Salut tout le monde! Voici une petite idée qui a germé dans mon esprit et qui me titille depuis un certain temps. J'ai toujours voulu écrire d'autres circonstances à la rencontre de Rick et Kate, les affublant un peu plus de doutes et d'un état d'esprit quelque peu différent de ceux du premier épisode de la série. Bref, vous retrouverez les caractéristiques que vous appréciez dans les deux personnages mais dans une situation initiale bien différente. J'espère que cela vous plaira et ne vous déstabilisera pas trop.

Merci de prendre le temps de lire et n'oubliez pas de me dire franchement ce que vous en pensez.

A bientôt !

Disclaimer : Castle et ses personnages ne m'appartiennent pas, néanmoins, A. Marlowe est bien sympa de me les prêter.

PAR PROCURATION

- UN -

De temps en temps il se mêlait aux gens, laissait de côté son argent et son mode de vie, sortait de son opulence pour revenir poser son pied sur un terrain réel, un terrain où il n'était plus ce romancier à succès, cette belle-gueule sur la page six. Ici tout était spontané, chaque mouvement, chaque remerciement, chaque injure, chaque frôlement...

Son regard se promenait comme s'il disposait de vie propre, allait où il voulait, regardait qui il voulait et cherchait les histoires qui se cachaient sous la surface des êtres qu'il avait choisi.

Une jeune femme s'occupait de son enfant, tentait de le calmer tandis qu'il n'écoutait que sa fatigue, son envie de sortir de cet environnement oppressant le tenaillait. En y regardant de plus près, elle était trop jeune. Cet enfant pourrait autant être son petit frère ou le résultat d'une relation bien trop précoce. Il la regarda avec plus d'attention. Sa façon d'apaiser la fatigue nerveuse de l'enfant était tournée vers un unique but, celui de ne pas attirer l'attention, de ne pas paraître dépassée... Il y avait dans ses gestes un orgueil maternel indubitable. Ses yeux bleus scrutèrent le visage encore arrondi, sorti tout juste de l'adolescence et son histoire commença à se former dans son esprit d'écrivain. Elle s'était amouraché d'un garçon, jeune comme elle et inexpérimenté. Peu de choses savait-elle de l'amour, encore moins à propos de la sexualité alors. Une seule fois avait suffi pour que son adolescence se termine au bout de neuf mois de gestation. Elle avait perdu son innocence, elle avait gagné en cynisme, surtout après que le père de l'enfant ait décidé qu'il était trop jeune pour devenir adulte. Malheureusement, cette histoire n'avait rien d'extraordinaire, elle était même banale.

Son attention se porta alors sur un vieil homme assis près de lui. Il regardait ses mains d'un air absent. Des mains usées, avec des callosités vieilles de décennies de travail dur et peu rémunéré. Il avait certainement l'âge de la retraite et devait en toucher une mais si mince que le vieil homme est obligé de travailler encore, peut-être pour nourrir et soigner sa femme, peut-être pour entretenir un fils désœuvré, gagné par l'inertie du chômage. Soudain, son porte-feuille sembla lui peser une tonne. Il n'y avait pourtant que peu d'argent réel mais énormément d'argent virtuel enfermé dans des morceaux de plastique. La société n'était que faux semblants et existences de carton-pâte, un flot des paroles vaines et richesses volages sans aucune consistance.

Il se sentit honteux. Lui, il usait ses mains sur un clavier. Il se levait uniquement avec l'intention d'amener sa fille à l'école puis rentrait. Alors, il lisait ou il jouait aux jeux vidéo, voire restait devant la télé à regarder des émissions dont il ne pourrait se souvenir à peine une heure plus tard car il n'y prêtait la moindre attention. Lorsqu'il en arrivait à ce stade là, il savait qu'il était temps de sortir, de se mêler aux autres, non pas dans les fêtes où il était obligé de faire acte de présence et où tout était artificiel -même le sourire qu'il arborait pour toutes ses fans- mais dans le métro, dans les rues, là où l'anonymat lui rendait sa propre personnalité et lui offrait toute son inspiration.

Pendant des heures, parfois pendant deux ou trois jours, Richard Castle n'existait plus et redevenait Rick Rodgers. Sa mère le savait et gardait Alexis. Elle ne posait pas de questions, lui demandait uniquement de rentrer sain et sauf. Il ne faisait rien de déshonorant, rien de répréhensible, il venait se nourrir de l'existence des gens pour vivifier la sienne. Il était un vampire existentiel, un suceur d'impressions, de sentiments, d'événements. C'était ainsi, c'était inévitable. A force de vivre dans du coton il se voyait dans l'obligeance de retourner à la vraie vie, même si c'était par procuration et par pure conjecture. C'était un mouvement de recul nécessaire, il en avait besoin pour mettre en abyme l'Homme, la société et les liens intrinsèques qui les liaient. Il en avait besoin pour sortir de ce monde imaginaire que son personnage publique avait fabriqué pour lui et qui finissait par altérer l'essence même de son écriture. Il était affamé de réalité. C'est bien pour cela qu'il était là, dans un métro bondé en fin d'après-midi à se repaître de ces instants d'humanité qui ne faisaient que le frôler sans se soucier de sa présence. Il était un être de plus, un des leurs se diluant dans la mare de chair et de sang, d'angoisses et de joies.

La voix qui annonçait l'approche à un des arrêts retentit. A l'unisson, des silhouettes grises s'arrachèrent à leurs sièges, se dessoudèrent de leurs barres et commencèrent une migration vers les issues. La jeune femme se leva, portant son enfant dans les bras, tentant tant bien que mal de garder l'équilibre. Le vieil homme en avait fait autant et s'approchait, glissait entre les autres individus, vers la porte avec l'expérience due à l'habitude. Son corps épousait les espaces, se frayait un passage sans bousculer, sans heurter, fantôme parmi les hommes. Rick se dit alors que si un jour il venait à disparaître personne ne le remarquerait. Il y était de ces têtes que l'on oublie aussitôt qu'elles ont quitté le champ de notre regard. L'écrivain en profita pour prendre la place que le vieil homme avait laissée. Il manquait encore des couleurs au prisme qui peu à peu se composait dans son esprit.

Il se tourna tout naturellement vers la jeune femme qui occupait le siège voisin mais elle était absorbée par le défilé des lumières fugaces des tunnels. Rick pouvait percevoir quelques traits de son visage lorsque la lueur était suffisante pour qu'ils se reflètent sur la vitre. Des traits quelque peu anguleux, des pommettes saillantes, un nez droit, des sourcils arqués et fins qui encaissaient des yeux tristes. Ses cheveux étaient plutôt courts ce qui laissait son cou gracile surgir d'un trench foncé, simple mais bien taillé. Elle portait un pantalon à pinces et des bottines aux talons extraordinaires. Il pouvait pressentir un corps svelte sous ces vêtements neutres mais choisis avec goût. Elle exerçait certainement un métier où elle devait imposer l'autorité et où le code vestimentaire était assez implicite mais suivi par la majorité. Par le caractère presque androgyne et formel de sa tenue, il était plus que probable qu'elle soit entourée d'hommes et ces talons hauts, incisifs, donnaient une touche sexy à cette femme qui même dans un milieu macho s'autorisait à revendiquer sa condition. Une femme à caractère, en confiance dans son travail mais moins dans sa vie privée. Les deux gobelets étaient là pour l'attester, tout comme son regard sombre. Elle avait pensé donner ce deuxième café à quelqu'un qui lui était proche -après tout elle avait gardé le gobelet en main au lieu de le jeter- mais celui-ci l'avait refusé ou ne s'était pas présenté. Il tenta de lire le nom inscrit sur le plastique, il ne put apercevoir qu'un «W». Walter, William, Wallace, Wyatt? La jeune femme écarta son pouce légèrement et il put saisir le reste du prénom: Will. Il se dit alors que ce Will ne pouvait être qu'un idiot.

-Si vous le voulez, je vous le donne.

Castle leva la tête, interloqué.

-Pardon?

-Si vous voulez le café, je vous le donne. Je l'avais pris pour quelqu'un mais... La jeune femme laissa glisser la fin de son commentaire et regarda l'écrivain avec un sourire triste.

-J'accepte si vous permettez que je vous en offre un autre.

De grands yeux mordorés avec des éclats verts se braquèrent sur ses pupilles. Il se sentit soudain mal-à-l'aise. Non que cela puisse le déranger que l'on le fixe ainsi, il avait l'habitude d'être le centre d'attention, mais elle semblait lire en lui comme dans un livre ouvert. La faculté de s'immiscer dans l'esprit d'une personne était sa spécialité, l'essence même de son art. De se trouver de l'autre côté du microscope n'était pas à son goût. Il avait bien trop peur de que l'on découvre le chaos qui régnait dans sa tête.

Kate regardait cet homme qui était venu la détourner de ses mauvaises pensées. Elle l'étudia avec attention. C'était bien lui. Elle l'avait reconnu malgré des différences flagrantes d'avec les photos au dos de ses livres. Dans celles-ci il était toujours bien coiffé, impeccablement rasé et ses yeux pétillaient de malice. L'homme qu'elle avait en face portait une barbe de deux jours et les cheveux tombaient sur son front. Il avait l'air perdu et vulnérable. Ses yeux irradiaient l'innocence et la sincérité.

-D'accord, dit-elle lui tendant le gobelet avec l'inscription «WILL» comme pour signer leur pacte.

-D'accord? Voulut-il se rassurer alors que l'espoir l'avait abandonné devant l'indécision de la jeune femme.

-Oui, je veux bien que vous m'en offriez un autre.

Alors, qu'en pensez-vous?