« Vous avez combattu vaillamment, disait la voix haute et glacée. Lord Voldemort sait reconnaître la bravoure.

« Mais vous avez aussi subi de lourdes pertes. Si vous continuez à me résister, vous allez tous mourir, un par un. Je ne le souhaite pas. Chaque goutte versée d'un sang de sorcier est une perte et un gâchis.

« Lord Voldemort est miséricordieux. J'ordonne à mes forces de se retirer immédiatement.

« Vous avez une heure. Occupez-vous de vos morts avec dignité. Soignez vos blessés.

« Maintenant, je m'adresse à toi, Harry Potter. Tu as laissé tes amis mourir à ta place au lieu de m'affronter directement. J'attendrai une heure dans la Forêt interdite. Si, lorsque cette heure sera écoulée, tu n'es pas venu à moi, si tu ne t'es pas rendu, alors la bataille recommencera. Cette fois, je participerai moi-même au combat, Harry Potter, je te trouverai et je châtierai jusqu'au dernier homme, jusqu'à la dernière femme, jusqu'au dernier enfant qui aura essayé de te cacher à mes yeux. Une heure. »

Même si la voix terrible et glaciale s'était tue depuis longtemps, Harry avait l'impression de l'entendre en boucle dans sa tête.
Les mains crispées sur son balai volant, le vent lui sifflant aux oreilles, il pilotait par pur réflexe, incapable de focaliser ses pensées sur autre chose que les mots de Voldemort.

Tu as laissé tes amis mourir à ta place. Je te trouverai. Je te trouverai. JE TE TROUVERAI.

« Harry ! Attends ! »

Le cri, venu de derrière, le fit sursauter et accrût sa panique. Il était poursuivi.

« Harry, c'est Ron ! »

Harry risqua un coup d'oeil par dessus son épaule, et reconnut effectivement Ron, qui tentait de le suivre sur son propre balai.
Il redirigea son regard dans le sens de la marche, et accéléra.

Il fallait qu'il s'échappe.

Il était l'Élu, il aurait dû se sacrifier pour sauver tout le monde. Tout le monde semblait s'attendre à ce qu'il fasse quelque chose de cet ordre.
C'était ce que semblait prédire cette maudite prophétie. C'était apparemment ce que Dumbledore lui-même planifiait depuis des années.

Il aurait dû refuser que d'autres personnes meurent encore pour lui.
Il avait l'impression que cette nuit là, seize ans plus tôt, sa mère ne lui avait pas transmis une protection, mais plutôt une malédiction.
Depuis ce moment là, il était condamné à voir les gens se sacrifier pour lui, qu'ils soient des amis chers ou de parfaits inconnus.
Sa survie et sa légende étaient bâties sur des piles de cadavres.

Mais il n'était encore qu'un enfant apeuré, et il fuyait. Le destin l'avait choisi, Dumbledore l'avait choisi, Voldemort lui-même l'avait ''marqué comme son égal'', mais comment aurait-il pu accepter de se sacrifier? Dumbledore avait beau dire, rien dans sa courte existence ne l'avait préparé à donner sa vie, fut-ce dans l'espoir d'affaiblir Voldemort.

Harry regarda à nouveau derrière lui. Ron le poursuivait toujours. Son vieil ami voulait-il le ramener pour le forcer à obéir à l'ultimatum de Voldemort ? Après tout, il avait déjà perdu un frère ; en vain si Voldemort n'était pas vaincu...

Harry accéléra encore, et se dirigea vers un lac qu'il voyait au loin.

La fatigue l'envahissait et tout s'embrouillait, il ne parvenait pas à organiser ses pensées.
À la voix de Voldemort s'ajoutaient maintenant d'autres voix, accompagnées de visions.
Ce qu'il avait vu dans la pensine, les souvenirs de Rogue. Dumbledore avouant qu'il l'avait maintenu en vie pour le faire mourir au moment propice.
Le rôle joué par Rogue depuis le tout début.
Le fait que lui-même était un Horcruxe. Qu'il devait mourir, de la main de Voldemort, se sacrifier de façon désintéressée...
Qu'il ne verrait jamais la victoire, si toutefois elle avait lieu.

Cela changeait absolument tout, tout ce qu'il croyait avoir compris. La prophétie prenait un nouveau sens.
Aucun des deux ne peut vivre tant que l'autre survit.

Puis la vision des cadavres étendus dans la Grande-Salle, morts pour lui.
Les regards que les survivants lui jetaient. Du doute, de l'amertume, de la déception, et pire, de l'espoir.
C'était bien trop lourd à porter.

Ç'avait été l'élément déclencheur. Tout cela était simplement bien trop pour une seule personne, qui plus est en une seule nuit.

Absolument tout s'était écroulé.
Dumbledore et Voldemort et Rogue et tous ceux qui avaient perdu quelqu'un dans cette bataille, et tous ceux qui avaient peur de mourir, tous ceux qui étaient déjà morts pour lui, tous semblaient maintenant intimer à Harry la même injonction.
Meurs. Livre-toi. Sacrifie-toi. Tu es un instrument, et ceci est ton but. Tout ce que nous avons fait, tout le sang que nous avons versé, c'est pour que tu puisses remplir ta mission. Tu n'as pas d'autre fonction.

Et maintenant, quelques minutes plus tard seulement, il fuyait ce cauchemar sur son balai, essayant de semer son meilleur ami, volant dos à l'aube qui commençait à poindre.

Harry passa au dessus du lac. Il sortit sa baguette, se retourna a moitié sur sa monture, tendit le bras vers Ron, et lança le maléfice.
Le balai de Ron explosa en morceaux, et son cavalier s'abîma dans l'eau noire aux reflets sanglants du soleil levant.