Prélude

Un cheval avançait à pas lents dans la neige, faisant craquer à chaque pas le sol sous ses sabots. Sur son dos, un cavalier était emmitouflé dans d'épais vêtements sombres. Ses bottes de cuir noir et rembourré étaient vissées et raidies dans des étriers brillants. Sa posture était droite, faisant face à l'air glacial qui régnait dans la forêt. Une paire de gants –de couleur toute aussi foncée- tenait souplement les rênes. Mis à part le léger bruit de la marche, la monture et son cavalier étaient silencieux, respectant le calme des arbres et de la nature endormie sous quelques centimètres de poudreuse. Un immense fourreau pendait au flanc de l'équidé, se balançant au rythme de la marche. L'étui, plus long qu'un bras, avait un fond blanc et était gravé de gracieuses courbes d'un bleu très clair, telles des branches de lierre entrelaçant un arbre pour le faire plier. Le manche et la garde d'un sabre dépassaient. L'arme donnait au cavalier, d'apparence posé, une aura intimidante.

Soudain, un loup surgit. Il semblait être apparu de nulle part. Son pelage gris et sa capacité à écraser silencieusement la neige lui procurait l'avantage de la surprise et le cavalier ne l'aperçut que lorsqu'il fut devant lui. Le loup jappa tranquillement et le cheval s'arrêta net. Son maître lui tapota l'encolure pour le calmer.

-Oh, tout doux, tout doux.

La voix était douce. Une femme.

Elle se redressa, sans cesser de caresser sa monture, pour fixer le loup devant elle.

-Alors, tu as repéré sa trace ? lui demanda-t-elle posément, comme si l'animal était doué de compréhension. Le canidé agita fièrement la queue en piétinant la neige sous ses pattes.

-J'ai compris, pas besoin d'être aussi impatient !

A ces paroles, le loup se retourna sur le chemin et partit comme une flèche. Sans attendre, la cavalière fit claquer la courroie sur la crinière de la bête en pressant ses étriers sur ses flans. Le cheval démarra au galop, ignorant le froid mordant et la poudreuse qu'il faisait gicler à son passage. Devant eux, le cri du loup résonna, suivit d'un hurlement, beaucoup moins naturel, qui fit trembler la forêt. La cavalière se baissa. Elle attrapa adroitement son arme qui oscillait brutalement avec la course et lâcha sa prise sur les rênes, dégainant et maintenant son sabre dans sa main droite. Elle retira le gant de son autre main avec ses dents pour faire glisser deux doigts fins sur la lame étirée. L'acier se mit à briller d'un éclat lumineux et une inscription flamboyante se grava sur son tranchant.

Remettant son gant, la guerrière se coucha sur sa selle, ne faisant plus qu'un avec les mouvements du cheval qui fonçait à une vitesse folle. Son bras armé dressé vers l'arrière, la pointe du sabre vers le ciel bleu. Ses vêtements se collèrent à elle sous l'effet de l'accélération et sa capuche se renversa, dévoilant une tresse longiligne de cheveux jais.

Sa cavalcade débouta sur un combat acharné et inégalitaire. Le loup gris faisait bravement face à une monstruosité à quatre bras et de trois mètres de hauteur. L'animal, courageux sans être téméraire, grognait et esquivait à chaque fois d'un saut habile les mains griffues qui fondaient sur lui. La créature semblait blessée, son dos luisait d'un liquide bleu –du sang- et la neige entravait ses mouvements. Elle restait néanmoins dangereuse et elle se retourna vivement vers la guerrière qui galopait avec fureur vers elle. Elle lança un de ses bras vers elle et le membre s'allongea soudain, fusant vers la jeune femme.

Avec une dextérité incroyable, la cavalière riposta en tranchant la chair avec son sabre comme un couteau dans du beurre. Le monstre hurla à nouveau de son cri effrayant. Une seconde plus tard, la femme était sur lui. Elle fit tourner habilement son arme dans ses mains et entailla sauvagement le flanc de son ennemi avec toute la longueur de son sabre. La chose perdit l'équilibre et chuta. La guerrière sauta de son cheval, se réceptionna parfaitement d'une roulade, leva son sabre et avec une lueur impitoyable dans les yeux, trancha le cou du monstre. La tête roula un peu sur le sol enneigé. La jeune femme se redressa et soupira. Tout n'avait duré qu'une poignée de secondes.

Derrière elle, le corps de la créature brilla et disparu doucement en petites particules brillantes dans le ciel. Le sang bleu qui tachait son sabre se volatilisa de la même façon. Sur le sol, il ne restait comme trace du monstre qu'une petite pierre améthyste.

Le sabre perdit son éclat lumineux et magique lorsque la guerrière se tourna vers le loup, un petit sourire appréciateur sur les lèvres.

-Beau boulot Duran.

Il lui répondit d'un petit reniflement joyeux et elle siffla le cheval. Alors que la monture trottait vers sa maîtresse, celle-ci se baissa pour ramasser le cristal au sol. Il était assez petit pour qu'elle puisse le prendre entre deux doigts. Elle le leva vers sa tête et l'observa pensivement un instant. Puis, elle écarta une couche de vêtement pour dévoiler une petite bourse de cuir fixée à sa ceinture où elle glissa son trophée, avant de refermer soigneusement la sacoche. Elle gratta le museau du cheval avant de s'avancer pour ranger son sabre dans le fourreau et de grimper d'un geste souple sur sa selle. Elle tira sur les rênes. Le cheval fit demi tour, suivant le loup qui gambadait un peu plus loin.

La cavalière rabattit une capuche sur sa tête et couvrit le bas de son visage pour se protéger du froid qui piquait sa peau pâle.

-Allez, on rentre au camp, marmonna-t-elle plus pour elle-même que pour les deux bêtes qui l'accompagnaient.

Peu à peu, tout autour d'elle, le silence refit sa place. Seul le bruit du sabot craquait sur la neige troublait la quiétude, enfin retrouvée, de la forêt.