A présent, dire qu'il avait connu des milliers de femmes n'était pas une exagération, même si lors de sa "première vie", les taquineries des guerriers, jaloux ou dédaigneux, exagéraient grandement ses prouesses sexuelles. Il était certes apprécié des filles faciles, mais son harem tournant comptait en réalité une dizaine de filles tout au plus.

La première fille –la toute première- s'estompait dans son esprit. Il se rappelait ses boucles entre deux teintes, les traces de boue grise à ses chevilles, la cicatrice à son poignet. Il avait sali le bas de sa tunique, en se retirant, et il avait eu le sentiment qu'elle faisait semblant. C'était tout. Cette fille là avait finalement épousé un des rares « hommes bons » qu'Eric connaissait et considérait en tant que tel, lequel s'était plein auprès de lui du fait qu'elle ne soit pas vierge le jour de leur mariage.

Même si Eric appréciait cet homme, il ne s'en était pas voulu, ayant entre temps expérimenté ce qu'était la virginité féminine cédant sous ses coups de reins. La première ne l'était pas.

Il avait expérimenté les charmes de l'exotisme auprès d'une fille -sans doute une putain récupérée lors d'un assaut, mais il n'en avait jamais eu confirmation- trimballée par un groupe de mercenaire. Elle pensait leurs plaies et négociait pour, eux, car parlant au moins cinq dialectes différents, elle était plus apte à comprendre les clans croisés. Il avait parlé un peu avec elle, dans une langue du sud qu'il ne maîtrisait et ne comprenait pas, mais la quarantaine de mots qu'il lui avait sortis avaient suffit pour passer trois nuits avec elle.

Elle était brune et hâlée, et son accoutrement bigarré avait visiblement été composé par de la récupération. Il l'imagina prendre sa tunique épaisse sur le cadavre d'une viking, ses bottes sur celui d'un archer franc, ses bijoux sur une famille de grecs -un collier orné d'une chouette, une chevalière d'homme à son pouce, de lourdes boucles en argent ornées de pierres (mais trop abîmées pour être toujours belles).

Elle ne les acceptait pas tous. Il la vit en repousser un, par une légère insulte, qu'il n'avait pas comprise. Elle lui avait ensuite souri, et il sut qu'elle coucherait avec lui.

Il entrait dans sa dix-septième année. Elle devait avoir cinq à huit ans de plus, mais elle ne connaissait pas son âge, et ses voyages ne lui permettait pas de se fier précisément aux saisons.

Il la prit cinq fois en trois jours. Elle était exigente et capricieuse, mais cela lui plut bien plus que la première, la simulatrice. Il prit son temps avec elle. Elle lui laissa sa chevalière. Il ne retint pas son nom, qu'il trouva imprononçable, mais il la garda longtemps en tête comme étant "la grecque", car elle son corps et son visage correspondaient à l'idée qu'il en avait eu par les hommes revenant du grand sud.

Il y avait eu Hedwige1. Son prénom superbe l'avait attiré, puis il l'avait vue et n'avait pas compris pourquoi elle le portait: elle était délicate, irréellement délicate pour une fille de viking. Un tel gabarit n'aurait pas dû survivre aux hivers, aux famines, aux épidémies. Ou à la concupiscence des hommes. Puis il l'avait vue toute entière, et, à ses yeux, aucune autre femme ne pouvait mieux porter ce nom.

Rentrant d'une partie de chasse infrutcueuse, il l'avait croisée, un ballot de branchages sur le dos. Elle ahanait dans le froid cuisant, joues rosies et mains bleues. Il n'avait pas proposé son aide -ce n'était pas sa place- mais c'était arrêté quelques instants pour la voir bifurquer pour avancer dans le sillon qu'il venait de tracer dans l'épais tapis de neige. Son pas s'était alors accéléré, et elle disparut rapidement derrière un monticule de pierres, de terre et de neige.

Son premier cri, il ne l'avait pas compris. Lorsqu'il s'était approché, il avait vu une épée dans la neige. Un coup d'oeil lui avait permis de reconnaître les entrelacs de cuir et de métal sur la garde. C'était l'épée d'un des rares avec qui son entraînement pouvait avoir lieu: il paraît les coups et les rendait suffisamment bien pour faire le poids sous les assauts puissants d'Eric.

Voir cette épée à terre le surpris, puis il leva les yeux et observa les mouvements superbes de l'apparemment si fragile Hedwige.

Sa tunique médiocre avait cédé sous le jeu d'une lame, le pan gauche tenait toujours, grâce à sa fibule, et ses poings bleuis étaient levés près de son visage, qui portait lui aussi la marque d'une lame. Deux assaillants lui faisaient face, mais l'un d'eux -Gunnolf, troisième fils du forgeron- partait lentement sur sa droite, apparemment pour se retrouver dans son dos.

Gunnolf saignait du nez.

Et Vemund, avec son épée dans la neige, bouillonnait de rage, éructant et insultant la frêle Hedwige.

Ils ne s'attendaient pas à une telle résistance de sa part. Après tout, personne ne s'attendait à une quelconque résistance de sa part. Malgré les parents qui l'avaient faites, excellents représentants du peuple viking, personne ne s'atendait à ce que le bébé minuscule passe chaque obstacle pour parvenir ne serait-ce qu'à sa première année. La plupart des enfants mourraient avant trois ans, alors, quand elle avait atteint cette barrière, malgré ses fièvres et le froid, tous avaient admiré la seconde fille de Wilfrid et Tilde.

Et maintenant, elle affrontait deux ennemis en même temps: la concupiscence et l'hiver. Sa tunique acheva sa chute, rejoignant sa lourde et épaisse cape. Il ne lui restait plus qu'un fin et long tissu de coton, acheté par son père alors qu'il avait combattu, loin au sud, quelques mois auparavant. La générosité de Wilfrid envers les siens était connue, mais Eric en admira alors toute la beauté pour la première fois.

Un chant guerrier résonnait doucement.

Lorsqu'il se décida à intervenir, elle achevait de casser le nez de Gunnolf, puis elle le vit.

Elle crut un instant qu'il était avec eux. Son visage se ferma, et le chant guerrier mua en un hurlement de rage: Hedwige bondit littéralement sur lui.

Il attrapa ses poings -minuscules, si minuscules mains de la valkyrie- qui commençaient tout juste à changer de couleur. Il parla peu.

"Je suis témoin. Le viol sur une vierge sera puni, Wilfrid sera riche2. Calme toi, et couvre toi. Il ne faut pas que leur infamie cause la mort de..." il chercha ses mots un instants, puis compléta, un sourire à la fois moqueur et admiratif sur les lèvres: "la seule véritable valkyrie de mon clan".

Il fit alors référence tout à la fois à son prénom, à son attitude, et à sa virginité toujours là. Sa réputation était splendide, et Eric l'appréciait pour cela, sans l'avoir jamais réellement eue face à lui.

Elle avait alors ouvert ses mains, essuyé le sang qui coulait de sa pommette, vérifié son corps et repéré plusieurs hématomes à venir. Sous l'effet de la colère, un sifflement de chat s'était échappé de ses lèvres, et elle était superbe, dans cette tenue étrange et exotique, et trop légère -si fine, si fine... c'était parfait pour elle- elle commença à grelotter. Il attrapa ses vêtements pleins de neige, donc importables. Alors que Gunnolf se redressait sur ses coudes, il lui envoya un gigantesque coup de pied dans la gorge, par réflexe ou par plaisir. Il commença à retirer la peau de renne entière qui couvrait ses épaules, lâchant un "Tiens ça" doux mais en aucun cas aimable, puis ôta sa cape. Dessous, il avait encore trois épaisseurs -cuir, laine, coton. Il enveloppa la petite silhouette dans sa cape si immence qu'elle aurait pu s'en faire une tente, puis l'enserra dans la peau de renne qu'il lui avait préalablement reprise.

Tandis que celle-ci commeçait doucement à s'effondrer, il la rattrapa et la chargea sans ménagement sur son épaule.

1 . Hedwige signifie "au combat et à la bataille"

2 . Je fais ici référence aux lois en cours chez les francs et peuples du nord: chaque crime a une amende correspondante, avec des règles parfois tout à fait absurdes. Un oeil arraché vaut plus cher que si celui-ci est encore un peu accroché à l'orbite, le viol d'une jeune -voire vierge- plus que celui d'une plus âgée, etc. Hedwige étant célibataire, l'amende reviendra à son père.