Bonjour,
Je viens aujourd'hui poster mon premier OS, que j'ai réalisé pour une commande. En vous souhaitant une bonne lecture !
Disclaimer : Le personnage principal, Yunoki appartient à sa créatrice du même nom, et les personnages originaux sont la propriété de Beemoov.
De l'or.
Des milliers et des milliers de paillettes dorées qui flottaient délicatement et le narguait de leur beauté.
De la richesse à profusion, qui vous comble sans jamais se matérialiser aux creux de vos mains, et on devient milliardaire pendant une seconde, voir plus longtemps si l'on a de la chance.
Jusqu'à ce que la demoiselle ne batte des cils ou passe son chemin.
Contempler l'or de ses yeux n'était pas donné à tout le monde, et lui, malheureusement, ne faisait pas partie des favoris qui pouvaient s'enrichir pendant plus de quelques minutes.
Il faut croire que sa présence incommode la Belle, et quel dommage car pourtant il aime admirer le trésor de son regard. Quel bijou ! Il pourrait passer des heures à l'apprécier sans jamais se lasser, et par l'Oracle qu'il déteste lorsque la demoiselle part et le prive ainsi de ses beaux yeux.
Ses beaux yeux dorés….Ah quel trésor, quelle œuvre !
De magnifiques joyaux qu'il rangerait bien dans un bel écrin, pour pouvoir les contempler à sa guise.
Ainsi, il serait riche pour toujours.
Patience.
Une petite bulle flottait sur la surface immaculée du lait de Moogliz pour aller s'écraser contre la paroi couleur terre de son bol.
Encore prisonnière des brumes du sommeil, Yunoki contemplait fixement sa boisson matinale en espérant, peut-être, lui trouver un quelconque intérêt qui lui permettrait d'émerger.
Il n'y avait pas grand monde dans le réfectoire, et après tout, seul le personnel du Quartier Général faisant parti des équipes du matin se voyait présent, à déguster leur petit déjeuner dans un silence religieux. Yunoki appréciait volontiers ce moment de calme, loin du brouhaha régulier qui surviendrait bientôt au réveil des autres.
Elle porta le bol à ses lèvres et la fraicheur du lait éveilla son esprit qui lui présenta mentalement les différentes tâches à accomplir durant la journée. Il lui faudrait tout d'abord entamer une délicate et longue préparation d'alchimie, qu'elle laisserait bouillir plusieurs heures jusqu'à ce que l'équipe de l'après-midi prenne le relais.
Ensuite, elle retournerait à ses complexes études d'ethnologie en espérant toujours que les livres lui apportent quelques réponses quant à son métissage aquatique.
Aujourd'hui peut-être…
Sa boisson engloutie, Yunoki se leva et quitta le réfectoire pour s'atteler à son labeur.
Une fois dans la Salle d'Alchimie, elle disposa le matériel sur le plan de travail, puis se munit de la recette, afin mémoriser les différents ingrédients à aller chercher dans la réserve.
Yunoki aimait faire travailler sa mémoire, car comme disait son chef de Garde « Un bon alchimiste se caractérise par la quantité faramineuse d'informations qu'il peut ingérer en peu de temps. »
Le regard doré de la jeune femme balayait la feuille de papier, absorbant son contenu tandis qu'une autre partie de son intellect visualisait la conception du filtre à préparer.
« Et bien….Déjà en plein travail si tôt ? »
Immobile.
Parce que son corps reconnaissait cette voix entre milles, alors bien avant que sa propriétaire ne percute, il enclenchait de lui-même son processus d'auto-défense. Et ça n'était que la première étape, car il y avait tout un protocole.
Yunoki se retourna si vite qu'elle se cogna contre le plan de travail, ce qui fit basculer certains récipients d'alchimie sur le flanc.
Elle rattrapa de justesse une pipette qui roulait dangereusement vers le bord, avant de se confronter à la personne qui l'avait prise par surprise.
Les bras croisés sur son torse, ses lèvres étirées en un sourire amical, Leiftan se tenait sur le seuil de la Salle d'Alchimie, vêtu de son grand manteau blanc. Comme à son habitude, il s'était permis d'apparaître sans un bruit, défiant même les sens, pourtant aiguisés de la jeune femme.
« Pardonne-moi, il semblerait que je t'aie fais peur. » déclara-t-il en ponctuant sa phrase d'un regard amusé, mais emplit de douceur.
Il semblerait en effet. Mais une fois la surprise passée, il faudrait garder contenance jusqu'à ce que Leiftan ne s'en aille.
L'homme se tenait pile dans l'encadrement de la porte, dominant la pièce de sa personne tout en transformant étrangement l'atmosphère en quelque chose de flou.
Il était simplement là et il emplissait le lieu de son aura.
Yunoki sentait déjà une fine pellicule de sueur recouvrir la paume de ses mains. La deuxième phase du processus.
Son corps agissait de lui-même, la protégeant d'un danger fictif.
Leiftan s'avança lentement, faisant grimper la tension d'un cran à chaque pas tout en posant son regard vert sur le plan de travail. Il mentionna quelque chose à propos du matériel et du filtre complexe que Yunoki s'apprêtait à préparer mais la jeune femme n'écoutait que d'une oreille.
Elle croisait machinalement les bras, comme pour former une barrière invisible, répondant par monosyllabes afin d'écourter la conversation, que l'autre ne semblait pas vouloir achever.
Alors qu'il parlait de banalités, Yunoki regardait les cheveux bicolores de Leiftan, fixant un point imaginaire sur la mèche brune de sa frange afin de ne pas plonger dans ses pupilles émeraude. Une entreprise qui se révélait difficile car il était le genre de personne qui aimait regarder son interlocuteur dans les yeux.
Il n'y a pourtant pas de plus beaux regards que ceux qui rappellent de précieux joyaux, mais celui-ci brillait toujours d'une étrange étincelle que la jeune femme n'arrivait pas à identifier.
Alors Yunoki patientait, en essayant de masquer son malaise au possible, ignorant les sueurs froides qui coulaient le long de sa colonne. La troisième étape du protocole d'auto-défense.
Elle tortillait machinalement une mèche de ses longs cheveux couleur jade, se rendant parfois compte que ce geste trahissait sa gêne, donc elle reprenait contenance, puis abandonnait ensuite.
Yunoki perdait le contrôle d'elle-même en la présence de Leiftan.
Il était incroyable de voir un homme désarmer quelqu'un par sa simple personne. Incroyable et effrayant.
« Je vais donc te laisser à ton travail. »
Concentrée par le trouble que son corps lui communiquait, la jeune femme se reprit, avant de se confronter au visage de l'autre en prenant toujours bien soin de ne fixer que la mèche obscure de ses cheveux.
« En effet je vais être très occupée. Merci d'être passé. » Répondit-elle d'un ton qui se voulait naturel et détaché.
Elle aurait voulu y ajouter une pointe de fermeté mais celle-ci lui faussait toujours compagnie face à Leiftan.
Rajustant son grand manteau blanc sur ses épaules, il la salua avant de quitter la pièce de son habituelle démarche posée et silencieuse, en prenant soin d'emporter avec lui, toute la tension qu'il avait amenée.
Ainsi la Salle d'Alchimie se vit libérée de cette atmosphère oppressante dans laquelle on l'avait plongée il y a quelques minutes et Yunoki ne sut dire si cela ne se passait que dans sa tête mais la pièce lui semblait plus lumineuse.
Elle poussa un très long soupir en posant ses mains moites sur le bois du plan de travail. Ses muscles se relâchèrent progressivement et le tourment qui faisait rage dans son esprit se calmait.
C'était une habitude maintenant, que de perdre pieds en la présence de Leiftan.
Une routine folle, inexplicable, absurde qui n'avait même pas de sens pour elle. Et quoi de plus normal que de remettre son jugement en question lorsque cela concernait le, ô très estimé, Conseiller de la Garde Étincelante.
On l'aimait beaucoup pour sa gentillesse, sa compassion, son impartialité et sa très grande diplomatie à l'origine même de bien des accords politiques. Il se souciait des personnes qui travaillaient au Quartier Général, sans jamais un regard pour le rang ou le statut, et il prenait la peine, chaque matins, de saluer tout le monde comme il venait de le faire.
Mais il avait suffi d'un instant. Un seul instant, quelques secondes, un regard et une phrase pour amorcer le début de cette spirale tortueuse.
En ce temps-là, Yunoki regardait encore Leiftan dans les yeux et elle se souvint lui avoir relaté avec passion la trouvaille d'un nouvel appât pour familier qui manquait à sa précieuse collection. Elle se revoyait encore lui sourire doucement, emportée dans la conversation, détaillant la rareté et la beauté de l'objet, en se confrontant au vert intense de son regard doux.
«Tu as de très beaux yeux, Yunoki.»
La jeune femme s'était arrêtée net dans son dialogue pour dévisager Leiftan. Pas que le compliment lui ait déplu, car le Conseiller de la Garde Étincelante n'en était pas avars, au contraire. Il avait toujours un mot gentil pour tout le monde.
Mais il l'avait dit en plein milieu d'une conversation, comme une tâche d'encre qui tomberait soudainement sur un papier blanc sans crier gare, et la jeune femme s'était sentie, à la fois, surprise et mal à l'aise.
« Et bien….Merci.» avait-elle déclaré, sans savoir quoi ajouter de plus. Même si le compliment était flatteur, Yunoki avait ressenti autre chose derrière. D'ordinaire lorsque l'on vantait le regard d'une femme, c'était pour lui faire comprendre, indirectement, qu'on la trouvait très jolie. Mais pas ici, pas à cet instant.
« Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise. »
Leiftan avait dû percevoir son trouble et Yunoki, qui s'était sentie soudainement oppressée avait choisie de clore cette conversation dont le tournant avait pris un sens douteux, pour recentrer le sujet sur autre chose.
« Non du tout, c'était simplement inattendu. En fait, tu es le premier à complimenter mes yeux…. »
« Vraiment ? »
Elle allait renchérir sur autre chose mais le Conseiller lui avait coupé la parole. La jeune femme s'était demandée si tout cela avait un rapport avec une maladroite tentative de rapprochement mais son instinct lui soufflait que non.
« Alors puisque je suis le premier à te le dire, considérons qu'ils m'appartiennent. »
Yunoki était restée interdite à l'entente de cette phrase. Plus pour le fond que pour la forme tant elle avait ressenti une légère angoisse l'étreindre tout doucement, presque sournoisement. Pourquoi tant de crainte ? Ça n'était que de la maladresse ou bien alors il avait juste tenté de faire de l'humour.
Mais la jeune femme s'était trouvée face à autre chose lorsqu'elle avait dévisagé Leiftan.
Les beaux yeux émeraude du jeune homme, d'ordinaire si rassurants, s'étaient animés d'une étincelle nouvelle, mais qui avait illuminé son regard d'un éclat troublant.
C'était comme si le vert paisible avait pris une teinte différente, sombre, presque malsaine juste le temps d'une seconde.
Et Yunoki en était restée figée sur place malgré elle. La première étape.
Depuis cet instant-là, elle avait pris petit à petit ses distances avec Leiftan, bien qu'elle se soit très souvent interrogée sur cette initiative.
Tout ça pour un « ressenti ».
C'était fou. Et pire que cela : c'était même absurde.
Mais elle n'avait pas rêvé cette angoisse, cette phrase étrange pourtant dite avec tant de douceur, et ce regard perçant, brillant, aux iris fixes qui lui avait donné cet aspect tordu. Sans oublier cet éclat....
Alors Yunoki avait simplement choisi d'écouter son instinct. Et voilà où elle en était à présent : mal à l'aise en la présence de Leiftan, angoissée, pétrifiée, moite, à se poser milles questions.
Mais sûrement pas paranoïaque. Du moins elle essayait de s'en convaincre lors de ses innombrables moments de doutes qui étaient plus que récurrents, car tous les jours on disait du bien de Leiftan, et exprimer le contraire serait plus que déplacé aux yeux des autres.
Toujours appuyée sur le bois du plan de travail, elle inspira de nouveau profondément. Elle se sentait déjà plus détendue et de toute façon il le fallait car elle avait une complexe préparation d'alchimie à concocter.
Chassant ses inquiétudes qui reviendraient bientôt, elle redressa les récipients qui étaient tombés et se mit au travail.
Ω
« Les Atlantes actuels ont reçus un don du Dieu des Océans qui les transformèrent en êtres amphibiens…»
Se pourrait-il qu'il l'observe à son insu ? Depuis combien de temps exactement ? À son réveil ou bien son petit-déjeuner dans le réfectoire ?
« C'est pourquoi ils arborent une peau bleuâtre, des oreilles membraneuses et des yeux qui présentent des muscles lenticulaires…»
Non…non il passait justement devant la Salle d'Alchimie et, t'ayant aperçu, il s'est simplement arrêté te dire bonjour comme il a l'habitude de le faire, voilà tout.
« …Donc ils clignent des yeux de façon latérale…»
Comme par hasard ? C'est idiot il est toujours au bon endroit, au bon moment. Comme si…..
« …Mais contrairement aux autres espèces aquatiques totalement pisciforme ou reptilienne, les Atlantes ont gardé une excellente vision de surface et sont dénués de myopie…»
Comme s'il te surveillait ? Et pour quelle raison au juste ? Pense-tu qu'il n'ait que cela à faire ? Yunoki, ma fille, tu deviens paranoïaque.
« …De plus leur système respiratoire est, à lui seul, une merveille de biologie… »
Non ! Pas paranoïaque ! Pas moi ! Je suis lucide : j'ai vu de la noirceur dans ses yeux. Et toute cette peur que je ressens, elle est bien réelle. Je suis sûre de moi. Je suis vraiment sûre.
« ….Il suffit d'observer leurs poumons de mammifère ainsi que les branchies complètement symétriques de chaque côté de leur cou…»
De la noirceur ? De la peur ? Oui c'est possible….uniquement dans ta tête. Quel mal as-tu vu en Leiftan ? Celui d'essayer de t'approcher peut-être ?
« ….On retrouve donc les épines branchiales directement sur les muscles sterno cléido mastoïdien…»
Et cette phrase sur mes yeux il y a deux mois ? « Considérons qu'ils m'appartiennent », qu'est-ce que ça voulait dire ? C'était tordu, effrayant…
« …Ainsi les Atlantes peuvent basculer d'un système respiratoire à un autre suivant leur environnement… »
Au diable les Atlantes !
Yunoki referma le livre qu'elle essayait, en vain, de lire d'un coup sec et s'affala contre le dossier de son siège.
Elle avait déjà eu assez de mal à compléter sa préparation d'alchimie et, à présent, elle n'arrivait même pas à étudier les différentes espèces aquatiques, sujet qui lui tenait pourtant à cœur pour la découverte de ses origines.
Qu'importe ce qu'elle faisait, ce qu'elle lisait, ce qu'elle pensait, il lui suffisait juste de croiser Leiftan et le reste de la journée, elle le passait à s'interroger sur ses paroles, ses gestes, ainsi que son attitude.
Pas son regard puisqu'il n'était plus question de le croiser.
Yunoki avait l'esprit totalement saturé de doutes et d'interrogations, la rendant plus que fatiguée. Elle aurait voulu poursuivre son étude sur les Atlantes, décortiquer leur anatomie pour en faire des comparaisons avec la sienne mais malheureusement, ça ne serait pas pour aujourd'hui.
Son cerveau était en surchauffe et la jeune femme senti tout à coup, une colère émerger du plus profond de ses entrailles. Elle s'en voulait à elle de ne plus pouvoir se concentrer, de ressasser sans arrêt les même pensées, de ne pas se montrer plus ferme envers Leiftan et, bien entendu, elle lui en voulait aussi beaucoup, pour avoir prononcé cette phrases. Et pour avoir eu cette noirceur dans son regard.
Mais Yunoki décida de stopper la machine. Elle se leva, rangea ses documents et sorti de la bibliothèque pour se diriger vers sa chambre. Elle allait dormir, au moins pour ne plus réfléchir, elle l'espérait, jusqu'à demain.
La jeune femme déposa toutes ses affaires d'études sur son bureau, encadré de deux immenses étagères qu'elle avait dédié à ses collections d'appâts pour familiers et objets d'alchimie, puis elle se changea.
Une fois dans une tenue plus confortable, elle tira les rideaux de sa petite fenêtre, qui donnait sur les Jardins de la Musique, avant de se glisser dans les draps de son lit pour un long moment de répit où l'infernale machine de ses pensées ne pourrait plus l'atteindre.
Paisible
La description exacte de l'état d'esprit de Yunoki ce matin-là.
Elle avait parfaitement bien dormi, sans crises d'insomnie, ni mauvais rêves qui étaient venu la troubler dans son sommeil, ce qui lui valut un réveil des plus serein avec l'agréable sensation d'avoir la tête légère.
Et puisqu'elle avait sa matinée de libre, elle en profita pour se détendre aux Jardins de la Musique, assise sur le rebord d'une fontaine, son livre d'étude des Atlantes posé à plat sur ses cuisses.
La jeune femme relisait le paragraphe qui lui avait échappé la veille et maintenant que ses idées étaient plus claires, elle pouvait en saisir le sens. De plus, le cadre qu'elle avait choisi était propice à sa concentration, avec le clapotis des petites cascades qui formait un bruit relaxant et la douce chaleur du soleil d'Eldarya.
C'était paisible, parfait.
Absorbée par sa lecture, Yunoki décryptait avec application l'anatomie des Atlantes, en notant scrupuleusement sur un petit carnet, celles qui ressemblaient de près aux siennes. En procédant ainsi, elle finirait par découvrir l'identité de son côté aquatique, elle en était plus que convaincue.
Déjà elle savait qu'elle n'avait rien en commun avec les sirènes, les océanides, les léviathans et les krakens. Et il n'était même pas question de penser aux peuples des rivières, car c'est sur le rivage d'un océan que le pêcheur qui l'avait élevée la trouva huit ans auparavant, alors c'est à la mer qu'elle appartenait.
Malgré l'élan de nostalgie qui se montrait à l'évocation de ce souvenir, Yunoki recala son esprit sur la tâche qui se voulait importante à cet instant : terminer son étude.
Après tout, c'est de cette façon qu'elle finirait par compléter le puzzle de son passé.
« Toujours très occupée, ma parole »
Elle était rendu au paragraphe sur les branchies, elle en prenait note sur son carnet, elle avait même commencé à écrire le mot compliqué qui désignait les muscles principaux du cou lorsque sa main fut figée dans son geste.
Et la pointe du stylo, restée trop longtemps piquée sur la page, fit fleurir une petite tâche d'encre.
La température environnante avait due chuter de quelques degrés car Yunoki sentait un froid l'envahir. Elle leva lentement la tête pour voir, tout d'abord, des pieds masculins chaussés de spartiates noire et blanche.
Puis ensuite, il y eut du vert. Ce joli tissu vert qui avait dû être brodé avec application au vu des multiples spiraux formés par les coutures décoratives.
Et enfin la peau, celle de son ventre qu'il ne cachait pas sous ses habits blancs. Pâle, recouvrant ses parfaits abdominaux et Yunoki choisie de stopper son regard à cet endroit.
Parce qu'après, il y avait la poitrine, puis le visage et elle ne voulait plus jamais le regarder dans les yeux.
« J'ai entendu dire que tu as passé toute la soirée d'hier dans ta chambre. Est-ce que tout va bien ? »
De quoi se mêle-t-il, bon sang ?
Yunoki tenta de se maitriser malgré ses mains qui devenaient moites.
Leiftan se tenait debout face à elle, et la jeune femme avait une sournoise impression d'être soudainement diminuée, à sa merci.
Paranoïaque…
« J'étais simplement très fatiguée à cause de la préparation d'hier matin. Mais rien de grave, ne t'en fait pas. » Déclara Yunoki à l'attention du Conseiller en prenant soin de maitriser le léger tremblement de sa voix.
Ne t'inquiète plus jamais à mon sujet, par pitié….
Elle espérait que sa réponse lui suffise et qu'il prenne congé, mais ça ne semblait pas être dans ses projets, car Leiftan débarrassa ses épaules de son long manteau blanc et prit place aux côté de la jeune femme, sur le petit rebord de la fontaine.
Yunoki ressenti de nouveau cette angoisse l'étreindre. La proximité du jeune homme lui tordait les entrailles et les sueurs froides ne se firent pas attendre.
« Est-ce que quelque chose te travaille, Yunoki ? »
Son corps déjà crispé, se raidit davantage. La jeune femme lui avait pourtant donné une réponse satisfaisante juste avant, avec une attitude normale, sans jamais laisser transparaître son malaise.
« Tu m'as l'air angoissée depuis quelques temps. Donc je me demande bien ce qui t'inquiète. »
Reste calme ma fille.
Oh oui il lui fallait rester calme. Garder contenance et ne surtout pas briser le masque devant lui, qui semblait avoir cette fabuleuse faculté à disséquer les émotions d'autrui.
Depuis quand, au juste, s'était-il aperçu de son malaise ? Est-ce qu'il jouait avec elle ?
Paranoïaque….
Non ! C'était bien réel. Ça se passait là, tout de suite, il venait de lui dire que quelque chose clochait avec elle, qu'il l'avait vu. Ce n'était pas dans sa tête.
Yunoki se tourna vers Leiftan et fixa le point obscur de sa frange avant de lui répondre.
« Ah….Rien de grave, vraiment. J'ai simplement beaucoup de travail entre l'alchimie et mes études, c'est tout. Pas de quoi s'alarmer. »
Le silence tomba. Le bruit de la petite cascade des Jardins de la Musique emplissait l'atmosphère de son clapotis régulier et le soleil d'Eldarya rayonnait toujours mais la jeune femme ne sentait plus sa chaleur.
Elle devinait sans mal le regard du Conseiller qui la transperçait alors qu'elle restait fixée sur la mèche brune. La jeune femme voyait les deux orbes vertes de son visage, floutées parce qu'elle faisait de son mieux pour ne pas y plonger.
« Tu devrais partager tes craintes si tu espères qu'elles soient résolus. »
Il l'avait dit de son ordinaire ton paternaliste, emplit de douceur et pourtant ça sonnait différemment aux oreilles de Yunoki.
« Qu'est-ce que tu veux dire ? »
Maitrise-toi, ma fille !
C'était sorti malgré elle, tant la phrase lui paraissait étrange. Elle avait mentionné une grande charge de travail et voilà qu'il lui parlait de « craintes ».
La tension monta d'un cran et la jeune femme sentait ses doigts se crisper autour de son stylo, alors son autre main vint automatiquement se saisir d'une mèche de sa chevelure de jade pour la triturer.
« J'ai simplement voulu dire, que tu pouvais venir me parler si besoin. Je serai prêt à t'écouter. »
Ah voilà, il lui disait juste que si elle voulait se confier, il était tout ouï. Et qu'est-ce qu'il souhaitait entendre au juste ?
Yunoki mit son esprit en pause, se disant qu'elle se poserait des questions plus tard. Il fallait clore cette conversation car elle ne supportait plus du tout cette atmosphère oppressante et cette tension qui lui vrillait la tête.
Le clapotis des cascades résonnait dans son esprit en un désagréable tintamarre, donnant l'impression que toute une rivière s'écoulait dans son cerveau.
« C'est très gentil à toi de t'inquiéter Leiftan, mais tout va bien, je suis juste…. »
« …fatiguée.»
Il avait terminé sa phrase en la ponctuant d'un léger rire, doux, discret mais inattendu.
Yunoki en était restée figée et avait regardé le Conseiller se lever pour rajuster son manteau sur ses épaules.
Puis, sans crier gare, il se pencha vers elle et ébouriffa les cheveux, en plantant brusquement son regard vert dans l'or de ses yeux.
« Ne t'en fait pas Yunoki, tu finiras par me parler. »
C'était un vrai brasier. Son dos ruisselant de sueur et ses entrailles tordues par l'angoisse, elle fut contrainte de contempler les iris fixes de Leiftan, qui brûlaient dans l'immense enfer de ses yeux.
Le vert intense brillait de son éclat malsain, puis, la seconde d'après, il fut voilé de son habituelle douceur.
Mais Yunoki l'avait vu. Elle avait vu de nouveau la noirceur et l'étrange étincelle qui illuminait son regard de toute cette démence.
La gratifiant d'un agréable sourire, Leiftan tourna les talons, se dirigeant vers le Kiosque Central en laissant la pauvre jeune femme totalement égarée sur le rebord de la fontaine.
Elle resta ainsi pendant plusieurs minutes car son esprit lui avait faussé compagnie. Puis, machinalement, son corps choisi de se lever pour la conduire jusqu'à sa chambre.
Calmement, Yunoki s'était muni de ses affaires de toilette avant de se diriger vers les douches communes du Quartier Général et de se blottir sous le jet, à l'abri des regards.
Puis elle avait pleuré. L'eau coulant sur sa longue chevelure de jade s'était mêlée à celle de ses larmes qui traçaient des sillons sur son visage avant de mourir sur les courbes de sa mâchoire.
Yunoki pleurait pour bien des raisons : de peur, de colère, de désespoir. Elle avait toujours cette profonde conviction d'avoir vu juste sur Leiftan, car la crainte qu'elle ressentait à son égard était bel et bien réelle mais elle savait aussi que dans cette vérité, elle serait seule à se battre.
Et elle n'avait pas les armes pour lutter contre lui. Et lutter contre quoi exactement ?
Quel dilemme que de voir le véritable visage d'un homme sans jamais connaitre ses réelles intentions. Et dans le cas de Leiftan il s'agissait surtout de pouvoir mettre un mot sur l'étincelle qui animait son regard tordu, mais Yunoki était certaine de ne jamais vouloir découvrir ses ténèbres à lui.
Une fois ses larmes taries, elle coupa le robinet de douche, se sécha et retourna dans sa chambre. Elle souhaitait de nouveau plonger dans l'océan en compagnie des Atlantes car elle avait presque terminée son étude et ainsi elle comptait, par la suite, passer sa soirée avec Ewelein. La douceur et la bonne humeur de l'elfe médecin lui ferait le plus grand bien.
Mais une fois devant son bureau, elle réalisa que l'imposant volume n'y était pas. Ni lui, ni son stylo et son carnet de notes.
La jeune femme resta un instant dubitative en cherchant dans sa mémoire les moments passés entre les Jardins de la Musique et le Quartier Général.
Et il était clair qu'avec la pénible entrevue de Leiftan, son trajet automatique et sa triste douche, le livre d'étude était sûrement resté posé sur le rebord de la fontaine.
Avec un soupir Yunoki enfila une longue veste polaire avant de sortir.
La Place du Marché se dépeuplait petit à petit et les Purrekos allumaient les réverbères de la cité à l'aide de leurs longues perches. La jeune femme les salua en passant parmi eux, puis traversa le Refuge jusqu'au Kiosque Central.
Une fois dans les Jardins, elle aperçut son lourd volume d'étude, sagement posé sur le rebord, et elle se fit la réflexion qu'elle devait être sacrément bouleversée pour partir ainsi sans lui.
Yunoki chercha des yeux son petit carnet de note, et lorsqu'elle se saisi du livre pour regarder s'il n'avait malencontreusement pas glissé dans la fontaine, elle senti un petit objet glissé entre les pages. Intriguée, elle ouvrit l'énorme volume pour trouver son carnet, ainsi que son stylo coincés à l'intérieur.
Elle avait été sacrément troublée, certes, mais elle ne se souvint absolument pas d'avoir rangé ses affaires ainsi.
À moins qu'elle ne perde la raison.
Un frisson glacé la parcouru à cette pensée et la jeune femme se reprit. Elle jeta un œil sur ses écrits, fixant la petite tâche d'encre qu'elle avait formé malgré elle à l'arrivée de Leiftan, et elle découvrit avec effarement à la suite, une écriture qui n'était pas la sienne.
Les mots avaient été griffonnés à la hâte, si bien que le tracé de certaines lettres était très appuyé, mais le message restait clair :
« Vous avez vu ce qu'il est réellement.
Mais surtout ne le laissez jamais vous atteindre, car il est encore plus sombre que ça, et je dois vous le faire savoir.
Je serai à l'aube sous l'arbre centenaire, avec très peu de temps mais puisque que vous semblez aussi lucide que moi, alors nous devrions nous parler. »
Yunoki relu ces lignes une bonne dizaine de fois, stupéfaite. Elle était certaine de n'avoir jamais vu cette écriture auparavant.
« Il », celui du message, n'avait pas besoin d'être nommé pour deviner qu'il s'agissait de Leiftan.
« Ne le laissez jamais vous atteindre »
L'atteindre ? C'était déjà fait, car devant lui elle n'avait plus le contrôle d'elle-même, elle se sentait comme prisonnière de son aura.
Mais bon sang qui pouvait bien lui avoir écrit ainsi ?
Cela pouvait venir d'absolument n'importe qui, aussi bien d'une personne qui voudrait lui jouer un tour que d'une autre voulant absolument lui partager quelque chose qu'elle ignorait.
C'était fou, inattendu. Elle avait là le message d'un parfait étranger qui lui disait à mots couverts qu'elle n'était ni folle, ni paranoïaque et que ce qu'elle voyait en Leiftan était bien réel.
« Car il est encore plus sombre que ça, et je dois vous le faire savoir.»
Plus sombre encore ? Pire que l'enfer de ses yeux, ses iris fixes et sa lueur malsaine, vraiment ?
Yunoki était tiraillée entre l'espoir et la méfiance. Elle voulait bien croire ce mystérieux interlocuteur et entendre ce qu'il avait à lui dire, mais cependant elle n'était pas à l'abri d'un piège.
Après tout Leiftan pourrait même être l'auteur de cette note, car maintenant qu'elle connaissait son vrai visage, la jeune femme le voyait bien être assez tordue pour l'attirer vers lui de la sorte.
Une boule d'angoisse se forma dans ses entrailles lorsque le Conseiller lui apparut mentalement et Yunoki le chassa aussitôt.
Un véritable conflit faisait rage dans son esprit, car une partie d'elle-même voulait se rendre au point de rendez-vous à l'aube, alors que l'autre lui criait que tout ceci n'était que mensonge et que seule la perdition l'attendrait sous l'arbre centenaire.
Alors elle respira profondément, ordonna à son cerveau de se mettre en grève et chercha, au plus profond d'elle-même, cette incroyable faculté qui ne la trahissais jamais. Son instinct.
Ce fidèle ami qui lui avait mis la puce à l'oreille en lui montrant l'âme obscure de Leiftan, lui serait, cette fois aussi, d'un grand secours pour prendre sa décision, alors Yunoki, attentive, attendait un signe de lui.
Et lorsqu'elle ressenti dans sa poitrine, une vague de chaleur apaisante ainsi qu'un impétueux élan de volonté, elle sut alors qu'en décidant de se rendre au cerisier centenaire une fois l'aube levée, elle faisait le bon choix.
Ω
Elle était restée assise sur son lit durant une bonne dizaine de minutes.
À ressasser.
En vérité, elle n'avait même pas beaucoup dormi cette nuit, avec ce trop-plein d'émotions et cette épineuse question : devait-elle vraiment se rendre à ce mystérieux rendez-vous ?
L'instinct avait dit oui, mais était-il si fiable que ça ? Au fond, il ne s'agissait peut-être que d'espoir. Celui de trouver une autre personne qui avait connaissance des ténèbres de Leiftan. Quelqu'un qui partageait la même vision qu'elle.
Alors Yunoki était restée assise sur son lit, à penser.
Mais il y avait trop de questions, trop d'inquiétudes, de « oui…mais ». Alors la jeune femme décida de mettre un terme à ce vacarme, en prenant le problème à la racine : elle pouvait simplement ignorer le rendez-vous et continuer à mourir de frayeur face à Leiftan, ou bien elle pouvait y aller, peut-être tomber dans un guet-apens, ou bien sur une personne qui pourrait lui venir en aide.
D'un côté elle était certaine de vivre dans la peur, alors que dans l'autre il y avait l'inconnu, mais aussi de l'espoir.
Alors Yunoki trancha pour de bon, et choisi l'espoir.
Elle se leva, et toute sa volonté endormie se dressa de nouveau pour l'épauler dans sa démarche.
Les premiers rayons de la journée vinrent toucher les branches massives de l'arbre centenaire.
Toutes ses fleurs étaient écloses à présent et elles avaient la fâcheuse manie de disperser leurs pétales à la moindre brise.
Mais qu'importe les années qui filaient, le Cerisier, lui, était toujours là, stoïque et puissant à regarder la Citée d'Eel prospérer.
Et ce matin-là, l'aube se levant doucement, l'arbre magnifique regardait Yunoki se tenir debout sous ses branches, les bras croisés sur sa poitrine, agitée mais fermement décidée.
La jeune femme avait pris soin de quitter le Quartier Général sans un bruit, en priant pour ne pas croiser le personnel des équipes du matin qui irait au réfectoire. Mais finalement son escapade s'était passée sans encombre, et elle avait pu atteindre le Cerisier sans être vue.
Parfait, ma fille. Alors maintenant que tu y es, attends.
Et c'est ce qu'elle fit, en faisant parfois les cents pas, parce que ça l'apaisait un petit peu quand la nervosité était trop forte, mais qu'importe à quel point elle avait peur, Yunoki se tiendrait là, sous cet arbre jusqu'à l'arrivée de son messager inconnu.
Elle voulait savoir pour Leiftan, à quel point son âme était sombre.
Un courant d'air vint agiter les fleurs du grand arbre dans un doux murmure, faisant voler quelques pétales au passage, mais dans tout ce panorama aux couleurs pastelles, un sombre individu s'était permis de fouler les branches du Cerisier, pour se laisser tomber sur le sol derrière Yunoki dans un mouvement souple et gracieux.
Comme d'ordinaire, il était Maître dans l'art du silence car la jeune femme ne l'avait pas entendu escalader le mur de la cité, ni chevaucher les branches massives de l'arbre magnifique, et sa chute à l'instant fut inexistante à ses oreilles membraneuses.
« Je suis là .»
Contrairement aux autres fois où Leiftan la prenait par surprise, il n'y eut pas de sursaut et le corps de Yunoki ne prit même pas la peine d'enclencher son protocole d'auto-défense. Pourtant il était clair qu'elle ne s'attendait sûrement pas à entendre une voix rauque d'un instant à l'autre.
Elle se retourna lentement pour faire face à l'auteur du message, qui devait être l'incarnation même de la discrétion puisqu'elle n'avait absolument pas perçu son arrivée.
Un être obscur se tenait devant l'énorme tronc du Cerisier. Une grande silhouette à la large carrure, dont chaque centimètre carré de peau était recouvert d'une épaisse armure noire.
Quelques touches de rouge complétaient la tenue, dont une longue cape scindée en deux, un épais cordon maintenant ses grosses épaulières en place, ainsi que d'étranges symboles qui décoraient ses bottes et ses gants. Peut-être une marque d'appartenance à un clan.
Mais le rouge le plus intense, restait celui des rubis de son masque. Le casque sombre, aussi beau qu'effrayant par le réalisme des détails, avait été conçu pour former un visage de dragon et l'orfèvre qui s'était occupé de sa conception avait incrusté deux magnifiques rubis écarlates.
Et Yunoki les fixait de son regard doré en se demandant comment elle pouvait les trouver si….vivants…expressifs.
Cet homme, malgré la noirceur de son costume, dégageait une aura puissante, mais si rassurante que la jeune femme se senti en confiance, sans pour autant mettre sa méfiance de côté, car elle avait une multitude d'explications à lui demander.
«Êtes-vous celui qui m'avez écrit hier ? »
« C'est bien moi. » répondit-il de sa voix rauque, étouffée par le casque, et Yunoki se fit la réflexion que l'autre prenait absolument toutes les dispositions nécessaires pour cacher son identité.
Il n'y avait absolument aucun moyen de reconnaître sa voix.
« Alors je suppose que vous saurez me répéter le message. »
L'homme sombre resta silencieux quelques secondes, mais nullement surpris par les précautions de la jeune femme.
Méfiante, prudente et intelligente. Lucide aussi, et c'est d'ailleurs pour cela qu'il avait choisi de la contacter.
« Vous avez vu ce qu'il est réellement. Mais surtout ne le laissez jamais vous atteindre, car il est encore plus sombre que ça, et je dois vous le faire savoir. Je serai à l'aube sous l'arbre centenaire, avec très peu de temps mais puisque que vous semblez aussi lucide que moi, alors nous devrions nous parler. »
C'est ce que j'ai écrit hier sur votre carnet de notes, lorsque vous avez quitté les Jardins de la Musique après votre conversation avec le Conseiller. »
Le message correct mot pour mot. Très bien.
« Vous me surveillez ? » Renchéri la jeune femme.
« Je ne vous surveille pas. » Déclara l'homme obscur, « Je veille sur vous, comme je veille sur tous les habitants de cette citée afin de les préserver d'un danger dont vous ne connaissez même pas la surface. »
Yunoki le regardait. Il n'avait rien d'un ange gardien alors pourquoi parler de protéger les habitants d'Eel qui, eux, le considérait comme une menace ?
Elle était déjà arrivée à la cité lorsque l'on avait mentionné l'existence d'un homme vêtu de noir qui s'introduisait comme bon lui semble au sein d'Eel pour récupérer des informations confidentielles afin de nuire à la cité.
Ça ne pouvait être que lui, et il est vrai qu'il correspondait plus à l'étiquette du mal qu'on lui collait sur le dos.
« Parlez-moi de lui. » Déclara calmement la jeune femme alors que de l'intérieur, elle brûlait de savoir. « Qu'est-ce qu'il est ? »
L'homme obscur s'avança de quelques pas, avant de murmurer dans un souffle.
« Écoute bien Yunoki, parce que je vais être bref, mais il te faudra comprendre du premier coup. »
Trêve de vouvoiement, il fallait lui montrer la réalité alors on pouvait se passer des convenances.
Elle fixa les rubis qui la dévisageaient.
« Je comprendrais, je suis lucide. »
« Je le sais, et c'est pourquoi tu as le droit de savoir. »
La jeune femme hocha la tête sans plus rien ajouter.
Vas-y, parle.
« Tu sais qu'Eldarya a été créé pour recueillir les faeliens qui étaient traqués sur Terre n'est-ce pas ? Et bien si aujourd'hui toutes les cités sont prospères et construisent l'avenir, il reste quelques personnes qui n'oublient pas le passé. Et ces personnes-là forment une puissante organisation qui œuvre dans le but de reprendre la Terre.
Le Conseiller en est un membre. »
Yunoki écoutait attentivement l'homme sombre, saisissant l'ampleur de ce qu'il venait d'annoncer.
« Reprendre la Terre ? Ils veulent tuer tous les humains ? »
« C'est exact, mais ça c'est mon problème. » coupa l'autre, « Démembrer cette organisation fait partie de ma mission, garde cette information dans ta tête pour toujours te rappeler que le Conseiller est ton ennemi. Maintenant tu dois savoir…. »
Il marqua une pause, s'apprêtant à moduler ses paroles pour être le plus précis possible.
« Yunoki, le Conseiller est un meurtrier qui a appris à tuer et torturer. Mais s'il est au sein d'Eel aujourd'hui, c'est pour manipuler les Hauts-Conseillers afin qu'ils se concentrent uniquement sur l'ouverture d'un portail vers la Terre.
Mais sache bien une chose : même s'il refrène ses pulsions, il aime tuer et continu de le faire dans l'ombre, mais il ne choisit pas ses proies au hasard. Il suffit que tu possèdes quelque chose….une particularité physique qui l'intéresse pour qu'il te traque. Alors ne le prend jamais à la légère. Cet homme est fou Yunoki, aussi fou qu'intelligent »
La jeune femme senti le venin de la peur se disperser dans ses veines.
Un meurtrier. Qui aime tuer.
C'était ça…..l'enfer de ses yeux….elle avait compris. Elle avait enfin comprit !
L'étincelle, l'étrange éclat qui illuminait le regard vert de Leiftan d'une lueur malsaine….
C'était de la folie.
Une lueur folle, tordue, à l'image d'un esprit tourmenté.
« Alors…. » Commença Yunoki dont une boule d'angoisse oppressait ses poumons, « Alors c'est ça ….il est après moi ? »
L'homme obscur la regardait et elle voyait les rubis écarlate perdre leur lumière, comme s'il était désolé pour elle.
« Oui. Quelque chose en toi l'a attiré. Tu es sa proie. »
Tu es sa proie.
Les larmes inondèrent le visage de la jeune femme qui sentait le monde extérieur tourner devant son regard. Elle tomba à genou le souffle court lorsque deux puissantes mains gantées de cuir noir la saisirent par les épaules pour la confronter aux joyaux rouges du masque.
« Reprends-toi. »
Elle était si près qu'elle pouvait détailler chaque facette des rubis.
« Reprends-toi » lui souffla-t-il, « Je t'ai dit de ne jamais le laisser t'atteindre, alors je t'interdis de flancher. »
« Il va me tuer. »
« Il va essayer, mais je ne laisserai pas faire. »
Yunoki se releva, l'autre la tenant toujours par les épaules.
« Écoute-moi bien. Tu as voulu connaître ton ennemi, c'est chose faite, sinon tu ne serais pas ici. Je m'occuperai de lui lorsqu'il voudra passer à l'acte, mais toi tu devras faire quelque chose pour moi.
Ah, nous y voilà. On a rien sans rien n'est-ce pas ?
« Qu'est-ce que vous voulez ? »
L'homme obscur la lâcha avant de reculer.
« Persuade les chefs des trois Gardes de privilégier le développement urbain d'Eel plutôt que d'ouvrir un portail pour le ravitaillement. Leurs voix comptent au conseil et si les dirigeants d'Eel sont prêts à se pencher sur une autre solution pour résoudre le problème des denrées alimentaires, alors ça nuira au plan de l'organisation et le Conseiller sera rappelé. »
La jeune femme prit un une seconde pour classer ce qu'elle venait d'entendre, dans son esprit. Leiftan était un meurtrier qui œuvrait au sein d'une organisation déterminée à reprendre la Terre aux humains, il manipulait les Haut-Conseillers d'Eel pour ouvrir un portail et il faudrait qu'elle convainc les chefs de Gardes que résoudre les problèmes alimentaire d'une autre façon que celle des portails pourrait être une bonne idée.
Elle, simple membre de la Garde Absynthe.
« Je dois m'en aller. »
Elle ouvrit les yeux pour voir l'homme en noir se diriger vers le Cerisier, mais à peine eu-t-elle ouvert la bouche pour lui sommer d'attendre qu'il était déjà parti. Dans un silence religieux.
Yunoki regarda le paysage. L'arbre magnifique, les pétales couleur pastel, le kiosque central au loin….rien de tout ceci ne lui paraissait réel à présent.
Car la réalité, elle, était bien plus sombre que cela, elle le savait à présent.
Ω
Hors du temps.
Comme une nouvelle vie alors qu'au fond il n'y avait pas de changement radical. Elle était juste encore plus lucide qu'avant et bien consciente de ce qui se passait tapis dans l'ombre.
Le lendemain de son entrevue avec l'homme sombre, elle avait croisé Leiftan, qui passait simplement lui dire bonjour tout en lui faisant savoir qu'il s'inquiétait beaucoup pour elle.
Mais Yunoki l'avait supporté, même si maintenant l'image qu'il lui renvoyait était encore plus hideuse qu'avant.
Sa silhouette lui paraissait bien plus menaçante, son doux sourire malsain, le son posé de sa voix effrayant et son habituel ton paternaliste lui semblait possessif, comme s'il voulait dire : Tu es à moi, tu es ma proie.
Même ses habits blancs sonnaient faux. Comme un démon qui se serait travesti en ange pour mieux tromper son entourage.
Cet homme était fourbe, mais pire que cela, il était fou. Aussi fou qu'intelligent et manipulateur.
Parfait dans sa noirceur.
Alors, ayant toujours son ennemi à l'esprit, Yunoki avait commencé à mettre en œuvre le plan de l'homme obscur.
Ses études sur les Atlantes terminées, elle était allée voir Ewelein dans son infirmerie pour lui partager ses trouvailles, et après que l'elfe médecin lui ait promis un futur diagnostic, à la suite d'une profonde analyse, la jeune femme avait commencé à mentionner les portails et l'alimentation, appuyant sur le fait que trouver une autre solution à ce problème de nourriture pourrait être intéressant.
Mais il semblerait que non. Parce que « c'est un sujet difficile, Yunoki, et nous ne sommes pas politiciennes ».
Cependant Ewelein avait apprécié la conversation, et tant mieux car pour atteindre l'objectif de l'homme sombre, il fallait que l'idée fasse son chemin. Il fallait en parler, lancer la rumeur, faire circuler l'information.
Que les habitants de la cité se disent que le temps était venu de devenir indépendant en nourriture et que la Terre pouvait bien garder la sienne.
C'était ça le but final : pas de portail, pas d'accès à la Terre et l'organisation se verrait en état de difficultés.
Tant mieux alors, les humains vivraient plus longtemps…..et Yunoki aussi.
Parce que chaque matin elle se levait en se demandant si Leiftan essaierait de la tuer aujourd'hui, et tous les soirs elle se couchait avec le soulagement d'avoir vécu une journée de plus. C'était horrible de vivre ainsi.
Cela faisait maintenant plus d'un mois depuis l'entrevue avec l'homme obscur, et la jeune femme n'avait pas de ses nouvelles. Elle s'était dit que la conversation qu'ils avaient eue devant le Cerisier serait peut-être la seule et elle espérait avoir faux.
Le revoir serait un soulagement, une garantie qu'il tiendrait sa parole au sujet de Leiftan qui se faisait plus présent que d'ordinaire.
Maintenant il ne s'agissait plus de la saluer le matin, mais de se trouver, dans le plus grand des hasards, aux mêmes endroits que Yunoki, pour lui parler de banalité, s'inquiéter de son moral, chercher son regard….et la complimenter aussi, de temps en temps. Sur ses yeux.
« On croirait de l'or en fusion. Tes yeux…..c'est très joli. Vraiment très joli. »
Et la jeune femme se brisait de l'intérieur, son système d'auto-défense plus actif que jamais, en imaginant milles plans qu'elle ne pourrait exécuter si l'autre tenterait de lui ôter la vie.
Alors oui, elle aurait aimé avoir la certitude que l'homme obscur tiendrait son engament, car elle, durant le mois, avait bien remplit le sien.
La conversation qu'elle avait eu avec Ewelein s'était propagée, car l'elfe médecin en avait parlé à Ykhar, qui en avait parlé à Valkyon le chef de la Garde Obsidienne, et cela était arrivé aux oreilles de Karuto, le cuisinier du Quartier Général, dont le caractère explosif avait sa propre légende, et le faune clamait maintenant haut et fort qu'en effet, il était las de cuisiner des aliments terriens et que les savants d'Eldarya feraient mieux de se pencher sur la question de la nourriture plutôt que de chercher à fouiller le ciel pour étudier les étoiles
« Ah ! Mais ces vieux fous utilisent leurs cervelles uniquement pour ce qu'ils veulent ! On voit bien que ce ne sont pas eux qui font la cuisine ! »
Et assise à une table du réfectoire, Yunoki l'écoutait râler, un sourire amusé sur les lèvres, car cela la sortait temporairement de toute cette tension. Aux côté du cuisinier, il y avait plusieurs membres des différentes Gardes, mais aussi quelques étudiants érudits.
« Voilà, j'ai fait ce que tu voulais. Tu vas juste me laisser maintenant ? »
La main de la jeune femme serrait sa cuillère au point que les jointures de ses doigts en devinrent blanches. Une colère pointait doucement du fond de ses entrailles et Yunoki la laissait monter.
Elle fulminait en pensés, car tous les jours elle guettait des signes de l'homme sombre, mais rien.
La jeune femme ne demandait pas grand-chose, juste un indice qui lui montrerait qu'il était là. Qu'il veillait sur les habitants de la citée comme il lui avait dit.
Bien, alors cher ange gardien, est-ce que tu sais que je côtoie mon ennemi tous les jours ? Que j'ai peur en permanence ? Je suis venu te voir parce que j'avais de l'espoir, et c'est ce que j'ai trouvé avec toi. Alors pourquoi tu ne dis rien ?
Yunoki se leva brusquement de sa chaise et quitta le réfectoire. Elle marcha rageusement en direction de sa chambre, priant pour ne pas croiser Leiftan qui ne manquerait pas de remarquer sa colère, et une fois dans ses quartiers, elle se laissa tomber sur son lit, puis porta ses mains à son visage.
Elle appuyait ses paumes sur son regard, faisant surgir toutes sortes de tâches lumineuses, mais qu'importe car elle voulait simplement ne plus voir le monde extérieur durant un court instant.
Des miaulements retentirent et Yunoki senti une douce petite forme monter sur le lit pour se frotter contre son bras.
Son petit ciralak avait terminé de chasser et venait donc se détendre en espérant que sa maîtresse le cajolerait, mais il semblerait qu'elle ne soit pas disposée à des câlins.
La jeune femme gratta distraitement l'une des deux têtes du petit félin, et un miaulement agacé indiquait que la caresse ne devait pas être équitable.
« Tu me fatigue, Matagot. » dit-elle d'un ton qui révélait le contraire, car elle adorait son familier, même si celui-ci était en train de se dérober à ses câlins pour grimper sur ses genoux en miaulant de plus belle.
Et Yunoki comprit alors l'insistance de Matagot, car le ciralak avait un petit parchemin accroché à l'un de ses colliers.
Se pourrait-il… ?
Avec un mélange de hâte et d'anxiété, elle dénoua la ficelle qui maintenait le message en place pour le dérouler et lire l'unique mot qui avait été griffonné avec empressement.
« IDEM »
Pour « même heure, même endroit ». Toujours aussi précautionneux.
La jeune femme inspira profondément et l'espoir tari tout au fond de son être refit surface. Il était réapparu et elle le rencontrerait demain à l'aube, devant le Cerisier.
Une vague d'apaisement l'envahit, mais elle ne manquerait pas pour autant, de lui faire part de sa colère car elle lui en voulait de ne pas s'être manifestée plus tôt.
Mais qu'importe, cette nuit elle pouvait dormir sans crainte, car demain elle verrait l'homme obscur.
Ω
Assise contre le tronc de l'arbre magnifique, Yunoki regardait le soleil se lever doucement sur la cité, faisant disparaître de ses rayons lumineux, les derniers vestiges de la nuit.
Les quatre lunes d'Eldarya brillaient encore lorsque la jeune femme s'était rendue au point de rendez-vous, incapable de rester plus longtemps dans son lit, mais aussi parce que son instinct lui soufflait d'agir différemment puisque Leiftan la surveillait de près. Ainsi, personne ne la vit quitter le Quartier Général et les purrekos ne pourraient même pas être témoins de son passage car le marché n'était pas encore installé.
Durant l'attente, Yunoki avait mentalement préparé toute une liste de questions qu'elle poserait bientôt à l'homme sombre. Elle se les récita une fois de plus tout en triturant machinalement le tissus de sa longue robe verte, pour ne pas perdre le fil devant lui, car ce serait très facile de les oublier, surtout si l'autre disparaissait aussi vite que la dernière fois.
« Je suis là. »
Parfait.
Yunoki leva la tête pour voir cet homme obscur, droit et stoïque dont les rubis demeuraient toujours aussi écarlates. Évidement elle ne l'avait pas entendu arriver, et même si en escaladant les branches du grand arbre, il l'aurait couverte de pétales, elle ne s'en serait même pas aperçue, trop occupée à penser et à ruminer.
La jeune femme se mit debout pour faire face à l'homme sombre.
« Vous ne me demandez pas comment je vais depuis notre dernière rencontre ? »
« Non. »
Yunoki se figea sur place. Pas que son système d'auto-défense ne se déclencha, mais parce qu'elle était seulement scandalisée par la réponse de l'autre.
Non ?
« Je n'ai pas à le faire. » Poursuivi l'homme obscur « car j'ai gardé un œil sur toi depuis la dernière fois. »
D'un revers de la main, la jeune femme essuya les larmes qui avaient empli ses yeux lorsque le « non » s'était douloureusement planté dans sa poitrine. Elle avait eu mal pendant une seconde avant d'entendre le reste de la phrase.
« Si vous étiez là, » amorça-t-elle, essayant de garder contenance, tant la colère montait. « Alors pourquoi ne pas m'avoir fait signe ? Laisser un indice ? Me faire comprendre que je n'étais pas seule ? »
« Je ne peux pas. »
Yunoka se stoppa net. Comment ? Lui qui entrait et sortait à sa guise de la citée était en train de lui dire qu'il « ne pouvait pas » lui communiquer sa présence d'une façon ou d'une autre ?
« Écoute, Yunoki » repris l'homme sombre, la fixant intensément de ses rubis, « hormis nos conversations sous l'arbre centenaire, tu dois faire comme si je n'étais rien. Comme si je disparaissais à la fin de notre entrevue, car c'est ainsi que les choses doivent se dérouler. Nous avons conclu un accord, parce que nous avons temporairement besoin l'un de l'autre, mais une fois le marché honoré, il ne sera plus question de se rencontrer de nouveau.»
La jeune femme le dévisageait. L'or et les rubis se toisaient dans une étrange lutte qui imposa un silence de quelques secondes.
Bien, alors il doit en être ainsi ? Elle se demandait vraiment pourquoi cet homme couvert de cuir et de métal tenait tant à faire de son existence, un simple courant d'air.
« J'ai propagée l'idée du développement d'Eel dans l'alimentation comme vous le vouliez. »
Yunoki rompit le silence.
« Je sais. » répondit l'homme obscur, « J'ai suivi la propagation de cette idée, et cela jouera un grand rôle pour la réunion du conseil qui aura lieu ce matin. Tu as fait ce qu'il fallait.»
Très bien. La jeune femme hocha la tête. Le point culminant de leur rencontre sous le cerisier venait d'être abordé. Après ça, elle devrait nier l'existence de l'homme sombre, conformément à son souhait.
« Donc, » aborda Yunoki, « Leiftan pourrait être rappelé, c'est bien ça ? »
Continuons à parler affaires, et une fois que l'un sera satisfait par la décision du conseil, et que l'autre se sentira en sécurité, il n'y aurait, alors, plus aucune raison de se rencontrer.
Finissons-en.
« En effet. Mais tu dois savoir Yunoki, que même son départ ne l'empêchera pas de vouloir te nuire. Donc sois sûre que j'ai encore ma part du marché à honorer. »
La jeune femme soupira, mêlant lassitude et désespoir. Elle devrait donc faire face, quoi qu'il arrive, à l'être le plus noir qu'elle n'avait jamais rencontré, et cela la terrifiait.
« Alors…..il ne reste plus qu'à attendre son passage à l'acte, n'est-ce pas ? »
Un courant d'air fit valser les fleurs de cerisiers sur leurs branches, déversant au passage, une pluie de pétales sur les deux personnes qui se tenaient à ses pieds.
L'image était presque irréelle : une femme aux longs cheveux de jade vêtue d'une robe verte et un homme en armure noire sous une averse rose pastelle.
Celui-ci s'avança légèrement pour poser une main gantée de cuir, sur l'épaule de Yunoki.
« Sois sans craintes. Tu vivras parce que je veillerai sur toi jusqu'au moment fatidique. »
Elle regardait les facettes des rubis, toujours aussi rassurants et intimidants à la fois.
« Vous serez peut-être là, toujours invisible, mais je resterais seule à avoir peur. Je me lèverai le matin et me coucherai le soir la peur au ventre, avec mon ennemi toujours présent dans ma tête, en attendant qu'il veuille me tuer. »
La main sur l'épaule tressaillit et raffermi sa prise, l'autre soupirant dans son casque, mais gardant le silence.
« J'ai honoré ma part du marché, alors vous devez faire de même. » Poursuivi-t-elle.
L'homme obscur la regardait et la jeune femme devinait son air dubitatif.
« Mais je demande une garantie. ».
L'autre lâcha son épaule pour croiser les bras sur son torse couvert de métal. Elle voulait une garantie ? Elle ne perdait pas le Nord !
« Et qu'est-ce que tu demandes ? »
Yunoki le toisait, et mit toute sa conviction dans sa phrase, en y ajoutant une pointe de fermeté.
« Je vous rencontrerais à cet endroit une fois par semaine, et ce, jusqu'à ce que vous ayez honoré votre part du marché. »
Silence. L'homme sombre semblait réfléchir, mais plus que ça, il pesait le pour et le contre de cette proposition.
« Je peux accéder à ta garantie, Yunoki. Mais en échange, tu devras respecter les conditions que je t'ai expliqué tout à l'heure : tu devras nier mon existence en dehors de nos conversations sous l'arbre centenaire. Et dis-toi bien que je ne consacrerais pas beaucoup de temps à nos prochaines rencontres. »
« Ça me suffit. » le coupa la jeune femme, « Vous voir une fois par semaine…..suffira à m'apaiser. Parce que même si mon ennemi restera dans ma tête, je garderai aussi à l'esprit, que je ne suis pas seule dans ce combat, et qu'une fois le moment arrivé, il y aura quelqu'un pour arrêter Leiftan. »
L'apaiser. L'homme obscur se tu mais si Yunoki pouvait voir son visage à cet instant, elle aurait remarqué son trouble. Parce que d'ordinaire on le considérait comme un pariât, une menace, sans jamais connaitre la nature véritable de ses actions qui aboutissaient toutes au bien d'Eldarya. Mais à cet instant et pour quelques temps, il représentait l'espoir pour une jeune femme aux cheveux verts.
Et il prit la décision de ne pas le bafouer.
« Je dois y aller. »
Pas que le temps lui manquait, il avait seulement besoin d'être seul.
« Oui, » répondit la Yunoki aux grands yeux dorés, « Mais de toute façon, nous nous reverrons. »
Ω
« ….Alors conformément à la décision apposée par le Conseil en cette mi-saison d'été, signée à la mort de l'aube, la plus grande partie des recherches en alchimie devront se tourner vers un filtre destiné à nourrir les sols d'Eldarya afin de les rendre fertiles à la culture de céréales, fruits et légumes. Le quart restant des équipes d'alchimistes pourront continuer les activités programmées pour le bon déroulement des missions d'Eel.
La décision du Conseil rappelle à tous les membres de la Garde Absynthe de respecter scrupuleusement les directives des érudits-chercheurs, de la Responsable de la Garde Étincelante, citée, Miiko et du Chef Nommé, cité, Ezarel pour la fabrication des filtres et de ne jamais prendre d'initiatives personnelles dans sa conception. »
Ezarel termina la lecture du nouvel arrêté qui avait vu le jour, après la réunion qui s'était déroulée dans la matinée.
On ne pouvait pas déceler sur son visage, ce qu'il pensait de cette nouvelle, mais à en déduire l'absence de cynisme lors de la lecture, il prenait tout cela au sérieux.
Dans les rangs des membres de la Garde Absynthe, Yunoki se maîtrisait pour ne pas sauter de joie : on allait commencer les recherches afin de rendre la citée d'Eel autonome en matière de nourriture, ce qui conduisait donc au futur départ de Leiftan.
Et le soulagement dans sa poitrine était tel qu'elle avait l'impression de respirer à nouveau après avoir vécu sous terre. Même si elle n'était pas encore sauvée pour autant.
La jeune femme n'avait pas croisé Leiftan de toute la matinée, ce qui était étrange puisqu'il s'arrangeait toujours pour la trouver. Sûrement que la décision finale du Conseil ne devait pas lui plaire étant donné qu'il n'y aurait pas de projet d'ouverture d'un portail vers la Terre.
Il n'avait plus qu'à partir maintenant.
Une pensée pour l'homme sombre surgit dans son esprit et Yunoki se fit la réflexion qu'il devait être déjà au courant d'une manière ou d'une autre. Sûrement qu'il n'aurait plus qu'à partir lui aussi, puisque sa mission était remplie.
Mais veillerait-il toujours sur Eel ?
Sur elle ?
La jeune femme le lui demanderait lors de leur prochaine rencontre, qu'elle attendait avec hâte, elle se surprenait elle-même.
Le reste de la semaine fut lourde en labeur car les premiers tests du filtre, en plus d'êtres gourmands en matériaux difficiles à dénicher, se révélaient complexes et les résultats infructueux.
Alors on remontait aux érudits les premières analyses, puis on réessayait ensuite. Des heures et des heures de préparations, difficiles par leurs conceptions, mais aussi parce que tous les membres de la Garde Absynthes étaient à cran.
Yunoki, après une énième journée épuisante, se rendit dans sa chambre, impatiente de rejoindre son lit. Au moins, avec toute cette occupation, elle ne pensait pas à Leiftan qu'elle n'avait, à ce jour, toujours pas revu.
Lorsqu'elle poussa la porte de ses quartiers, elle découvrit son petit Ciralak roulé en boule sur ses couvertures, et en lui donnant quelques caresses, la jeune femme remarqua, niché près de ses deux têtes, un objet qu'elle n'avait jamais vu.
C'était un immense grelot en airain de la taille d'un petit ballon, qui produisait un doux son de gong quand on le secouait. Et dans l'une des interstices, se trouvait un petit parchemin que l'on avait coincé.
Malgré elle, un sourire étira les lèvres de Yunoki qui ne se posa même pas la question quant à l'identité de l'auteur.
Elle se saisi du petit papier et le déplia pour y lire « demain ».
Et la jeune femme compris. Demain elle se lèverait à l'aube.
« Où as-tu trouvé ce grelot ? »
Yunoki était déjà sous le Cerisier Centenaires aux aurores, à attendre la venue de l'homme obscur, qui n'avait pas tardé à arriver.
Au début, ils s'étaient impliqués dans une discussion relatant la décision du conseil concernant l'indépendance alimentaire, puis la soudaine disparition de Leiftan.
L'homme sombre avait alors déclaré que l'absence du Conseiller n'était que temporaire, puisque l'organisation dont il faisait parti devait sûrement lui dicter sa conduite à tenir, jusqu'à sa prochaine mission. Mais une chose sûre : il ne partirait pas définitivement sans s'attaquer à Yunoki.
Sauf il n'y avait pas de craintes à avoir, car l'homme obscur veillait sur elle. C'était sa part du contrat à honorer.
Puis, voyant la conversation s'essouffler, la jeune femme lui posa la question au sujet du mystérieux objet qu'elle avait reçu de sa part.
L'autre posa ses rubis sur le visage de Yunoki avant de lui répondre.
« Je l'ai trouvé sur les terres orientales, à l'est de la cité, par-delà la Mer du Prisme. C'est bien un appât pour familier si c'est ce que tu veux savoir. »
Vraiment ?
« Alors, tu as déjà vu mes étagères ? »
« Je les ai vu. »
Un paisible silence s'installa, et aucun des deux ne bougea et ne dit mots. La jeune femme porta distraitement une main dans sa chevelure verte et l'homme sombre fixait au loin, le kiosque central.
Il n'y avait pas d'inconfort dans ce calme. Mais tout moment, aussi agréable soit-il, à une fin.
« Je dois y aller. »
Yunoki hocha la tête.
« Mais nous nous reverrons. »
Et plus d'une fois. Toujours de la même façon.
Dorénavant, la jeune femme se levait le matin en se demandant si Matagot lui ramènerait un message le soir. Un parchemin coincé dans un objet dont elle n'aurait pas connaissance.
C'était devenu une routine.
Les semaines passaient, et les moments avec l'homme obscur sous le Cerisier aussi. Ils parlaient toujours d'Eel au début, du Conseil, de Leiftan qui était revenu de sa soi-disant, mission secrète et de la peur que Yunoki maîtrisait face à lui qui se montrait plus présent que jamais.
Comme un chasseur qui garderait sa proie à l'œil.
Puis, ensuite, il y avait un silence, qui s'instaurait comme une coutume. Puis ils parlaient d'autres choses, plus futiles, comme une discussion normale qui les sortait un peu de leur contexte difficile, où une fois loin de l'arbre centenaire, aucun des deux ne devait exister pour l'autre.
Sauf pour le contrat.
Alors Yunoki demandait toujours quelques précisons sur l'appât qui avait servi de cachette à l'homme sombre, pour délivrer son message, et l'autre lui parlait alors, des différents endroits qu'il avait connu.
« Tu sais pour mes étagères, » s'était interrogée la jeune femme, « Tu sais pour mon familier, pour ma passion à collectionner les appâts, mes études pour rechercher mon métissage. Mais moi je ne te connais pas. »
L'autre avait soupiré dans son masque.
« C'est ainsi, Yunoki. Nous sommes liés par un contrat pour le moment, mais ensuite nous devrons…. »
« …..Nier l'existence de l'autre, je sais. » S'était-elle empressée de répondre. « Mais….. »
Tais-toi.
Elle ne pouvait pas dire ça.
« Mais ? » avait demandé l'homme sombre.
…Mais, je crois que tu ne pourras jamais cesser d'exister, pour moi.
Yunoki s'était traitée de folle pour avoir osé dire cette phrase. Pourquoi déclarer une telle chose à quelqu'un dont elle ne connaissait ni le nom, ni le visage….qu'elle ne connaissait absolument pas.
Mais cela prenait tout son sens pour elle.
Elle se levait le matin en se demandant si elle aurait un message de l'homme obscur le soir venu, elle passait sa journée à se demander où il pouvait bien se trouver à l'instant X ou Y et lorsqu'elle peinait à s'endormir, elle imaginait deux rubis écarlates, perçant mais réconfortants, veillant sur elle et alors le sommeil l'emportait.
Il existait réellement pour Yunoki, à chaque instant.
Alors c'était très bien comme ça.
« Restons-en là, Yunoki » Avait répondu l'homme obscur avant de s'en aller, pour que la jeune femme ne puisse pas ajouter quoi que ce soit.
Il ne voulait pas s'engager sur ce sentier sinueux avec elle.
Parce que ce serait trop difficile, parce que ça impliquerait de se dévoiler, de se mettre à nu devant Yunoki aux yeux dorés. Parce qu'à la fin elle serait déçue, aussi.
Merci de me donner une existence, mais je suis sûrement très loin de l'image que tu te fais de moi.
Sauf qu'il ne pourrait jamais le lui avouer.
Leurs prochaines rencontres avaient, à présent, une légère maladresse qui contaminait l'atmosphère.
Mais cela ne les empêchait pas de discuter, comme à leurs habitudes et de ponctuer leurs conversations de longs silences que chacun appréciait.
Et lors d'une matinée, sous l'arbre centenaire, Yunoki déclara à l'homme sombre.
« J'ai vu Leiftan aujourd'hui, avec une membre de ma garde, Alajéa. Elle pleurait, et lui était en train de la réconforter en lui parlant. Il a dû passer une bonne heure avec elle. »
Elle s'était tu avant de reprendre.
« Dis-moi, comment un homme comme lui peut-il feindre la gentillesse à ce point ? Comment peut-on être aussi faux ? »
L'homme obscur l'avait regardé, les rubis plongeant dans l'or de ses yeux.
« Tu sais, Yunoki, les plus grands démons ont souvent de beaux traits. Pour mieux tromper le monde et blesser les autres sans que jamais personne ne s'en aperçoive. C'est ainsi. »
Elle lui sourit.
« Et toi, alors ? »
L'homme sombre s'était détourné, masquant les joyaux de son regard et Yunoki su qu'il s'apprêtait à partir, chose ordinaire à présent lorsqu'elle lui posait des questions personnelles.
« C'est dommage. Dommage que tu te cache ainsi. »
Un nouveau soupir dans son masque.
« Il y a des choses qu'il vaut mieux ignorer, Yunoki. »
Un doux rire cristallin s'éleva et l'autre se tourna soudainement vers la jeune femme aux cheveux de jade, dont les yeux dorés étaient plissés d'amusement.
« Tu dis ça comme si tu étais une horrible personne. C'est ce que tu tiens à me faire croire, n'est-ce pas ? »
En effet oui, c'est ce qu'il voulait. Pour ne pas la décevoir.
Il était réellement heureux qu'elle se soit attachée à lui sans même le connaitre, alors il ne souhaitait rien de plus. Certaines choses devaient rester telles qu'elles le sont, car il ne voulait même pas imaginer la stupeur de son visage et ses grands yeux écarquillés si elle le voyait sans son casque.
Non, il ne fallait pas que ça arrive.
« Je dois y aller.»
Elle lui souriait.
« Oui. Vas-y. »
Après son départ, Yunoki retourna au Quartier Général, afin de rendre dans la Salle d'Alchimie et s'atteler à son labeur.
Les différents matériaux à utiliser avaient déjà été sorti et les instructions d'Ezarel étaient posées sur le plan de travail.
Chaque partie du filtre prenait tellement de temps à être réalisé que les tâches avaient été découpées entre les membres de la garde, et tant mieux car sans cela, jamais personne n'aurait pu tenir le rythme.
Le cœur léger, une agréable sensation de flottement l'envahissant, la jeune femme avait commencé à manier les matériaux. Ses gestes étaient presque automatiques, son corps bien campé dans la salle, mais son esprit parti ailleurs, tourné vers une figure sans visage. Toute noire, au seul regard écarlate.
Il avait beau dire d'en rester là, de s'ignorer en dehors des moments passés sous le cerisier, parfois elle le sentait comme enchaîné à sa sombre armure, comme si se dissocier d'elle l'effrayait.
Et en l'écoutant parler, elle distinguait de la peine dans ses paroles. Mais autre chose aussi, comme le regret de ne pas pouvoir être près d'elle. Chose qu'elle partageait.
« Ah…elle m'avait manqué ma jolie Yunoki aux yeux dorés. »
Un frisson d'horreur parcouru le corps de la jeune femme comme un spasme et les ingrédients qu'elle tenait dans la main tombèrent sur le plan de travail.
Elle se tourna automatiquement vers la voix, et son propriétaire se trouvait dans l'encadrement de la porte, son grand manteau blanc sur les épaules.
Un doux sourire flottait sur ses lèvres mais le brasier de la folie illuminait son regard, donnant un air dément à son visage et Yunoki mourrait de peur à l'intérieur.
Leiftan s'avança, emplissant la pièce d'un grand froid et d'une tension intolérable.
« Je savais que tu serais là, à travailler si dur comme d'habitude. »
Bon sang, elle percevait le léger tremblement dans sa voix. Celui qui qualifiait les personnes déséquilibrées.
L'autre lui souriait toujours, plongeant ses émeraudes aux iris fixes dans son regard.
« Mais cette fois, » Poursuivi-t-il, « Je ne suis pas venu te dire bonjour, ma chère Yunoki, mais au revoir. »
La jeune femme respira un grand coup. Elle ne devait pas perdre pieds, surtout pas.
Tu es là, n'est-ce pas ? Pourvu que tu sois là.
Elle pensait à l'homme sombre, qui veillait sur elle et son image apparu dans son esprit. Ils s'étaient quitté il y a peu de temps, mais il connaissait le danger qui planait, alors il devait être revenu maintenant, n'est-ce pas ?
Oui, c'était certain.
Je dois gagner du temps.
« Me…..me dire au revoir Leiftan ? Comment ça ? Tu repars déjà en mission ? »
Il la toisait et elle s'efforçait de regarder la mèche sombre de ses cheveux bicolores tant son regard l'effrayait.
Cet homme est fou.
La voix grave, étouffée par le masque de l'homme obscur lui revint en mémoire.
« Tu es adorable, Yunoki…. »
Silence. De la sueur glacée coulait le long de sa colonne.
« …..Réellement adorable. À essayer de contenir toute ta peur, comme cela. Ça ne te rend que plus belle, bien plus fascinante, et c'est ce que j'ai toujours aimé chez toi. »
Il se mit un rire. Un rire tordu, effrayant mais si doux, et la jeune femme ne put retenir les larmes de peur qui coulaient sur ses joues.
« Non je ne pars pas en mission. » Reprit Leiftan, « Je quitte Eel définitivement, c'est ainsi. Je n'ai plus rien à y faire maintenant. »
Il s'avança vers Yunoki, qui était totalement figée sur place, tremblante, paralysée par l'aura meurtrière du Conseiller qui la dominait de toute sa démence. Puis, tendrement, presque paternellement, il lui caressa les cheveux.
« Mais tu sais, je suis une personne qui s'attache facilement, c'est pourquoi je ne peux pas te quitter comme cela. Peut-être devrions-nous boire un dernier verre au réfectoire…»
Il regardait un point invisible sur les étagères de la Salle d'Alchimie. Et soudain ses yeux s'illuminèrent d'une lueur malsaine.
Sa main pesait des tonnes sur la tête de la jeune femme.
« ….Mais ça ne serait pas suffisant. Parce que tu n'es pas n'importe qui, pour moi tu sais ? Tu es spéciale et je me suis toujours inquiété pour toi, alors tu devrais au moins me laisser un souvenir, comme le font les très bons amis. C'est important de garder de bonnes relations avec ses amis, Yunoki, même quand ils se quittent. »
La main de Leiftan glissa sur la joue humide de Yunoki pour se saisir de son menton et lever son visage vers lui.
L'enfer. Ses yeux. Un gigantesque enfer couleur émeraude qui vous embrasait de toute sa folie.
« Alors…..Veux-tu bien me donner tes yeux, Yunoki ? Tes jolies yeux dorés, tu peux bien faire ça pour moi n'est-ce pas ? »
C'était trop. Beaucoup trop. Mais ce n'était rien encore, parce que le pire restait à venir.
L'esprit de la jeune femme se brisa et elle pleura de plus belle, agrandissant le sourire de Leiftan.
« Ah oui ! Pleure, pleure ! Ça ne rend que tes yeux encore plus beaux ! Ça fait ressortir leur couleur ! Donne-les-moi, Yunoki ! Donne-les. »
Ne le laisse jamais t'atteindre !
L'homme obscur cria dans son esprit en morceaux et la jeune femme revint à la réalité. Elle n'était pas seule.
Bats-toi, ma fille ! Prend les armes et bats-toi ! Peux-tu juste flancher ainsi ? Bien, alors tu n'as qu'à t'évanouir pour te réveiller aveugle !
Les larmes se stoppèrent et Yunoki se redressa.
Elle chassa la main de Leiftan qui tenait son menton, le bouscula violemment et se mit à courir le plus vite possible, sortant en trombe de la Salle d'Alchimie pour se diriger vers la grande pièce du cristal en espérant que Miiko et son garde du corps Jamon s'y trouvent.
Mais bon sang, où es-tu ?
Pourquoi l'homme sombre ne se montrait pas ?
Yunoki dévala l'escalier de la Salle des Portes en faisant le plus de bruit possible, espérant ameuter quelqu'un mais étrangement, le Quartier Général semblait vide. Elle se dirigea à toute vitesse vers la grande pièce où trônait l'immense cristal, mais lorsqu'elle en poussa la porte, elle la trouva aussi dépeuplée que le reste.
Mais où sont-ils tous parti ?
« Qu'est-ce qui t'as pris de t'en aller comme ça, Yunoki ? Nous n'avions même pas fini de discuter.»
Son cœur rata un battement.
Leiftan entra dans l'immense salle aux multiples vitraux, prenant le soin de refermer la grande porte à double battants.
« Où est Miiko ? Et Jamon ? » Cria la jeune femme, tentant de gagner du temps comme elle le pouvait.
Le Conseiller pencha la tête sur le côté, plissant ses yeux infernaux qui se voilèrent soudainement d'un horrible éclat.
« Ah….tu les cherche ? Mais tu ne trouvas personne ici, ma jolie Yunoki. Je savais que tu serais un petit peu réticente à me donner tes yeux, et j'étais bien conscient que je devrais les prendre moi-même, mais ça aurait été dérangeant de le faire avec beaucoup de monde autour, n'est-ce pas ? »
Sans crier gare, il se mit à éclater de rire. Un immense rire aliéné qui résonna dans toute la pièce, comme le cri horrible d'une bête désaxée.
« Alors…. » Continua Leiftan une fois calmé, un immense sourire tordu déformant son visage, « Alors, j'ai simplement éteint, une jolie ondine de la contrée voisine. Pile sur la frontière tu vois, pour créer un petit conflit politique. Donc Miiko, Jamon….ils sont tous là-bas tu comprends ? C'est compliqué à gérer ce genre de chose, mais au moins nous avons tout le temps qu'il nous faut. »
Il soupira.
« Ah, mais tu ne t'intéresse pas à la politique, Yunoki alors je dois t'ennuyer avec mes histoires, je devrais plutôt te parler de l'ondine. »
Tais-toi, par pitié tais-toi !
La jeune femme le regardait, totalement abasourdie. Leiftan était transfiguré, complètement animé par cette joie intense qu'il dégageait lorsqu'il parlait de la pauvre créature dont il avait ôté la vie.
« Parce qu'elle avait de jolies mains tu comprends…et j'ai été si bon avec elle alors elle pouvait bien m'en donner une. Mais une ça n'était pas suffisant….Que pouvais-je faire d'une seule main ? Non, il me fallait les deux. »
Elle devait faire quelque chose. Pendant qu'il lui racontait son horrible crime, il fallait réfléchir à sa survie.
Où est-il ? Mais où est-il, bon sang !
Il lui avait promis d'honorer sa parole, mais alors pourquoi n'était-il pas à ses côtés en ce moment ?
Arrête ma fille ! Il n'est pas là, alors concentre toi sur un moyen de t'en sortir !
Yunoki se mit à réfléchir à toute vitesse. Elle était seule, désarmée, face à un meurtrier entraîné et totalement déséquilibré alors en toute priorité, il lui fallait sortir de la Salle du Cristal.
La grande porte de la cité ! Elle n'était jamais laissée sans surveillance alors il y avait forcément des gardes ! Voilà ce qu'elle devait atteindre !
Pendant que Leiftan parlait, elle se rua sur la sortie de la pièce, mais le Conseiller fut plus rapide qu'elle et la ceintura par la taille avant de la soulever et de la plaquer sur le sol.
Le choc lui coupa la respiration et sa tête heurta douloureusement le marbre.
« Où pensais-tu aller Yunoki ? »
La main du conseiller agrippa sa nuque tandis que son autre main appuyait sur le côté gauche de son dos. À l'endroit du cœur, qu'il devait sentir battre à tout rompre sous sa paume.
D'une main ou de l'autre, il pouvait mettre un terme à sa vie. Il avait bien apprit.
« Je te raconte une histoire, et tu ne m'écoute même pas. C'est bien dommage car il s'agit là, de la dernière conversation que nous aurons eue avant mon départ. Mais tant pis…..ah ! »
Semblant se rappeler de quelque chose, Leiftan retira sa main du dos de la jeune femme pour se saisir d'un objet dans la poche de son manteau et le poser à côté du visage de Yunoki.
Elle le regarda. Il s'agissait d'une boite en velours pourpre, dont les bords étaient ornementés de dorures et le fermoir, en forme de rose, portait un petit rubis en son centre.
Aussi écarlate que ceux qui animaient le regard de l'homme sombre et Yunoki versa une larme.
« Elle est jolie n'est-ce pas ? Je l'ai choisie avec le plus grand soin, tu penses bien. J'espère que tu aimes cet écrin … »
Leiftan se pencha vers elle, sa bouche près de son oreille membraneuse.
« …Parce que c'est là-dedans que je vais ranger tes yeux. »
Soudain, un immense bruit de verre brisé retenti dans la grande salle et le Conseiller se redressa aussitôt. Yunoki profita de cette aubaine pour se remettre debout et regarder ce qui avait pu provoquer ce vacarme.
Près d'un vitrail éclaté, stoïque et froid, le cuir et l'armure recouverte de petites particules de verre, l'homme sombre toisait Leiftan, l'air aussi menaçant que son masque de dragon le permettait.
Sans perdre de temps, il se jeta sur le Conseiller, le faisant valser à terre mais l'autre, dont les réflexes étaient affûtés, se remit aussitôt sur pieds pour porter un grand coup entre les omoplates de l'homme obscur qui hoqueta avant de tomber à genoux.
« C'est tout ? »
Le dominant de toute sa hauteur, Leiftan fixait son adversaire d'un regard mauvais.
« Je passais un bon moment avec ma chère amie aux yeux dorés, et voilà que tu débarque de nul part pour, en plus, me gratifier d'un piètre combat. Veux-tu vraiment mourir aujourd'hui « Homme Masqué » ? Devrais-je te décarcasser comme un vulgaire insecte ? »
Le dénommé se releva pour repartir à l'assaut et Yunoki, assistait, décontenancée à cette lutte acharnée.
Pense ! Pense !
Elle réfléchissait, refoulant l'adrénaline de l'instant qui voulait la submerger. Gardant la tête froide, elle regarda les détails de la grande salle, essayant de trouver quoi que ce soit qui pourrait lui venir en aide.
Il lui fallait une arme. Puissante, capable d'arrêter Leiftan sans blesser l'homme sombre.
Une arme puissante, une arme puissante…
Cet homme est fou Yunoki. Fou.
Vite….vite ! Une arme puissante !
Un autre vitrail vola en éclat, brisé par l'intense combat. Leiftan saignait à quelques endroits, griffé par le verre, mais la lueur de ses yeux révélait que même en miette, il lutterait jusqu'à la défaite de son adversaire qui tenait comme il le pouvait, encaissant les coups pour en distribuer d'autres, tant bien que mal.
Une véritable machine de guerre qui avait brisé ses chaines.
Une arme….une arme !
Il fallait agir, maintenant. Yunoki ignorait la peur dans tout son être, focalisée sur l'homme obscur qui peinait à défaire le Conseiller.
Cet homme est fou.
Je le sais ! hurla intérieurement la jeune femme, et toute sa combativité se redressant comme un seul homme, elle se préparait à se jeter aveuglement dans la lutte.
Sans arme, sans rien, elle se battrait contre son ennemi et défendrait son allié. Elle n'était pas seule dans le combat, alors tout irait bien.
Je suis folle. Une arme vivante complètement folle.
Et c'est en faisant abstraction de la raison qu'elle se jeta dans l'affrontement à corps perdu, parce qu'elle aussi se battrait jusqu'à la fin.
Le décor se floutait, les cris et les bruits de luttent lui semblèrent bien loin, comme la douleur des coups qu'elle ressentait.
Elle entendit une voix étouffée crier son nom mais elle l'ignora, trop occupée à se décharner sur Leiftan, et c'est toute sa haine et sa colère refoulées qui se déversèrent.
Mais, toute vaillante qu'elle était, déterminée, brûlante d'ardeur avec le désir de se battre, elle ne pouvait pas grand-chose face à un assassin d'élite et l'homme obscur, horrifié de la regarder se faire blesser, encaissait les coups à sa place, du mieux qu'il le pouvait en hurlant son nom.
Une immense douleur envahit son corps lorsqu'elle heurta durement le sol. Les yeux mi-clos, elle regardait passivement tout ce flou qui envahit sa vision, tandis qu'elle entendait toujours le combat se poursuivre.
Ça ne s'arrêterait jamais. Pas avant que l'un d'eux n'y laisse la vie.
Mais elle se serait bien battue, de tout son courage.
Revenant à elle, son regard distingua du bleu. Un magnifique bleu saphir qui brillait de toute sa splendeur, et lorsque les formes réapparurent, elle réalisa qu'il s'agissait du grand cristal.
Dans l'affrontement, Yunoki avait atterri prêt du majestueux piédestal, à quelques mètres des combattants qui luttaient toujours.
Que ça s'arrête….
L'homme obscur semblait exténué et Leiftan avait les mains en sang de frapper son ennemi vêtu de cuir et de métal si intensément.
Mais il occultait la douleur et l'enfer de ses yeux, loin de s'éteindre, toisait toujours son adversaire avec autant de haine.
Jusqu'à la mort ! Lutte jusqu'à la mort ou ôte-toi la vie !
Il avait bien appris.
Titubante, la jeune femme se releva en s'accrochant au bord du piédestal et, fixant Leiftan du regard, laissa le reste de sa haine l'animer dans un dernier geste.
Elle regarda le grand cristal, dont le bleu saphir lui faisait de l'œil. C'était désespéré, mais c'était tout ce qu'il lui restait.
Yunoki leva une main vers la pointe d'un petit fragment qui semblait se tendre pour mieux se laisser cueillir par la jeune femme et lorsqu'elle s'en saisit, son énergie lui brûla la paume.
Elle n'eut pas à forcer car le bout de cristal se brisa facilement, et c'est ainsi munit que Yunoki rassembla ses dernières bribes d'énergie pour se ruer sur Leiftan.
Le Conseiller, en parfaite machine de guerre, assaillait coup sur coup, se réjouissant du bruit métalliques que ses poings faisaient chanter à l'armure de l'homme sombre. Ses habits immaculés étaient devenu écarlates, mais sans jamais s'inquiéter de la douleur que son corps lui communiquait, il continua simplement à se battre jusqu'à la chute finale de son adversaire.
Mais le feu coula dans ses veines.
Leiftan se figea sur place tant la souffrance qu'il ressenti fut fulgurante. Il avait l'impression que des flammes parcouraient tout son corps, le réduisant en cendre et cette torture était telle qu'il hurla comme jamais.
Il se consumait de l'intérieur, comme embrasé par des millions de soleils, mais pire que tout, sa folie déjà omniprésente devint gigantesque au point que son esprit vola en éclat.
Planté dans son épaule, un petit cristal bleu, inoffensif en apparence, déversa dans le corps de cet homme fou, toute l'énergie qu'il possédait en plus de la haine dont l'avait gorgé la jeune femme qui s'était saisi de lui.
Yunoki venait de s'effondrer, mais le puissant cri qu'elle entendit avant de basculer la rassura quant à son acte qui n'avait pas été vain.
Couchée sur le flanc, sa vison se flouta, mais juste avant de perdre conscience, elle vit la silhouette blanche maculée de sang, du Conseiller se précipiter vers un vitrail brisé, une main sur son épaule et l'homme sombre la regarder intensément de ses rubis écarlates avant de se retourner pour se lancer à sa poursuite.
Ω
« Quel carnage ! Regarde tout ce massacre ! Et ce sang ! «
« Oui, en effet, c'est encore un coup de l'Homme Masqué, cette enflure a voulu s'en prendre au cristal, mais le Conseiller l'a arrêté, et vois ces traces de luttes, il s'est vraiment bien battu, mais cela n'a pas empêché l'Homme Masqué de dérober un fragment du grand cristal. »
« Et comment se porte la jeune fille ? Elle a été sacrément amochée, parait-il. »
« Ah oui, cette membre de la Garde Absynthe, et bien elle se repose à l'infirmerie, mais elle a mis du temps pour reprendre conscience. La pauvre était au mauvais endroit, au mauvais moment mais je n'ose pas imaginer ce qu'il serait arrivé si le Conseiller n'avait pas été là pour la protéger. »
L'immense combat qui avait eu lieu dans la Salle du Cristal faisait énormément parler de lui.
Miiko et son garde du corps étaient revenus de la contrée voisine pour trouver Yunoki inconsciente, la pièce ruinée par de nombreux vitraux éclatés, et des traces de sang.
On avait retrouvé à terre, le grand manteau de Leiftan, perdu dans la lutte, ainsi qu'un morceau d'armure brisée et c'est avec ces pièces que l'on avait déduit ce qu'il s'était passé. De plus, Miiko qui veillait sur le grand cristal avait de suite remarqué le morceau manquant et c'est donc affolée, qu'elle s'était empressée de réunir le Conseil pour relater la situation d'urgence.
La citée fut donc fermée jusqu'à nouvel ordre, les entrées et sorties contrôlée, et pour terminer le résumé de cette histoire, on attendait le réveil de Yunoki pour entendre sa version.
La jeune femme, allongée dans un lit de l'infirmerie, couverte de bandages fixait le plafond blanc cassé d'un air sombre.
Eweleïn s'afférait à l'examiner toutes les heures, car Yunoki avait écopée de certaines blessures internes, et ses muscles mettraient du temps à se remettre de leurs traumatismes. La jeune femme aurait besoin de rééducation.
Il était clair qu'elle avait participé au combat, voulant sûrement soutenir Leiftan dans la lutte contre l'Homme Masqué au vu de ses quelques côtes cassées et des nombreux bleus qui ravageaient son corps.
Yunoki s'était réveillée quelques jours après cet immense incident, mais personne ne pouvait lui parler, pas tant qu'elle ne soit complètement remise, car au-delà des blessures physique, il y avait cette grande fatigue psychologique que seul beaucoup de repos pourrait guérir.
Mais ça ne suffirait pas, il y aurait un long travail à faire ensuite.
La jeune femme était restée muette au début, pour ensuite discuter quelque peu avec l'elfe infirmière, mais sans jamais mentionner le carnage de la Salle du Cristal. Les conversations tournaient autour de son état, sans déraper sur ce qui l'avait rendu ainsi et tant mieux car Yunoki ne souhaitais pas en parler.
Bien qu'elle soit au repos complet, passant tout son temps à l'infirmerie, elle n'ignorait pas ce qui se disait au sein de la citée et c'est rageuse qu'elle écoutait les échos de rumeurs, disant tout bas qu'elle s'était battue aux côtés de Leiftan contre l'Homme Masqué.
La haine pointait son hideux visage tout au fond de son être lorsqu'elle entendait les habitants d'Eel porter le Conseiller en héros, clamant son ardeur au combat et sa dévotion pour la cité, au point de se battre jusqu'à la mort pour protéger le cristal.
Quelle chance elle avait eu cette jeune femme, qu'il soit présent à ce moment !
Si vous saviez…..Si vous saviez ce qu'il est réellement…..Si vous aviez vu l'enfer de ses yeux, la démence sur son visage…si vous saviez l'ampleur de sa folie et à quel point il voulait m'arracher les yeux.
Oh oui, s'ils savaient. Mais qui la croirait ?
On lui dirait que le choc était si intense qu'elle ne pouvait se souvenir des faits correctement, qu'elle confondaient les personne et qu'un long repos lui serait plus que profitable.
Pauvre Yunoki , qui n'avait pas sa tête, au point de faire passer son sauveur pour un meurtrier.
Alors elle pleurait. De fatigue, de désespoir, et puisque ses sanglots étaient si violent, alors elle pleurait aussi pour l'homme sombre.
Elle versait une larme pour son existence en pariât, une autre de reconnaissance pour l'avoir sauvée, et encore une autre pour tout ce qu'il représentait pour elle.
Mais comme ça ne suffisait pas, alors c'est tout un torrent qui ruissela sur son visage, à l'image de ce qu'elle ressentait pour lui.
Les rubis écarlates apparurent dans son esprit, lumineux, éclatants…bienveillants. Tout comme la dernière vision qu'il lui laissa avant qu'elle ne perdre connaissance.
La porte de l'infirmerie s'ouvrit et Eweleïn entra, portant dans ses bras le petit ciralak de Yunoki qui se débattit pour rejoindre sa maîtresse.
L'amour de son familier lui arracha un sourire alors qu'il ronronnait de bonheur sous les caresses qu'elle lui donnait.
« Je pensais qu'avoir Matagot près de toi te remonterais un petit peu le moral, même si d'habitude je n'aime pas voir des familiers dans l'infirmerie. »
La jeune femme lui sourit de reconnaissance.
« Merci. Il me manquait. »
L'elfe médecin flatta l'une des têtes du ciralak qui se laissa faire, les yeux clos de bonheur.
« Ah ! » s'écria Eweleïn, se rappelant soudainement de quelque chose. Elle fouilla dans la bourse qui était suspendu à sa ceinture et en sorti une petite boite qu'elle tendit à Yunoki.
« Il y avait ceci près de Matagot, sûrement le fruit d'une exploration. En tout cas c'est vraiment très joli. »
Un écrin de velours rouge aux bordures dorées, dont une rose faisait office de fermoir.
La jeune femme fut parcourue d'un horrible spasme glacé qui lui tordis les entrailles avec violence. Elle ne voulait plus jamais voir cette boite de toute son existence.
L'elfe médecin la regardait se décomposer sur place, horrifiée, mais plus encore lorsqu'elle se saisit de l'écrin pour le balancer rageusement contre le mur face à elle, le brisant en deux.
Matagot, effrayé, descendit du lit pour se cacher dessous.
« Yunoki…. »
Les sanglots reprirent du service.
« Laisse-moi seule s'il te plait Eweleïn. »
Respectant sa demande, elle se leva, lui lançant un regard plus qu'inquiet.
Qu'est-ce s'est passé Yunoki ?
Elle espérait le savoir un jour, car en tout bon docteur qu'elle était, la véritable blessure psychologique de la jeune femme aux yeux dorés avait tous les critères d'un sérieux traumatisme.
Mais elle ne saurait rien aujourd'hui, alors laissant Yunoki déverser sa détresse, l'elfe médecin sorti de l'infirmerie.
À demi-assise dans son lit, la jeune femme regardait les deux morceaux du petit écrin en velours qui gisaient sur les couvertures. Elle aurait voulu les détruire, les réduire en poussière pour ne plus jamais avoir à les confronter.
Son petit ciralak émergea de sa cachette, regardant sa maîtresse de ses yeux d'or avant de remonter la rejoindre.
Curieux, il s'approcha des fragments de la boite, la reniflant de ses deux museaux, lorsque ses pattes accrochèrent quelque chose.
En effet, ses griffes s'étaient plantées dans un petit parchemin plié en quatre, et c'est d'un miaulement alarmant qu'il alerta Yunoki de sa trouvaille.
La jeune femme se redressa et lorsqu'elle vit le papier, son cœur rata un battement. Elle souleva son familier par la poitrine afin de s'en saisir et le déplia en toute hâte.
Les yeux dorés parcoururent les lignes, se remplissant de larmes en s'approchant de la fin.
Parce que cette fois, il avait beaucoup écrit, s'excusant d'avoir utilisé l'écrin pour porter son message, mais pour le reste, il s'était appliqué tant bien que mal, à lui dire combien il tenait à elle.
Un rayon de soleil illumina l'infirmerie de son faisceau chaleureux, et dans le cœur de Yunoki, il se passait la même chose.
Ce petit parchemin était arrivé soudainement, mais comme d'ordinaire, son auteur représentait l'espoir pour la jeune femme, et même bien plus que cela.
Alors qu'importe que toute la population d'Eel ne considère l'homme sombre comme une menace, il y aurait toujours la jeune femme aux yeux dorés pour le regarder tel qu'il était réellement.
C'était un pur cadeau, que d'exister dans le cœur d'une personne.
Le dernier Message de l'Homme Obscur :
Je ne peux te dire combien je suis désolé de te porter mon message dans cet écrin, car pour en avoir vu cent comme celui-là, je sais tout de son propriétaire.
Je suis tellement navré de ne pas avoir pu remplir ma part du contrat correctement, car tu as souffert avec moi dans tout ce massacre, alors que jamais tu n'aurais dû verser une seule goutte de sang.
Mais ne dis rien. Ne dis jamais rien, et laisse-moi endurer toute la colère d'Eel, car c'est un fardeau que je peux supporter, contrairement au tiens que tu ne mérites pas.
Mais ce qu'il y a de plus beau dans toute cette noirceur, c'est notre rencontre. Celle qui m'a donné une existence à tes yeux, et c'est là le plus beau présent que je n'ai jamais reçu.
Alors je te le demande à genoux : garde-moi au fond de ton cœur, pour que je continue de vivre pour toi.
Même si je pars aujourd'hui, sois-sûre que nous nous reverrons, et la prochaine fois, alors, je me montrerais à toi, tel que je suis.
Mais même si j'ignore l'image que tu as de mon visage, sache seulement que je suis bien loin de ce que tu imagines.
Car je n'ai de l'Homme Masqué que le nom.
Et nous voici donc à la fin. Ce premier OS aura droit à sa suite, en attendant je remercie les lecteurs qui m'auront lu (^_^)/
