POV Esmé
En levant les yeux du croquis que je dessinais, mes yeux accrochèrent le cadre posé sur la télé. Dernière fête que nous avions fêtée en famille. Tous les huit… Tous ensembles dans mon île, le cadeau que m'avait fait Carlisle, notre petit paradis. Dernier moment de bonheur avant que la tragédie ne nous toucha… Il semblerait que le malheur touche toujours les gens heureux. Un accident et nos vies basculèrent… Irrémédiablement… La mienne surtout… Je perdais l'être que j'aimais le plus au monde avec mes enfants. L'homme de ma vie, celui qui m'avait appris l'amour, m'avait aimée pendant près d'un siècle… Deux ans… cela faisait deux ans jour pour jour. Mais la douleur était toujours aussi vive. Il ne se passe pas un instant sans que je pense à lui… mon amour, ma vie… mon âme…
« Papa, parle-moi de Papy.
La voix flûtée de ma petite-fille me ramena à la réalité, tandis que la voix d'Edward qui lui faisait la lecture s'arrêtait. Je regardais en souriant le tableau qu'il formait avec ma petite-fille et ma fille. Bella et Edward étaient revenus vivre à la villa après cette tragédie. Ils ne voulaient plus me laisser seule, tout comme Emmet, Jasper, Rosalie et Alice. Mes enfants étaient tous là, ne me quittant pas. S'ils n'avaient pas tous étaient là, j'ignore ce que j'aurais fait… Je ne serai plus là…
_ Que veux-tu savoir ?
_ Tout. Parle-moi de…
Elle tendit sa main et toucha la joue de mon fils. Bella fronça les sourcils.
_ Ton grand-père t'aimait beaucoup, tu sais chérie, fit Edward. Beaucoup. Il t'adorait même.
_ Raconte-moi.
Edward échangea un regard avec Bella, elle hocha doucement la tête. Le piano retentit et je me laissai bercer par la voix de mon fils… Il chantait une chanson qui m'était inconnue. Cela faisait deux ans qu'il n'avait pas joué. Sa voix douce chantait les paroles qui lui venaient à l'esprit, les rendant vivantes, poignantes.
_ Il t'a regardée
Puis il a souri
Depuis si longtemps
Il n'avait rien dit
Y avait presque un siècle
Qui vous séparait
Le long de sa joue
Une larme coulait
Il t'a pris au bout de ses bras
Dans un éclat de rire
Toi, bébé, t'as pris son doigt
Comme pour le retenir.
_ Je ne voulais pas qu'il parte ! fait Nessie d'une voix tremblante.
_ Personne ne voulait que ton grand-père parte, lui répond doucement Bella en la prenant dans ses bras pour la bercer. Et lui ne voulait pas partir…
Oh non… personne ne voulait que tu partes mon amour. Personne. Les enfants autant que moi. Alors pourquoi être parti ? Pourquoi nous avoir laissés mon amour ? Bella a raison. Tu ne voulais pas partir. Tu voulais vivre, vivre pour toujours. Oh Carlisle… tu me manques… Tu nous manques….
_ Puis il t'a parlé
De cette vie passée
Il t'a raconté
La tienne qui commençait.
Toutes tes colères
Toutes tes peines, tes joies
Tes plus belles guerres
Celles que l'on ne gagne pas…
La voix d'Edward se brisa, mais ses doigts continuèrent de jouer. Une autre voix prit le relai. Rosalie était descendue, avec Emmet.
_ Et puis ses yeux se sont posés
Doucement sur chacun,
Et chacun de nous y lisait
Quelques mots pour demain…
A son tour sa voix se casse et elle enfouit sa tête dans le cou d'Emmet qui la berça. Les adieux avaient été difficiles pour tout le monde. Les enfants étaient tous là. Comment ne pas oublier ce qu'il leur avait dit ? Seuls ses yeux parlaient, mais comme ils étaient expressifs ! Jamais aucun d'eux n'oubliera le message de leur père. Ces mots pleins de tendresse, d'amour, d'espoir aussi… L'espoir qu'ils vivent heureux, cet espoir qu'ont tous les parents. Un espoir réalisé dans notre cas. Des mots qui, je le sais, resteront toujours gravés dans leurs cœurs et dans leurs têtes…
_ Vivre pour pouvoir revivre
C'est là ton seul devoir
Celui de dire pour rester libre,
Celui de ta mémoire.
Ses yeux criaient « Merci, merci,
J'ai plus peur de partir. »
Le piano continua sa mélodie dans le silence. Jasper et Alice étaient descendus à leur tour et se tenaient eux aussi autour du piano… Comme ils se tenaient autour de toi quand tu es parti en paix, doucement, entouré de notre famille... Leur douleur, comme la mienne, est toujours aussi forte. Tu leurs manques autant qu'à moi. Comme j'aimerai que tu reviennes, juste un instant, juste une minute, pouvoir à nouveau te serrer dans mes bras, te dire que je t'aime, combien je t'aime. Tu me manques. Oh Carlisle ! Reviens ! Juste un petit moment…
_ Et puis vient Esmé,
Celle qui l'aimait tant
Elle n'aimait que lui
Depuis quatre-vingt-dix ans
Je sentis des bras m'entourer, me serrer contre eux et levai la tête de mon carnet, abandonné sur mes genoux. Mes enfants m'entouraient, à part Edward, toujours au piano, mais ses yeux ne me quittaient pas. Alice reprit le chant…
Il la regardait,
Pas besoin de mots,
Ses yeux lui disaient
Je t'aimerai d'en haut…
Je souris à travers mes larmes. Oui… Tu m'aimes toujours. Il ne peut en être autrement… Je sens ta présence autour de moi, dans cette maison où pourtant, tu n'as jamais mis les pieds. Tu es toujours là, toujours avec moi, je le sais. Je le vois. Dans le regard de nos enfants, dans leurs attitudes. Edward surtout… ton portrait vivant. Tu nous manques mon amour… mais tu es toujours là, dans nos enfants. C'est pour eux que je vis. Parce que vivre pour eux c'est vivre pour toi. Parce que les regarder vivre, c'est te voir vivre de nouveau. Parce que les aimer c'est t'aimer encore…
