Bonjour à tous !
Cette fic est un projet sur lequel je planche depuis désormais un an et demi et que je voulais attendre d'avoir complètement fini pour pouvoir la poster. Autant vous dire qu'après tout ce temps, je réalise à peine que j'en suis enfin arrivée au bout. Avant de commencer, quelques remerciements pour les personnes sans qui ce projet n'aurait pas ressemblé à grand-chose :
Saad Maia, ma bêta qui m'a suivie et soutenue tout au long de ce projet, celle qui m'a confirmé qu'il y avait quelque chose à tirer de cette idée, qui a éclairé cette fic grâce à ses chorégraphies et sa connaissance technique en patinage, et qui a repéré les nombreux couacs qui l'auraient rendue moins crédible. Celle aussi qui a supporté mes messages à répétition pour lever un doute, peaufiner une idée ou discuter de ce projet quand il me montait trop à la tête.
Oceanna, pour sa connaissance pointue du sujet de cette fic. En me conseillant l'excellent ouvrage Why does he do that, de Lundy Bancroft, qui m'a permis de mieux cerner et comprendre le sujet et plus encore, pour ses réponses toujours très justes à toutes mes questions incessantes à répétition, pour ses conseils, messages et encouragements qui ont fait que le fond de cette fic ne ressemblerait clairement pas à grand-chose sans elle.
Un gros gros merci à toutes les deux, les filles, pour m'avoir suivie et supporté depuis tout ce temps, et parce que je ne pense clairement pas que cette fic aurait fini par exister sans vous et votre aide !
Je remercie également toutes les membres du Forum Francophone qui n'en peuvent plus de m'entendre parler de ce projet mais qui m'ont quand même supportée, encouragée et conseillée depuis le tout début.
Et bien sûr, Sayo Yamamoto, Mitsurö Kubo et le studio MAPPA, pour nous avoir fait rêver et plus encore avec cet anime.
Sur ce, je vous laisse découvrir ce projet que je prépare depuis beaucoup trop longtemps. ENJOY !
La sonnerie du réveil résonna dans la pièce. Yuri fronça les sourcils. Ce n'était pas son propre réveil, et le matelas sous son corps lui semblait plus dur que le sien. Il comprit rapidement qu'il n'était pas dans son lit. Avant qu'il n'ait eu le temps de s'interroger plus en détail, il sentit le corps à côté du sien éteindre le réveil et revenir se blottir contre lui. Un pâle sourire serein se dessina sur son visage en sentant Victor le câliner, et il soupira d'aise.
Yuri était arrivé à Saint-Pétersbourg la veille au soir pour emménager chez Victor et s'entraîner avec lui pour la saison prochaine. Le jeune japonais laissa échapper un gémissement de bien-être en sentant Victor parsemer son visage de baisers-papillons et il se retourna vers lui.
- Bien dormi ? s'inquiéta le russe.
- A merveille, murmura-t-il, la voix encore pleine de sommeil. A quelle heure on doit être à la patinoire ?
- J'ai dit à Yakov qu'on ne patinerait pas aujourd'hui, le temps que tu prennes tes marques. Mais on va quand même y faire un tour pour te faire visiter et planifier avec Yakov nos temps d'entraînement.
Yuri acquiesça lentement et s'étira en baillant, tandis que Victor se levait. Une main sur la porte, le russe proposa :
- Tu veux aller sous la douche en premier ?
- Vas-y. Je vais mettre une éternité à trouver mes affaires dans mes valises.
Au prix d'un grand effort, Yuri traîna les pieds jusqu'au salon de Victor et son regard désespéré se posa sur la pile de valises restées à l'entrée de l'appartement. D'un mouvement de tête décidé, il prit son courage à deux mains et s'attaqua au monstre de plastique qui lui faisait face. Dix minutes plus tard, il avait enfin réussi à réunir une serviette et des vêtements pour la journée et il entendit Victor revenir derrière lui.
- Café ? proposa le russe.
- S'il te plaît, approuva Yuri, en bâillant de nouveau.
Il s'éclipsa dans la salle de bains pendant que Victor préparait la cafetière, et quelques minutes plus tard, ils étaient assis autour de la table du petit-déjeuner, chacun devant un bol de café fumant.
- La patinoire est loin de chez toi ? demanda Yuri par curiosité.
- Dix minutes à pied. C'est rare que je prenne la voiture pour y aller. Je…
Victor sembla hésiter quelques secondes avant de reprendre :
- Je l'ai pas mal fait, d'y aller systématiquement en voiture, à un moment, mais ça me gonflait. J'aime bien marcher le matin.
Yuri acquiesça silencieusement. Il se demanda pendant une seconde pourquoi il l'avait autant fait s'il n'aimait pas ça, mais quelque chose dans l'expression de Victor le dissuada de poser la question. Le russe s'était légèrement renfermé, comme si cette allusion faisait référence à des souvenirs auxquels il préférait éviter de penser.
Ils terminèrent de manger en silence et partirent rapidement vers la patinoire. Yuri regardait partout autour de lui, tentant de se souvenir du chemin qu'ils prenaient, et Victor souffla :
- Ne t'inquiète pas, tu vas vite prendre tes marques. Et quand la saison sera finie, on aura tout le temps de te faire découvrir la ville.
Ils traversèrent un petit pont qui enjambait une rivière et atteignirent le bord d'un parc dont l'herbe et les arbres étaient recouverts d'une couche de givre. Victor désigna un bâtiment dont la façade de verre se distinguait au travers des arbres dépourvus de feuille.
- C'est ça, le Palais des Glaces ? La patinoire de Saint-Pétersbourg ? s'étonna Yuri, impressionné. Ça paraît immense !
- Ça l'est ! confirma Victor.
Ils entrèrent dans la patinoire et Victor lui fit visiter le complexe. L'entrée du bâtiment était impressionnante et étincelante. De grands miroirs sur les murs la faisaient paraître encore plus grande et faisaient briller la succession de guichets en bois verni face à eux. Victor l'entraîna vers un couloir qui desservait plusieurs escaliers en lui expliquant rapidement qu'ils menaient vers des salles d'entraînement hors glace. Ils passèrent par un immense vestiaire dont les murs étaient longés par des bancs en bois et des porte-manteaux, sur lesquels plusieurs vêtements et sacs s'entassaient.
- Il y a une multitude de vestiaires, expliqua Victor, mais on n'utilise que celui-là. Les autres ne servent que pendant les compétitions. En général on laisse tous nos affaires en vrac ici mais on a quand même chacun un casier à côté de la piste.
Ils déposèrent rapidement leurs manteaux et sacs avant de repartir et d'atteindre le bord de la patinoire. Yuri avait beau savoir que la piste avait la même taille que celle de Détroit où il avait patiné pendant des années, elle lui paraissait dix fois plus grande. Cette impression venait probablement de la taille de la pièce en elle-même, avec ses gradins gigantesques de plusieurs milliers de places, ses hautes balustrades surplombées de parois de verre ou des multiples spots de lumières de différentes couleurs qui la parcouraient. Mais il n'eut pas le temps d'admirer l'endroit plus en détail. A quelques mètres d'eux, Yakov surveillait Yurio et Mila qui s'entraînaient déjà, et Yuri eut l'impression que le coach s'était renfrogné à leur arrivée. Yakov ne l'avait jamais mis particulièrement à l'aise, et il se doutait qu'il devait lui en vouloir de lui avoir enlevé son meilleur patineur l'année précédente, mais il avait supposé que la tension s'atténuerait maintenant que Victor était revenu. Pourtant, au contraire, Yakov semblait le foudroyer du regard de manière plus importante encore que lorsqu'il l'avait coaché à la Coupe de Russie un mois auparavant. Si un regard avait pu tuer, Yuri serait certainement mort sur le coup.
- Salut Yakov ! lança Victor, sans même sembler remarquer quoi que ce soit.
- Dans mon bureau, tous les deux, ordonna sèchement le coach en réponse.
L'air désappointé de Victor laissa comprendre à Yuri que lui aussi était surpris par sa réaction mais il ne broncha pas et entraîna Yuri dans une pièce attenante à la patinoire, meublée d'un grand bureau, de quatre chaises et de plusieurs placards. En y entrant, Yuri eut la certitude que Yakov y passait plus de temps que chez lui. Une tasse de café, une bouteille d'eau et plusieurs gobelets en plastique vides étaient regroupés sur le bureau, au milieu d'une montagne de papiers jetés pêle-mêle et qui recouvraient la totalité du meuble. Un écran d'ordinateur dépassait de ce monticule et son bord était recouvert de posts-its sur lesquels l'écriture brouillonne de Yakov avait inscrit des choses à retenir en priorité. Sur une étagère derrière lui, les dizaines de coupes remportées par ses patineurs lors des épreuves par équipe s'alignaient fièrement. Quelques photos étaient également affichées, représentant toutes des patineurs sur un podium, et Yuri devina qu'il s'agissait de ses plus grandes fiertés. Victor était sur l'une d'elle, beaucoup plus jeune. A son costume, Yuri se souvint qu'il s'agissait de la dernière saison où il avait eu les cheveux longs. Alors qu'il avait enchaîné plusieurs plantages depuis son arrivée chez les séniors et que les médias pariaient sur l'arrêt de sa carrière, il était revenu avec un nouveau thème, Résister, et avait raflé la médaille d'or du Grand Prix et des mondiaux. C'était après cette saison qu'il avait coupé ses cheveux et, même si Yuri l'admirait depuis toujours, aux yeux du monde, c'était cette année-là qu'il avait entamé la série de victoires qui avaient fait de lui une légende vivante du patinage. Yakov s'assit dans le grand fauteuil de bureau noir et sortit sans hésitation l'un des papiers parmi le désordre entassé devant lui :
- Histoire de faciliter les choses, j'ai déjà programmé le temps de glace de tous les autres patineurs, il ne restait plus que vous deux à caser. Les cases non-remplies correspondent aux tranches encore disponibles, mais je voulais savoir combien de temps vous comptiez vous entraîner chacun ?
- Victor a besoin de plus d'entraînement que moi s'il veut être prêt pour ses nationaux, fit remarquer Yuri.
A nouveau, Yakov foudroya Yuri du regard au point que celui-ci baissa les yeux.
- Pardon, murmura-t-il.
Il se tassa sur sa chaise, cherchant à se faire oublier. Pourquoi avait-il pris spontanément la parole, c'était évident que Yakov s'adressait à Victor…
- Ne t'excuse pas Yuri, le rassura Victor. Et tu as aussi besoin d'entraînement, tu as tes propres championnats du Japon dans deux semaines. On va s'arranger.
Victor se pencha sur le planning et commença à discuter de la répartition des entraînements avec Yakov. Yuri resta silencieux, les observant travailler et se contentant d'acquiescer quand Victor lui demandait si tel ou tel arrangement lui convenait.
- Ça te paraît bien ? interrogea Victor en levant la tête vers Yakov, après qu'ils se soient tous les deux mis d'accord.
- J'aurais aimé que tu aies quelques heures de plus, au moins jusqu'aux nationaux, grommela malgré tout son coach.
Yuri avait gardé les yeux penchés sur le papier et hasarda timidement :
- Je peux demander quelque chose ?
- Bien sûr, répondit aussitôt Victor, un peu étonné. Tu n'as même pas à demander l'autorisation.
Son encouragement le rassura légèrement et il désigna le planning :
- Si je comprends bien, il y a encore des créneaux de libre cet après-midi… Pourquoi tu n'en profites pas pour patiner, Victor ?
Yakov parut surpris de sa question et, cette fois, il adressa un regard lourd de sens à Victor. A nouveau, Yuri eut l'impression d'avoir ranimé un sujet de tension entre le russe et son coach. Victor expliqua rapidement :
- A la base, c'était prévu, je devais patiner aujourd'hui. Mais… J'ai préféré rester avec toi pour ta première journée ici, le temps que tu prennes tes marques.
Yuri comprit soudain mieux l'énervement de Yakov à son égard. Du point de vue du coach, même maintenant qu'ils étaient revenus à Saint-Pétersbourg, il continuait d'empêcher Victor d'atteindre son meilleur niveau…
- Je ne veux pas t'empêcher de t'entraîner, fit remarquer doucement Yuri. Et tu as besoin de ces heures. Je peux rester chez toi et commencer à défaire mes valises, ou t'attendre ici, comme tu veux…
- Ça ne te dérange pas ? s'étonna Victor.
- Non, je te jure !
- Dans ce cas…
Yuri leva timidement les yeux vers Yakov. Celui-ci avait gardé son air renfrogné mais ne semblait plus lui en vouloir particulièrement. Il retint un soupir de soulagement. Quitte à s'entraîner ici pour une durée indéterminée, autant ne pas se mettre le responsable de l'équipe à dos dès le premier jour…
Yuri esquissa un sourire satisfait après avoir rangé sa dernière valise vide à l'endroit que Victor lui avait indiqué. Il revint dans le salon et se laissa tomber sur le canapé. Après l'entrevue avec Yakov, ils étaient revenus à l'appartement de Victor pour manger. Le russe lui avait proposé de patiner ensemble l'après-midi, mais Yuri commençait à le connaître. Il savait que Victor refuserait de se consacrer à son propre entraînement si lui-même patinait en même temps. Fidèle à sa décision, il avait donc insisté pour rester débarrasser ses valises pendant que son petit-ami repartait s'entraîner. Le russe lui avait montré les placards qu'il avait dégagés pour qu'il puisse y ranger ses affaires et le jeune japonais n'avait pas eu trop de tout l'après-midi pour s'en occuper. Il avisa un cadre noir sur le mur, qui contenait plusieurs photos, et s'en rapprocha.
Il y avait plusieurs photos, principalement de Chris et Victor ensemble, dans différents endroits, différents pays, sur différents podiums. Sur la seule où Victor n'était pas avec le suisse, il était en compagnie d'une jeune femme. Sur cette photo, Victor ne devait pas avoir plus de quatorze ans, il avait encore ses cheveux longs et son visage enfantin. Derrière lui, une fille d'une vingtaine d'années l'enlaçait, les bras passés autour de ses épaules, le menton posé sur son épaule pour qu'ils soient côte à côte alors qu'ils souriaient au photographe. La première réflexion que Yuri se fit était que la jeune femme était terriblement jolie, mais il comprit rapidement d'où venait cette impression : Elle était la copie conforme de Victor. Ils avaient le même visage fin, les mêmes yeux bleu-vert en amande, le même sourire resplendissant. Leur principale différence provenait de la couleur de leurs cheveux, ceux de Victor étant nettement cendrés alors que ceux de la femme tiraient bien plus sur le blond ambré. C'était également la photo où Victor était le plus jeune. Une autre, celle où il était sur le podium des mondiaux aux côtés de Chris quatre ans plus tard, était semblable à celle du bureau de Yakov : Le même costume noir, les mêmes cheveux longs tirés en un chignon serré, le même sourire heureux et soulagé d'être venu à bout de la série d'échecs qui avait précédé cette consécration ultime. Toutes les autres représentaient les années qui avaient suivi et avaient fait de Victor le quintuple champion du monde que les spectateurs connaissaient. En les comparant, Yuri constata à quel point Victor avait changé en peu de temps. Il avait longtemps gardé son physique enfantin, ses cheveux longs, son corps de taille moyenne et assez maigre – presque trop maigre, à vrai dire. Mais soudain, après que ce physique lui ait fait remporter l'or au Grand Prix et aux mondiaux, il était revenu six mois plus tard avec les cheveux coupés, beaucoup plus de muscles et grandi d'au moins dix centimètres. La croissance d'un jeune homme pouvait être rapide – lui-même avait pris vingt centimètres aux alentours de quinze ans. Mais Victor était beaucoup plus vieux quand ce changement s'était opéré et cette transformation avait également rendu son regard plus apaisé, plus serein, moins angoissé. Que lui était-il arrivé pendant cette pause ?
Il n'eut pas le temps de se poser la question davantage, le claquement de la porte d'entrée lui indiqua que Victor venait de rentrer.
- Ça va ? s'inquiéta Yuri dès l'instant où il le vit.
Victor était encore transpirant, le visage légèrement rougi, le regard las, et semblait ne plus tenir sur ses jambes. Il se laissa tomber dans le canapé et souffla :
- Ne t'inquiète pas. Yakov a juste eu envie de me faire payer le fait que je ne comptais pas patiner aujourd'hui…
- Excuse-moi pour ce matin, murmura Yuri en baissant les yeux. Je… Je ne voulais pas t'embarrasser ou…
- Arrête de t'excuser, mon cœur, souffla doucement Victor. Ce n'était pas de ta faute, c'était déjà adorable d'accepter que je t'abandonne pour ton premier jour ici…
- C'est normal…
Un silence pesant tomba et Victor sembla remarquer que Yuri était en train de regarder les photos sur le cadre quand il était arrivé. Rougissant légèrement, le japonais désigna la photo où il était en compagnie de la jeune femme de vingt ans.
- Elle est jolie… Elle est de ta famille ?
- Eva ? C'est ma grande sœur, confirma Victor. Mais la photo date un peu, elle a plus de trente ans maintenant…
- Pourquoi vous ne refaites pas une photo identique maintenant ?
Le regard de Victor s'assombrit légèrement quand il répondit :
- On ne se voit plus. On a été très proches pendant toute notre enfance mais… Enfin, on a un tout petit peu gardé contact, sans plus.
L'air renfermé du russe dissuada Yuri d'insister. A cet instant, Victor paraissait plus las et fatigué que jamais. Yuri hésita quelques secondes avant de remarquer :
- Tu as l'air épuisé… Tu veux que je prépare quelque chose à manger ? Pendant que tu vas t'allonger un peu ?
Victor esquissa un sourire attendri face à la proposition mais répondit :
- C'est gentil, mais non merci. Je dois me relever, il faut que j'aille sortir Makkachin.
- Je peux m'en occuper, si tu veux ?
Cette fois, Victor se figea, sourcils froncés. Son regard éclairé d'une lueur incertaine s'arrima à celui de Yuri, comme s'il cherchait à lire dans ses pensées. Est-ce qu'il avait dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Est-ce qu'il était trop insistant à vouloir l'aider à tout prix ? Victor voulait peut-être juste qu'il lui fiche la paix… Il s'apprêtait à s'excuser à nouveau quand le visage de Victor se radoucit légèrement.
- Non, murmura-t-il fermement mais avec douceur. Makkachin est mon toutou, c'est à moi de le sortir. Tu veux m'accompagner ?
Yuri accepta et, quelques minutes plus tard, ils ressortirent dans les rues de Saint-Pétersbourg. La nuit tombée semblait nimber la ville d'une aura de mystère, et rien ne ressemblait déjà plus à ce qu'avait vu Yuri le matin même. Le jeune homme renonça rapidement à prendre des repères dans les avenues qu'ils parcouraient. Il ne pouvait empêcher ses pensées de revenir aux évènements qui venaient de se passer. Yuri se rendait compte qu'il ne connaissait pas Victor aussi bien qu'il l'avait cru, et que tout un pan de sa vie, celui, intime, qu'il ne partageait pas avec les médias, lui échappait toujours. Et cela l'angoissait. Victor et lui avaient certes la même passion, mais leur langue et leur culture différaient du tout au tout. Combien d'erreurs, combien de faux pas Yuri commettrait-il encore avant d'apprendre ? Ou avant que Victor ne se lasse ? Lui-même avait-il ressenti la même chose lorsqu'il était venu le rejoindre à Hasetsu ? Yuri secoua la tête pour chasser ces idées noires, puis il se tourna vers Victor, resté silencieux.
- Comment se passe ton entraînement ? s'inquiéta-t-il. Tu ne galères pas trop après une année de pause ?
- Je m'attendais à pire, avoua Victor. Là je me prends surtout la tête sur les composantes de mes chorégraphies. J'ai peur de ne pas avoir assez de points techniques pour obtenir de bons résultats.
- Tu as été le premier patineur au monde à passer un quadruple flip, tu en as même fait ta spécialité, et tu as peur de ne pas avoir assez de technique ? s'étonna Yuri.
- J'arrive à le passer en début de programme, et le perfectionnisme de Yakov me fait obtenir un GoE+3 à chaque figure. Mais c'est tout. Je n'ai pas ton endurance. J'aurais été incapable de rivaliser face aux six quadruples des programmes de JJ à la saison dernière. Je dois trouver le moyen de rafler plus de points.
- Mais tu n'as pas besoin de tant de technique ! protesta Yuri. Tu es éblouissant, il suffit que tu rentres sur la glace pour charmer tout le public et le jury… Tes notes artistiques suffiront largement !
Victor laissa échapper un léger rire amusé et Yuri se renfrogna :
- Qu'est-ce que j'ai dit ?
- Rien, le rassura Victor. C'est juste que… J'ai l'impression d'entendre Chris. Et… Ma réponse va être la même que pour lui, j'adore quand ton côté de fan revient mais je ne suis pas sûr que ça te donne un avis très objectif…
Yuri ne put s'empêcher de reconnaître que son avis était très probablement troublé par les années qu'il avait passées à admirer Victor. Et pas seulement pour ses résultats. Les photos dans son salon lui avaient rappelé tous les gros plantages que Victor avait enchaînés à son arrivée chez les séniors. Pourtant, pas une seule fois Yuri n'avait cessé de l'admirer ou de croire en lui, il avait continué à observer chacun de ses passages en priant pour que celui-ci soit enfin celui où il prouverait qu'il était encore dans la course. A cet instant, il réalisa qu'il ne connaissait pas grand-chose de Victor. Qu'est-ce qui lui était arrivé pour qu'il perde ses moyens à ce point ? Il secoua mentalement la tête. Ça ne le regardait pas, et il avait plusieurs fois eu l'impression que Victor n'aimait pas parler de son passé.
- C'est vrai, je ne suis pas objectif, reconnut-il. Alors, tu as quoi comme éléments techniques pour penser que ça pourrait ne pas suffire?
Un sourire éclaira le visage de Victor et, aussitôt, il lui résuma avec passion les idées chorégraphiques qu'il avait en tête. A la fin, Yuri réfléchit :
- Il ne te manque pas tant de points que ça, non plus… Entre dix et quinze pour atteindre ton score de ta dernière saison… Un quadruple en plus pourrait suffire, non ?
- Oui, mais je ne sais pas quand le caser… Trop en mettre dans la première partie pourrait me desservir... J'avais bien pensé à l'enchaînement entre mes deux parties mais j'ai peur que les transitions ne soient trop rapides… Je suis grand, je dois prendre plus d'élan que la plupart des patineurs, avant de sauter.
- Et à la fin ? Quelques secondes avant la fin de ta musique, si tu clôturais par un quadruple flip ?
- Il ne me restera jamais assez de forces, répliqua aussitôt Victor.
- Tu es sûr ? Tu sais, je n'ai pas non plus tant d'endurance que ça, c'est juste que je m'économise sur tout mon programme…
Une lueur de doute traversa les yeux de Victor et Yuri reprit :
- Ça ne te dirait pas ? Qu'on soit les deux seuls patineurs au monde à clôturer nos chorégraphies par ce saut ?
Cette fois, le regard de Victor s'alluma clairement et il regarda Yuri dans les yeux en murmurant :
- Je crois que c'est l'idée la plus romantique qu'on m'ait jamais proposée…
Yuri rangeait ses affaires dans son casier. Il s'apprêtait à rejoindre l'entrée de la patinoire pour attendre Victor, qui était parti se doucher dans les vestiaires, quand des pas précipités dans sa direction lui firent tourner la tête. Il se figea en voyant Yakov avancer vers lui d'un air furieux et se tapit imperceptiblement contre les casiers quand celui-ci s'arrêta devant lui.
- J'ai cru comprendre que tu avais suggéré à Victor l'idée de finir son programme sur un quadruple flip ?
Les sourcils froncés et l'air furieux, ajoutés à l'accent coupant de Yakov lorsqu'il parlait anglais ne faisaient que rendre le vieil homme plus effrayant encore qu'à l'accoutumée. Yuri avala bruyamment sa salive, et acquiesça d'un timide hochement de tête terrorisé.
Yakov reprit en sifflant entre ses dents :
- Tu tiens tant que ça à plomber sa carrière ou quoi ?
- Quoi ? s'étonna Yuri, la voix plus aiguë que d'habitude à cause de la boule qui se formait dans sa gorge. Non pas du tout, ce n'est pas…
- Tu sais aussi bien que moi que Victor n'a pas l'endurance nécessaire pour ça ! rugit Yakov, augmentant d'un coup les décibels, et faisant sursauter les patineurs autour d'eux. Le seul résultat de cette tentative foireuse sera de lui faire perdre des points, de saccager sa chorégraphie ! Qu'est-ce que tu cherches, dis-moi ? A être meilleur que lui ? A l'obliger à faire les rares éléments que tu maîtrises et pas lui ? A le ridiculiser pour son retour ?
- Non ! démentit Yuri. Je vous jure que non ! C'était pas ce que je voulais ! Excusez-moi, c'était une idée stupide, je veux pas qu'il se plante !
Il fondit en une courbette en répétant ses excuses et Yakov parut s'apaiser un peu devant son air terrorisé. Il se rapprocha encore un peu plus de lui et souffla, un index dirigé droit vers lui :
- Que les choses soient claires, Yuri. Je ne tolérerai pas que ta venue ici fasse perdre le moindre centième de point en compétition à un de mes patineurs, tu m'entends ! Alors tu arrêtes de te croire plus malin que tout le monde, tu me laisses le conseiller comme je le fais depuis dix-huit ans et tu ne lui fais pas planter une deuxième saison, je me suis bien fait comprendre ?
- Oui ! Pardon ! s'empressa de confirmer Yuri en acquiesçant vivement de la tête.
- Bien. Je te préviens que tu le regretteras si je dois me répéter.
Yakov disparut aussi vite qu'il était arrivé et Yuri sentit ses jambes se dérober sous lui. Il tomba assis, le dos contre les casiers, peinant encore à réaliser ce qui venait de se passer. Ce ne fut que quand Mila posa une main douce sur son épaule pour le réconforter qu'il remarqua qu'au moins cinq patineurs de Yakov avaient assisté à la scène.
Victor sortait ses patins de son sac quand la porte des vestiaires claqua. Il leva la tête et esquissa un sourire.
- Salut Yurio ! Comment ça va ?
- T'emballes pas, l'ancêtre, ce n'est pas parce que tu m'as motivé à gagner le Grand Prix qu'on est copains pour autant, grommela le jeune blondinet.
- Ça va bien, donc ! conclut Victor.
- Le porcelet n'est pas là ? s'étonna Yurio.
- Il est déjà sur la glace en train de s'échauffer. Pourquoi ?
- Il s'est remis de la soufflante de Yakov ?
- De la… Quoi ? s'étonna Victor en fronçant les sourcils d'incompréhension.
- Il ne te l'a pas dit ? Hier soir, Yakov lui a passé un savon monumental devant nous tous. Il ne m'avait pas fait autant pitié depuis son plantage au Grand Prix de l'année dernière. J'ai pas tout compris, apparemment il t'aurait conseillé de modifier ta chorégraphie ?
Victor resta figé quelques secondes, digérant l'information, avant de reposer ses patins et de sortir en trombe des vestiaires.
Yuri finissait de s'échauffer quand il vit Victor débarquer à côté de la piste. Il fronça les sourcils en le voyant courir, preuve qu'il n'avait pas ses patins dans les pieds. Sans lui adresser un regard, Victor parcourut le bord de la patinoire à grandes enjambées et s'engouffra dans le bureau de Yakov. A son entrée, celui-ci avait le nez plongé dans ses papiers. Victor claqua la porte vitrée derrière lui et se planta devant son bureau en posant violemment ses deux mains dessus. Il cria toutefois suffisamment fort pour que les quelques patineurs présents sur la glace l'entendent :
- Je peux savoir ce qui t'a pris ?
- Bonjour à toi aussi, répondit Yakov en levant à peine les yeux.
- C'est quoi cette histoire de soufflante que tu aurais passée à Yuri ? reprit Victor sur le même ton. Qu'est-ce que tu lui as dit ?
- Je lui ai dit ce qu'il avait besoin d'entendre, répliqua Yakov plus sèchement. Il n'a pas de conseils à te donner.
- Et tu n'as pas à l'engueuler sur ce genre de sujets ! Ce n'est pas ton élève, ce n'est pas l'un d'entre nous !
- JUSTEMENT ! rugit Yakov. Il n'est ici que parce que je l'y tolère et que c'était le seul moyen pour que tu reprennes ta carrière ! Mais je peux le foutre dehors à n'importe quel moment et il va être temps qu'il le comprenne ! Je ne supporterais pas qu'il vienne bousiller ta reprise !
- CONTINUE COMME ÇA ET TU N'AURAS PAS A LE VIRER, TU VAS JUSTE LE DÉGOUTER DE S'ENTRAINER ICI ! hurla Victor. QU'EST-CE QU'IL T'A FAIT, BON SANG ? QU'EST-CE QUE TU CHERCHES ? A CE QU'IL REPARTE ? A CE QUE MOI, JE REPARTE AVEC LUI ?
- CE QUE JE CHERCHE, C'EST A ETRE SÛR QUE TU NE LAISSERAS PAS QUELQU'UN DÉTRUIRE TA CARRIERE ET TA VIE UNE SECONDE FOIS !
Un silence de mort tomba sur le complexe. La réplique de Yakov semblait avoir figé Victor de stupeur. Yuri remarqua que les autres patineurs qui s'entraînaient s'étaient également immobilisés pour écouter la conversation. Leur regard d'incompréhension lui laissa supposer qu'eux non plus n'avaient pas compris la dernière allusion de Yakov. Seul Georgi avait froncé les sourcils, comme s'il comprenait ce dont il parlait mais qu'il s'étonnait que ce sujet revienne sur la table. Est-ce qu'il parlait du départ de Victor pour Hasetsu ? Mais pourquoi Yakov parlait-il de détruire la vie de Victor ? Yuri avait plutôt eu l'impression qu'il n'avait jamais été aussi heureux que pendant cette année passée avec lui… Avant qu'il n'ait pu se poser plus de questions, Victor reprit sur un ton plus calme, tellement bas que le japonais dût se concentrer pour l'entendre :
- Tu es sérieusement en train de le comparer à Yuri ? Ils n'ont… Tellement rien à voir l'un avec l'autre, bon sang…
- Je te demande de faire attention, grogna Yakov. Boris aussi avait commencé en affirmant qu'il souhaitait te voir devenir le meilleur patineur au monde.
Victor sembla hésiter quelques secondes avant de soupirer :
- C'est… Stupide. Je refuse de répondre à de telles conneries. Ne lui parle plus sur ce ton, c'est tout.
Victor ressortit du bureau sans un mot de plus.
Victor sortit de la douche en ne portant qu'un bas de pyjama. Il enfila un tee-shirt légèrement trop grand et rejoignit Yuri dans le salon. Celui-ci était assis dans le canapé, les bras passés autour de ses genoux, le regard dans le vide. Victor s'assit à côté de lui et passa tendrement une main dans ses cheveux.
- Hey. Ça va ?
Yuri acquiesça d'un hochement de tête qui fut loin de convaincre Victor.
- Désolé pour ce matin, devina le russe. Je voulais pas te faire peur, j'ai juste… Ça m'a énervé d'apprendre que Yakov t'avait passé une soufflante.
Yuri releva vers lui un regard teinté d'incertitude et demanda :
- Pourquoi il pense que je vais te détruire ? Tout ce que je veux c'est que tu sois heureux, je te le jure ! Si je dois repartir pour que ce soit le cas, je m'en irais, je ferais tout ce que tu voudras…
- Non, le rassura doucement Victor. Ça n'a rien à voir avec toi.
- Alors avec qui ? Le Boris dont vous parliez ?
Le regard de Victor s'assombrit et il confirma juste avec un hochement de tête.
- Victor… Je pourrais comprendre si tu ne veux pas en parler…
L'espace d'un instant, le russe parut terriblement tenté par cette idée mais il finit par secouer la tête.
- Non. Tu as le droit de savoir, et tu mérites des explications.
Victor s'installa plus confortablement dans le canapé et demanda :
- Est-ce que le nom de Boris Dorokhov te dit quelque chose ?
Yuri acquiesça, les yeux plissés par la concentration. Il savait que ce nom lui rappelait un souvenir désagréable mais mit quelques secondes à remettre le doigt dessus.
- Oui… C'était l'assistant-coach de Yakov, non ? Celui qui avait annoncé en interview que tu n'avais plus rien à faire sur la glace, après ton plantage aux mondiaux de Calgary ?
Le regard de Victor se teinta d'amertume pendant qu'il lui confirmait :
- Oui. Mais… Tu ne sais pas tout. Cette interview n'est qu'une toute petite partie de l'histoire. Boris… Il n'était pas seulement l'assistant de Yakov, c'était aussi et surtout mon petit-ami. On a vécu ensemble pendant près de quatre ans et…
Victor prit une lente inspiration, comme s'il savait que ce qu'il allait faire – ou dire – serait désagréable mais qu'il y tenait pour permettre à Yuri d'y voir plus clair.
- Et tu as le droit de savoir ce qui se passait quand on était ensemble.
La suite arrive dans une semaine, le fait d'avoir déjà fini l'écriture me permet de vous promettre une publication régulière.
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