Il était là, affublé du poids des moqueries des lions sur ses épaules mais surtout lassé. Son manuel de potions dans la main, il se tourna dans la direction de Lily Evans une fraction de seconde, puis détourna le regard brusquement. Elle le regardait partir au loin, dépitée. James, Sirius et Remus se situaient de l'autre côté du chemin menant vers le lac, et même si ils étaient assez loin elle pouvait distinguer la direction de leur visage, et l'air suffisant que James aimait tant offrir à Severus.

- « Voyons voir, tu t'es dit que le temps était assez clément aujourd'hui pour décompresser et te jeter à l'eau, Servilus ? Tu veux de l'aide ? Non parce que si tu le souhaites, je suis tout à fait disposé à te jeter dans le lac de mes propres mains ! Tu savais toi que le calmar géant était toujours en grande forme, les beaux jours ? J'ai appris ça récemment, ce serait dommage de rater ça ! Sirius laissa échapper un rire sonore. Ah, mais j'oubliais… bien entendu, tu ne peux pas fourrer ton gros nez partout, tu es déjà bien trop occupé à te chercher une utilité ! Pardonne-moi… j'avais oublié à quel point ta vie est passionante ! Pauvre petit Servilus… » Il marqua une pause quand il remarqua une crinière rousse s'approcher à grand pas vers lui, et se tempera. Deux secondes. « Donc je disais, si jamais si tu souhaitais par un heureux hasard faire de ce jour le plus beau que Poudlard ait connu depuis des décennies, c'est l'occasion en or de faire un petit plon-… »

CLAC ! Celle-là il l'avait bien cherché, après tout. Lily ne supportait pas l'injustice, et James Potter était le roi incontesté en la matière. Hier encore, il avait cherché à faire avaler à Severus des chocolats remplis d'Amortentia que Lisa Berlacuse, une de ses admiratrices de Poufsouffle au physique peu avantageux, lui avait peu subtilement proposé alors qu'il était en cours de métamorphose un peu plus tôt dans la journée. Pour cela, il avait prévu de se rendre discrètement dans les cuisines de Poudlard et de demander à un elfe de maison de faire fondre le chocolat dans un muffin, qu'il savait être le pêché mignon de Severus depuis qu'il avait surpris Lily lui en offrir une boîte pour son anniversaire. Cette dernière, qui avait suivi discrètement l'affaire, était outrée et s'était empressée d'avertir Severus à propos de cette énième machination. Depuis cet échec, James était un peu penaud et cela se faisait ressentir au sein de sa bande, quand Peter, qui ne comprenait pas l'intitulé d'un cours particulièrement compliqué d'histoire de la magie sur les nouvelles réformes du Code International de la Magie du XVème siècle, fut envoyé paître de manière peu digne (certains témoins affirment avoir entendu James prononcer un sort qu'ils n'avaient jamais entendu auparavant puis vu une fraction de seconde à travers la porte du dortoir Peter, pieds en l'air et tête au sol, grommelant des paroles incompréhensibles avant que les élèves en question furent congédiés par Sirius).

Bref, un échec hier et une claque de la fille qu'il désirait plus que tout aujourd'hui. Son palmarès devenait franchement décevant, il savait qu'il devait se ressaisir, mais il savait également que la douleur d'un nouvel échec ne pouvait être que vaine, suite à tout ça. Il était persuadé d'être un type assez extraordinaire pour ne pas accumuler plus de points négatifs qu'il y en avait déjà en si peu de temps dans son tableau de l'égo. C'est pour cela qu'il ne perdit pas son sang-froid et arriva malgré toutes les émotions contradictoires qui lui parvenait à la figure à articuler trois mots.

« Je t'aime. »

« Que… QUOI ? balbutia une Lily écarlate. Tu peux répéter s'il te plait, Potter ? Pour qui tu te prends ? Tu crois que tu peux manipuler les gens à ta guise, les enfoncer ou les mettre sur un piédestal à volonté, comme ça, parce que monsieur je-suis-parfait en a décidé ainsi ? Moi, je ne t'aime pas. » Il serra inconsciemment sa lèvre inférieure. Elle avait eu l'effet escompté. Ce maudit Potter avait réussi à la rendre plus nerveuse que jamais. Elle fila vers la berge du lac à la vitesse d'un éclair de feu, prit par le bras un Severus qui avait observé toute la scène, un fin sourire aux lèvres. « Merlin, dîtes-moi ce qu'il lui est passé par la tête avant de balancer des idioties pareilles », murmura Lily d'un ton féroce.

Severus, quant à lui, ne savait pas trop quoi penser de cette déclaration improvisée. Il était partagé entre la joie et l'appréhension. Evidemment la réaction de Lily l'avait apaisé, évidemment qu'il était soulagé de tenir à l'écart ce pathétique de Potter. Evidemment qu'il avait envie d'hurler sa flamme à Lily avec autant de confiance et d'aplomb. Mais la réalité était qu'il était trop lâche. Il avait peur de perdre le semblant d'affection qu'elle lui portait, sa seule compagnie, la seule qui lui tenait réellement à cœur. Elle était son seul véritable pilier à Poudlard. Que représentaient au grand Lord Mulciber et Avery lorsque Lily passait devant lui, lui délivrant toujours au passage un sourire à en damner Merlin avant de s'engouffrer dans la porte menant à l'un de ses cours… pas grand-chose. Elle se tenait désormais à côté de lui, la tête haute, l'allure énergique mais l'esprit clairement ailleurs. Il avait peur. Il ne dit rien, cependant. Il marcha en direction de la grande salle, la tête baissée. La vérité n'était pas qu'il ne savait pas quoi dire. Il ne pouvait pas, voilà tout. Il désirait plus que tout connaître le fond de ses pensées… mais il ne pouvait pas. Les questions voguaient en suspens, s'entremêlaient dans son esprit mais il ne voulut pas prendre pas le risque de les lui poser. Il savait pertinemment qu'elle n'allait pas lui répondre. C'était leur accord tacite : « on évite de parler de ce qui vient de se passer s'il y a un accrochage avec Potter et sa bande ». Or Potter n'avait jusqu'alors jamais franchi la barrière, celle que Severus redoutait depuis que cette arrogance sur pattes avait croisé le regard de Lily. Le mot de trop, la phrase de trop. « Je t'aime. » Bon sang. Qu'allait-il se passer maintenant ? Lily avait tout le temps devant elle pour reconsidérer les mots de Potter. Bien sûr c'était une fille intelligente, et pour être tout à fait honnête, il n'y avait pas de fille à moitié aussi brillante qu'elle dans l'enceinte du château. Elle s'était forcément rendu compte du regard persistant de James lorsqu'elle passait sous son chêne favori, alors qu'il faisait au mieux pour montrer qu'il travaillait assidument devant elle, Sirius faisant le guet et Remus lui prêtant sa feuille de parchemin parfaitement remplie à chaque fois. Et, bien que Severus soit dégouté de Potter jusqu'au plus profond de ses entrailles, il ne pouvait pas nier que son physique était une arme ô combien dangereuse et facile à manier en sa faveur. Lily avait pris l'habitude de se confier à Severus et de démentir les craintes de ce dernier, de panser un minimum ce cœur déjà bien meurtri en lui affirmant régulièrement qu'il était son meilleur ami, pendant que celui-ci savait qu'à moins d'un miracle, ses sentiments seront pour toujours blessés par un trop-bas statut qu'il n'avait pas envie de tenir.

James, quand à lui, avait perdu de sa nonchalance habituelle. Assis sur un banc tandis que le soleil fondait sur l'horizon, il n'arrivait pas à comprendre sa réaction. Lui. James. Réagir de manière aussi… irresponsable ! Comment avait-il pu tout gâcher en aussi peu de temps ? Ces dernières semaines, il sentait pourtant que le vent tournait en sa faveur. Il avait réussi à adoucir les braises en ayant eu l'idée un peu folle de ramasser et de redonner le pot de figues d'Abyssinie appartenant à un élève de deuxième année qui l'avait fait tomber par mégarde (sûrement parce qu'il était intimidé) alors qu'il se trouvait dans le même couloir que Lily. Celle-ci avait suivi la scène, un peu surprise, et avait fini par lui lancer un sourire timide tout en continuant son chemin. Sirius, Remus et Peter en entendirent parler pendant des jours. Mais maintenant, peu importe : le très confiant et populaire James Potter venait de faire une bourde titanesque, et pour la première fois en sept ans il n'était plus sûr de rien.