Me revoilà pour une participation au challenge d'avril du Collectif NONAME (lien dans mes favoris) dont le sujet était : Songfic. La chanson que j'ai choisie est Mein Teil de Rammstein, qui raconte l'adorable histoire d'un homme ayant mangé le pénis d'un autre homme avant de le tuer. (Rien que de très normal dans le fandom Hannibal...)
Cette fic est pour Nalou, ma douce, parce que c'est elle, il était une fois il y a fort fort longtemps, qui m'a demandé d'écrire ça. J'espère de tout mon coeur qu'elle te plaira ! Gros câlins !
Question subsidiaire du challenge, par Adraen : "quelle est l'œuvre (tous genres confondus) vous ayant le plus inspiré pour vos fics ?". En ce qui me concerne, il s'agit de Tsubasa Reservoir Chronicles, j'ai écrit plus de mots sur ce fandom que sur tous mes autres fandoms réunis, je crois bien... Ah, le bon temps.
Je vais taguer cette fic comme sur AO3, parce que je ne sais pas vous, mais moi j'aime bien être prévenue quand y'a des trucs qui vont me soulever l'estomac... Vous pouvez les passer si vous ne voulez pas être spoilés.
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Tags : Mention de pénis coupés, mention de cannibalisme de pénis coupés, violence graphique, hémoglobine (pas tant que ça, mais bon), Will à la morale douteuse, kidnapping, peut-être du porn (à ce stade, je ne l'ai pas encore écrit...), Hannibal est un connard manipulateur, connaissance douteuse du fonctionnement du FBI par l'auteur, irréalisme certain quant audit fonctionnement.
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Ceci est une fic à chapitres (probablement quatre) qui se situe dans un contexte libre de saison 1. (De façon générale, avant que Will ne tombe vraiment malade.)
Bonne lecture !
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Chapitre 1
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Lorsque Jack entre dans son amphithéâtre, il est 17h37, et Will, dont la journée a déjà mal débuté (une panne de voiture et une rencontre malencontreuse avec Freddie Lounds), comprend aussitôt qu'elle ne risque pas de bien se terminer.
Néanmoins, Jack a la courtoisie d'attendre qu'il ait terminé de donner son cours, et ce qui est assez rare pour être souligné. Lorsque Will range ses affaires, il le voit du coin de l'œil fendre la vague d'étudiants qui sortent de l'amphithéâtre comme Moïse la Mer Rouge, jusqu'à le rejoindre à son bureau.
- L'équipe a trouvé quelque chose d'intéressant, déclare-t-il en guise de préambule.
- Bonjour à toi aussi, Jack, réplique Will sèchement.
Le regard flamboyant que lui adresse Jack fait taire toute velléité de rébellion, et Will soupire.
- De quoi s'agit-il ?
- Un instant.
Jack a ramené une sacoche avec lui ; il en tire une tablette numérique qu'il allume avant de la tendre à Will. L'annonce est rédigée sur un site web au fond entièrement noir, dans une police d'écriture d'un jaune criard, et Will doit plisser les yeux pour la déchiffrer.
- «Cherche homme bien bâti de 20 à 40 ans pour être volontairement émasculé et tué», lit-il à haute voix. Charmant. C'est sérieux ?
- Impossible de le savoir. Mais ça pourrait bien venir de notre Avaleur de Pénis.
Will lui jette un regard horrifié.
- Oh non, pas toi...
Le ravissant surnom vient, bien évidemment, du site Tattlecrime tenu par Freddie Lounds - on reconnait aussitôt sa patte pleine de délicatesse et de légèreté.
- Tout le monde l'appelle comme ça, se défend Jack.
- Alors si tout le monde se jetait d'une falaise, tu le ferais aussi ? Bon. Est-ce qu'on a des gens pour travailler dessus ?
- Notre équipe technique essaie de trouver l'endroit d'où l'annonce a été postée, mais il y a de fortes chances que ça ne donne rien de tout. On n'est même pas certains qu'il s'agisse de lui.
Will pousse un autre profond soupir. Ça s'annonce mal.
L'affaire en question est certainement l'une des plus détestables sur lesquelles Will ait jamais travaillé ; deux cadavres avaient été retrouvés, l'un dans le Maryland, l'autre dans le Delaware – plus ou moins intacts, à part leur pénis manquant. L'enquête n'avait rien donné quant à l'identité du meurtrier, mais avait révélé que les deux victimes étaient des hommes instables, abonnés aux séances de psychiatrie ; puis, un ami de la deuxième victime avait avoué avoir reçu de sa part un message quelques temps avant le meurtre, où l'homme disait d'un ton enthousiaste qu'il allait se faire "manger le pénis". L'ami en question ne l'avait pas signalé avant, persuadé qu'il s'agissait d'une référence sexuelle ; Freddie Lounds en avait eu vent (comment, c'était ce que Will aurait payé cher pour savoir), et l'assassin était devenu l'Avaleur de Pénis.
À ce stade, Will n'est pas encore certain qu'il s'agisse d'un comportement de prédateur sexuel ou non, mais une chose est sûre : il n'a pas envie d'enquêter là-dessus.
Mais quand on est le meilleur profileur du FBI, on n'a que rarement le choix, et Will n'est pas naïf au point de croire que Jack essaierait d'épargner sa sensibilité.
- Qu'est-ce que tu en penses ? demande Will.
- J'en pense que c'est peut-être bien lui. Et je refuse de le laisser filer dans la nature sans essayer de le coincer.
- Si les experts informatiques ne trouvent pas d'où vient le message...
- Dans ce cas, on songera à une autre solution, répond Jack, les sourcils froncés.
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L'Avaleur de Pénis (s'il s'agit bien de lui) est peut-être dérangé, mais il n'est pas imprudent ; tout comme pour les précédentes victimes, les experts sont incapables de retracer son message.
Ce qui pousse Jack à activer le plan B.
Malheureusement.
- Il veut que je serve d'appât ! s'indigne Will.
Dans sa colère, il manque de faire tomber un vase posé sur une petite tablette, et le rattrape à temps avant qu'il ne s'écrase sur le plancher. De l'autre côté de la pièce, Hannibal hausse un sourcil, et Will lui jette un regard honteux.
- Pardon, ajoute-t-il d'une petite voix.
- Ne passez pas votre colère sur mon mobilier, Will.
Il plaisante, mais Will se sent rougir de honte. Les séances de psychiatrie avec Hannibal Lecter le mettent déjà suffisamment mal à l'aise en temps normal ; s'il se met à casser des objets précieux en plus, on n'est pas rendus. Il frotte son visage dans ses mains, et lâche un soupir étouffé.
- Désolé. Mais... c'est tellement ahurissant. Un appât !
- Vous correspondez au profil, fait remarquer Hannibal. «Homme bien bâti entre vingt et quarante ans.»
- Vous avez lu l'annonce ?
Will fronce les sourcils, avant de réaliser qu'Hannibal vient peut-être, à sa façon bizarre, de lui faire un compliment, ce qui le décontenance ; mais avant qu'il ait le temps de relever, Hannibal est déjà en train de répondre à sa question.
- Jack m'a envoyé le lien.
- Il ne perd pas de temps, note Will avec amertume. Il veut tout le monde sur le coup. Les meurtres à caractère sexuel font toujours plus scandale que les autres…
- Qui vous dit que c'est un meurtre à caractère sexuel ?
- L'autopsie des victimes indiquent qu'elles avaient eu un rapport sexuel avant le décès. On pense qu'il s'agit du meurtrier, mais il n'a pas laissé d'ADN derrière lui.
- Violés ?
- Il n'y a rien qui le prouve. Pas de blessures défensives, pas de morsures, pas de déchirures rectales.
- Dans ce cas, c'était peut-être consentant. Et si c'est le cas, ce n'est pas forcément un meurtre à caractère sexuel.
- Avec un pénis manquant ? dit Will avec un sourire désabusé.
- Dans la culture chinoise, certains pensent qu'on peut revitaliser des parties du corps en les nourrissant avec le même organe.
- Les chinois... mangent des pénis ?
- Et des testicules. Provenant d'animaux, bien entendu. Notre tueur a peut-être étendu le concept aux humains.
Will s'arrête devant la fenêtre – de l'autre côté des rideaux de dentelle, à l'extérieur du bureau d'Hannibal, la neige tombe doucement sur la pelouse et les petits arbustes bien coupés du jardinet qui donne sur la rue ; le spectacle est bien trop joli et trop délicat pour parler de cannibalisme de pénis.
Et pourtant.
- Vous allez le faire ? demande brutalement Hannibal.
Will se tourne vers lui ; le psychiatre s'est réinstallé dans son fauteuil de cuir, au beau milieu de la pièce, et la légère curiosité qui perce dans son regard passerait certainement inaperçue chez n'importe qui d'autre que Will.
- Je ne sais pas, répond-il pensivement. C'est dangereux.
- Parce que c'est votre pénis qui est en jeu ?
Cette fois, Hannibal ne cherche pas à masquer son sourire, et Will fronce les sourcils, incapable de déterminer s'il devrait se sentir amusé ou vexé. Hannibal continue :
- Chaque affaire dans laquelle vous entraîne Jack a ses dangers, or, vous vous y jetez toujours sans hésiter.
- On dirait que vous voulez me voir servir d'appât, Docteur Lecter, dit Will d'une voix sèche.
- Pas du tout. Vous êtes mon ami, Will, et je tiens avant tout à vous voir rester en bonne santé.
Will ne s'attarde pas sur la confession d'amitié. Elles sont de plus en plus fréquentes chez Hannibal, ces derniers temps, et elles le mettent mal à l'aise.
- Donc, vous me déconseillez de le faire ?
- Quoi que je vous conseille ou déconseille de faire, vous prendrez votre propre décision sans influence extérieure, fait remarquer Hannibal.
Will hausse les épaules. Il n'en est pas aussi certain – il peut compter sur Jack pour pousser son choix dans une certaine direction (de manière générale, celle qui l'arrange le plus).
Mais il se contente d'un simple sourire dépité, suivi d'un profond soupir.
Cette affaire aura sa peau.
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Trois jours après, Will a cédé à l'insistance de Jack ("tu sauves des vies, Will ! Et si ce n'est pas lui, tu pourras toujours trouver le moyen de te défiler") et a accepté le plan B. Il servira d'appât dans le but d'attraper l'Avaleur de Pénis – dont Will s'obstine à préférer le nom plus long, mais moins vulgaire, de "tueur en série du Maryland et du Delaware".
Pas étonnant que personne d'autre que lui ne l'utilise.
Il est assis à son bureau dans son amphithéâtre, la tête dans les mains, en train de réfléchir à une façon de formuler sa réponse pour ne pas éveiller la méfiance du posteur de l'annonce, lorsque trois petits coups toqués sur la porte d'entrée lui font relever la tête.
- Docteur Lecter ?
Hannibal sourit, et s'avance dans la pièce, un conteneur isotherme dans une main.
- Vous avez déjeuné, Will ?
- Vous avez fait tout le trajet depuis chez vous pour m'apporter un repas ? demande Will, à la fois incrédule et agréablement surpris.
- Pour être honnête, j'ai fait le trajet pour apporter un repas à Alana. Or, en arrivant ici, j'ai appris qu'elle était malade, mais que vous étiez là.
- Alors je suis le second choix ? plaisante Will, tout en ressentant une pointe de vexation bien cachée au fond de lui.
Hannibal dépose son sac isotherme sur le bureau, et répond d'un ton sérieux :
- Vous n'êtes jamais le second choix, Will. Je pensais simplement qu'une telle initiative vous incommoderait plus qu'elle ne vous ferait plaisir. De toute évidence, je me suis trompé. La prochaine fois, c'est directement à vous que j'apporterai un déjeuner.
- Non, non, je..
Will pousse un profond soupir, et s'oblige à regarder Hannibal dans les yeux – de son côté, le psychiatre le fixe d'un air intense.
- C'était une blague, Hannibal. Je plaisantais. Ne faites pas tout ce chemin pour moi.
- Est-ce que le repas vous fait plaisir ?
- Oui, mais...
- Dans ce cas, le problème est réglé, sourit Hannibal. Je vous en apporterai un chaque fois que mon emploi du temps me le permettra.
- Non, je...
Hannibal pose la main sur la sienne, et le geste est tellement inattendu que Will en est réduit au silence. Un instant plus tard, Hannibal le lâche déjà, mais Will sent sa peau le brûler quelques secondes supplémentaires, et son cœur a du mal à retrouver un rythme normal.
- Bon appétit, Will.
- Bon appétit, finit-il par répondre à contrecœur.
Ils s'installent au premier rang de l'amphithéâtre pour partager leur repas – Hannibal a encore une fois mis les petits plats dans les grands, et Will découvre avec des yeux ronds des tupperwares remplis de roulés de jambon aux pruneaux, de croissants au chèvre et olives noires, de queues de porc rôties, de grenadins de veau à la crème et au persil, de légumes sautés au porto, et pour le dessert, des tartelettes à la poire ornées de motifs au chocolat.
Will lui jette un regard incrédule.
- Je ne comprendrai jamais comment vous avez le temps de faire tourner votre cabinet psychiatrique, de consulter pour le FBI, et de cuisiner en plus.
Le large sourire que lui adresse Hannibal fait bondir son cœur dans sa poitrine tandis que l'autre répond :
- On trouve toujours du temps à consacrer à ses passions, Will.
Pendant un bref instant, son regard intense pousse Will à se demander s'il parle de la cuisine ou s'il parle de lui – mais la deuxième possibilité est tellement ridicule qu'il se hâte de la chasser de ses pensées en secouant la tête avec force, et en se concentrant sur le repas tombé du ciel.
La première bouchée manque de lui arracher un gémissement de plaisir. Il tente toutefois de garder sa réaction sous clé, par amour propre, et se contente d'un simple :
- C'est délicieux.
Hannibal, si on en croit son expression ravie, l'a de toute façon probablement déjà percé à jour. Comme toujours.
- Je suis ravi que cela vous plaise, Will. Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Le changement de sujet est brutal, et s'accorde mal avec le croissant au chèvre qui lui fond dans la bouche, mais Will s'est déjà suffisamment ridiculisé comme ça, et il se jette sur la bouée de sauvetage tendue par Hannibal.
- Je dois écrire une réponse à l'annonce de l'Aval... de l'homme sur internet, corrige-t-il avec difficulté.
- Appât, donc.
- Jack a insisté.
- Le contraire m'aurait étonné. Qu'avez-vous répondu ?
- Je n'ai pas encore rédigé ma réponse. Vous voulez me donner un coup de main ? Si je veux écrire un texte qui attirera son attention plus que tous les autres qu'il recevra, en tant que psychiatre, votre avis pourrait m'être utile.
- Vous êtes un profileur plus doué que moi, Will, fait remarquer Hannibal. Mais j'accepte avec joie de vous aider.
Will prend tout de même le temps de savourer sa tartelette à la poire – elle est tellement fondante que c'en est presque indécent – sous le regard attentif d'Hannibal, puis il se lève après des remerciements en règle et retourne s'asseoir à son bureau, devant son ordinateur. L'annonce est toujours là, toujours aussi aveuglante dans sa police jaune canari, et Will réfléchit à une réponse. Il sent une main se poser sur le dossier de son fauteuil à roulettes, et sans se retourner, parvient à ressentir la présence d'Hannibal derrière lui rien que grâce à la chaleur que son corps irradie.
Ce qui ne l'aide pas vraiment à se concentrer.
L'annonce. Voilà. L'annonce.
- Il... Il faut que j'attire son attention, dit Will, en essayant de recadrer ses pensées. Pour ça, je dois savoir quel genre d'homme a bien pu écrire ce message, et répondre de façon à correspondre à tous ses critères.
- Difficile d'établir un profil psychologique basé sur une annonce de deux lignes, note Hannibal.
Sa voix grave semble se répercuter directement dans la colonne vertébrale de Will, et il prend une profonde inspiration.
- Oui. Il faut que je montre que je suis motivé, et... vu le contenu du message», Will n'arrive pas à croire qu'il est vraiment en train de dire ça, «je pense qu'il faudrait accompagner la réponse d'une photo.
- Une photo, répète Hannibal.
Même sans le regarder, Will peut sentir le sourire poindre dans sa voix, et il se sent presque aussi honteux que s'il était en train de répondre à une annonce coquine sur un site de rencontres.
- Il est vrai que "bien bâti" est apparemment un critère important pour notre auteur ; c'est le seul qu'il ait pris la peine de mentionner, dit Hannibal d'un ton léger. Une photo pourrait en effet être un plus.
Will regrette déjà d'avoir mentionné quoi que ce soit – la conversation s'engage sur un terrain un peu trop glissant à son goût, et il pourra s'estimer chanceux si Hannibal ne glisse pas une allusion un peu plus poussée à son physique. C'est déjà (officieusement) la raison qui a poussé Jack à le convaincre de répondre à l'annonce, et les quelques mots qu'ils ont échangé sur le sujet ont donné à Will des cauchemars plus vivaces que les plus horribles scènes de crime auxquelles il ait assisté.
Heureusement, Hannibal ne semble pas assez sadique pour continuer sur ce sujet, et lance :
- Vous ne croyez pas que votre candidature sera rejetée si l'auteur apprend que vous travaillez pour le FBI ?
L'idée a déjà traversé l'esprit de Will, évidemment.
- Je ne le mentionnerai pas. Je me contenterai de signer par mon prénom – c'est l'avantage d'internet, on peut se permettre de mettre de côté les noms de famille – et s'il me le demande, je lui dirai. De toute façon, il existe beaucoup d'autres Will Graham, et mon travail au sein du FBI n'est pas assez conséquent pour qu'il me reconnaisse.
- Pas assez conséquent ?
Le ton d'Hannibal reste neutre, mais l'incrédulité qui perce dans sa voix est tellement perceptible que Will ne peut s'empêcher de se retourner vers lui.
- Will, vous avez arrêté Garret Jacob Hobbs, Eldon Stammets, vous avez retrouvé les Enfants Perdus, le Faiseur d'Anges.
Will voudrait se défendre – un coup de chance, Garret Jacob Hobbs, et il est arrivé trop tard pour le Faiseur d'Anges ; mais aussi modeste qu'il soit, il sait qu'Hannibal a raison. Tous les derniers tueurs en série sur lequel le FBI a enquêté ont été arrêtés grâce à lui.
- Vous êtes l'atout clé du FBI, continue Hannibal. Il suffirait que l'auteur lise le site Tattlecrime pour s'en rendre compte.
- Espérons qu'il ne le fasse pas, répond Will en fronçant les sourcils. Bon. L'annonce.
Trois minutes plus tard, il a rédigé un premier jet, et Hannibal se penche par-dessus son épaule pour le lire à haute voix, à son grand regret.
- «Bonjour. J'ai découvert votre annonce sur internet et je souhaite vous présenter ma candidature. Je m'appelle Will, 38 ans, professeur d'université en Virginie. J'espère correspondre à vos critères, et j'attends votre réponse avec impatience.» Sobre, mais direct, commente Hannibal. Quelle photo allez-vous joindre à votre texte ?
- Je ne sais même pas si j'en ai une en réserve, marmonne Will.
Un éclair traverse les yeux d'Hannibal, et Will se hâte d'ajouter :
- Je demanderai à Katz d'en prendre une pour moi.
L'idée d'Hannibal en train de manipuler un smartphone tout en lui demandant de prendre la pose est décidément trop perturbante pour Will, et il préfère la bannir de ses pensées avant que son cerveau survolté ne l'imagine allongé sur le canapé du bureau du docteur Lecter, un bras alangui posé sur son front, un genou en l'air…
Oups. Trop tard.
Heureusement, Hannibal n'insiste pas, et apporte au texte quelques petites corrections que Will accueille avec joie ; puis, lorsqu'il n'y a plus qu'à prendre la photo, il rassemble ses tupperwares vides.
- Merci pour le repas, dit Will avec hésitation. C'était délicieux.
- Merci pour la compagnie pendant le repas, répond Hannibal. Je serais enchanté de réitérer l'expérience.
Will ne sait pas quoi répondre. C'est souvent le cas, avec Hannibal, et cette étrange relation qui se développe entre eux – un mélange de flegme, de solennité et de séduction, qui lui donne si souvent l'impression de marcher sur des œufs. Finalement, il hoche simplement la tête, et Hannibal finit par quitter la pièce après un dernier signe de tête.
Ce n'est qu'après son départ que Will a l'impression de pouvoir à nouveau respirer normalement.
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Beverly Katz est probablement la seule de ses collègues alliant suffisamment de décence et d'humour pour pouvoir prendre la photo que Will enverra à l'auteur de l'annonce, Brian Zeller et Jimmy Price étant tous les deux absolument hors de question – et Will aurait préféré mourir foudroyé plutôt que de demander à Alana ou Jack.
Par la grâce du ciel, la "séance" ne s'éternise pas. Will, obligé de mettre sa fierté de côté, demande simplement à Beverly de prendre la photo de façon à ne pas trop montrer son visage, et elle s'exécute en faisant un effort remarquable sur elle-même pour ne pas glousser. Finalement, Will en sélectionne une, et ignore avec brio Beverly lorsqu'elle lui dit qu'il est fin prêt pour s'inscrire sur un site de rencontre en ligne. Il est à moitié certain qu'elle racontera encore l'histoire à ses collègues dans dix ans les soirs de beuverie, mais au moins, l'épreuve est terminée.
Du moins, temporairement. Car lorsque Will envoie sa réponse et la photo en pièce jointe, il n'est absolument pas persuadé du bien-fondé de l'opération, et regrette amèrement l'incapacité de l'équipe informatique à retrouver l'homme. Il n'est même pas entièrement certain qu'il s'agisse de leur tueur, mais les deux précédentes victimes ayant elles-mêmes répondu à des annonces semblables, la possibilité n'est pas négligeable.
- À votre avis, combien de candidatures reçoit cet homme pour une annonce du genre ? demande Will à Hannibal le lendemain, lors de sa séance hebdomadaire de psychothérapie.
- J'avoue que je serais également curieux de la savoir, répond Hannibal. Vous avez envoyé la vôtre ?
- Oui. Pas de réponse pour l'instant. Peut-être que je n'en recevrai pas du tout, mais Jack est sur les dents. Quitte à ce qu'il se manifeste, j'espère qu'il ne tardera pas trop.
- Je suis certain qu'il prêtera attention à votre profil, dit Hannibal d'un ton paisible. Après tout, vous remplissez ses critères.
Will, en train de traîner dans la pièce au hasard comme à son habitude, se retourne vers lui – encore une fois, il est incapable de déterminer si Hannibal cherche juste à le rassurer ou s'il essaie de flirter avec lui. Peut-être qu'il s'imagine des choses.
- Si la concurrence est nombreuse, je risque de ne pas être retenu.
- Premièrement, je doute qu'il y ait beaucoup de concurrence pour une émasculation. Deuxièmement, vous avez toutes vos chances, Will. L'auteur de cette annonce serait idiot de ne pas retenir votre candidature.
Flirt, donc. Will ne sait pas vraiment comment réagir – il n'est pas habitué à la séduction (qu'elle vienne de lui ou qu'elle lui soit destinée), et encore moins de la part de quelqu'un comme Hannibal, dont le standing semble beaucoup plus élevé qu'un pauvre professeur d'université mentalement instable et toujours couvert de poils de chien.
Il préfère donc faire comme s'il ne remarquait rien, une tactique qui a souvent fait ses preuves avec des élèves un peu trop empressés.
- Je ne sais pas à quoi je m'attends, soupira-t-il. Même si je suis choisi, ce n'est pas pour ça que je réussirai à prouver qu'il est derrière ces meurtres, et je ne compte pas attendre qu'il essaie de m'assassiner pour faire le lien.
- Il faut le pousser à vous faire confiance. Le séduire.
Will refuse de le regarder plus haut que les épaules.
- Ce n'est pas vraiment mon point fort.
Heureusement, Hannibal ne lui propose pas de s'entraîner à devenir meilleur, pas plus qu'il ne nie l'affirmation, ce qui serait embarrassant dans les deux cas. Il se contente de répondre :
- Peut-être, mais c'est votre seule chance de réussite.
Malheureusement, il a raison.
Comme toujours.
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C'est le lendemain, en se réveillant après une nuit agitée, que Will remarque qu'il a reçu une réponse.
- "Cher Will", lit-il à voix haute, "merci pour votre message et votre photo. Votre candidature m'intéresse. Avant d'en venir à prendre une décision, toutefois, peut-être pourrions-nous discuter un peu afin de mieux savoir ce que nous attendons l'un de l'autre ? Meilleurs sentiments – Le Maître Boucher."
C'est d'abord le Maître Boucher qui attire son attention – Will reconnaît le surnom ; il apparaissait dans un échange de mails retrouvé sur l'ordinateur de la deuxième victime. Impossible de remonter à la source, naturellement, l'homme n'était pas si bête, il a pris ses précautions ; mais à présent, Will est sûr qu'il est bien en train de papoter avec l'assassin.
La deuxième chose qui l'interpelle, c'est la formulation du message, mieux tourné que ce à quoi il s'attendait, pour un homme qui découpe le pénis de ses victimes. Le style lui rappelle étrangement Hannibal, et c'est peut-être pour cette raison qu'il a envie de l'appeler pour le tenir au courant de l'évolution de la situation, mais sa conscience professionnelle ne tarde pas à reprendre le dessus, et il compose le numéro de Jack.
- Will ! Du nouveau ?
Will espère toujours voir venir le jour où Jack débutera une conversation en le saluant. Il risque d'attendre encore longtemps.
- Jack, le Maître Boucher m'a répondu.
- Le "Maître Boucher" ?
- C'est sous ce nom qu'il a signé la réponse. Étant donné que les détails ne sont pas parus dans la presse, je pense qu'on peut établir qu'il s'agit bien de notre Ava... notre assassin. Il veut qu'on discute par mail pour qu'on puisse en savoir plus l'un sur l'autre.
- Excellent. Tires-en tout ce que tu peux, mais surtout, reste subtil. On ne veut pas qu'il sache que tu travailles pour nous.
- Dis-moi quelque chose que j'ignore, grommelle Will. Aucun progrès du côté de l'informatique ?
- Non. Peut-être qu'il finira par se montrer négligent à un moment ou à un autre...
- S'il était négligent, il se serait déjà fait attraper... Non, je crois qu'il faudra que je joue le jeu jusqu'au bout.
- Très bien. Je compte sur toi, Will.
L'intensité avec laquelle Jack prononce ses phrases d'encouragement donne toujours à Will l'impression qu'il est sur le point de s'enfoncer dans le sol sous le poids de la pression, un sentiment qui se mélange à l'envie de bien faire pour obtenir la reconnaissance du maître. Le réflexe de Pavlov le dégoûte de lui-même, mais il est incapable d'aller à contre-courant.
Et donc, il obéit à Jack, et attrape son ordinateur pour réfléchir à une réponse qui séduira, comme disait Hannibal, le Maître Boucher.
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J'espère que ce premier chapitre vous a plu (et surtout à toi, ma petite Nalou!).
On se voit au prochain, folks !
