Chapitre 1

L'Asile Sainte Raison

Malheureusement pour les pensionnaires les plus saints d'esprit, l'oie la plus bruyante de la ferme voisine décida de caqueter très bruyamment ce dimanche matin. Cette oie avait beau être vieille et déplumée, elle avait encore de la voix et le prouvait régulièrement en émettant ses caquètements qui ressemblaient à un rire humain. Cette pauvre oie n'avait pas conscience de déranger ses voisins car pour elle et son propriétaire il n'y en avait pas. Juste un moulin en ruine qu'on disait hanté car de temps en temps on pouvait y entendre des hurlements, et pourtant...si cette oie et son maître savaient…Bien avant que ce brave fermier et sa femme ne viennent s'installer dans ce trou perdu, l'Asile Sainte Raison existait déjà, une clinique privée réputée qui abritait les êtres dits les plus fous du monde des sorciers.

L'ignorance a du bon, disait un vieil adage, oh oui ! Car Mr Lafange alla arroser ses tomates sans savoir que juste derrière son jardin, se trouvait une très vieille pensionnaire amoureuse qui l'observait depuis des années.

La sinistre fanfare censée réveiller les patients et non les effrayer se fit entendre à travers les hauts parleurs. Il était huit heures. Nymphadora n'eut pas besoin de se le dire deux fois, réveillée par cette affreuse oie, elle avait essayé jusque-là de se rendormir en vain. Elle sortit de son lit, enfila ses chaussons et mit un châle sur ses épaules. Elle arriva la première dans la pièce principale et s'assis en bout de table, comme tous les jours depuis dix ans. Nymphadora avait sept ans quand on l'avait fait interner dans cet établissement, une branche de l'hôpital Sainte Mangouste. Elle faisait partie de ces vieux pensionnaires de la maison : le club des six. Elle était la plus jeune du groupe. La plus jeune à avoir été interné même si c'était illégal - mais l'argent résolvait bien des problèmes-, Nymphadora se rappelait seulement du jour j où Le Titan et Le Pit-Bull l'avaient emmené, c'est tout, elle jouait alors seule dans un parc dans le bac à sable avec sa peluche licorne-sirène. Sa vie d'avant fut effacée à coup de médicaments, de pleurs et de temps. Un effet secondaire connu de presque tous les patients.

Le regard vide, Nymphadora attendit que le plateau de nourriture apparaisse devant elle, mais pour ce faire, les quatre grandes tables de trente-deux places devaient être remplies. Pas de bol pour son ventre criant famine, une place demeurait vide.

- Où est Mme Weber ? aboya Le Titan.

Il y eut des soupirs parmi les médicomages, Mme Weber devait être dans sa chambre… Deux d'entre eux allèrent la chercher. Abrutis par le sommeil, les patients étaient calmes mais les médicomages veillaient. Une porte claqua, Le Titan tenait Mme Weber par le bras. Il était furieux.

- Elle était dehors ! Qui est l'imbécile qui a enlevé le putain de sortilège du sapin ?! beugla-t-il.

Ca ne pouvait être que Pimprenus, le médicomage à l'apparence chétive et à la voix de crécelle. Lui seul était en charge de la terrasse : un bout de béton avec quelques chaises, et du jardin : une étendue d'herbe d'un hectar où l'on trouvait un bac à sable et un sapin. Ce sapin délimitait la Zone d'accès, autrement dit : pas le droit de le dépasser. Si un pensionnaire faisait une tentative une force invisible l'empêchait d'avancer. Mme Weber faisait partie du club des six, elle avait beau de ne plus avoir de baguette magique comme ses camarades, ça ne l'avait pas empêché de briser le sort pour aller tout au bout du terrain et ainsi observer son Mr Lafange arroser amoureusement ses tomates. Nymphadora la vit faire un jour : tendre les mains comme si elle poussait quelque chose et trotter gaiement vers son amoureux. Elle garda le secret mais se sentit désolée pour Pimprenus qui se faisait enguirlander à cause d'une vieille folle amoureuse.

- Bon appétit et ne vous étouffez pas ! beugla Le Titan.

Comme d'habitude, le sorcier joufflu que Nymphadora surnommait Ping-pong -dû au fait qu'il se jetait n'importe où pour se faire rebondir-, fit le contraire de ce qu'on attendait de lui. Ils durent se mettre à trois pour le réanimer.

Nymphadora mangea rapidement ses deux tartines de confiture qui n'avaient aucun goût, peut être en avait-elle oubliait la saveur ? Ca faisait dix ans qu'elle mangeait la même chose alors…Elle but son thé amer et sortit de table. Elle alla dans sa chambre et trouva sur sa table de chevet ses pilules : une bleue, deux mauves et trois rouges. Elle les avala en se rappelant qu'au début les médicaments étaient donnés en même temps que le repas, mais les résidents les associèrent à des jouets et se les échangeaient au cours des repas. Une pilule bleue contre une rouge, une verte contre une mauve…etc.

Elle fit sa toilette dans sa chambre avec un simple gant de toilette qu'elle trempa dans le lavabo rouillé, elle se brossa ensuite les dents, prit sa peluche licorne-sirène et sortit dans le couloir. Elle mit sa main contre le mur et avança, sa main faisant des zigzags. Elle sortit sur la terrasse et vit Pimprenus agiter sa baguette dans tous les sens. Elle ricana et s'installa dans la chaise qui lui semblait être la plus confortable, s'emmitoufla dans son châle la peluche serrée contre sa poitrine, et Nymphadora attendit que les médicaments ingurgités fassent effet.

Avec le temps, elle essaya de deviner quelle pilule quel effet mais elle ne trouva pas, peut-être étaient-ce les cinq combinés ensemble qui la mettaient dans cet état second…

En dix ans, personne ne vint la voir. Personne. Alors elle se mit à oublier petit à petit jusqu'à ce qu'elle n'ait aucun souvenir sur lequel se raccrocher pour ne pas sombrer. Nymphadora se souviendrait toujours de cette médicomage qui en la voyant s'était écriée : «Cette petite ne peut pas être folle ! J'en vois tous les jours des fous, et ce, depuis trente ans ! », cette bonne femme émit l'hypothèse d'un complot, ce qui plut beaucoup à la petite Nymphadora qui s'imagina un passé digne d'un roman. Mais plus le temps passa et plus il lui fut difficile de distinguer le vrai du faux alors elle arrêta et sombra dans une profonde mélancolie.

Les fesses engourdies, Nymphadora décida de se lever et alla jouer dans le bac à sable. Elle s'asseya dans l'herbe et contempla de son regard vide le sable marronâtre. Ça changeait tellement de ce blanc immaculé de l'asile…elle leva les yeux vers la grande fenêtre du deuxième étage où elle put voir Ping-pong se jeter contre les vitres et être projeté comme une balle. C'était à cet endroit même où le directeur avait réussi à se suicider trois ans plus tôt. Un homme corrompu qui n'eut guère le choix vu ses ennuis…une rumeur circula, très vite balayée, qu'il avait accepté n'importe qui du moment que la famille ou les proches payaient le prix pour le futur patient...L'Asile Sainte Raison était une clinique privée d'où les prix élevés, pour y être interner il était vrai qu'il fallait de l'argent mais il fallait quand même avoir un minimum de folie pour y être interner. « N'importe qui fait l'affaire du moment qu'il paye dans ce cas » disait Mme Weber. Elle avait même appris à Nymphadora que l'Asile Sainte Raison abritait les fous les plus dangereux d'après les rumeurs que sa fille, en visite, lui avait raconté. Nymphadora avait ri et rectifié sur le ton de la plaisanterie : « les fous les plus pathétiques plutôt ! ».

Ping-pong recommença plusieurs fois son manège jusqu'à ce que Le Titan l'attrape. Il est vraiment bête, songea Nymphadora. Après le suicide du directeur, auxquels assistèrent un bon nombre des patients, dont Nymphadora. Beaucoup cherchèrent à l'imiter, car jusque-là «se défenestrer» n'avait pas traversé leur esprit. Suite à de nombreuses tentatives de suicides, les médicomages mirent des petits bonzaïs ensorcelés sous les fenêtres qui repoussaient les suicidaires. Une fois qu'ils comprirent que leurs tentatives seraient vaines, ceux-ci abandonnèrent. Tous, sauf Ping-pong qui aimait régulièrement être projeté à tout vent. D'où son inclination de se jeter contre n'importe quoi dans l'espoir que tout soit ensorcelé comme les fenêtres en criant « pim », « pam », ou « poum » chaque fois qu'il heurtait quelque chose.

Parfois, certains cas empiraient comme Ping-pong qui était à peu près normal avant, ou bien Nymphadora. Durant les premiers jours, elle criait qu'elle n'était pas folle, qu'elle n'avait pas sa place ici, mais les médicaments eurent le dessus et ébranlèrent sa raison, elle se convainquit d'elle-même de sa folie car si elle ne l'était pas au début, elle le devint.

A suivre…