A: Osamu, 22h54
« Chûya et moi, bâtiment abandonné 102, probablement embuscade. Renforts à prévoir »

A: Osamu, 23h26

« Embuscade confirmée. Plus nombreux que prévu. Envoi renforts ! »

A: Osamu
Appels non connectés : 23h28
23h30
23h31
23h33
23h34

A: Osamu, 23h34

« REPONDS ! »

A: Agence, message vocal reçu à 23h36, durée : 16 secondes

«/cris et coups de feu en arrière plan/ ICI OZAKI, OU EST DAZAI ? IL FAUT QU'IL NOUS REJOIGNE ILS ONT... /coups de feu à nouveau, rire dément/ CHUYA... CHUYA A ACTIVE CORRUPTION, JPEUX PAS LE RETENIR IL... NO...NON, CHUYA.. ARRETE. CHUYA. JTEN SUPPLIE CEST MOI, KOYO... AAAAAAA... »
message terminé

Osamu Dazai, tout prodige qu'il est, n'avait pas prévu ce soir-là. Si la Mafia et l'Agence s'étaient à nouveau alliés contre un ennemi, ils faisaient toujours des missions chacun de leurs côtés, et rien ne laissait penser que deux cadres ensemble sur une même mission pourraient échouer. Il n'avait jamais pensé non plus que Chûya serait capable d'activer Corruption afin de protéger Kôyô Ozaki, même dans une situation désespérée, même si une fois activée, il savait que sa transe ne lui permettait plus de distinguer ses alliés de ses ennemis.

Et pourtant.

Il était minuit passé lorsque Fukuzawa en personne, accompagné de Kunikida et d'un Dazai encore à moitié sous influence des champignons étranges qu'il avait ingéré, arriva au bâtiment de l'attaque. Par miracle, il tenait encore debout mais devant eux, ce n'était rien moins qu'un carnage. Seul le silence les accueillit et le président comprit aussitôt qu'ils étaient arrivés trop tard.

La vue sembla faire un déclic dans l'esprit de l'ancien mafieux qui eut enfin l'idée de regarder son téléphone pour y découvrir les sms et appels manqués de Kôyô. Il n'avait pas entendu le message vocal laissé à l'Agence, c'était Fukuzawa et Kunikida qui avaient tout entendu et étaient venus le chercher immédiatement après, mais pas assez vite.

Il leva la tête de son appareil et regarda à nouveau les corps et les mares de sang. Son cœur s'était accéléré, et pas à cause de la drogue prise peu avant.

- Ici.

La voix du blond à lunettes le tira pour de bon de ses pensées et il courut pour le rejoindre. Le détective l'avait trouvé... enfin, « les » avait trouvés... Malgré l'immense quantité de sang, le kimono de Kôyô était encore clair par endroit, contrastant avec la tenue sombre et teintée de rouge/brun de Chûya, inerte devant elle. Sur ses avants bras et son visage, on pouvait voir les marques de Corruption qui avait enfin été déchaînée jusqu'au point de rupture de son corps.

Kôyô était étendue contre lui, un bras sous la tête du rouquin comme si elle l'avait tenu avant de s'effondrer à son tour. Elle avait une très large plaie à l'épaule, signe que Chûya était parvenu à l'atteindre... à moins qu'elle se soit volontairement jetée contre lui dans une dernière tentative de le ramener à lui.

Dazai n'arrivait pas à détacher son regard du duo à ses pieds. Chûya et lui avaient toujours été comme chien et chat malgré l'efficacité de leur partenariat, cela dit, il n'avait jamais souhaité sa mort, autrement il n'aurait jamais arrêté le pouvoir qui rongeait son partenaire. Quant à elle... il la connaissait depuis ses 12 ans, il l'avait connu en tant qu'assassin, en tant que capitaine, en tant que fugitive, en tant que prisonnière pour finir cadre aux ordres de Mori. Même s'il savait qu'elle partageait la vision de la Mafia de Mori, elle resterait celle qui acceptait de le prendre en charge lorsqu'il fuyait « l'éducation » de son mentor. Un petit havre de calme au milieu du quartier de l'organisation.

Et les deux gisaient inertes à ses pieds maintenant, parce qu'il n'avait pas pu répondre à son téléphone.

Fukuzawa s'était approché aussi et, dans un geste inutile mais commandé par son côté professionnel, prit le pouls des deux victimes pour confirmer officiellement leur mort. Sans surprise, Chûya n'était déjà plus. En revanche, lorsqu'il se saisit du bras de Kôyô, celle-ci émit un long râle douloureux.

Ce simple son les réveilla tous.

- Appelle Yosano !


Cela faisait désormais trois ans que la cadre avait été sauvée par l'Agence, trois ans que Chûya Nakahara s'était sacrifié pour lui offrir une chance de survivre à cette embuscade.

Quelques coups discrets résonnèrent contre la porte du bureau de Fukuzawa qui répondit « Entrez » tout de suite, reconnaissant la manière de frapper de leur dernière recrue : Kôyô Ozaki elle-même.

D'une main, elle tenait en équilibre un plateau avec du thé et quelques gâteaux, de l'autre des rapports.

- Kenji vient de finir ces rapports.

Elle tendit la pile de papier au Président avant de poser le plateau avec ses deux mains pour verser le liquide brûlant dans une des tasses. L'homme mûr en face d'elle mit ses lunettes et fit mine de commencer à lire, pour en réalité observer la jeune femme discrètement -d'après lui-.

- Je sens ton regard sur moi... dis ce que tu as en tête ou concentre toi vraiment sur ces rapports.

Il posa les papiers et soupira.

- Prends un jour de repos.

- Non.

Le ton n'était pas froid, mais presque. La fermeté de ce « non » laissait clairement transparaître qu'elle avait déjà réfléchi à la question et ne changerait pas d'avis.

- Tu dois y aller.

- Nous avons déjà eu cette conversation et ma réponse est : non. Si tu le permets, j'aimerais juste partir un peu plus tôt.

- Kyôka pourrait t'accompagner...

- Yukichi... j'ai dit « non ».

Les deux se fixèrent de longues secondes, sans ciller. Au final, ce fut le Président qui céda et baissa le regard.

- Très bien... tu peux partir plus tôt. N'hésite pas à m'appeler si tu as besoin de parler.

- Je sais.

La jeune femme étira un léger sourire et sortit, laissant le chef de l'Agence à ses pensées. De ce qu'il savait, Kôyô ne se confiait vraiment qu'à lui. Même si elle était parvenue à se faire accepter par les autres détectives, aucun n'était arrivé à lui faire exprimer ses véritables sentiments à part lui. Conscient que ce lien était précieux pour garder un œil sur une ancienne mafieuse, Fukuzawa l'avait autorisée à le tutoyer et elle en avait fait de même. Kyôka avait aussi ce privilège mais son ancienne mentor s'était indubitablement distancée. Aujourd'hui, on savait que si l'épisode du parc avec Atsushi venait à se reproduire, l'ex-cadre n'agirait pas du tout comme elle l'avait fait autrefois. La disparition de Chûya Nakahara l'avait changée plus que ce que quiconque aurait pu anticiper, et le fait qu'en trois ans ils ne soient pas parvenus à identifier les responsables de l'embuscade n'arrangeait rien.


- Ca l'a brisée.

Tous les détectives étaient réunis et leurs regards s'étaient tournés vers Dazai lorsqu'il parla. La cadre s'était réveillée i peine une heure et elle n'avait pas dit un mot. Yosano était arrivée à la soigner à temps mais le choc avait été si violent que sa patiente n'avait pas reprit connaissance avant deux jours et, si physiquement elle était sauvée malgré les séquelles qu'elle garderait à vie à son épaule, nul ne savait l'état de son mental.

Le médecin, puis Fukuzawa puis Kyôka avaient essayé de lui parler, mais il n'y avait eu aucune réaction. La jeune femme se contentait de rester sur le côté, face au mur, leur tournant le dos.

Dazai avait fini par y aller à son tour. Il n'en avait rien laissé paraître mais il n'en menait pas large, conscient de sa responsabilité et pouvant déjà anticiper qu'elle ne le lui pardonnerait pas. Déjà ceux la connaissant uniquement via son rôle de cadre savaient que quelque chose n'allait pas, mais pour lui qui l'avait connue depuis ses débuts, il ne pouvait que mesurer l'ampleur des ravages sur son esprit.

Il avait voulu l'appeler, mais sa voix était restée étouffée dans sa gorge. Il avait voulu alors la toucher, simplement poser une main sur son bras pour lui signaler sa présence, comme lorsqu'elle l'aidait à s'installer à l'époque quand il avait sa béquille, mais... le voir aurait risqué de provoquer une réaction extrêmement violente qui lui aurait été tout sauf bénéfique. Il était donc sorti sans un mot.

- Faut-il la renvoyer à la Mafia alors ? Demanda la voix de Kunikida, le coupant dans ses pensées.

- Ils ignorent toujours qu'elle a survécu ? S'immisça Ranpo.

- Oui... ils ont certainement dû supposer qu'elle a disparu à cause de l'habilité de Nakahara. C'est aussi à cause de ça que nous avons eu du mal à estimer le nombre exact de morts.

Le Président coupa son subordonné pour se tourner vers le brun.

- Dazai, qu'est ce que tu en penses ?

Le détective fixa son supérieur, l'air on ne peut plus sérieux. Il ne l'admettrait pas à haute voix devant témoins, même si tout le monde s'en doutait à le voir actuellement, mais il se sentait coupable, et le Chef de l'agence le savait pertinemment.

- J'aimerais qu'elle reste. C'est la seule témoin de ce qui s'est passé après tout, elle pourra sans aucun doute nous dire qui les a attaqué dès qu'elle aura repris ses esprits.

Fukuzawa le scruta alors que les autres regardaient leur collègue. Même s'ils savaient qu'il ne le pensait pas totalement, qu'il ose dire une telle chose à voix haute après ce qui s'était passé et son rôle là dedans les choquait.

- Accordé, conclut leur supérieur.


Kôyô passa l'essentiel de sa journée de travail à collaborer avec Kunikida et Atsushi sur une affaire. Les deux hommes savaient quel jour ils étaient mais essayaient de ne pas changer leurs habitudes pour autant, sachant qu'elle se vexerait. Si on leur avait dit, il y a plus de trois ans, qu'un jour ils travailleraient d'égal à égal dans l'Agence avec la cadre Kôyô Ozaki qui avait été à deux doigts de tuer Atsushi pour torturer psychologiquement Kyôka et la récupérer... personne n'y aurait cru. Pourtant les faits étaient là. La jeune femme, qui fêterait bientôt ses trente ans, était devenue un excellent membre de leur organisation. Son efficacité, sa fermeté, ses connaissances étaient un atout non négligeable et lui avaient permis de se faire accepter.

Nul ne savait comment ni pourquoi, mais Mori avait consenti à la laisser partir lorsqu'il avait appris qu'elle était en vie. L'ex-cadre avait simplement parlé d'une « dette à payer » de la part du Boss et ça s'était arrêté là. Elle ne parlait plus de la Mafia d'ailleurs sauf au Président en certaines occasions, et elle s'était même excusée auprès du Tigre-garou de l'avoir attaqué autrefois. Le jeune homme l'excusa volontiers, comprenant qu'elle avait voulu protéger Kyôka à sa manière, et aussi parce qu'il n'était pas rancunier.

Il y avait cependant quelques moments où son ancien rôle de mafieuse revenait, des moments où on pouvait voir dans son regard la froideur dont elle était si fière autrefois. Ces moments se résument à deux paramètres principaux : Dazai et l'incapacité de régler les affaires.

Pour le deuxième point, il est assez simple. Cadre ou non, Kôyô avait toujours mis à point d'honneur à tout mener à bien, et elle était encore très frustrée d'être limitée par les lois que respectaient les détectives quasi aveuglément. Pour elle, ce n'était que des freins et par moments, elle était tentée d'outrepasser ses droits. Kunikida devait donc garder un œil sur elle, même encore aujourd'hui.

Quant à Dazai... Kôyô le haïssait. Ca n'avait été une surprise pour personne qu'elle tienne le détective pour unique responsable de la mort de Chûya. Le jeune homme avait tenté quelques approches, toutes repoussées avec violence, avant de simplement se tenir à distance. Ils ne se parlaient pas, jamais, et bien que ça ait été bizarre au début, les autres avaient aussi pris l'habitude de faire les transmissions à leur place et en aucun cas les mettre ensemble.

- Et voilà, soupira Kunikida. Enfin terminé pour cette pile. Décidémment cette affaire aura été difficile jusqu'au bout.

Il rangea le dernier dossier dans un de ses tiroirs et se tourna vers les deux autres.

- Café, thé ?

- Je veux bien un café ! Répondit joyeusement le tigre.

- Rien pour moi, merci. Je vais rentrer.

La jeune femme se leva et, après avoir jeté un coup d'oeil à l'horloge (16h28), prit congé des deux détectives avant de prendre ses affaires. Ranpo, la main dans un paquet de snacks, l'observait de son bureau. Son visage n'était pas triste, elle semblait même tranquille, et surtout elle... chantonnait. Il ne détacha pas son regard d'elle jusqu'à ce qu'elle disparaisse après avoir été signaler son départ au Président.

Le détective numéro 1 de l'Agence se tourna vers Akiko, assise non loin de lui.

- Y a aucune différence dans sa manière d'attraper les choses. Sensation fantôme ?

- Mmmh, agréa le médecin sans lever les yeux du livre qu'elle tenait. Physiquement elle est en parfaite santé. Et puis, au bout de trois ans si quelque chose avait effectivement mal été soigné, je l'aurais vu. Je lui ai bien proposé de la soigner à ma manière mais elle a refusé...

« Pas surprenant » pensa l'adepte des cactus. Personne sain d'esprit n'irait se faire soigner par Akiko alors qu'il allait bien... même si dans ce cas-là, il était clair que Kôyô était plus influencée par le jour qu'ils étaient plus que par ses cicatrices.

Ranpo prit un autre cookie, le savoura puis, une fois fini, lança d'un air détaché.

- Je l'ai vue regarder le dossier de la Guilde encore.

Dazai, installé sur le canapé, casque sur les oreilles, avait pourtant sa musique éteinte. Il put donc parfaitement entendre la réflexion de Ranpo (ce dernier se doutait d'ailleurs que son collègue écoutait) et soupira.


Kôyô ne sortit de l'infirmerie de l'Agence que six jours après y avoir été amenée et soignée. Elle avait refusé de manger quoique ce soit les deux jours qui ont suivi son réveil, Akiko avait même menacé de la faire manger de force. Fukuzawa était alors entré dans la chambre de la mafieuse, plateau en mains, et y resta plus de deux heures.

Personne ne sait ce qu'il s'est passé pendant ces deux heures. Le Président dira seulement qu'il lui a parlé mais tout le monde avait bien remarqué que le plateau, avec un fruit et un bol de soupe plein lorsqu'il était entré, était revenu vide. La patiente n'avait ensuite plus refusé de manger, bien que son appétit demeurait très mince. Quoi qu'il lui ait dit ou fait, Fukuzawa venait d'établir les débuts de leur lien.

Les détectives ne s'étaient pas attendus à ce qu'elle sorte d'elle-même, et ils avaient même mis quelques temps avant de s'apercevoir qu'elle était là.

Ce fut Kyôka qui remarqua cette silhouette familière en premier, se précipitant vers elle, suivie du regard par Atsushi qui fut donc le deuxième à la remarquer.

- Miss Ozaki !

La jeune fille arriva face à son ancienne mentor et... ne sut pas quoi lui dire. Malgré ce qu'elle lui avait fait et avait fait à son ami Atsushi, Kyôka savait que la cadre était attachée à elle, à sa manière. Quant à savoir si l'ancienne protégée lui retournait ses sentiments... dur à dire. Il était certain en tout cas qu'elle était sincèrement inquiète en cet instant. Car si Kôyô avait toujours été pâle, ce qui lui allait merveilleusement bien, là c'est une pâleur maladive qui frappait les regards.

Atsushi posa une question à la jeune femme, qui ne l'entendit pas, encore perdue. Le tigre-garou se souvint alors avoir entendu que Yosano lui avait donné des calmants pour lui permettre de dormir, ce qui devait aussi l'assommer un peu en cet instant.

Le reste de l'Agence remarqua enfin la présence de leur invitée mais personne ne savait vraiment comment agir. Kunikida, qui était juste à côté d'un Dazai aux yeux fermés et pieds sur le bureau, donna un coup sec à ce dernier pour le réveiller et lui désigner la jeune femme.

L'ex-cadre/détective se leva tout de suite et déglutit. Voici donc le moment où il allait faire face aux conséquences de son inaction... si elle parvenait à se ressaisir. Il s'approcha néanmoins d'un pas assuré pour arriver juste derrière Kyôka. La jeune fille leva les yeux vers son aîné et se décala pour le laisser passer, mais il hésita.

Kôyô semblait renfermée sur elle-même. Elle savait où elle était, depuis plusieurs jours d'ailleurs mais comme dans sa chambre... il manquait quelque chose. Il manquait une étincelle, il manquait l'éclat, il manquait l'assurance qui avait toujours été un de ses traits dominants. Si on ajoutait les bandages qui dépassaient de son kimono, la démarche lente et instable, la jeune femme était méconnaissable. Cette dernière se mit à observer ses mains tremblantes tandis qu'elle commençait à se remémorer des souvenirs.

Yosano avait mis en garde contre un possible rejet de la réalité si le choc psychologique était aussi important que ce que Dazai avait prévu. Le jeune homme s'était décidé à ne pas laisser ça arriver. Même si ça devait la faire souffrir, il fallait qu'elle reste consciente pour accepter les faits et repartir. Si elle avait surmonté la disparition de l'homme qu'elle avait aimé il y a tant d'années, elle y arriverait bien pour Chûya.

L'optimisme n'allait pas si mal à Dazai.

- Anee-san...

Il tendit une main pour se saisir de celles de Kôyô. Sa voix était calme, presqu'un murmure, comme si parler plus fort pouvait la disperser aux quatre vents. Il espérait qu'elle resserre ses doigts autour des siens, mais à la place, son regard se posa sur sa main, puis sur les bandages, puis sur son manteau pour finir sur son visage. Le jeune homme put alors voir ses yeux passer de la confusion/deuil à la fureur pure.

- Toi...

Il ne lui fallut pas plus d'une demi-seconde pour comprendre que ça allait dégénérer.

- Ko...Kôyô...

- Osamu... Dazai..., parvint-elle à articuler. Où est-ce que tu étais ?

Elle s'avançait vers lui, et lui reculait. Il devait vite trouver les mots pour éviter qu'elle ne craque complètement, et vu son regard assassin, la poigne qui l'empêchait de trop s'éloigner et tout son corps qui s'était tendu d'un coup, nul doute que la bombe allait bientôt exploser.

Les autres observaient, se disant qu'intervenir ne pourrait qu'empirer les choses. Kenji s'était éclipsé pour chercher Yosano, Ranpo avait été chercher le Président, les Tanizaki s'étaient éloignés et Kunikida avait mis la main sur son arme, simple mesure préventive si un spectre venait à apparaître. Kyôka hésitait d'ailleurs à faire appel au sien, au cas où.

- « Je tiens toujours mes promesses »... c'est ce que tu as dit... mais où est-ce que tu étais ?

- Kôyô, je...

- TAIS-TOI !

Elle le frappa. Un coup direct dans la mâchoire qu'il ne chercha pas à éviter. Seulement, ce coup l'avait fait le lâcher et, s'ils ne se touchaient plus, alors l'habilité de Dazai ne pouvait plus fonctionner sur elle.

La jeune femme ne semblait pas décidée à faire appel à son spectre cela dit. Immédiatement après le coup, elle se saisit brusquement du col du détective pour le tirer en avant et lui asséner un coup de genou dans l'estomac, mettant le jeune homme à terre, se tenant l'abdomen.

Kunikida allait intervenir, mais son partenaire l'arrêta d'un geste, conscient qu'il fallait que cette tempête ait lieu. Il semblait avoir oublié toutefois qu'il pouvait y avoir des morts lors des tempêtes...

- Kôyô, réessaya t-il, écoute-moi...

Elle ne lui en laissa pas l'opportunité et le frappa à nouveau au visage avec un coup de pied, même si elle était pied nus actuellement. Pour résultat, Dazai eut quand même l'arcade sourcilière gauche et une lèvre ouvertes.

- Comment oses-tu...

La voix de la cadre était tremblante, mais impossible de dire si c'était la haine ou la tristesse qui la causait. Sans aucun doute les deux sentiments mélangés.

- Il n'est pas né humain mais il faisait tout pour vivre pleinement alors que toi... TOI, tu fais celui qui appelle constamment la mort, celui qui n'a aucune raison de vivre et pourtant c'est lui qui est mort dans mes bras !... Comment oses-tu... ... comment oses-tu te tenir devant moi...

Ils étaient les deux seuls à pouvoir comprendre de quoi elle parlait à la mention du « pas né humain » mais ce fut le moindre des soucis des détectives présents. Le docteur et le chef de l'Agence étaient arrivés alors qu'Atsushi s'était glissé derrière Kôyô pour espérer l'immobiliser. Fukuzawa lui fit toutefois un geste pour lui demander de reculer.

- Anee-san..., tenta encore Dazai.

- Oh non, siffla la cadre qui mit ses mains au niveau de son cou et le plaqua brusquement contre le bureau derrière. Ne t'avise pas de m'appeler comme ça... tu ne le mérites pas...

Et elle se mit à serrer. Dazai était pourtant calme derrière le sang qui coulait sur son visage. Il ne pouvait que l'observer, il ne pouvait que sentir ses mains tremblantes autour de son cou tenter de le priver d'air mais sans avoir la force de le faire, il ne pouvait que constater l'absence de retenue, d'assurance et de colère froide pour ne voir qu'une fureur sauvage, animale, guidée par la douleur. Il ne pouvait que supposer qu'elle ne devait même plus le voir à cause des larmes qui embuaient ses yeux.

- Je suis désolé...

Ce n'était qu'un souffle qu'elle entendit parfaitement. Sur l'instant, les doigts essayèrent de serrer encore plus pour le faire taire... mais ils finirent par se relâcher complètement alors que Kôyô s'affaissait sur elle-même, faisant ainsi s'arrêter Fukuzawa qui s'était approché derrière elle pour l'empêcher d'achever son détective.

C'est ainsi que pour la première fois de sa vie, Dazai vit Kôyô Ozaki pleurer. Elle avait déjà versé des larmes, certes, de manipulation en mission, de douleur physique lorsqu'il fallait soigner des blessures importantes, de rire parfois même, mais jamais de tristesse. Cependant il n'en était pas vraiment étonné et s'était attendu à ce que ça arrive. Il n'avait jamais pu comprendre comment ni pourquoi Chûya et elle s'étaient rapprochés à ce point et pourtant, le rouquin était le seul qui pouvait se vanter d'avoir une confiance aveugle de la part de la cadre, et inversement.

La voir ainsi, à un tel point de détresse, n'était bien sûr pas sans lui rappeler ces jours terribles qui avaient suivi la disparition d'Oda. Il ne pouvait donc que comprendre l'envie de vengeance qui venait de s'emparer d'elle lorsque son regard s'était posé sur le responsable de la mort de Chûya.

Le Président aida Dazai à se relever, avant de mettre un genou à terre pour se mettre au niveau de la jeune femme qui ne parvenait pas à se calmer. Il se pencha pour lui parler à voix basse mais personne ne comprit ce qu'il dit. Quoi qu'il ait dit, Kôyô finit par se lever et retourna à son lit, non sans devoir s'appuyer sur Fukuzawa maintenant que l'adrénaline ne la faisait plus tenir.


Kunikida était, comme très souvent, le dernier dans l'Agence. Si Kôyô était partie aux alentours de 17h, à minuit passé lui était encore à son bureau à tenter de mettre du sens dans les notes de Ranpo. Il ne se rendit compte qu'il somnolait que lorsque la voix de son supérieur le fit sursauter.

- Kunikida !

- Ou... oui ? … Désolé... je vais me faire du thé...

- Pas la peine, rentre dormir, je vais terminer ça.

Le détective soupira intérieurement mais acquiesça conscient que son corps avait atteint sa limite. Il remercia donc le chef, alla prendre sa veste et sortit, se disant qu'il avancerait demain matin au petit déjeuner chez lui.

Désormais seul, Fukuzawa retourna à son bureau avec l'intention de terminer les quelques dossiers restants sur son bureau, quand son portable sonna. Il décrocha.

- Fukuzawa.

- Président... est-ce que je peux vous déranger un moment ?

La voix de Kôyô était aisément reconnaissable. Elle se voulait posée, contrôlée, mais on sentait malgré tout la gorge nouée derrière.

- Bien sûr.

Comme on dit « jamais deux sans trois ». Au premier anniversaire de l'embuscade, le chef de l'Agence était tombé sur une Kôyô vidant les bouteilles d'alcool une à une dans une attitude qui lui ressemblait très peu. Ne comptant pas la voir sombrer dans le faux réconfort de ce genre de liquide ou toute autre substance néfaste, il l'avait prise par le bras -littéralement-, et l'avait amenée au dernier étage du bâtiment de l'Agence, soit celui juste au dessus des bureaux. C'est au même endroit qu'elle le rejoignit ce soir-là, comme il y a deux ans et comme l'année dernière.

Quand elle arriva, le Président l'attendait, assis en tailleur sur le sol, sabre sur ses genoux.

Alors qu'il était déjà parti depuis vingt bonnes minutes, Kunikida réalisa qu'il avait oublié les dossiers... Un être normal aurait continué son chemin en haussant les épaules, cédant au besoin impérieux d'aller dormir, mais pas Doppo Kunikida. S'il ne faisait pas le travail, qui le ferait ? Dazai ? Autant espérer que Ranpo devienne modeste.

Le blond avait donc fait demi-tour, au pas de course, et était rentré à l'Agence pour prendre les documents sur son bureau. Il allait repartir lorsqu'un bruit sourd se fit entendre de l'étage supérieur. Intrigué car il pensait les bureaux déserts (le Président avait dû partir peu après lui), il monta les escaliers afin de voir de quoi il retournait. Les sons se firent donc de plus en plus distincts alors qu'il s'approchait. Lorsqu'il s'avéra que les sons étaient des bruits de lutte, sa main se saisit de son carnet tandis qu'il jetait un œil à travers l'entrebaillement de la porte.

C'est alors qu'il vit ce qu'il se passait : Fukuzawa lui-même en tenue d'entraînement face à Ozaki, elle aussi en tenue d'entraînement, mais tout deux combattaient avec de vraies lames. Surpris, le détective continua d'observer et s'aperçut qu'il ne s'agissait pas d'un simple entraînement comme ça lui arrivait parfois avec son chef. Il connaissait assez bien ce dernier pour connaître quelques unes de ses techniques, sa détermination et vu sa manière d'attaquer puis se défendre, Kunikida comprenait que l'ancienne mafieuse n'avait rien perdu de sa réputation et parvenait à mettre en difficulté le célèbre « Silver Wolf ». Cela dit, bien qu'elle semblait être sur un pied d'égalité, ça ne dura pas, et une parade trop tardive lui fit perdre sa lame avant de se retrouver avec celle de Fukuzawa sous la gorge.

- Déjà essoufflée Ozaki ? Je croyais que c'était que le début.

- Tu es plus lent que d'habitude je trouve, l'âge te rattrape on dirait.

Réalisant qu'il était purement et simplement en train d'espionner, le détective se retira discrètement et les laissa. Maintenant qu'il y repensait, c'est vrai que l'année dernière, le Président était arrivé le matin avec une coupure au visage. Il savait d'où ça venait maintenant.

Le lendemain matin.

Kôyô s'était permise d'arriver plus tard que d'habitude, après avoir eu l'autorisation de son chef la veille, à plus de 3h du matin lorsqu'ils avaient enfin arrêté. Ces « combats » étaient son moyen de faire sortir tous ses sentiments dont elle n'avait jamais réussi à se défaire en trois ans. Elle soupçonnait d'ailleurs Fukuzawa d'être resté éveillé tard exprès pour être disponible au cas où elle l'appelerait.

Il était presque 10h lorsque la jeune femme arriva dans la rue de l'Agence. Tout paraissait normal si ce n'est la voiture noire garée devant le bâtiment et le vieil homme qui se tenait à côté, cigarette à la main, gants blancs, lunettes, longue écharpe...

- Dame Ozaki, la salua t-il.

- Hirotsu, un plaisir de vous voir, sourit-elle.

Il ne lui dit pas ce qu'il faisait ici mais, s'il était relégué à la garde de la voiture pile devant l'Agence, alors il fallait s'attendre à voir quelqu'un de pire à l'étage.

Elle passa rapidement par le café et arriva dans les bureaux où, sans surprise, son regard tomba sur deux silhouettes grandes et noires de dos, et une plus blonde plus petite assise face aux deux autres. Cette dernière décocha d'ailleurs son plus beau sourire lorsqu'elle vit la nouvelle arrivante.

- Rintarou, elle est là.

L'interpellé et son garde du corps qui n'était autre qu'Akutagawa, se retourna sur le canapé où il était installé pour vérifier les dires d'Elise (pas qu'il ait douté d'elle bien sûr). Le reste de l'Agence, qui était restée debout en se demandant ce que pouvait bien faire le boss de la mafia ici, porta aussi son attention sur Kôyô.

- Kôyô, chantonna Mori. Toujours aussi ravissante malgré les années !

- Ta mémoire défaille déjà Ougai, nous nous sommes vus il y a six mois, ce n'était pas il y a si longtemps, rétorqua calmement l'ex-mafieuse.

Akutagawa sembla grogner en entendant son ancienne supérieure appeler le Boss directement par son prénom. Elle ne se le permettait pas quand elle était cadre mais maintenant oui ? Pensait-elle qu'avoir obtenu l'autorisation de partir lui permettait aussi de manquer de respect ?

- Oh tu es si froide ! Je t'en prie, installe-toi. Thé ?, demanda t-il comme s'il était chez lui.

- Dis plutôt ce que tu fais ici.

Il était plus qu'évident que le chef de l'organisation de la nuit ne s'était pas déplacé uniquement pour partager un thé avec une ancienne subordonnée. Celle-ci s'avança pour être un peu plus en face de Mori.

- Tu devrais vraiment t'asseoir, tu te sentiras mieux, insista t-il.

- Je me porte comme un charme, contente toi de dire ce que tu veux. Les jeunes sont au bord de la chute de tension...

Sourire en coin, elle jeta un œil à Kunikida, Ranpo, Kenji, Atsushi et compagnie qui se tenaient non loin en hurlant intérieurement à Mori de dire en effet ce qu'il faisait ici.

- Très bien dans ce cas. Je suis venu t'offrir une affaire.

- Voilà qui est intriguant. L'Agence et la Mafia ne sont pas en trève aux dernières nouvelles. Tu n'as personne pour s'en occuper au QG ?

- Mmh... tu es sûre que tu ne veux pas t'asseoir ?

- Ougai..., souffla t-elle d'une voix froide mais toujours avec son sourire calme, arrête de tourner autour du pot ou je t'arrache les cordes vocales pour ne plus avoir à t'entendre.

Mori jeta un rapide coup d'oeil à Elise, qui sirotait un thé, puis plongea son regard dans celui de l'ex-cadre avant de lui annoncer d'une voix claire et tranchante.

- Nous avons trouvé les assassins de Chûya.