Et une traduction de plus, une ! Mon premier JohnLock~
J'ai choisi de garder le titre en anglais mais, en français ça aurait donné : (Ne jamais) Tourner le dos à l'océan
Ceci est le premier chapitre d'une petite série de sept, sachant que l'œuvre originale (en anglais donc) comporte à peu près 40 000 mots. Vous pouvez la retrouver sur ao3, sur le profil de DiscordantWords :)
Le deuxième devrait suivre ce week-end et, par la suite, je publierai un chapitre tous les week-ends.. :)
Sur ce, bonne lecture à vous ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ;3
(Des bisous à vinkalinka qui m'a une fois de plus relue et corrigée !)
Différent
.
Le smiley n'allait pas.
Non, ce n'était pas exactement ça, c'était impossible pour un smiley de ne pas aller mais -
Peut-être que le terme « différent » convenait mieux.
Le smiley était différent.
Il était le résultat d'un bon effort. Un véritable effort. Il avait trouvé un papier peint de remplacement avec le même motif que l'original. John était même sorti et avait acheté une bombe de peinture Michigan de la bonne couleur. Il l'avait replacé au même endroit ou presque. Sherlock avait fait les impacts de balles lui-même.
Et pourtant, ce n'était pas tout à fait pareil.
Les différences étaient subtiles. La peinture jaune coupait les motifs de la tapisserie un tout petit peu plus bas qu'auparavant (sûrement parce que John était plus petit). La peinture avait été appliquée d'une main plus lourde, plus mesurée, plus contrôlée comparée à la sienne et aux grands gestes qu'il avait eus trois ans auparavant, dans un moment d'ennui.
L'effet était – troublant.
A première vue, lorsqu'on entrait dans la pièce, tout avait l'air exactement tel quel. Oh, à quelques petites différences près – une nouvelle table basse (avec des angles ronds, choisie exprès en ayant à l'esprit une enfant fragile, qui pourrait se faire des bleus, casser des choses dans son manque de coordination), un meuble de rangement plus élaboré pour y ranger son bric à brac. De nouvelles choses pour remplacer celles qui avaient été perdues. Un changement de surface, rien de plus. Du genre comme on en voyait dans toutes les maisons, au fil des années. Le premier plan changeait tandis que le fond restait le même. Peut-être que les autres remarquaient simplement le changement de meubles et ne cherchaient pas plus loin mais lui, eh bien. Son esprit était incapable de ne pas remarquer. Et remarquer. Et remarquer.
Le papier peint derrière le canapé. Même motif. Même teinte. Néanmoins, les couleurs étaient plus vives, inchangées par les années d'exposition à la lumière du soleil passant au travers des carreaux des vieilles fenêtres. Si, à cet instant, on lui avait donné un morceau couvert de sang de ce même papier, il aurait été incapable de déduire de quelle partie de Londres il provenait.
C'était très proche de ce que c'était avant, très proche. Mais ce n'était pas tout à fait semblable. Et quand l'appartement était plein de vie, avec tout le chaos qui suivait la venue de John et Rosie, quand son propre esprit était occupé à résoudre les problèmes des clients ou bien une affaire que la police de Scotland Yard ne parvenait pas à éclaircir, alors seulement ça allait. Il pouvait ignorer les choses.
Mais quand il était seul, quand John était rentré chez lui, quand il n'y avait rien d'autre autour de lui que le silence, des heures et des heures de silence imperturbable, alors – eh bien. Alors les différences lui sautaient aux yeux, le désorientant, le perturbant.
Et à présent – à présent, quand il fermait les yeux sur le canapé et les rouvrait sous le soleil de la fin de l'après-midi, c'était toujours pour retrouver une pièce semblable, mais différente.
Semblable. Mais différente. Des petits changements. Comme si son esprit lui jouait des tours. Ça le faisait planer et pas dans le bon sens du terme, pas dans le sens qu'il aurait parfois (toujours) aimé. Comme cela avait été le cas avant qu'il ne prenne l'affaire Culverton Smith, à un moment où il avait été à la dérive, perdu sans John pour le soutenir, impuissant face à ses propres courants. Le monde autour de lui avait semblé trop brillant, déformé et faux, reconnaissable et en même temps étranger.
C'était difficile pour lui de s'orienter, dans des moments comme celui-là. Dans des moments comme celui-ci.
Lui, se réveillant en sursaut, en sueur et à moitié en panique, sa maison changée, qui n'allait pas tout à fait. La peur soudaine que tout n'eut été qu'un rêve, que rien n'eut été réel, que les semaines, les mois qui s'étaient écoulés n'eut été que le fruit de son esprit, qu'il était encore sous les effets d'un impressionnant cocktail de narcotiques, que John était encore loin de lui, loin, très loin – mais non.
La table basse, neuve, à bords ronds. L'odeur de la peinture fraîche et de la colle. Le smiley, que John avait reproduit soigneusement.
Réel, tout cela. Réel.
Toutefois, il avait peur d'avoir commis une erreur. Il avait dépensé du temps et de l'argent pour faire en sorte que l'appartement de Baker Street ait toujours l'air de ce qu'il avait été. Pour se prouver à lui-même que rien n'avait changé.
Peut-être qu'au lieu de cela il aurait dû essayer d'en faire un foyer.
Un tintement dans la cuisine. Un bruissement, un cliquetis. Quelqu'un dans le placard.
Wiggins, pensa-t-il. Wiggins en train de préparer une nouvelle fournée.
- Sherlock ? Je t'ai réveillé ?
John.
Pas Wiggins. Wiggins était parti. Il n'y avait rien dans la cuisine si ce n'était de la nouvelle vaisselle et un microscope, pris à la morgue de Barts après une conversation des plus étranges avec Molly. Wiggins était parti, Sherlock était sobre, et John était dans la cuisine.
Il s'assit, se frotta les yeux. La pièce autour de lui passa de trouble à nette. Maison.
La tête de John apparue à l'angle du mur, il avait l'air un peu confus.
- Désolé. J'essayais de ne pas faire de bruit.
- Je ne dormais pas, mentit Sherlock. Je pensais.
John l'ignora, retourna dans la cuisine, à ses bruissements et ses cliquetis. Des plats à emporter. Du restaurant chinois à l'angle de la rue, à en juger par le bruit du sac plastique, plus épais que les sacs fournis par les autres établissements. Et, eh bien. L'odeur facilement reconnaissable qui emplissait la pièce, ce qui était sans doute plus évident (et plus attirant) que la qualité de l'emballage.
Il se leva, s'étira. Regarda autour de lui.
- Où est – ?
- Mme Hudson nous a interceptés dans l'entrée, informa John en revenant dans la pièce, des cartons ouverts dans les mains.
L'estomac de Sherlock gronda. John poursuivit :
- Elle a insisté pour la prendre une demi-heure.
Ah.
- Ne soit pas déçu, j'irai la chercher quand on aura terminé de manger.
- Déçu ? se moqua-t-il, levant les yeux au plafond. Ce n'est que mon visage.
- Ton visage déçu, oui, dit John. Mange quelque chose.
Il s'assit à table, qu'il n'avait pas encore complètement débarrasser de son désordre. Accepta le carton posé devant lui.
Ils mangèrent en silence et, même si ce n'était pas le plus confortable des silences qu'ils eussent partagé au fil des années, avant – avant tout – il n'était pas lourd ou étrange, comme il avait pu l'être certains jours plus récents. C'était mieux. C'était bien. C'était plaisant. C'était assez.
Lorsqu'ils eurent fini de manger, John débarrassa les plats et se rendit au rez-de-chaussée pour récupérer sa fille.
Il remonta, le pas plus lourd.
Sherlock sourit lorsqu'il la vit. Elle lui rendit son sourire, un petit sourire édenté, et lui tendit les bras.
Il la prit, fit le tour de la pièce, leur circuit habituel. Elle décidait où aller, pointant du doigt ce qui attirait son attention. Il s'arrêtait pour la laisser inspecter les choses, les toucher de ses petits doigts curieux. Prudent, il ne s'arrêtait jamais trop longtemps devant quelque chose, ne s'approchait pas trop près, ne regardait pas les murs.
Derrière lui, dans la cuisine, John faisait la vaisselle. Mettait l'eau à chauffer dans la bouilloire.
- C'est un vampire commun, une chauve-souris, dit Sherlock.
Rosie détacha ses yeux de la boîte en verre pour les fixer plutôt sur son visage.
- Elle se nourrit principalement de sang.
- Ah, fit-elle.
Il émit un son approbateur, continua son chemin. Il ne voulait pas regarder trop longtemps la chauve-souris. Elle était bien, sous verre. Ressemblait beaucoup à l'ancienne, qui avait été consumée par les flammes.
L'explosion avait fait des dégâts mais n'avait pas tout ravagé. Eurus avait frappé, comme elle l'avait fait à chacune des rencontres qu'ils avaient fait et les avaient menés… à Sherrinford. En fait, la grenade aurait dû raser l'appartement.
Il n'aurait rien dû en rester.
- -lock ? Sherlock.
Il sursauta, se retourna.
John l'observait depuis l'embrasure de la porte, les sourcils légèrement froncés. Il était clair que cela faisait déjà un moment qu'il essayait d'attirer son attention. Une tasse de thé fumante dans ses mains. Il la lui tendit.
- Je t'ai perdu pendant une minute là, dit-il.
- Je – je réfléchissais juste.
Rosie se tortilla dans ses bras et il réajusta sa prise, la calant un peu plus fermement contre sa hanche. De son autre main, il prit la tasse et en but une gorgée.
- Je vois, dit John.
Il se racla la gorge, détourna le regard. Quand il reposa ses yeux sur lui, un sourire étirait ses traits, un sourire faux.
Sherlock détestait ce moment.
- Il se fait tard, annonça John. On devrait rentrer.
- Bien sûr, dit Sherlock.
Il se tint près de la fenêtre et but son thé pendant que John préparait Rosie pour le voyage.
- Bonne nuit, finit par dire John.
Il les regarda s'en aller tous les deux dans la nuit. Regarda John héler un taxi, entrer prudemment à l'intérieur avec Rosie. Leva la main en signe d'au revoir lorsque John leva les yeux pour le voir, à la fenêtre.
xXx
Il fit défiler ses mails, vérifia ses tweets, ne trouva rien du tout d'intéressant. Au lieu de l'ennui qu'il ressentait habituellement, il ne ressentait qu'une profonde fatigue.
Il traversa le couloir jusqu'à sa chambre. Elle avait resisté admirablement. La porte en bois avait été brûlée, bien sûr, et il avait dû payer pour se débarrasser de l'odeur de roussi qui imprégnait ses vêtements et ses draps. Mais c'était tout. Il n'y avait pas eu de véritable perte, il n'avait pas été nécessaire de remplacer quoi que ce soit ou de réparer. Ses cadres n'étaient même pas tombés du mur.
En-dessous, il pouvait percevoir le son de la télévision de Mme Hudson.
Il se rendit dans la salle de bain, se brossa les dents. Regarda l'eau couler, disparaitre dans le tuyau.
Lorsqu'il eut terminé, il retourna dans sa chambre. Ecouté les bruits de la circulation dans la rue en contre-bas. Ferma les yeux.
xXx
Il rouvrit les yeux à Musgrave Hall, comme il l'avait fait chaque nuit depuis Sherrinford.
La vieille maison grinçait tout autour de lui et l'odeur de bois mouillé et de la moisissure emplissait l'air. Le vent s'engouffrant dans la maison produisait des sons semblables à gémissements, comme dans une maison hantée, ponctués par les sanglots de la dame blanche du manoir.
Eurus dans ses bras, ses épaules tremblantes d'un chagrin terrible et jusque-là tu.
Il ne la lâcha pas.
John lui avait appris ça. Le chagrin n'était pas beau à voir, ne consistait pas seulement en des yeux bouffis et des silences stoïques. Le chagrin mettait vos nerfs à vif, faisait mal, vous faisait pleurer horriblement, à chaudes larmes, et vous coupait le souffle. Le chagrin n'était pas une chose que l'on pouvait traiter, réparer, il ne vous abandonnait jamais complètement, mais on pouvait le partager.
John.
John était –
Il senti le moment où elle remarqua sa tension croissante. Elle se détacha de lui, se leva. Posa les yeux sur lui avec une expression étrange – dépourvu de toute malice. Il ne pouvait pas vraiment la déchiffrer. Il se dit qu'il n'avait sans doute jamais vraiment pu.
Il se demanda combien de fois elle était venue ici au fil des ans, combien de fois elle avait franchi les murs de cette prison dont elle avait fait son royaume dans le but d'errer dans les ruines de son enfance.
Elle lui tendit la main.
Il la prit sans hésiter, la laissant le tirer jusqu'à ce qu'il soit à nouveau sur ses pieds.
Ils descendirent ensemble l'escalier. Il laissa sa main glisser sur le papier peint humide qui s'effritait, essaya de se souvenir.
Il connaissait cette maison. Il connaissait toutes ses portes, tous les tournants des couloirs. Après tout, il s'était servi de cette maison pour construire son palais mental.
Il s'arrêta au bas de l'escalier, regarda l'écran de la télévision. John, au premier plan, terrifié, éclairé par la lumière de la lune.
- L'eau, dit Sherlock.
Il détourna le regard de l'écran, regarda Eurus.
- Arrête l'eau.
John se débattait, essayait de remonter le plus haut possible, la tête renversée en arrière. Son nez et sa bouche dépassaient à peine de l'eau tandis qu'il luttait, ses doigts s'accrochant aux pierres glissantes au-dessus de sa tête.
- Sh-, fit la voix brisée de John dans l'oreillette. Sher-
- Eurus, dit Sherlock.
Il se pencha vers elle, lui accordant toute son attention. Ses yeux rencontrèrent les siens, le bleu familier terne, perplexe et confus.
- L'eau.
Pendant un long et terrible moment elle ne bougea pas, John haletant toujours dans son oreillette. Puis elle redressa les épaules et traversa le couloir, rapidement, silencieusement. Elle ouvrit une porte sur sa droite, Sherlock sur ses talons.
- Accroche-toi, murmura-t-il doucement, tout doucement, ne sachant pas si John pouvait l'entendre par-dessus le rugissement de l'eau.
Eurus – ou quelqu'un – avait assemblé quelque chose s'apparentant à un centre de commande improvisé dans une petite pièce sous l'escalier. Des écrans étaient alignés sur le mur du fond, diffusant une lumière faible, et des câbles jonchaient le sol. Ses yeux se posèrent sur un autre angle du mur, attiré par la vision de John, s'accrochant et haletant et se débattant. John se noyant.
Elle passa devant les écrans, ouvrit un ordinateur portable. Tapa, cliqua. Son regard fixe, concentré, la lumière de l'écran faisant paraître sa peau bleue.
L'eau se déversant en cascade sur la tête de John se changea en un filet, cessa de couler.
- Merci, dit Sherlock.
Elle ne répondit pas.
Il pressa sa main sur l'oreillette, se concentrant pour écouter.
- John ?
A l'écran, John se débattait toujours. Ses doigts avaient trouvé une prise sur les pierres, ses bras tremblants de l'effort qu'il faisait pour se maintenir en place. Sa tête renversée, son visage à peine hors de l'eau. Il respirait avec difficulté, l'eau clapotant autour de lui.
Il avait tiré sur ses chaines au maximum, était allé aussi haut qu'il avait pu. Ce n'était presque pas assez. Et il ne serait pas en mesure de maintenir sa prise pendant très longtemps.
- Où ? demanda Sherlock.
Elle garda les yeux rivés sur l'écran, ne dit mot.
- S'il te plait, insista-t-il.
Elle se retourna pour le voir. Cligna des yeux.
- Tout va bien, dit-il doucement. Tu vas bien.
- Gentil, dit-elle.
Cela sonnait comme une question.
- Après tout ça. Tout ça – des années et des années. Et tu es toujours gentil.
- On fait tous des erreurs.
Elle l'étudia. Il garda les yeux rivés sur elle, ne laissa pas son regard retomber sur l'écran sur lequel on pouvait toujours voir John s'accrocher.
Toi, tentait-il de la rassurer sans parler à voix haute. Tu as toute mon attention.
Il pensa à Victor, qui n'était plus qu'un vague souvenir à présent, un enfant apeuré dans un endroit sombre et froid.
Son propre cœur, mis à nu, à vif alors qu'il fouillait, fouillait, cherchait et implorait. L'explorateur sans peur devint couard, le chercheur curieux échouant à son premier véritable test. La vérité sur lui-même, il était stupide, stupide après tout, d'une manière qu'il avait toujours craint, intimidé par les esprits plus élevés qui l'entouraient.
Si seulement il avait été plus rapide. Si seulement il avait été plus intelligent. Si seulement – Si seulement –
Les doigts de John, transis de froid, ne bougeait pas sur les pierres. John, vivant et respirant mais perdu, perdu, dans le noir, avec les os de Victor.
- S'il te plait, dit Sherlock. S'il te plait, dis-moi où il se trouve.
Il se mit à son niveau, gardant sa voix douce, sa posture ouverte.
- Aide-moi.
Elle se releva, le dépassa.
Il la suivit.
xXx
Il rouvrit les yeux, éveillé, le rêve s'évanouissant peu à peu comme du papier que l'on brûle.
Il ne savait pas pourquoi il continuait d'y penser ainsi. Pourquoi ça lui collait à la peau, jour après jour, semaine après semaine. Il l'avait vécu, il avait dépassé ça. Il allait bien. John allait bien. Mycroft allait bien.
Même Eurus allait bien, dans un sens.
Il l'avait suivie dans les ténèbres. Elle n'avait pas trahi sa confiance fragile. Elle l'avait mené à John.
Et ils étaient rentrés à la maison.
Enfin. John était rentré à la maison. Baker Street était en ruines. Sherlock avait été obligé de passer une semaine Presque complète chez Mycroft.
Il se leva et alla dans le salon, ne regarda pas les murs. La pièce semblait normale, dans la périphérie.
Il ouvrit son ordinateur, parcouru ses mails. Hésita sur un nom. Ferma les yeux.
Un mail d'une certaine Gloria Trevor. Sujet : Victor.
Il se déconnecta de sa boîte mail sans l'avoir ouvert. Hésita puis ferma son ordinateur aussi. Inspira.
xXx
Je lui ai dit que j'avais trouvé de trésor de Barbe-Bleue, avait dit Eurus, à peine une semaine plus tôt, levant son archet de sur les cordes de son violon. Elle était restée debout, son violon à la main droite, calé contre sa nuque, sa voix provoquant un choc après de mois de silence.
L'archet de Sherlock avait vacillé, quelque chose d'acide dans l'air.
Oh ? avait-il finit par demander.
Il voulait tellement t'impressionner, avait-elle dit. Elle souriait un peu, mais ce n'était pas un sourire mauvais, c'était un sourire tendre, empreint de nostalgie. Ses yeux s'étaient faits distants. Je lui ai dit que ça te ferait vraiment plaisir. Ça nous a pris une journée entière pour marcher jusque là-bas. Je nous avais préparé un goûter.
Il ne se rappelait pas des détails. Il avait passé des années à réécrire désespérément, à altérer ses propres souvenirs. Mais, s'il fermait les yeux, s'il se concentrait, il pouvait trouver un train de pensées vague, pouvait remonter à sa source, un matin ensoleillé, lorsqu'il avait découvert ce que cela signifiait d'être seul, ce que cela signifiait de se sentir confus et impuissant. Ce que cela faisait de ressentir du désespoir.
Je ne l'ai pas poussé, avait-elle dit. Il est descendu tout seul. Barbotant dans le noir, cherchant un coffre au trésor. Il n'a pas pensé un instant à comment il ferait pour le remonter s'il venait à le trouver.
Il avait six ans, avait dit doucement Sherlock. Personne ne prévoit ainsi les choses à six ans.
Moi, si.
Il avait retiré son violon de son épaule, avait étudié sa sœur. Il y avait quelque de terriblement triste à son sujet, seule, un spécimen derrière une vitre. Une créature dans un zoo. Cachée de tous, ne pouvant être dévoilée au regard du public.
Es-tu en colère contre moi ?
Il s'était demandé comment cela était arrivé, si elle avait prévu de tuer Victor ou si elle avait juste voulu faire une farce, si l'idée lui avait même traversé l'esprit une fois qu'il s'était aventuré de son plein gré dans le noir, sans corde ni plan pour ressortir. Si elle s'était jamais sentie mal en y pensant.
Je suis en colère, avait-il dit, lorsqu'il s'était senti à nouveau capable de parler.
Intéressant, avait-elle dit, et elle avait repris son violon. Elle jouait merveilleusement bien.
xXx
Du bruit dans l'escalier, quelque chose qui cogne et cliquette contre la porte. Le cri excité de Rosie, le pas familier de John dans l'escalier. Montant doucement les marches, chargé de sacs et d'un bébé.
- Je me suis arrêté en chemin et je t'ai acheté quelques trucs, dit-il, posant les sacs sur la table avant de secouer la main.
Rosie gigotait dans le landau, tendant déjà les bras à Sherlock.
Sherlock se rendit dans la cuisine, inspecta les sacs. Des boîtes de conserve et de la soupe et des légumes surgelés et du lait. Une boîte de thé. Des biscuits.
- Tu n'avais pas besoin de –
- Le frigo m'a paru un peu vide hier, c'est tout, avança John, ouvrant la porte et disposant le lait sur l'étagère du haut.
Il fronça les sourcils, regarda par-dessus son épaule.
- Tu ne devrais pas prendre ça comme un encouragement et y empiler de nouveau des morceaux de corps.
- Je n'ai pas encore trouvé de nouvelle source fiable pour m'en procurer, admit Sherlock.
Il n'avait pas vraiment essayé de chercher. Il ne lui semblait pas bien de demander à Molly. Plus maintenant.
- Eh bien, merci mon dieu pour cette petite faveur, lança John.
Il était de bonne humeur, léger, jovial. Il continua de ranger la nourriture. Comme s'il vivait là. Comme s'il était chez lui.
Rosie poussa un cri strident pour signifier son impatience et agita à nouveau ses bras. Sherlock s'approcha d'elle, la détacha de son landau et la prit dans ses bras.
Fit le tour de la pièce, Rosie sur sa hanche, s'arrêtant pour la laisser examiner chaque chose qu'elle pointait du doigt.
- Des coléoptères, dit-il, la regardant taper sur la vitre. Ils sont souvent utilisés en taxidermie. En fait, ils s'avèrent qu'ils sont plutôt doués pour nettoyer les squelettes. Ils veulent retirer la peau des –
John se racla la gorge quelque part derrière lui.
- Ah, quoi qu'il en soit, dit-il en faisant un pas en arrière, ces coléoptères-là sont bien morts. Accrochés pour les observer. Pas la peine de s'inquiéter.
- Et il n'y aura pas de coléoptères vivants, jamais, hein ?
Sherlock pinça les lèvres, haussa les épaules, essaya d'avoir l'air détaché.
- Eh bien, on ne peut jamais être certain quand il s'agit d'une chose pareille. Il y a des espèces de coléoptères spécialement connues pour infester les poils des instruments de recherche, par exemple, mais –
- Sherlock.
John faisait cette chose, cette chose qu'il faisait lorsqu'il prononçait le nom de Sherlock d'une voix particulièrement neutre mais semblait être sur le point de rire. Il était la seule personne sur terre qui prononçait son nom d'une telle manière.
Et, à chaque fois, quelque chose se brisait en Sherlock.
Il se racla la gorge, remonta Rosie sur sa hanche. Elle avait découvert ses cheveux et tirait résolument dessus. Il repoussa gentiment ses mains.
Quand il releva les yeux, John les observaient, les traits de son visage détendus.
- Pas de coléoptères vivants, dit Sherlock.
Reviens vivre ici, ne disait-il pas.
