Chapitre 1 : Dernière Bataille
Tenir. Il fallait tenir, laisser le temps à Talia et Alistair de s'occuper de l'archidémon…
Zevran n'avait pas la moindre idée du temps qu'il s'était écoulé, depuis que la mage elfe l'avait embrassé, devant les portes de la ville, avant de s'enfoncer dans Dénérim. Lui laissant le soin d'empêcher les engeances encore à l'extérieur d'entrer. Une sacrée tâche, quand on se souvenait qu'à peine un dixième de la horde avait brulé la cité…
Surtout quand l'esprit des principaux défenseurs était concentré vers le petit groupe de quatre personnes qui arpentait la ville, vers Fort Drakan. Vers l'archidémon.
Un répit, dans les combats incessants. L'elfe assassin était épuisé, et il se rapprocha d'Oghren et de Sten. Ils n'étaient pas dans un meilleur état que lui, autant qu'il pouvait en juger, même si Sten était toujours aussi stoïque. Les seules occasions où il souriait, c'était en présence de Talia.
La petite elfe mage, sans qu'il comprenne comment, savait s'attirer les bonnes grâces de tout le monde. Du moins quand elle le voulait. Elle avait décidé que son petit groupe devait être ami avec elle, et tous étaient devenus amis avec elle. Avec son sourire en coin, presque toujours un brin moqueur, son rire clair et sa détermination à toute épreuve à aider tout le monde en rétablissant les droits elfiques, ses cheveux noirs de jais en chignon serré, sa robe de mage toute simple et son bâton dont elle adorait se servir pour taper sur la tête d'Alistair…
Lorsqu'il avait été envoyé pour l'assassiner, jamais il n'aurait imaginé à quel point il pourrait l'aimer. Au point que toute sa vie, tout son avenir était entièrement concentré vers elle. Il n'existait plus que pour elle, depuis qu'elle l'avait regardé droit dans les yeux et lui avait murmuré, tenant la boucle d'oreille dans le creux de sa main, qu'elle n'était pas aussi sage que lui…
Il inspira profondément, tentant de juguler son angoisse. Une angoisse qui l'avait saisi quand elle était venue le rejoindre dans sa chambre, à Golefalois, avant leur départ avec l'armée. Elle n'avait rien dit, s'était contentée de se serrer contre lui. Il l'avait tenu comme ça toute la nuit, gardant le silence, tandis qu'elle pleurait contre lui. Il n'avait pas demandé pourquoi. Il savait qu'elle ne lui aurait rien répondu. Mais il avait peur.
Et son baiser, avant de partir, son regard quand elle avait passé l'arche, n'avaient pas aidé. C'était un baiser d'adieu. Un regard d'adieu.
Oui. Actuellement, alors que les défenseurs bénéficiaient d'un moment de répit, Zevran avait peur.
"T'inquiète donc pas, va." Oghren s'était rapproché de lui, bourru, le fer de sa hache disparu sous le sang noir de l'engeance. Zevran baissa les yeux vers lui, et vit que lui aussi regardait vers Fort Drakan, où ils avaient vu le dragon s'écraser. "Elle est coriace, ta minie-mage. Il faut plus qu'un dragon pour en venir à bout."
Zevran sourit, et voulut répliquer, mais au même moment, l'alerte retentit. D'autres engeances approchaient, il fallait tenir les portes. Leur laisser le temps nécessaire…
Encore une engeance tomba sous ses dagues. Il allait lancer l'ordre aux archers de battre en retraite, avant qu'ils ne soient acculés, quand il vit une engeance s'enfuir. Puis une autre. Et encore une autre. Alors, du sommet de Fort Drakan, une intense lumière jaillit, et il y eut une énorme explosion. Toutes les engeances fuirent alors, même les immenses ogres. La horde refluait, sous les vivats des défenseurs.
Oghren éclata de rire, Sten commença silencieusement à nettoyer son épée, Shale se secoua brutalement pour tenter d'enlever le sang qui la maculait. Zevran allait pour les rejoindre, quand il l'entendit.
Tourné vers Fort Drakan, tendu comme un ressort, Kookie hurlait à la mort. Zevran sentit son cœur sombrer dans sa poitrine.
Il ne vit pas les soldats se moquer du chien, « qui n'avait pas compris qu'il fallait se réjouir ». Il ne vit pas Shale s'immobiliser, plus statue encore que le jour ils l'avaient libérée. Il ne vit pas Sten se lever d'un bond, une expression angoissé sur le visage. Il n'entendit pas Oghren pousser un juron, l'appeler. Il regarda le mabari encore quelques instants, puis commença à courir.
Il savait instinctivement que Kookie le suivait, hurlant toujours à la mort en courant derrière lui. Il ne prêta pas attention aux soldats qu'il bousculait, aux morts qu'il évitait. Il se contentait de courir, comme si sa vie en dépendait, vers Fort Drakan. Se répétant, jusqu'à s'en rendre sourd, que ce n'était pas ça. Qu'elle allait bien. Que tout allait bien.
Il passa comme un courant d'air devant Teagan, qui le regardait avec stupéfaction avant de se tourner vers le chien qui hurlait toujours. Le bann perdit toutes ses couleurs et vacilla, comprenant que c'était le chien de la Garde des Ombres qui hurlait désespérément. Mais Zevran ne le vit pas. Il continua de courir.
Il arrivait près des portes du donjon, quand il vit un petit groupe en sortir. Il s'immobilisa aussitôt. En tête, le iarl Eamon soutenait le premier enchanteur Irving. Qui ne paraissait pourtant pas blessé… Il se tenait la tête, abattu. Ensuite, venait Leliana et Wynne. Elles aussi se soutenaient l'une l'autre. Wynne avait un visage plus sévère que d'habitude, les mâchoires crispées. Leliana pleurait. La vue de Zevran commença à se troubler, à devenir noire. Il fit un pas en avant, et fut aperçu des deux femmes. Leliana porta la main à la bouche, les yeux écarquillés, et Wynne voulut le retenir.
Car derrière elles arriva Alistair. Le visage baigné de larmes, les yeux douloureux, il portait quelque chose dans les bras.
Non. Pas quelque chose. Quelqu'un. Quelqu'un qu'il tenait avec vénération et souffrance. Quelqu'un de petit, aux cheveux noirs lâchés et torsadés par une coupe trop longtemps maintenue. A la robe de mage toute simple. Aux oreilles pointues. Et aux yeux cerclés d'un tatouage dont personne, pas même elle, ne savait ce qu'il signifiait.
Zevran n'entendait plus rien. Il ne voyait que le corps de Talia, immobile dans les bras de son meilleur ami. Il s'approcha comme un automate, suivi du mabari qui gémissait faiblement. Wynne tendit un bras pour l'arrêter, mais ne finit pas son geste. Leliana pleura de plus belle. Irving tomba à terre, étouffant ses sanglots, tandis qu'Eamon tentait de le réconforter. Alistair regardait Zevran s'approcher, sans bouger. Il ne pleurait plus, le visage figé.
L'assassin prit délicatement le corps de la jeune fille dans ses bras. Elle était toute légère, comme si elle était dorénavant vide, et froide. Si froide… Il se laissa tomber doucement au sol, faisant très attention à ce qu'elle ne touche pas le sol, et la posa sur ses genoux. D'une main il la maintint contre lui, de l'autre, il caressa avec une tendresse infinie son visage. Elle avait les yeux clos, les lèvres entrouvertes. Sa peau était si douce…
Sa poitrine si immobile…
Kookie s'approcha, gémissant toujours, et fourra son museau dans la main de sa maîtresse. Elle n'eut aucune réaction. Son bras pendait. Alors, le mabari s'assit à côté des deux elfes, et recommença à hurler.
Sur la route, les derniers compagnons des Gardes arrivèrent en courant, essoufflés. Oghren jura de plus belle, et Shale se dirigea vers le mur qu'elle commença méthodiquement à détruire.
Zevran ne vit rien de tout cela. Entièrement concentré sur la femme de sa vie. Il l'embrassa doucement. Sans qu'elle ne réagisse.
Il sentit son cœur se briser.
Doucement, sans s'en rendre compte, il commença à pleurer.
Tous étaient silencieux désormais. D'autres étaient arrivés, et s'arrêtaient, frappés de stupeur et de désespoir.
Kookie continuait d'hurler.
