Hello everybody !

Après des heures (des jours) de galère intensive, j'ai enfin réussi à finir mon second projet pour les évènements surprises [Un bonbon ou un sort] du Collectif NoName. Pour ce nouveau texte, qui sera divisé en deux chapitres, j'ai couplé ensemble deux sorts :

Celui de EmilieKalin : "Un OS sur l'influence de Melkor sur Mairon" (désolée Emilie, mais ce ne sera pas exactement un OS... héhé...)

et celui de Nanthana14 : "- Pas moins de 800 mots (aucun problème de ce côté là, lol)

- Un personnage qui n'est pas un personnage habituel dans tes publications (ben du coup j'ai pas trop eu le choix des personnages, mais j'ai eu du bol, je n'ai encore jamais parlé de Sauron ou Melkor avant)

- Un moment qui paraît doux mais qui doit fini de manière plutôt drama (alors là, vraiment pas de soucis !)

- Une ligne directrice : Est-ce ainsi que tout doit finir ? (fait, mais c'est dans le deuxième chapitre)

- ET l'emploi obligatoire du verbe frémir au moins une fois (je te l'ai servis à toutes les sauces et toutes les variantes possibles, celui-là, t'aura pas à te plaindre !)"

Bon, je sais pas si ce genre de mix très légal, parce que j'ai vu nul part dans le règlement de l'évènement qu'on était autorisé à le faire, mais comme j'ai pas non plus vu que c'était pas permis, je suis partie du principe que c'était bon ! ... et vous arrêtez de critiquer ma logique, oui ?

Brrrrref, j'me tais et je vous laisse apprécier ce charmant pavé qui sera prochainement suivi d'un second, tout aussi mastoc ! Enjoy (ou pas) !

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– Un frisson dans les ténèbres

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Il était une fois, car c'est ainsi que toutes les belles histoires commencent, un Maiar de feu au service d'Aulë. Son nom était Mairon, mais on le connaissait aussi sous le titre de l'Admirable, car on le prétendait, et de loin, le meilleur des artisans du Valar Forgeron. Talentueux, travailleur et amoureux de la beauté, il était respecté par ses pairs pour son habileté, mais aucun d'eux ne le portait en réelle affection, car aussi lumineux était le travail de ses mains, aussi sombre était son caractère. Extrêmement sévère dans ses jugements, sa parole était rare mais toujours dénuée de la moindre complaisance, car dans sa quête acharnée de la perfection, il éprouvait un mépris viscéral pour tout ce qu'il estimait lui être inférieur.

Pourtant, il n'y avait dans son cœur aucune arrogance, ni aucun désir de mal faire ou de blesser quiconque. Il considérait simplement que la vérité devait être dite. Et bien qu'il restât silencieux, bien qu'il feignît de ne pas la remarquer, il voyait et souffrait de la distance que maintenaient avec lui les autres forgerons d'Aulë. Le maître lui-même semblait lui accorder moins d'attention qu'aux autres. Peut-être que, comme les autres, il s'arrêtait à ses silences et son humeur irascible, sans voir la graine de grandeur qui germait dans son cœur, ni le talent qui coulait dans ses veines aussi bien que son sang, ne demandant qu'à être exprimé. Alors, désireux d'être remarqué et apprécié à sa juste valeur, Mairon devint extrêmement exigeant envers lui-même, mettant tout son cœur dans chacun de ses ouvrages, créant mille merveilles toutes plus délicates et belles les unes que les autres ; mais il n'en était jamais pleinement satisfait, car il souhaitait que leur éclat surpasse celui du soleil et éblouisse les yeux du Valar qui lui avait tant donné. Il travaillait sans relâche, forçant son enveloppe charnelle à repousser ses limites, ignorer la fatigue et la douleur, se moquant de l'heure, du jour et de la nuit, martelant le métal chauffé à blanc avec une vigueur jamais épuisée. Et, dans chaque nouvelle création, il déversait son espérance, ses rêves et l'immense amour qu'il vouait au monde.

Il était, chaque soir, toujours le dernier à veiller dans les halls des grandes forges d'Aulë et il n'était pas rare que, absorbé par son travail, il oublie ce que signifiait le repos et y demeure jusqu'à l'aube, quand ses confrères revenaient et le trouvaient déjà, ou encore, à l'ouvrage.

Cette nuit-là ne se distinguait pas les autres nuits, et rien ne pouvait présager qu'il puisse advenir quoi que ce soit d'extraordinaire. Pourtant, c'est cette nuit-là que tout commença.

Cette nuit-là, Mairon était comme de coutume le seul à être resté dans les forges baignant dans l'obscurité, et les échos du martèlement de son marteau sur l'enclume roulaient sous les voûtes, bien hautes au-dessus de sa tête. Il était dos à la cheminée flamboyante, et devant lui, son ombre s'étirait sur le sol, déformée par la danse du feu, semblable à celle d'un grand monstre difforme claquant des mâchoires.

Puis, quand il leva un bref instant les yeux de la tiare qu'il modelait dans le mithril tendre, essuyant son front couvert de sueur d'un rapide revers de main, son regard croisa celui de l'ombre.

L'instant fut aussi court qu'intense. Il heurta deux prunelles d'onyx brillants dans le noir, confondues dans les ténèbres comme si elles étaient de leur essence. Hypnotisé, il s'y plongea comme s'il y était aspiré. Il ne sentit plus la lourdeur de la fatigue dans ses reins, ni ses muscles tirants sous l'effort, ni la brûlure du feu sur sa nuque. Il ne sentit plus rien. Prisonnier du regard de l'ombre comme de celui d'un serpent, il ne sentait plus qu'un étrange sentiment de soulagement, comme si une âme bienveillante venait le décharger d'un peu de l'écrasant fardeau sous lequel il ployait.

L'instant ne dura que le temps d'un battement de cœur, et quand il cilla, il ne vit plus rien se détacher des ténèbres ; comme si cela n'avait été qu'une illusion de son esprit.

Mais ce fut cet instant qui marqua le début de l'histoire.

La tête lourde et l'esprit confus, Mairon se demanda si son imagination, exacerbée par l'épuisement, ne lui jouait pas quelque tour. Mais demeurait, gravée dans sa mémoire, le souvenir de ce regard plus ardent que le feu qu'il créait, et dans son corps, cet abandon qui l'avait saisi, ce bien-être passager quand toutes ses douleurs, tous ses doutes s'en étaient allés.

Et il sourit brièvement à l'obscurité de la forge, alors que dans son cœur, grandit le pressant besoin de revoir ce regard, et de connaître le visage de celui à qui il appartenait.

Durant les jours qui suivirent, Mairon se montra étonnamment distrait, incapable de se concentrer convenablement sur sa tâche. Son esprit lui semblait étourdi et volage, alors que son corps était insupportablement lourd et douloureux, plus qu'il ne l'avait jamais été. Les muscles de ses bras protestaient à chaque mouvement, et il éprouvait des difficultés à créer et manier le feu, lui pourtant virtuose dans ce domaine. Il lui arrivait parfois d'interrompre sa tâche sans raison apparente, et de se perdre dans ses pensées durant de longues minutes, le regard dans le vague, jusqu'à ce que le fracas d'un marteau près de lui ne le fasse sursauter et ne le rappelle à la réalité. Ses confrères, remarquant ce subit et inhabituel changement d'attitude, s'inquiétèrent en silence et échangèrent des regards soucieux, mais, par crainte ou par prudence, ne lui posèrent directement aucune question.

-Mairon, l'appela un soir Aulë alors que les autres quittaient peu à peu les forges.

Celui-ci leva la tête, avec le regard égaré d'un endormi tiré brutalement de son sommeil. Il vit s'approcher la haute silhouette musculeuse de son maître, sa peau hâlée et sillonnée de nombreuses traces de brûlures, ses cheveux couleur de suie négligemment coupés aux épaules, encadrant un visage rude qui semblait taillé à coup de haches. Son expression était néanmoins attentive et bienveillante, et dans ses yeux d'or se lisait une sensible inquiétude.

Le voyant venir à lui, l'entendant appeler son nom – chose si rare – Mairon hésita entre jubiler et s'inquiéter, mais il resta impassible en apparence, cependant que son cœur s'emballait à un rythme effréné.

-Mairon, je te trouve assez étrange, ces derniers temps, reprit le Valar en choisissant ses mots avec soin, car il connaissait l'orgueil facilement irritable de son Maiar.

Celui-ci sentit son sang se glacer dans ses veines. Son regard se voila, et une vague de découragement le submergea.

-Je suis confus, maître, balbutia-t-il en s'inclinant pour qu'on ne voie pas le trouble et la peine qui hantaient son regard.

-Quelque chose semble te tourmenter, insista Aulë d'un air soucieux. Veux-tu en parler ?

Mairon leva vers lui un visage où se lisait une sincère surprise. Il ouvrit la bouche, hésitant à confier ce qui le faisait tant souffrir. Mais il ne pouvait expliquer à son maître que la première cause de son mal-être était lui-même, et son manque d'attention à son égard ; car il ne souhaitait pour rien au monde paraître prétentieux ou insolent, ou susciter la pitié du Valar.

Mais il ne pouvait non plus parler de ce regard brillant dans l'ombre, qui lui revenait à l'esprit chaque fois qu'il baissait un peu sa garde, le saisissait comme les mâchoires d'un loup pour le jeter à terre et le perdre dans les méandres sinueux de son esprit égaré qui ne savait plus vers qui se tourner. Il ne pouvait exprimer par des mots l'immense douleur qu'il lui provoquait, et en même temps, cette sorte d'apaisement qui l'envahissait à son souvenir, comme s'il était à la fois le bourreau qui le torturait et le guérisseur qui soignait ses plaies.

-Non, maître. Je suis désolé de vous avoir inquiété, répondit-il humblement en détournant le regard. Ce n'est qu'un égarement passager. J'implore votre clémence, et vous promet de me reprendre.

-Il n'y a aucun mal, répondit Aulë, fronçant néanmoins les sourcils. Je crois cependant que tu devrais prendre un peu de repos. Aussi ardent est notre esprit, notre enveloppe charnelle a parfois besoin d'être quelques peu ménagée. Nous ne sommes pas éternellement infatigables.

-J'en suis conscient…

-Alors cesse de t'échiner ainsi sur ton travail. Je te vois à bout de force, autant de corps que d'esprit. Tu ne pourras pas tenir longtemps à ce rythme.

A ces mots, Mairon carra les épaules dans un sursaut d'orgueil, malgré ses membres ankylosés et son esprit qui implorait grâce.

-Je suis capable de…

-Non, Mairon, l'interrompit fermement Aulë. N'essaye pas de repousser tes limites, ou tu t'effondreras d'épuisement sous peu. Je ne veux plus te voir ici avant plusieurs jours. Reposes-toi, tu le mérites.

Le Maiar baissa les yeux. Ses lèvres étaient serrées, et pas un son ne leur échappa ; mais il n'en pensait pas moins. Et bien qu'un lâche soulagement prenne son corps et son esprit à l'idée de disposer d'enfin un peu de répit, il fut pris d'une sourde angoisse. Le travail était pour lui à la fois sa passion et sa raison de vivre. Ne plus venir à la forge, ne plus saisir son marteau et activer le soufflet pour ranimer les flammes, lui semblait aussi improbable que de cesser de respirer. Et surtout, depuis cette nuit où il avait vu ces yeux briller dans le noir, il était une façon de distraire ses pensées de leur oppressant souvenir qui le harcelait et l'obsédait, le poussant peu à peu au bord du gouffre.

Mais il ne pouvait pas ainsi désobéir à un ordre direct de son maître.

-Très bien, s'inclina-t-il finalement, bien qu'à contrecœur. Il en sera fait selon votre volonté.

Il dénoua le tablier de cuir de sa taille et le jeta sur l'enclume, restant vêtu d'une simple chemise rouge dont la teinte s'accordait à celle de ses cheveux. Puis, le cœur lourd et l'âme emplie d'un inexplicable chagrin, comme s'il voyait ces lieux pour la dernière fois, il quitta les halls des forges d'Aulë sans un regard en arrière.

Il laissa ses pas le guider sans faire attention à la route qu'il empruntait dans le dédale de couloirs du palais. Il songeait. Il se questionnait. Il essayait de comprendre, à quel moment son ciel si clair s'était assombri ; à quel moment ses certitudes s'étaient entachées de doutes. Il essayait de comprendre comment un si bref instant dans son existence d'immortel avait pu à ce point la bouleverser.

Et il revoyait devant ses yeux étinceler, ces prunelles d'onyx dans l'obscurité des halls, et il se demandait quelle était cette créature qui l'avait épié, cette nuit-là, et quel maudit sortilège lui avait-il lancé…

Sans exactement savoir comment, il se retrouva dans une grande cour carrée au centre du palais, déserte à cette heure. La voûte d'étoiles scintillait faiblement au-dessus de lui, sans aucun nuage pour la voiler, comme une couronne de minuscules diamants dans un écrin d'ombre. Devant lui s'élevait une immense fontaine sculptée de silhouettes féminines, et des cornes qu'elles portaient à leurs bouches jaillissaient de puissants jets d'eau luisants sous les rayons de la lune.

Apaisé par le chant musical de l'eau, Mairon s'approcha pour s'asseoir sur le rebord de pierre humide. Il lui semblait que sous sa peau courait un incendie brûlant qui l'étouffait de l'intérieur, et que son corps était devenu trop étroit pour son esprit bouillonnant de rage de vivre. Mettant ses mains en coupe, il les plongea dans le bassin et s'aspergea le visage d'eau glacée, qui dissipa quelque peu les brumes qui avaient envahi son esprit vaincu par la fatigue.

Pour la première fois, il se mettait à haïr le feu et appréciait la fraîcheur.

Il but une longue gorgée, savourant le goût parfumé de l'eau, et soupira en la sentant couler dans sa gorge, apaisant son corps las et les flammes ardentes qui le dévoraient.

Puis soudain, alors qu'il inspirait profondément l'air doux et froid de la nuit, le regard levé vers les myriades de perles d'argent étincelantes dans le ciel, il fut pris d'un long frisson, qui crispa ses épaules et descendit dans son dos jusque dans ses reins. Une terreur instinctive le saisit à la gorge. Et il sut, ou plutôt il sentit que quelqu'un était derrière lui.

Lentement, il tourna la tête. D'abord, il ne vit rien. Rien que l'obscurité qui noyait la cour et plongeait les façades des bâtiments dans une ombre épaisse que la lueur des étoiles ne parvenait pas à percer.

Puis, pour la seconde fois, il croisa ce regard d'onyx qui hantait ses pensées et ses cauchemars, ce regard luisant et brûlant noyé dans les ténèbres, qui n'appartenait à aucun visage.

Obéissant à un instinct guerrier le plus primaire qui sommeillait en lui, Mairon se redressa, le corps frémissant, et tendit les mains devant lui en faisant jaillir de longues flammes rouges de ses paumes, s'élevant en s'entrelaçant comme des serpents prêts à frapper.

Mais il était loin de ressentir la détermination qu'il s'efforçait d'afficher. Le simple poids de ce regard lointain et fixe le vidait de la moindre parcelle d'assurance qui lui restait encore. La raison sembla lui échapper, glissant entre ses mains comme de l'eau quand il tenta de la retenir, comme le corps tente de rappeler l'esprit arrivé aux portes du sommeil. Ses pensées, confuses et dépourvues de sens, s'emmêlaient et s'entrechoquaient dans un grand désordre qui fit naître sous son crâne un atroce sentiment d'impuissance mêlé de peur.

-Qui êtes-vous ? Demanda-t-il, d'une voix à peine plus haute qu'un murmure.

Un rire profond et rocailleux s'éleva vers le ciel, couvrant le chant de la fontaine, et ses échos se répercutèrent longtemps entre les hauts bâtiments avant de s'évanouir dans le lointain ; et l'ombre sembla s'étendre plus encore, voilant le scintillement des étoiles, s'étendant jusqu'aux pieds de Mairon dont les flammes vacillèrent comme des chandelles sous le vent.

-Montrez-vous, ordonna le Maiar, les dents serrées.

Durant un long moment, il ne se passa rien. Un lourd silence était tombé sur la place comme une chape de plomb. Même la fontaine semblait s'être tue, par un quelconque enchantement.

Puis l'ombre sur le mur se déplaça. Elle glissa jusqu'au sol, fluide comme de l'eau, rassemblant autour d'elle les ténèbres en longs volutes qui dessinèrent les contours d'une forme humaine.

Ce qu'il vit en premier furent des jambes, longues et fines, chaussées de bottes de cuir montantes. Ensuite un buste puissant couvert d'une tunique de soie noire, serrée à la taille d'un ceinturon d'argent en forme de tête de dragon. Deux bras vigoureux drapés d'amples manches, des épaules carrées, un long cou blanc révélé par le col échancré de son manteau, et enfin, un visage, plongé dans l'ombre d'une longue chevelure d'un noir profond, qui semblait tressée dans l'essence même des ténèbres. Seuls ses yeux étincelaient avec la même ardeur, comme animés d'un feu noir, attentifs, perçants et calculateurs, qui semblaient capables de sonder l'âme et en arracher ses plus intimes secrets aussi facilement qu'un autre parcourait un livre.

Il était à plusieurs mètres de Mairon, et pourtant, celui-ci se sentit tout intimidé, rempli d'une instinctive crainte et d'admiration. Un sentiment complexe qui le prenait au ventre et faisait monter en lui l'irrationnel désir de s'agenouiller ; comme s'il prenait soudain conscience de sa propre insignifiance. Il l'avait déjà éprouvé face aux Valar, mais jamais il n'avait été aussi fort, aussi présent, aussi intense, aussi bon et douloureux.

-Qui êtes-vous ? Répéta-t-il en tentant d'affermir son ton.

L'inconnu s'avança d'un pas chaloupé, et Mairon recula instinctivement d'un pas. Mais il se trouva bloqué par la fontaine, et l'autre continuait de s'approcher. Quand il ne fut plus qu'à un ou deux mètres de lui, les spirales de feu de ses mains jetèrent sur son visage de fugaces éclairs rouges.

Sa peau avait la blancheur et la douceur du plus pur des marbres, mais ses traits étaient d'une finesse que jamais un sculpteur n'aurait pu donner à aucune création. Ses lèvres ourlées avec une délicatesse presque féminine esquissaient l'ombre d'un sourire dépourvu de la moindre bienveillance, évoquant un loup face à sa proie acculée. Il émanait de son être entier une aura de puissance que seuls les Valar possédaient, et pourtant, aucune lumière n'était sur son visage ; au contraire, il baignait dans les ombres avec une aisance envoûtante, comme s'il était leur créateur et maître.

Et le cœur de Mairon sombra dans sa poitrine.

Captivé, ensorcelé, le regard prisonnier de cette apparition surnaturelle, le Maiar avait oublié de trembler ou de tenter de se défendre. Seule, omniprésente, demeurait la terrible et délicieuse certitude que plus jamais les choses ne seraient comme avant.

-On m'appelle Melkor, daigna enfin répondre la créature des ténèbres d'une voix suave, mais qui claqua dans l'air avec la violence d'un coup de fouet.

Un nouvel frémissement glacial parcourut le corps du Maiar, et il inclina doucement la tête.

-Il me semblait bien vous avoir reconnu, murmura-t-il. Sans vous avoir jamais vu, j'ai entendu parler de vous à de nombreuses reprises.

-En termes peu élogieux, je suppose, lâcha Melkor d'un ton de suprême dédain.

-Il semble que d'entre tous les Valar, Aulë soit celui qui vous porte le moins dans son cœur, souligna Mairon en baissa les bras, et les flammes de ses mains s'éteignirent en légers nuages de fumée.

Melkor observa ce phénomène avec un lointain intérêt luisant dans son regard de prédateur.

Mairon devait lever la tête pour voir son visage. Déjà parmi ses confrères, il n'avait jamais été le plus grand ni le plus imposant de stature ; mais Melkor était bien plus grand que lui, et peut-être aussi qu'Aulë lui-même, et il l'écrasait de son aura noire et menaçante. Face à ce personnage à la puissance effrayante dont il n'avait toujours entendu dire que du mal, jamais Mairon ne s'était senti aussi petit et vulnérable. Pourtant, aucune crainte n'étreignait plus son cœur pulsant avec force dans sa poitrine. Seulement une admiration coupable, comme si contempler et désirer la beauté prédatrice qui s'offrait à son regard était une faute qu'il commettait en connaissance de cause, comme un péché trop bon pour qu'on refuse de le savourer.

-Deux créateurs de talent ne peuvent jamais que s'entendre à merveille ou se jalouser et s'haïr de toute leur âme, répliqua Melkor, d'une voix vibrante de suffisance.

Mairon eut une pensée pour ses confrères forgerons, qui l'évitaient toujours avec précaution, comme s'il eut été atteint d'une quelconque malédiction. Ainsi... était-ce la jalousie qui les faisait ainsi s'écarter sur son passage ?

-Mais je n'ai jamais entendu parler de vous comme un créateur, objecta-t-il sans réfléchir.

Il ne prit conscience de ce qu'il avait dit que quand les mots eurent franchis ses lèvres ; et il était trop tard pour les ravaler. Furieux contre lui-même, il détourna les yeux, incapable de soutenir ce regard plus lourd que cent montagnes qui s'abaissait sur lui, et il attendit que l'orage ne s'abatte sur lui.

Mais un nouveau rire grave et rauque fit tressauter les épaules du Valar noir.

-La destruction est une forme de création, jeune Maiar de feu, ne le savais-tu pas ?

Décontenancé de ces propos incongrus, Mairon secoua négativement la tête.

-Le monde qu'ont créé mes frères ne me convient pas. Elle est brouillonne, imparfaite et fourmillante de défauts qu'il serait de bon ton de corriger. En faisant table rase, en jetant à bas ce qu'ils ont érigés, je souhaite seulement assainir les bases de la terre que notre Père Eru nous a donnée, afin de bâtir un nouveau monde, plus beau et plus grand, sans reproduire nos premières erreurs.

Une lueur étrange brûlait dans le regard de Melkor tandis qu'il parlait, et sa voix vibrait d'une passion poignante. Admiratif malgré lui, Mairon l'écoutait, et il eut le sentiment de se reconnaître dans ces mots ; car les essais, les échecs et la persévérance étaient des notions qui lui étaient familières. Nombre de fois, il avait été déçu d'une de ses créations et l'avait détruite pour recommencer, avec toujours la même ardeur et le même désir de conquête, et chaque fois, il s'améliorait en apprenant de ses chutes et de ses blessures.

Et bien que depuis toujours on l'ait mis en garde contre Melkor, le Valar maudit et déchu de son titre en raison de ses trop nombreux écarts et de ses valeurs immorales, qui n'étaient pas celles que défendait Manwë et ses frères, il se prit à s'intéresser à son entreprise.

-Pourquoi me parler aussi librement, seigneur ? Interrogea-t-il cependant.

Un fugace sourire passa sur les lèvres de Melkor à l'appellation qu'il lui donna.

-Parce que je sais que ton esprit est tourné dans la même direction que le mien, répondit-il après une seconde de pesant silence.

Et il se pencha sur Mairon pour que leurs visages soient à la même hauteur.

De près, les traits du Valar étaient semblables à une sculpture immaculée ; fins et harmonieux, mais aussi durs et froids que s'ils avaient été sculptés dans la pierre, et avec quelque chose dans l'expression qui était comme une mise en garde et inspirait une grande crainte. Mais, toujours sensible à la beauté quand elle se présentait à lui, Mairon ne put s'empêcher d'en admirer les plus infimes détails. Les ombres qui ciselaient les contours de son visage avec une grâce à couper le souffle, mettant en valeur sa mâchoire carrée et ses hautes pommettes saillantes. Ses longs cils noirs qui jetaient des traits d'ombres dans ses prunelles où dansait une flamme aussi intense que le cœur d'un volcan. Ses longs cheveux couleur aile de corbeau où luisaient des reflets moirés sous l'éclat pâle de la lune, qui semblaient aussi doux au toucher que la soie.

-Ne le nie pas, jeune Maiar, souffla-t-il d'un ton presque amical. Je le vois dans tes yeux, je le sens dans les moindres fibres de ton être. Je vois beaucoup de choses auxquelles ton maître reste aveugle.

Il sourit, imperceptiblement, mais toute trace de moquerie ou de présomption l'avait quitté. C'était un sourire doux, sincère et invitant.

-Il se prétend grand créateur, seigneur parmi les forgerons. Mais s'il n'est pas capable de voir la véritable beauté, de reconnaitre la véritable valeur, il ne pourra être considéré à ce titre.

La respiration de Mairon se fit ténue et erratique. Son regard était perdu dans les méandres des prunelles d'onyx du Valar, et il y lisait bien plus que ce que ses mots suggéraient. Et un sentiment qu'il n'avait jamais éprouvé jusqu'à alors enfla dans sa poitrine, avec une intensité presque douloureuse.

-Moi, je pourrais t'offrir ce que tu cherches, acheva Melkor dans un murmure doux, les lèvres tout près de son oreille, et le Maiar sentit sur sa peau la caresse de son souffle chaud.

Pris d'un subit vertige, étourdi par l'enivrant parfum de sel et de cendre du Valar qui lui montèrent à la tête, capiteuses comme les vapeurs du vin, il ferma un instant les yeux. Et quand il les rouvrit, il était seul au milieu de la cour envahie par la nuit, dos à la fontaine, et devant lui, les ombres dansaient sur les murs comme les silhouettes de mille têtes de monstres ricanant.

Comme les âmes des mille démons qui venaient de pénétrer son corps et son esprit pour ne plus les quitter.


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Oui, je suis sadique, j'aime torturer le pauvre Mairon et je ship le Angbang à fond, et je crois que tout ça se voit. Et ce sera encore pire dans le deuxième chapitre... Niark niark !