poche pour porter une cigarette à sa bouche.
«Merci. » Sourit-t-il en tirant une bouffée.
Lavi se laissa retomber confortablement à sa place, fixant toujours l'homme en face de lui. Comme c'est drôle, dire que je vais bientôt détruire ton cher « fils ». Heureusement que tu ne sera pas là pour voir ça, mon pauvre vieux.
« C'est étrange, tu ne trouves pas? » Commença le maréchal.
Lavi haussa un sourcil.
« Comment cela se fait-il que nous soyons les seuls ici? J'ai des souvenirs d'une salle plus remplie que ça.
-C'est vrai, répondit Lavi à travers un petit sourire narquois. Ils sont sûrement tous très fatigués.
-Tu dois avoir raison. »
Les deux hommes finirent de fumer sans discuter plus, chacun de retour à ses propres pensées silencieuses. Et quelques minutes plus tard, alors que Tiedoll semblait avoir succombé au sommeil, Lavi s'éclipsa sans un bruit de la pièce pour aller retrouver les bras de Morphée à son tour, non sans manquer de faire un détour pour venir frôler du bout des doigts la porte de Kanda qui n'en dormirait pas de la nuit.
§
Le lendemain matin, lorsqu'il aperçut les premiers rayons du soleil se faufiler à travers les carreaux de sa fenêtre, Yû se redressa, laissant échapper un long soupir. Une nuit de plus où il n'avait pas pu fermer l'œil. Tout ça à cause d'un frôlement à sa porte alors qu'il commençait à sombrer dans les abysses du sommeil. Il s'en voulait d'avoir si peur, mais il n'y pouvait rien. C'était ancré en lui, après tout, cela faisait si longtemps. Il se leva péniblement, les lèvres serrées et le regard dans le vide. La matinée fut longue et lui semblait interminable, comme chaque jour qui passait entre ces murs. À l'heure du déjeuner il voulu s'éclipser à l'extérieur, manière de s'entraîner, ou plutôt de défouler sa frustration sur tout ce qui aurait bien pu lui tomber sous la main. Mais Komui en avait décidé autrement, posant sa main sur son épaule au moment où il comptait disparaître en douce comme il savait si bien le faire.
« Dans mon bureau. »
Après avoir lâché un grognement de mécontentement, il se résigna à suivre l'homme dans le dédale de couloirs qui les menaient au lieu dit. Au moment où il passa la porte du repère de l'Intendant, son cœur s'arrêta. Sur le canapé en face de lui, une silhouette à la chevelure rousse lui faisait dos. Son sang ne fit qu'un tour, il sentit ses jambes le lâcher et eu l'impression qu'il allait s'écrouler. Il n'était même plus capable de formuler la moindre pensée, son regard resta juste fixé sur la personne assise là, et la silhouette se tourna lentement vers lui, avec un large sourire et son unique œil le transperçant de toute part. Ses paroles résonnèrent si fort en lui qu'il sentit un bourdonnement dans ses oreilles.
« Salut, mon petit Yû. On dirait bien que nous allons partir en ballade tous les deux. Rien que toi et moi! C'est pas super, ça? »
Il dut lutter pour s'accrocher à la poignée et ne pas s'effondrer par terre. Il ne pouvait pas quitter son visage des yeux, si bien qu'il arrivait à voir se matérialiser autour de lui cette aura sombre et envahissante qui le suivait partout.
« Qu'est ce que tu attends Kanda? Entre, assied-toi. » Lui lança Komui en s'asseyant à son tour, face à eux, l'air de rien.
Ses paroles firent presque sursauter le japonais, qui quitta des yeux le visage de Lavi pour fixer l'Intendant. Pourquoi? Pourquoi il les envoyait en mission rien que tous les deux? Il lui avait pourtant dit qu'il ne voulait plus que ça arrive, en lui sortant une ou deux excuses comme quoi ils n'arrivaient pas à travailler ensemble. Mais comme toujours, ça avait dut entrer dans une oreille et sortir par l'autre. De toute façon, tant que ça n'entrait pas dans son propre intérêt ou celui de sa sœur, Komui n'écoutait rien. Prenant une grande inspiration, Kanda lâcha lentement la poignée à laquelle il s'accrochait désespérément pour faire quelques pas dans la pièce. Plus il avançait, plus ses tripes se nouaient et sa gorge se serrait. Il resta debout, à distance du canapé, fixant l'homme au béret en face de lui.
Après leur avoir touché deux mots au sujet de la mission qui les attendait, Komui renvoya sans même les regarder les deux exorcistes. De ce fait, il ne vit pas le manège qui s'était instauré entre eux. Dès lors que la porte fut de nouveau ouverte, Kanda disparu aussi vite qu'il était arrivé, mais Lavi eu vite fait de retourner lui courir après. « Tu deviens meilleur au cache-cache, mon petit Yû. » pensa-t-il en cherchant du regard dans les couloirs la silhouette du japonais qui s'était déjà évaporé. « Bah, il doit être assez tracassé comme ça. On va se retrouver en mission juste lui et moi. Il ne doit même plus arriver à respirer à l'heure qu'il est, je suis sûr qu'il est en pleine panique, le pauvre. » Lavi se prit à rigoler tout seul. Oui, vraiment, traumatiser Kanda était plus qu'un plaisir pour lui. Un plaisir subtil du moins, car il ne faisait rien d'autre que le fixer et le poursuivre. Une autre personne n'aurait même pas remarqué sa combine, mais Yû était plus sensible à ce genre de choses, apparemment. Et c'était tant mieux pour lui. Dire qu'il avait peur de s'ennuyer à son arrivée à la « tour infernale » comme il aimer l'appeler de temps à autre, néanmoins il n'avait pas perdu de temps pour se trouver une âme sensible bien camouflée sous une pseudo-carapace de mauvais caractère. Ce qui tournait encore plus à son avantage, c'est que cet abruti tentait quand même de conserver une once de fierté en présence des autres exorcistes, alors lorsqu'ils se trouvaient en groupe, il se comportait avec lui de la même manière qu'avec ses autres petits camarades. Froid, désagréable, distant et agressif. Parfois même, on aurait dit qu'il reprenait une once de confiance en lui après un accrochage avec Allen. Mais il suffisait d'un seul regard de la part du rouquin pour le rendre de nouveau livide et le faire taire pour un petit moment.
Lavi avait toujours aimé asseoir sa supériorité face à ceux qui étaient plus faibles mentalement que lui. Il avait toujours adoré torturer de loin, sans même lever le petit doigt, ceux qui semblaient le plus robustes à l'extérieur mais qui étaient les plus médiocres à l'intérieur. Il était comme ça, sadique, manipulateur et machiavélique. À chacun sa personnalité après tout, n'est-ce pas? Et avec Kanda, il avait trouvé un parfait spécimen. Pour ça, son maître l'avait sermonné un nombre incalculable de fois, lui sommant de ne pas tourmenter les plus fragiles que lui, et lui rabâchant sans cesse qu'un futur Bookman ne devait sûrement pas utiliser ses capacités mentales à des fins si peu catholiques. Mais peu importe, Lavi n'en faisait toujours qu'à sa tête, se régalant de tous les voir fuir ou perdre leur moyens face à la terreur qu'il instaurait chez eux. Le jour où il avait rencontré le japonais cependant, la donne était un peu différente. Contrairement à ses autres victimes pour qui il ne ressentait que du mépris et accessoirement un peu de dégoût, il avait senti comme une attirance à l'égard de l'autre garçon. Qui sait, peut-être cela était-il dû à son beau visage, à son corps svelte, élancé, parfaitement taillé au fil de ses entraînements interminables et toujours plus exigeants, à ses yeux bleus sombres cernés de longs cils, à ses lèvres toujours serrées mais qui promettaient des miracles si l'on avait un esprit pervers comme lui, ou à ses longs cheveux qui tombaient en cascade au creux de ses reins.
Le jour de leur rencontre, Lavi avait d'abord été intrigué, puis totalement hypnotisé. Plus les jours passaient dans cette immense tourelle qui serait sa nouvelle demeure, plus il le voulait, plus l'attirer près de lui devenait une obsession. Mais le rouquin était un garçon qui aimait bien faire les choses, d'une façon presque maniaque. Sans les bâcler, sans se presser, pour que tout arrive à point nommé, au moment adéquat, pour que l'apothéose n'en soit que meilleure. Alors depuis leur rencontre le jour de son arrivée, il y a quatre ans, ils avaient commencé cette sorte de jeu. Pour Lavi du moins, on pouvait appeler ça un jeu, car pour l'autre cela s'apparentait plutôt à un enfer. Qui était donc cet inconnu qui débarquait de nulle part et qui se mettait à le fixer, à le déshabiller du regard sans la moindre gêne? Qui était cet homme chargé de mystères à l'identité et au passé si secret qui passait ses journées à le dévorer littérairement des yeux et à marcher derrière lui comme un maniaque qui semble s'apprêter à lui fondre dessus à tout moment? Et surtout, pourquoi il était isolé face à lui? Pourquoi il semblait être le seul à se rendre compte du manège du roux? Il se sentait comme pris au piège dans une jungle sans merci, face à on ne sait quel prédateur prêt à le mettre en pièces. Et cela le pétrifiait. Pire, ça le rendait fou, fou de terreur. « J'aurais du m'y habituer, avec le temps » c'est ce qu'il se disait, « mais j'étais juste de plus en plus effrayé. Mon instinct me crie de fuir dès qu'il est près de moi, et je me retrouve paralysé dès qu'il plante son œil sur moi. J'ai l'impression qu'il me tient à la gorge, bloqué contre un mur, je ne peux plus respirer, ni bouger, et je ne peux pas le quitter des yeux. » Apparemment, l'attirance semblait réciproque, mais Kanda avait le ventre bien trop noué et les jambes bien trop tremblantes pour le remarquer. Alors il fuyait, comme aujourd'hui, comme tous les autres jours passés et à venir, et inépuisable, Lavi lui courait après, le terrifiant encore plus de par son silence, son regard seul laissant suggérer les pires atrocités.
§
Trois jours plus tard, les deux exorcistes embarquaient accompagnés d'Alfred, le traqueur qui les accompagnait pour la durée de la mission. Comme tout autre personne de son rang, il semblait être un homme discret et peu bavard, mais sa personnalité importait peu à Kanda du moment qu'il y avait quelqu'un entre lui et l'autre garçon au regard d'émeraude. Au moins, même s'il ne se sentait pas plus en sécurité, il savait que Lavi ne se jetterait pas sur lui s'ils n'étaient pas seuls.
Ils se tenaient assis face à face, pendant que l'encapuchonné ramait en silence. Silence qui régnait aussi entre les deux garçons, se regardant les yeux dans les yeux, les prunelles ancrées dans celles d'en face, au premier qui détournerait le regard. C'était une véritable lutte de pouvoir muette qui se déroulait là, sur la petite embarcation filant gracieusement sur l'eau sombre. Kanda s'était résolu à ne pas le lâcher. Bien sûr, l'instant où il avait appris qu'il passerait un temps sûrement très long en seule compagnie de ce psychopathe avait été un moment difficile à passer, mais à présent le jour était venu et il fallait qu'il lui montre qu'il n'était pas si facilement atteignable, contrairement à ce que Lavi avait l'air de penser. Le visage légèrement baissé, son regard était sombre et la faible clarté de la lanterne accrochée à l'autre bout de la pagode se reflétait dans ses iris bleus, levés vers l'unique œil vert émeraude de l'autre homme, qui riait d'ailleurs intérieurement de voir Kanda le provoquer si tôt. « Tu ne perds pas de temps mon beau, mais ne vas pas t'imaginer que je vais me laisser impressionner par ta rapidité. J'aurais vite fait te remettre à mes pieds. » pensa le roux en relevant le menton, et en changeant son regard de défi en regard de mépris, accompagné d'un rictus moqueur. « Alors, tu veux toujours essayer de jouer les rebelles avec moi? » Et comme prévu, Kanda détourna presque immédiatement les yeux, sûrement se sentait-il de nouveau submergé par l'aura destructive de Lavi qui se voulait déjà envahissante. Celui-ci laissa d'ailleurs échapper un petit souffle de satisfaction, fixant encore quelques secondes son partenaire, histoire de lui faire passer l'envie de recommencer ses minables petites tentatives de défense ridicules. « Tu ne peux rien contre moi, c'est trop tard, je suis devenu beaucoup trop puissant. » Il jubilait intérieurement du pouvoir qu'il avait sur l'autre, puis laissa glisser sa main sur le rapport de mission que lui avait donné Komui avant de partir. Il en saurait un peu plus sur ce qui les attendait là-bas s'il ouvrait ce ramassis de conneries rédigé par les esclaves de l'Intendant. Où se rendaient-ils déjà?
§
Plus tard dans le train, les deux hommes se retrouvaient seuls, le traqueur faisant le pied de grue devant la porte de leur cabine privée. Le menton appuyé dans sa main, son coude posé sur le rebord de la fenêtre, Kanda laissait ses yeux défiler sur le paysage qui courait à grande vitesse derrière la vitre. Il semblait anxieux et tout à fait mal à l'aise, l'air crispé comme s'il ne voulait pas bouger, bien que sa position fut inconfortable. Mais Lavi ne s'intéressait pas à lui, il ne le regardait même pas. Il aurait tout le temps de s'adonner à ce petit jeu plus tard, mais pour le moment, il était plongé dans le rapport de mission qui lui permettrait d'en savoir un peu plus sur le pays où il se rendaient. La Russie. Dans la ville de Saint-Pétersbourg plus précisément. Le pays était dirigé par la famille Pavlovitch et sortait d'une guerre contre la Turquie. Lavi soupira, partir en mission dans ces conditions allait être une horreur. Il poursuivit sa lecture, certains Akumas avaient étés repérés en périphérie de la ville, aux abords du palais où siégeaient les dirigeants du pays. Voilà qui devenait intéressant. Il devait sûrement y avoir une Innocence cachée là-dessous. Cependant, le rapport ne mentionnait rien dessus. Il ne semblait y avoir aucune information, ils allaient devoir se débrouiller seuls. Il laissa tomber sa tête en arrière, fermant l'œil, balançant en même temps avec nonchalance le manuscrit un peu plus loin sur la banquette sur laquelle il était assis. Sans même qu'il ne s'en rende compte, les secousses du train le bercèrent et il s'endormit rapidement, contrairement à son coéquipier qui n'osa pas faire le moindre geste durant tout le reste du long trajet qui les attendait.
Et voilà pour le premier chapitre, j'espère de tout cœur que vous avez apprécié la lecture. Si vous vous posez des questions par rapport au pourquoi du comment du caractère et du ressenti de Kanda, ou même de Lavi, ne paniquez pas, les réponses arrivent dans les chapitres à venir. J'attends vos retours!
