Chapitre 1 : une Tempête Arrive
Ser Jon, Je le savais ! Ne t'avais-je pas dit que tu aurais un "Ser" devant ton nom la prochaine fois que je te verrais ? Ser Rodrik dit que ce n'est pas un petit exploit d'être adoubé à seulement seize ans, et il m'a demandé de faire passer un avertissement pour que tu ne deviennes pas trop vaniteux. Et qu'il peut toujours te démolir à l'entraînement.
Jon sourit en lisant les mots de Robb. Le soleil brillait et le détroit était calme, particulièrement vu depuis la Tour du Dragon Marin de Peyredragon où le seigneur de l'île avait installé son bureau et ses appartements privés. Il était difficile de croire que l'automne venait d'arriver. Tandis que Stannis Baratheon froncement sévèrement les sourcils devant sa propre pile de messages, Jon prit un moment pour profiter d'une conversation sans souci avec son frère et meilleur ami. Son titre tout neuf de chevalier n'était pas dû à de hauts faits au cours d'une bataille, mais se trouvait plutôt la conséquence inattendue d'avoir sauvé Stannis d'une noyade assurée dans la Baie des Naufrages.
- Tout chevalier fait le vœu de défendre les innocents, protéger les faibles et rester loyal à son seigneur-lige, avait dit Stannis. Donner un tonneau d'oignons et de poisson salé à un homme affamé est tout aussi chevaleresque que de défaire l'homme qui a enlevé et violé votre fiancée. Ou peut-être aussi chevaleresque que que sauver ton seigneur de la noyade pendant une tempête.
L'avertissement de Ser Rodrik ne serait pas difficile à suivre. D'après son expérience, Jon savait que Stannis avait autant de tolérance pour la vanité que pour l'ivrognerie et la débauche, et Jon ne désirait pas ruiner le respect qui s'était lentement développé entre eux durant l'année écoulée. En même temps qu'un titre de chevalier, Stannis lui avait aussi offert une magnifique épée bâtarde avec un pommeau à tête de loup géant nommée Fracas, et Jon espérait que son seigneur ne regretterait jamais sa générosité. Car "Stannis Baratheon" et "généreux" apparaissaient rarement ensemble dans la même phrase.
As-tu songé à prendre un nouveau nom ? "Spectreloup" sonne bien, et je suis sûr que ton loup géant serait d'accord. Et Fantôme n'accepterait rien de moins qu'un loup géant blanc aux yeux rouges comme emblème.
Jon n'avait pas vraiment pensé à se choisir un nouveau nom et une bannière, et Stannis n'en avait pas parlé.
Nous savons tous deux quel nom j'ai toujours voulu. Je suis autant un Stark de Winterfell que mes frères et sœurs. Les Anciens Dieux le savaient sûrement, sinon pourquoi y aurait-il eu un loup géant pour moi ?
Robb n'avait probablement pas voulu l'offenser avec sa question, mais Jon se sentait tout de même piqué. Depuis ce jour dans la cour d'entraînement de Winterfell où Robb avait déclaré que Jon ne pourrait jamais être le seigneur des lieux à cause de son statut de bâtard, ils avaient un accord tacite de ne jamais reparler de ce sujet. Robb avait été et serait toujours l'héritier de Winterfell, le prochain Lord Stark à porter Glace et être enterré dans les antiques cryptes avec un loup géant de pierre à ses côtés. Pendant que Jon serait à jamais un Snow. Jon supposait qu'il ne se débarrasserait jamais de sa jalousie vis-à-vis de Robb, peu importait combien il aimait son frère. Ce n'était pas nécessairement un défaut qui lui était propre, car Jon savait que des hommes plus sages et plus âgés que lui pouvaient garder rancune et ressentiment pendant des décennies - Stannis, par exemple. Jon frémissait toujours au souvenir de cette fois où il avait demandé à son seigneur s'il aimait ses frères ou non. Stannis avait perdu son attitude normalement réservée et commencé à crier, démontrant amèrement à quel point Jon avait de la chance qu'aucun de ses frères ne l'ait jamais insulté, repoussé, ou souhaité voir quelqu'un d'autre à sa place. Jon soupçonnait aussi que Stannis était jaloux de Père, en dépit de la confiance et du respect qu'il professait pour Lord Eddard Stark. Mais il n'oserait jamais demander.
Que Stannis garde ses secrets, tout comme je garde les miens.
Jon revint à la suite de la lettre. Bran était devenu assez bon à cheval, avec la selle spéciale que Tyrion Lannister avait dessinée pour lui.
Bien qu'il paraisse plus renfermé depuis sa chute, il s'est lancé avec plaisir dans l'archerie à cheval. Arya adore toujours prendre ses leçons de danse avec l'étrange petit Braavo, bien que je ne croie pas qu'elle se soit améliorée du tout. Elle a encore réussi à me marcher sur les pieds quand Mère a insisté pour lui faire montrer ce qu'elle avait appris. Les rêveries de Sansa au sujet de son mariage avec le prince Joffrey sont devenues ridicules, bien que je remercie tous les dieux que la cérémonie n'ait pas lieu avant des années.
Les lignes de Robb au sujet de Sansa ramenèrent la situation en cours au-devant de l'esprit de Jon. Sansa n'aurait jamais à épouser ce petit merdeux de prince, car Joffrey n'était ni un prince ni un vrai Baratheon mais le fils bâtard de la reine Cersei et Ser Jaime Lannister. Cela était aussi vrai du jeune prince Tommen et de la princesse Myrcella. Stannis avait su la vérité depuis plus longtemps qu'il ne souhaitait l'admettre, mais au lieu de rester planté sur Peyredragon, Stannis avait agit pour informer Lord Renly de l'inceste. Stannis attendait à présent un signe avant de faire plus, un message de Lord Renly ou de la Main du Roi, Lord Estermont. Jon jeta un regard à Stannis, dont le froncement de sourcils tenait à présent compagnie à des grincements de dents. Il devina que le signe attendu devait être arrivé.
Je te souhaite bien des bonnes choses, et que nous nous revoyions avant que l'hiver n'arrive.
Ton frère, Robb
~ T
andis que Jon lisait son corbeau de Winterfell avec un léger sourire, l'attention de Stannis était occupée par des corbeaux transportant des messages moins plaisants. Et ces nouvelles n'incluaient pas Eddard Stark l'informant que le Lord Commandant Mormont de la Garde de Nuit marchait au-delà du Mur pour investiguer sur des rapports étranges ramenés par ses patrouilleurs, tous après avoir été presque tué par un esclave des morts-vivants.
Les vivants me donnent trop de problèmes, et je n'ai pas le temps de penser aux morts.
Stark, au moins, tenait sa promesse de se montrer vigilant quant aux événements sur le Mur, la raison pour laquelle il avait refusé la requête de Robert de devenir Main du Roi.
Maintenant si seulement Renly pouvait tenir ses promesses et ne pas démolir tous mes plans pour amener Cersei et Jaime Lannister devant la justice pour inceste, adultère et trahison…
Stannis et Renly avaient récemment monté un plan à Accalmie pour se charger des Lannister et renforcer l'assise de Robert sur le Trône de Fer : Renly voyagerait vers Port-Réal et informerait leur grand-père maternel et Main du Roi Lord Estermont de l'inceste, et il informerait à son tour Ser Barristan et préparerait le Guet Municipal. Renly galoperait alors pour rassembler des troupes dans le Bief et protéger Port-Réal avant que Tywin Lannister n'apprît même que ses précieux enfants avaient été emprisonnés – ce qui arriverait dès que Stannis en donnerait l'ordre.
Et où était Robert dans tout cela ? Robert devait être laissé dans l'ignorance jusqu'à ce que Cersei et Jaime fussent derrière les barreaux, pour l'empêcher de faire quelque chose de stupide, comme d'écraser le crâne des jumeaux Lannister avec son marteau de guerre. Robert serait en colère, bien sûr, mais la colère de Robert était quelque chose que Stannis avait géré sa vie entière. C'était toujours terrible à voir, mais elle s'éteignait assez rapidement. Stannis étala deux petits morceaux de parchemin sur son bureau.
Le maistre de Renly avait écrit pour annoncer que le Seigneur d'Accalmie profitait des bals masqués estivaux de Haut-Jardin, en compagnie de nouveaux loyaux amis venus de tous les coins du Bief. De même, la chasse au sanglier avait jusque-là été splendide, car le jeune seigneur en avait abattu un dans le bois royal et deux dans les forêts autour de Haut-Jardin. Les parties de chasse étaient sans doute vraies, car Renly ne manquait jamais une occasion de se vanter de ses prouesses en… tout, en fait. Les mascarades étaient le code qu'ils avaient trouvé pour une armée et une alliance avec les Tyrell, donc ceci était en ordre. Bien. Lord Estermont avait peu à dire excepté que tout était préparé, et qu'il n'attendait que l'ordre de Lord Stannis. Stannis jeta un regard par la fenêtre. Un corbeau blanc était arrivé de la Citadelle à peine une semaine plus tôt - avec le jeune Maistre Pylos, qui devait assister Maistre Cressen dans son grand âge. On ne se croyait pas en automne, pas vraiment, mais il était inévitable que le plus long été de mémoire récente vint à s'achever un jour.
Il se demanda ce que Jon pensait de l'automne dans le Sud, s'il faisait plus chaud que durant le plein été à Winterfell. Techniquement, c'était Ser Jon à présent, mais Stannis ne voyait pas vraiment le fils bâtard de Ned Stark différemment. Jon était encore jeune et avait beaucoup à apprendre, et Stannis comptait bien l'impliquer autant que possible dans la planification et l'exécution de la guerre à venir. On en viendrait aux armes, car Tywin Lannister n'était pas homme à rester assis sans rien faire tandis que sa famille était entachée par des allégations de trahison. Stannis n'avait aucun désir de mener une autre guerre. Les guerres les plus faciles étaient celles où l'on n'avait aucun doute quant à l'ennemi, où l'ennemi avait rendu ses intentions extrêmement claires. Comme la rébellion impétueuse de Balon Greyjoy. La situation en cours était plus délicate. Cersei ne reconnaîtrait jamais avoir cocufié son mari, aussi la Couronne devrait convaincre le royaume que les Baratheon n'échangeaient pas une reine Lannister contre une Tyrell par pur dépit. Stannis reporta son attention sur les messages posés sur son bureau.
Tout est préparé, Lord Stannis. Nous attendons votre retour de Peyredragon.
Il trempa sa plume dans un encrier et inscrivit deliberately deux mots sur une feuille de parchemin neuf à l'adresse du Seigneur Main :
Agissez maintenant.
- Père dit qu'il va y avoir une bataille.
- Peut-être. Avec de la chance on n'en arrivera pas là.
Jon se trouvait avec Shireen sur sa plage préférée, les tours-dragons du château se dressant dans le lointain. Il devrait prendre la mer avec Stannis pour Port-Réal dans une quinzaine, avec tous les navires et les hommes disponibles qui ne faisaient pas partie des défenses de Peyredragon. Jon faisait ricocher des cailloux sur la mer, regardant les ondes que les pierres lisses créaient sur l'eau tandis que Shireen lançait des morceaux de bois flotté que Fantôme lui rapportait.
- Père n'a pas pour habitude de mentir. Il m'a répété encore et encore l'importance de dire la vérité, même si c'est une potion amère à avaler.
Quelques mèches de cheveux noir de jais s'étaient échappées de sa tresse bien nette. Jon laissa échapper un rire sec.
- Je ne serai pas en désaccord avec vous sur ce point, ma dame.
- Ser Davos a dit la même chose. Je pense que c'est pour ça que lui et Père s'entendent si bien. Si seulement les choses allaient pareil entre Père et Mère.
Il était bien connu sur Peyredragon que le mariage du seigneur et de la dame était d'une grande froideur, et les spéculations sur l'absence d'autres enfants allaient de la stérilité de Dame Selyse à Lord Stannis évitant sciemment le lit de son épouse. Mais que pouvait dire Jon à leur fille ?
- Je sais que Père et Mère ne s'aiment pas beaucoup, poursuivit tristement Shireen. Juste parce que je suis une petite fille, cela ne veut pas dire que je suis aveugle à tout ce qui se passe autour de moi. Mère ne t'aime pas non plus, ce que je ne comprends pas.
- Vraiment ? demanda prudemment Jon.
Il aurait préféré s'éloigner d'un sujet si difficile, particulièrement car il ne savait pas quand il aurait de nouveau l'occasion d'être aussi détendu et insouciant avec Shireen - qui était son amie depuis qu'il avait mis le pied sur Peyredragon. Mais tout comme Stannis, Shireen avait une tendance à trop réfléchir, à des sujets sérieux qu'elle ne pourrait jamais changer.
- Elle dit que c'est parce que tu es bâtard, que tu crois à des dieux païens et fais honte à Père. Cela n'a absolument aucun sens ! Père ne va jamais au septuaire ni ne prie les Sept, aussi Mère devrait l'appeler mécréant lui aussi, pour être équitable. De même, si Père pensait vraiment que tu lui fais honte, il ne t'aurait pas emmené visiter ses bannerets, ni ne t'aurait donné Fracas, ni parlé de…
- Shireen, dit Jon en l'interrompant, espérant que sa voix ne sonnait pas trop rude. Dame Selyse ne m'appréciera jamais. Tout comme Dame Catelyn. Il n'y a probablement rien que toi ou moi pouvons faire pour qu'elle change d'avis, aussi oublie ce problème.
Shireen ouvrit la bouche pour en dire plus mais heureusement, Fantôme choisit un moment opportun pour revenir avec un gros morceau de bois flotté. Il le déposa promptement devant elle.
- J'ai quelque chose pour toi, dit Shireen sans autre préambule.
Fantôme fourra immédiatement son museau dans sa main, comme s'il attendait une friandise.
- Pas toi ! le gronda Shireen, une expression sévère sur son visage, qui rappelait beaucoup Stannis.
Elle fouilla dans l'une des poches de sa robe et en tira un petit morceau de tissu gris, puis le lui tendit. Jon l'examina, remarquant sa finesse et les coutures blanches le long des bords. Shireen l'observait, une légère rougeur naissant curieusement sur ses joues.
- La broderie n'est pas des meilleures, mais je n'ai jamais essayé de faire un dessin si compliqué avant.
Jon vit immédiatement à quoi elle faisait référence car dans l'un des coins du tissu se trouvaient un loup géant blanc aux yeux rouges et une biche - une biche aux yeux bleus et la joue marquée de gris sombre.
- Alors c'est toi et Fantôme ?
- Non. Tu es le loup géant.
Le rosissement de Shireen s'accentua, et Jon ne put se souvenir d'un jour où elle eût des problèmes pour croiser son regard.
- Aucun chevalier ne devrait partir au combat sans une faveur de sa dame, et puisque tu n'as pas encore d'épouse et que tes sœurs sont si loin, et que tu n'as jamais connu ta mère...
Sa voix s'éteignit.
- La broderie est très bonne, dit sincèrement Jon. Ma sœur Sansa est plus douée que toi, mais elle est plus âgée et a beaucoup plus de pratique. Arya, par contre...
Jon sourit au souvenir de sa petite sœur préférée, se rappelant comment elle avait une fois cousu un quelconque bout de tissu sur lequel la septa la faisait s'entraîner directement sur sa robe.
- Arya préférerait se battre avec ses aiguilles plutôt que de coudre.
Shireen parut satisfaite, mais alors son visage s'affaissa.
- Je veux que toi et Père reveniez, plus que tout autre chose. Père refuse de promettre qu'il reviendra, en disant qu'il serait mal de me donner de faux espoirs.
Je me demande si les parents de Stannis lui ont donné de faux espoirs avant de faire voile pour leur dernier voyage…
C'était comme de dire au revoir à Arya encore une fois, et Jon aurait voulu donner quelque chose de plus à cette petite fille intelligente au grand cœur pour qu'elle ne fût pas si triste à son départ. Il avait donné Aiguille à Arya, mais Shireen ne s'intéressait pas aux armes. Elle adorait lire, mais les livres étaient horriblement chers, et la bibliothèque de Peyredragon contenait déjà plus de volumes que quiconque ne pouvait espérer lire en une seule vie. Jon tendit la main pour ébouriffer les cheveux de Shireen, et elle saisit cette occasion de le serrer dans ses bras, cachant son visage contre sa poitrine. Jon ferma les yeux, écoutant le vent et le fracas des vagues tout autour de lui.
Stannis profitait d'une soirée tranquille dans son bureau, la dernière qu'il aurait avant de faire voile vers sa troisième guerre le lendemain. Naturellement, ce qui rendait la soirée encore plus agréable était un bon repas, de l'eau additionnée de citrons bien frais, et un compagnon de confiance. Ser Davos l'écoutait toujours patiemment, et toutes ses objections étaient amenées par de bonnes raisons plutôt que pour le simple plaisir de la dispute.
Voilà pourquoi il est si difficile de travailler avec Robert et Renly. Tout se change rapidement en dispute avec eux.
Stannis se demanda en passant si son appréhension à l'idée de faire voile vers Port-Réal avait plus à voir avec la présence de ses frères que la possibilité d'une bataille. Il aurait aimé pouvoir emmener Ser Davos avec lui à la Forteresse Rouge, mais cela serait égoïste de sa part, surtout quand un homme avec l'expérience de navigateur de Davos était requis sur Peyredragon. Davos avait juste terminé de faire à Stannis un rapport complet du statut et de la localisation de tous les navires autour de l'île, en incluant ceux de la flotte royale, ceux des bannerets de Peyredragon, et les navires personnels de Stannis. Tout était en ordre, bien que bon nombre de marins et de soldats devinssent impatients, ne sachant pas quelle était la menace sur Port-Réal.
Ils le sauront assez vite, quand Robert annoncera la trahison de Cersei au royaume.
- Ser Davos, se lança Stannis, je vous nomme châtelain de Peyredragon en mon absence.
Davos était en train de porter le gobelet à sa bouche, mais à la déclaration de Stannis il s'arrêta, reposant prudemment ledit gobelet sur la table devant lui. Il paraissait perplexe.
- Châtelain ? Mais Ser Axell Florent vous a très correctement servi pendant de nombreuses années, gérant le château durant vos séjours à Port-Réal et plus récemment vos voyages à Winterfell et Accalmie.
- Ser Axell me sert parce qu'il espère que je peux lui accorder, ainsi qu'à sa famille, la faveur royale, des postes près du roi et des mariages avantageux via mes connexions à la cour. Si mon épouse ne proclamait pas qu'elle l'aime comme un père, lui et bon nombre de ses détestables relations n'auraient jamais posé le pied sur Peyredragon.
Mieux vaut avoir les Florent comme famille que les Tyrell, bien qu'il semble que Margaery Tyrell soit voué à être ma future belle-sœur. N'empêche, raisonna Stannis, j'aimerais mieux voir Margaery reine que Dame d'Accalmie.
Stannis réunit ses doigts en clocher, observant Davos plus attentivement.
- Vous, Ser Davos, n'avez jamais tenté de vous servir de moi ni de mon nom pour obtenir quelque chose. Certes, vous flairiez l'or quand vous avez amené vos oignons et votre poisson salé à Accalmie il y a toute ces années, mais je vous ai équitablement récompensé pour cela. Maintenant, vous êtes un chevalier fieffé avec votre propre navire et un avenir brillant pour vos sept fils, et vous êtes satisfait de me servir loyalement.
Davos haussa les sourcils, et Stannis réalisa la gravité de ce qu'il venait de dire.
- Du moins, c'est ce que je crois, ou bien je suis joué comme le plus grand imbécile de tous les Sept Royaumes.
Les yeux de Davos se radoucirent et un petit sourire apparut soudain sur ses lèvres.
- Je n'ai jamais roulé personne. Du moins personne qui ne le méritait.
Stannis renifla.
- En tant que châtelain, vous vous assurerez que les affaires de Peyredragon continuent aussi efficacement que d'ordinaire. Continuez à collecter les impôts sur les navires marchands, assurez-vous que la garnison accomplit ses entraînements quotidiens, et voyez à ce que ma maisonnée reste en bon ordre. Je laisserai une bonne partie de la flotte royale ici, et si un navire Lannister apparaissait, j'attends que vous montiez une défense et le détruisiez pendant qu'il est encore en mer. Mes hommes ont reçu ordre de se rapporter à vous s'ils ont des questions ou des problèmes.
- Mais mon seigneur, objecta Davos. Je ne sais lire. Ni écrire.
- Vous avez géré vos terres sur le Cap Colère admirablement ces seize dernières années sans connaître vos lettres. Maistre Cressen peut lire pour vous, de même que Maistre Pylos. Si l'affaire vous cause toujours des soucis, vous pouvez fort bien leur demander de vous instruire. Mes intendants également, et s'ils osent vous désobéir, recrutez-en de nouveaux.
- Bien sûr. Je vous jure que Peyredragon sera en sûreté.
Stannis balaya ces mots d'un geste. Il n'avait pas besoin de les entendre, surtout de la part de Davos.
- En plus d'agir comme châtelain, je veux que vous soyez ici pour ma femme et ma fille.
Davos le regarda curieusement.
- Shireen, je pourrais comprendre. Mais Dame Selyse ne me parle pas plus qu'elle ne le doit, et même ainsi c'est le plus souvent via un de ses serviteurs ou dames de compagnie.
- J'ai besoin de vous en tant que contrebandier, pas comme compagnon. Si quelque chose devait arriver à Peyredragon, comme une attaque des Lannister ou le volcan entrant subitement en éruption, je veux qu'elles soient emmenées en sûreté.
- Où ça ?
- Winterfell.
- Winterfell ?
- Vous paraissez surpris, Ser Davos. Avez-vous une vieille cachette de contrebandier que je devrais utiliser à la place ?
Davos secoua la tête tandis que Stannis poursuivait.
- Je ne pense pas que Ned Stark soit capable de fermer sa porte à une mère et son enfant innocentes.
- Je suis heureux d'entendre que vous êtes enfin ami avec Lord Stark.
- Stark n'est pas de mes amis et ne l'a jamais été, répondit automatiquement Stannis. Mais c'est un homme de bien, je vous le concède.
Davos fronça les sourcils.
- Il vous a confié son fils.
- Son épouse voulait se débarrasser du même fils. Stark me l'a dit.
Davos avait l'air de vouloir ajouter quelque chose. D'habitude, Stannis lui aurait demandé, mais à présent il n'avait pas la patience de discuter du serviable et honorable Ned Stark. De plus, il n'y en avait pas vraiment besoin, alors que Stark se trouvait dans le Nord gelé à s'inquiéter de la neige et des morts-vivants. Davos abandonna le sujet.
- J'attends votre retour avec impatience, mon seigneur. Je prie pour que ce soit une guerre courte, ou pas de guerre du tout.
Stannis croisa le regard de son loyal chevalier.
- J'espère que vos prières fonctionneront, Davos, si seulement parce que je n'aurai jamais votre foi. Et si vous pensez que les guerres sont courtes... ça n'arrive jamais.
Jon se tenait à la proue du plus grand et plus apprécié navire de Stannis, la Fureur, attendant que Port-Réal apparût. Fantôme était en silence à ses côtés. La faveur de Shireen était dans ses mains, et Jon suivit négligemment du doigt le loup géant et le cerf brodés avec précision dans le tissu. Il était touché par ce geste, bien que la situation entière fût absurde – il ne serait jamais le chevalier en armure étincelante de qui que ce soit. Ser Loras Tyrell, peut-être. Il était le genre de chevalier à faire soupirer les dames, sans oublier que son armure couverte de joyaux étincelait littéralement. Fantôme toucha du nez la minuscule biche.
- Elle va te manquer aussi ? demanda Jon, caressant la fourrure blanche sur la tête du loup.
Fantôme, bien sûr, ne répondit pas, mais il découvrit bien les dents quand Jon ajouta :
- Tu vas devoir mériter ton dîner maintenant, car je ne vais pas te gâter comme le fait la future Dame de Peyredragon.
- Qu'as-tu à la main ?
Jon sursauta en entendant la voix de Stannis. Fantôme s'éloigna furtivement, ce qui n'était pas une mince affaire vu qu'il était à présent plus grand qu'un loup ordinaire. Le premier instinct de Jon fut de cacher la faveur de Shireen et de filer ensuite comme son loup, inquiet que Stannis en tirât la mauvaise conclusion. Cependant, il la donna quand même, observant Stannis qui l'étudiait.
- Shireen l'a faite pour moi, dit Jon, un peu méfiant.
- Ma fille a trop de temps libre si elle peut broder des faveurs si complexes.
A la surprise de Jon, Stannis glissa la main dans sa tunique et en tira un morceau de tissu blanc plié avec soin. Il le tendit et Jon put voir une biche à la joue grise et un cerf doté d'un magnifique ensemble de bois.
- Quand je reverrai Shireen, je devrai lui dire qu'il n'est pas correct pour une dame de donner sa faveur à plusieurs hommes.
Son visage était dur et ne dévoilait rien, comme toujours, mais au bout d'un moment Jon remarqua les coins de la bouche de Stannis qui se relevaient en un sourire.
- Si je désapprouvais le temps que Shireen passe avec toi, je te l'aurais déjà dit. Cela lui fait du bien de passer du temps avec quelqu'un de son âge, plutôt que son fou et les compagnes de mon épouse qui croassent comme des corneilles dressées. Et elle en a probablement brodé une pour Ser Davos également.
Jon laissa échapper une respiration retenue sans même s'en apercevoir.
- Shireen me rappelle ma petite sœur Arya. Elle me manque beaucoup, et elle aimait bien que je lui ébouriffe les cheveux.
Stannis se contenta de hocher la tête avec une expression entendue.
Stannis a vu à quelle fréquence Arya m'écrit, plus que tout le reste de mes frères et sœurs sauf Robb, pensa Jon. Cela doit expliquer sa mine.
Stannis remit les cerfs brodés dans sa tunique et rendit à Jon le loup géant et la biche.
Avant longtemps, Jon commença à apercevoir des tours rouges dans le lointain, de même que des bâtiments sur deux autres grandes collines. Il observa la cité avec fascination, ayant entendu des contes sur cette cité décadente sa vie entière. Cependant la fascination de Jon n'approchait en aucun point l'imagination de Sansa sur les merveilles et la sophistication de l'endroit. Sansa avait été assez jalouse qu'il pût visiter Port-Réal pendant qu'elle restait à Winterfell, et elle avait fait promettre à Jon de lui écrire au sujet de la Forteresse Rouge et de la mode portée par les dames de la Cour. Et leur style de coiffure, comme si Jon remarquait jamais autre chose que si une dame avait les cheveux ballants ou relevés. Stannis, naturellement, grinça des dents quand Port-Réal arriva en vue.
- Estime-toi heureux d'approcher Port-Réal par la mer plutôt que la terre.
- Pourquoi ça, mon seigneur ?
- Des hommes plus robustes que toi ont perdu connaissance à l'odeur, que la mer masque jusqu'à une certaine limite.
Jon pencha la tête.
- Cela semble dur à croire.
- Te rappelles-tu Blancport ?
Jon opina.
- Blancport n'est qu'un village comparé à Port-Réal, bien qu'il soit infiniment mieux aménagé et géré. Lord Manderly peut être trop gros pour tenir sur un cheval, mais il sait comment garder sa cité propre – car la poussière et les autres saletés sont plus évidentes sur de la pierre blanche que sur le bois et les brique de boue séchée. Te rappelles-tu ce que sentait cette cité ?
- Cela sentait la marée.
C'était là une odeur à laquelle Jon s'était habitué durant son service chez Stannis.
- Du sel dans l'air, et le port sentait le poisson.
- Oui. Des odeurs normales, propres. Port-Réal n'avait pas d'égouts avant que l'un des rois Targaryen ne réalisât que la puanteur des déchets jetés dans les rues et la Néra n'était qu'un simple inconvénient comparés à l'infection chronique qui en émanait. Cependant, le remugle de cette masse même d'être humains est suffisant pour faire vomir toute personne sensée.
- Donc j'en conclus que vous préférez Peyredragon à Port-Réal, alors ?
Stannis plissa les yeux.
- Comme je l'ai dit avant, Peyredragon est un tas de cailloux sans le moindre avantage sauf sa position stratégique. Le Seigneur de Peyredragon collecte des taxes des navires marchands qui passent, et il protège la capitale des navires pirates et des flottes d'invasion. Port-Réal, en revanche…
Stannis fronça les sourcils, le dégoût inscrit sur son visage.
- Port-Réal est la plus grande, la plus riche, la plus puissante, la plus diversifiée de toutes les cités de Westeros. Mais c'est aussi la plus polluée, la plus sale, la plus violente et la plus corrompue. Il réside plus de vipère dans la Forteresse Rouge quand toute la province de Dorne, et si seulement elles étaient aussi faciles à capturer et à rôtir…
Jon haussa les sourcils. Le cynisme de Stannis n'était pas nouveau, et il avait en général une bonne raison pour cela. Mais certainement la capitale n'était pas si horrible qu'il le prétendait...
- Êtes-vous assez terrifié, Ser Jon ?
Quand Jon ne répondit pas tout de suite, Stannis ajouta :
- Vous seriez un idiot, sinon.
- Disons que je suis un idiot. Que puis-je faire pour me protéger ?
- Garde ton loup géant près de toi. Il devrait pouvoir éloigner les lions et d'autres bêtes dangereuses que tu pourrais rencontrer.
Tandis que la Fureur était remorquée dans le port et que l'équipage repliait les voiles, Jon remarqua un chevalier portant armure et cape blanche qui apparut soudain là où la passerelle serait bientôt abaissée. Un groupe d'au moins vingt hommes vêtues de manteaux dorés marchait derrière lui. Stannis ne pensait pas qu'il y eût là quelque chose d'inhabituel, tirant les pans de son beau manteau de drap d'or tenu par une broche en forme de cerf, avant de débarquer d'un pas assuré. Jon le suivit avec Ser Rolland Storm, Ser Andrew Estermont et le reste des hommes de Stannis. Le chevalier blanc mit un genou en terre avant que Stannis ne lui fît signe de se relever.
- Ser Arys du Rouvre. Je n'avais aucune idée que les chevaliers de la Garde Royale patrouillaient sur les quais de Port-Réal.
Ser Arys fit comme s'il n'avait pas entendu.
- Ser Barristan m'a donné des ordres stricts pour vous escorter jusqu'à la Forteresse Rouge immédiatement après que votre navire soit arrivé au port, Lord Stannis. Le roi Robert souhaite vous parler immédiatement.
- Je pense bien que oui, répondit sèchement Stannis.
Il se tourna vers Jon.
- En route, Ser Jon. Nous avons un roi à rencontrer.
Notes:
"Elle adorait lire, mais les livres étaient horriblement chers…" Les livres étaient vraiment horriblement chers à l'époque médiévale, car il manquait à l'Europe deux éléments-clés : une presse à imprimer, donc tous les livres devaient être écrits à la main, et une surface d'écriture bon marché.
