I/ Naissance d'un loup.

Une gerbe de neige s'envola du sommet de la montagne et vola au gré des courants d'air. Le vent la transporta faisant virevolter les flocons d'un blanc immaculé en de nombreuses arabesques compliquées. Soufflant parmi les branches des hauts conifères qui peuplaient les montagnes d'Okaido, le nuage de neige se gonfla peu à peu, ses rangs grossissant chaque fois qu'un peu de neige était arraché à a retraite tranquille en haut des arbres ou de la montagne. Les bourrasques traversaient la plaine et les montagnes, les vallons et les creux, chantant au cœur des crevasses dans lesquelles il s'engouffrait et ressortait, transportant toujours plus de neige. Le blizzard allait bientôt se lever. Le ciel, jusqu'alors chargé de lourds nuages noirs, sembla vacillé un instant avant de se déchirer en un bruit sorti tout droit des enfers. Le ciel se zébra tandis qu'un éclair le découpait de part en part, et des trombes de neiges se mirent alors à tomber en un ballet magnifique et compliqué, mais aussi mortel que la morsure d'un cobra pour quiconque se retrouverait pris à l'intérieur. La température chuta de quelques degrés encore, et le vent continua de souffler, de plus en plus fort. Dans un petit village non loin de là, la tourmente éclata avec une violence inouïe. Un peu à l'écart, un modeste chalet de bois laissait échapper par un trou dans le plafond de sombres volutes de fumées, noires comme les plumes d'un corbeau. Le bois des murs craqua sous la pression du vent qui hurlait à l'extérieur, et la neige commença à s'accumuler contre les linteaux fragiles de la porte et les rebords de l'unique fenêtre.

Un cri retentit soudain, brisant la mélopée sourde du blizzard qui soufflait à l'extérieur. Dans le chalet, un homme faisait les cent pas devant une porte en bois de cèdre, solide et infranchissable tant que les occupants de la pièce attenante ne feraient pas sauter la lourde planche de bois qui en barrait l'entrée à toute autre personne, où tout autre être qui n'y aurait pas été invité. Car la planche portait de nombreux Jufu, des sorts destiné à repousser les esprits au plus loin de la petite pièce, faiblement éclairée par une lampe à naphte qui brûlait tranquillement ses réserves en produisant une petite lueur, accompagné d'une forte odeur caractéristique. L'homme arpenta la pièce en long, en large et en travers, caressant parfois sa barbe d'un air songeur, parfois en arrachant de grosse poignées de poils noirs et drus dans son inquiétude, qu'il laissait tomber sans les ramasser. Un cri retenti de nouveau, suivi d'un autre, plus près que jamais. L'homme s'approcha et toucha la porte de son front.

-Sois forte ! Tu dois être forte !

De nouveau, la voix laissa échapper un gémissement qui parvint aux oreilles de l'homme, avant de faire retentir un nouveau cri de douleur, entrecoupé de sanglots. La voix de la vieille guérisseuse qui aidait au travail se découpa peu à peu sur les gémissements, poussant, exhortant la femme au travail de la Libération. Le vent siffla de plus en plus fort, pressant toujours plus fort contre le bois qui composait la bâtisse. Les cris s'intensifièrent, les pleurs aussi, tandis que le vent hurlait de plus en plus fort, comme en écho à ses appels de détresse et de douleur. La tempête redoubla d'ardeur. L'accouchement dura des heures, heures durant lesquelles la neige ne cessa pas un instant de tomber, ou à aucun moment le vent ne cessa de pousser contre la porte, cherchant à s'immiscer dans le petit chalet, devenu douillet sous l'effet du feu qui ronronnait dans la maison. Puis, tout à coup, le vent cessa, la neige ne tomba plus, et les cris du nouveau né se firent enfin entendre. L'homme se précipita à la porte, et lorsque la planche sauta, se rua à l'intérieur, avant d'être retenu par la guérisseuse.

-Elle va bien, mais elle a besoin de beaucoup de repos.

Puis, retirant le linge humide du visage du bébé, elle lui fit découvrir un visage rougi, tandis que celui-ci s'époumonait à hurler de tout son soûl. L'homme le prit dans ses bras, le berçant doucement.

-Bienvenu parmi nous mon garçon.

Un nouveau cri du bébé se fit entendre, et dehors, par delà les derniers souffles de vent, y répondit un écho, qui se répercuta parmi les montagnes et les plaines couverte de neige.

-Des loups, s'étonna la guérisseuse. Si près des habitations ?

L'homme, lui ne s'étonna pas, et son visage sembla se marquer d'une tristesse sans borne.

-Bienvenu parmi nous, petit garçon du froid, fils des loups. Ton nom sera Usui Horokeu, le loup du froid !