Prologue

LE GALOP DU DESTIN

Un éclair zébra le ciel. Un vent furieux battait les plaines environnantes. Une nouvelle bourrasque souffla et les craquements des volets en bois firent écho à ses gémissements. Les étendards claquaient sur les remparts tandis que les girouettes alentours tournoyaient follement dans cette froide journée d'Automne.

A cette heure et en toute autre jour, la citée aurait dû être baigné d'un doux soleil et bordée par une légère brise fraîche. Mais aujourd'hui la nuit s'était emparé du ciel. Les sombres nuages qui couvraient le soleil formait un toit gigantesque au-dessus de Gil'ead, y laissant planer une certaine nervosité.
L'orage était rapidement monté du Sud, poussé par des vents violents, traversant la crête et Teirm pour venir frapper la mégapole. Ce monstre cernait le ciel depuis deux jours sans cracher ni pluie, ni colère divine. Tous attendaient l'inévitable torrent qui allait s'abattre. Les gens des campagnes ne craignaient pas la pluie, la foudre et le tonnerre... mais les gens de la ville c'était autre chose !

Ni les toits, ni les caniveaux, ni les rues n'avaient été prévus pour les déluges comme celui qui allait s'abattre. Les pluies d'ici étaient bien plus douces que celle de la crête. De tel orage était rare dans la région. L'averse allait certainement inonder les caves et faire s'écrouler les toits les plus fragiles sous le poids de l'eau qui s'y accumulerait.

Un nouvel éclair illumina la citée et le déluge commença. Dyn resserra les pans de son manteau d'une main, caressant la crinière de sa jument de l'autre. Un simple geste pour la rassurer... ou par se rassurer lui-même. L'homme aux cheveux roux soupira. Ce qu'il craignait lui, ce n'était pas la pluie ou l'orage mais le risque de plus en plus grand d'être en retard au point de rendez-vous.
Une dizaine d'hommes patientaient à leurs côtés, dans le froid, sous le porche d'une écurie à quelques mètres des herses de la citée. Lui et sa jument s'était postés à l'arrière de la troupe. D'ici quelques minutes lui et le reste de son groupe allait faire route vers la crête. Il tourna ses pensées vers leur destination: le plus grands "village" Urgal de la crête.

* village... du moins si on peut qualifier un amoncellement de grottes comme tel.* grogna t-il pour lui-même.

L'humeur sombre du rouquin ne s'améliora pas quand il repensa aux causes de leur départ. Pourquoi partir ? Tout simplement parce qu'une fois de plus, le test avait été un échec. Aucun des deux œufs de Dragon qui leur avaient été confié n'avait éclos.

Cela faisait désormais six ans que les œufs étaient repartis pour un voyage à travers les peuples. Ils étaient gardés trois mois chez un peuple parmi les Hommes, les Nains, les Elfes ou les Urgal puis passaient au peuple suivant. Mais durant ces six années Dyn n'avait pas eu la chance de voir l'un d'eux éclore. Les Elfes et les Urgals ne s'en fâchaient pas, les premiers possédant déjà un dragonnier, les seconds se montrant simplement impatient de voir se réaliser la promesse du tueur d'Ombre.
Les Nains en revanche se montaient passablement irrités. L'issue des trois dernières éclosions parmi les œufs de Galbatorix ne leur était pas favorable: aucun nain parmi la nouvelle génération de Dragonnier ! Même si leur Roi n'en prenait pas ombrage, Les querelles inter-clans vis-à-vis des œufs ne cessaient de voir le jour. Les uns espérait obtenir un meilleur équilibre des races et trépignait devant cette attente interminable. Les autres s'en montraient réjouit et criaient haut et fort que le monde s'en porterait mieux ainsi. Les Dragons n'avaient jamais eu la cote chez ces tête de pierre et Dyn doutait que cela ne s'améliore sans que le prochain œuf éclose très vite et surtout pour un Nain.

Dyn jeta un regard vers la citadelle de Gil'ead et se replongea dans ses souvenirs. Six ans déjà... six longues années à promener ces œufs avec "la main d'argent". Ainsi nommait-on l'organisation des porteurs d'œufs. La saison précédente, ils s'étaient établie chez les Hommes pour trois longs mois. Ils avaient amené les deux reliques à Aberon pour le premier, puis à Illéria (l'ex-Urû'baen de l'Empire) pour le second et enfin à Gil'ead pour le dernier. Il était maintenant temps de ramener les œufs auprès des Urgals pour finir l'année.
Ce mode de vie commençait à lasser Dyn. Il vieillissait et ressentait l'envie de s'établir au calme. La fièvre de l'aventure l'avait quittée avec le temps. Il avait voyagé à travers tout l'Alagaësia, visité les forêts elfiques et les montagnes du Beor et en était très reconnaissant. Mais il était temps de se retirer. Après ce dernier tour il passerait la main.

Il promena son regard sur les autres membres de la main. Ex-Varden, Dyn avait eu la chance d'intégrer le groupe à sa création, après de nombreux tests et un long entretien face à la Reine Nasuada elle-même. Des membres d'origine, ils n'étaient plus que sept : Six elfes et lui même. Deux d'entre eux, magiciens, étaient partis chercher le coffret renfermant les œufs et présenter les dernières formules de courtoisie au régisseur de la citée.
Les quatre autres bavardaient entre eux au centre du groupe. Enfin sur la demi-douzaine d'homme restant, la moitié n'en étaient qu'à leur première année. Seul Antony et Hebriech avait une bonne expérience du voyage.

Alors que Dyn songeait sérieusement à partir à la recherche des deux elfes manquant, ceux-ci firent enfin leur apparition en haut de la rue, galopant vers les portes. Avec nombreux jurons le groupe sortit du porche pour affronter la pluie. Dyn étouffa un cri quand l'eau glaciale lui frappa la nuque. Rien de mieux qu'une tempête pour fêter leur départ ! En quelques minutes la colonne était frigorifiée jusqu'aux os.
Quand le premier des deux retardataires rattrapa le groupe devant la herse, le signal fût donné pour ouvrir les portes de la citée. Les hommes s'agitaient à l'avant, impatient.

- Hé ! Vous en avez mis du temps. C'est pas qu'on gèle sur place, mais ça doit bien faire trois heures qu'on vous attend ! Grogna l'un d'entre eux.

- Arrête de râler, le reprit Hebriech. Les discours de départ et les formules de politesses ça prend toujours des heures à Gil'ead, tu le sais bien.

- Nalfin quant est-il des œufs ? S'enquit Dyn sans prêter attention aux deux autres.

Pour toute réponse, l'un des elfes jeteurs de sorts lui tendit un petit coffret sculptée. Dyn caressa les motifs du couvercle, connaissant le trésor qu'il renfermait. Après un hochement de tête approbatif de Nalfin, il fixa le coffret à sa selle à l'emplacement prévu. L'autre œuf fût confié à l'un des elfes situés au centre de la troupe. Le meneur du peloton leva les mains et dans un élan commun, la main d'argent se mit en route. Dyn posa une dernière fois son regard sur les toits de Gil'ead en rabaissant la capuche de sa cape. C'est sous la pluie battante qu'ils traversèrent les portes de la citée au galop, portés par les rouages du destin.