La douche que je viens de prendre m'a libéré de l'odeur persistante de l'hôpital. Les derniers jours furent chargés, j'ai à peine eu le temps de me rincer le visage depuis qu'on a appris l'accident de Maïa. Maintenant, tout semble plus calme. L'odeur persistante de la mort s'est dissipée de mon cerveau, je sens à nouveau le shampoing pour homme. Ma chemise me serre au niveau des poignets, mes chaussures sont trop rigides. Ce sont des bonnes mais le cuir, ce n'est jamais agréable les quelques premières fois. Je prends mon courage en main et me tire de ces pensées futiles pour traverser l'appartement. Je retrouve Jasper assis sur son lit, le regard sombre, face à son ordinateur. Ses cheveux sont en désordre et il est encore en simple tee-shirt. J'ai fait du bruit en entrant mais il ne manifeste aucune conscience de ma présence.
-Jasper… ça va ?
Mon ami et colocataire appuie sur quelques touches de son ordinateur. J'ignore quoi faire alors je réitère ma question. Il attend un moment avant d'ouvrir la bouche. Sa voix posée a quelque chose de ténébreux.
-Tu n'as pas une question plus stupide ?
-Rassure-toi, je crois que j'ai trouvé ce que j'avais de pire.
Le grand brun acquiesce lentement. Je m'approche de lui et jette un coup d'œil à l'écran de son ordinateur. Il est éteint. Jasper murmure quelque chose qu'il m'est impossible de comprendre, je garde le silence et il finit par répéter de manière plus audible.
-Il est cassé. Mon ordinateur… il est cassé.
En effet, les lumières rouges clignotantes de la machine n'annoncent rien de bon augure. Cependant, j'avoue que ce ne serait dans le top de mes priorités le jour de l'enterrement de ma fiancée. Jasper continue, sa voix se casse.
-Comme ça, sans signe avant-coureur, il a arrêté de fonctionner. Je ne peux rien y changer. Comment je vais faire, moi… ? C'est fini, il est mort. C'est définitif. Et moi, je dois faire avec. Seul.
Il caresse d'une main tremblante le clavier de l'ordinateur puis ses doigts s'arrêtent autour des contours. Il referme ses mains puissantes sur l'objet et le soulève du matelas. Ensuite Jasper durcit ses muscles et balance l'ordinateur à l'autre bout de sa chambre. Dans un grand fracas, l'appareil explose en éclats. Des touches de clavier rebondissent jusqu'à mes pieds.
Jasper fixe le cadavre d'appareil. Lentement, il relève le regard vers moi.
Son visage entier tremble, ses yeux sont bouffis et gorgés de sang.
-Elle est morte…
-Je sais, mon pote. Je suis vraiment désolé.
Je m'approche de lui et le prends dans mes bras. Il pose son front contre mon torse et je passe une main dans ses cheveux. Moi aussi, je tremble. Nous restons silencieux. Jas s'éloigne de moi et sort du lit. Je l'observe enfiler des chaussettes bleues puis son beau pantalon gris foncé.
-Je ne sais pas quoi mettre.
Je n'aurais jamais cru avoir à faire ça. Conseiller mon meilleur pote en vêtements ? On est plutôt du style à hésiter entre pizzas et sushis, d'habitude. Pourtant je n'hésite pas une seconde avant de me lever vers sa garde-robe. Je prends une belle chemise bleue et la lui tends. Il l'enfile sans un mot. Je sors ensuite un veston vintage mais élégant de l'armoire, pour le lui montrer.
-Maya adorait ce blazer. Tu pourrais le mettre.
-Pas celui-là.
-Tu es sûr ?
-Donne m'en un autre, Monty.
J'acquiesce. Raven avait prévu que Jasper refuserait et m'avait apporté un autre veston. Je vais le chercher. Quand je suis de retour, Jasper est immobile devant son miroir. Je l'aide à enfiler le blazer noir puis je lui tends une brosse et du gel. Il les prend en main mais reste immobile. J'attends qu'il se mette à l'action mais le temps presse alors je m'occupe moi-même de le brosser puis de plaquer ses cheveux en arrière. Ça dégage son visage et le rend déjà plus élégant.
-Viens, on y va. Tes chaussures sont au salon…
Je m'apprête à sortir de la chambre mais Jasper me saisit vivement le poignet.
-Monty !
Je l'interroge du regard. Il semble vouloir me dire quelque chose puis il hésite, se tâte. Sa mâchoire tremble et je dois tendre l'oreille pour entendre son message. Des perles de larmes aux yeux, un corps entier luttant contre les sanglots.
-J'ai peur de mourir avec elle.
Son annonce me glace le sang.
Jasper n'est plus le Jasper d'avant l'accident. Il est faible, à la merci de tous. Je comprends sa peur. Je la partage même. Une boule obstrue ma gorge, les larmes commencent à brouiller ma vue.
-Ouais et ben… je suis là. Je te laisserai pas faire. Maintenant arrête de faire le con, le taxi nous attend.