Le début d'une nouvelle fic pour vous faire patienter en attendant la suite des "100 pétales d'une Rose". D'ailleurs je viens enfin de me remettre à son écriture, donc le temps que j'avance et que je corrige faudra attendre encore un peu... Cette fic-ci par contre ne subit pas autant de correction que les "100 pétales" donc il y aura surement beaucoup plus de fautes qui trainent... Bonne lecture
Les pieds nus du jeune homme frappent souplement le plancher, marquant un rythme aérien et léger. Sa grâce et son agilité sont telles que l'on pourrait presque croire qu'il touche à peine le sol et qu'il est maintenu en lévitation par quelques tours de magie. Des murmures approbateurs s'élèvent sur le pont du vaste navire. Les regards sont braqués sur le danseur dont la beauté sait faire chavirer les cœurs les plus endurcis parmi la gente masculine et féminine. A la lumière du soleil couchant, il bondit agilement et tournoie au son des tambourins qui l'accompagnent. Ses bras ondulent en rythme, donnant l'impression qu'un élégant cygne lui prête ses ailes. Ses hanches ondulent lentement, mouvement hypnotique et fascinant… Ses longs cheveux bleutés caressent les courbes de son corps à chaque geste… courbes dissimulées par une tunique blanche empêchant de voir le torse que l'on peut toutefois deviner parfait sous le tissu qui se tend de temps à autre. Le bas fendu dévoile, trop rarement au gout des spectateurs, les jambes parfaites, belles et bien galbées… qui sont très vite à nouveau cachées sous les pans de satin clair en suivant les mouvements de la danse.
Incapable de détourner le regard du spectacle, un homme assit sur de riches coussins chargés de broderies d'or fait signe à un autre qui se tient accoudé au bastingage. Celui-ci affiche un petit sourire entendu, le rejoint et s'accroupit discrètement. Le premier homme lui désigne le danseur en murmurant quelques mots à son oreille. Le second acquiesce et répond brièvement sur le même ton, l'échange ne dure pas plus de dix secondes. L'interlocuteur semble réfléchir et lui présente une coupe de vin mise à disposition sur un plateau d'argent. Il accepte la boisson et la porte à ses lèvres en attendant la décision qui ne devrait plus tarder.
Les musiciens accélèrent la cadence des tambourins. Le fougueux jeune homme se déchaine, l'air infatigable. Les derniers rayons solaires font étinceler le bracelet accroché à son bras et les fils d'or glissés subtilement dans sa chevelure azure.
L'homme installé dans les coussins glisse finalement une main chargée de bagues rehaussées de pierres précieuses dans une poche de son manteau hors de prix et en extirpe une bourse pleine qu'il tend à l'autre. Ce dernier le remercie à voix basse et fait disparaitre l'argent reçu dans les plis de sa cape de voyage.
Le spectacle prend fin.
Sous les applaudissements chaleureux et enthousiasmes, le danseur s'incline et fait plusieurs révérences avant de se retirer pour laisser place à un groupe de jeunes filles chargée de prendre le relai pour la suite des animations.
La tête haute et la démarche gracieuse, il descend les trois marches menant à l'estrade, où il vient de se donner en spectacle, et disparait derrière le rideau de velours vert qui sépare la scène des coulisses improvisées pour la soirée.
- Albafica.
Le jeune homme se retourne. L'homme à la cape le rejoint d'un pas vif.
- Tu as un contrat ce soir.
Le danseur soupire légèrement :
- Vous m'aviez dit que j'avais repos pour la dernière nuit à bord, Maître Lugonis.
- Je sais, je suis désolé. Mais on ne peut pas ignorer l'un des plus riches marchands de Thèbes, surtout à la veille de notre arrivée à Knossos. Tu sais qu'il est très influent, ce n'est pas le moment de nous le mettre sur le dos.
Résigné, Albafica acquiesce en sachant qu'il n'a pas le choix. Lugonis sourit en lui tendant la bourse qu'il a reçue quelques minutes plus tôt :
- Tient, pour compenser, je n'ai gardé que vingt pour cent sur ce qu'il a donné, le reste t'appartient. Tu as deux heures de libre, ça te laisse le temps de te reposer un peu. Cabine numéro trois.
Sans un mot, le danseur prend l'argent, n'affichant ni joie, ni peine sur son beau visage. Il se détourne et quitte les lieux pour gagner sa propre cabine. Avec soulagement il ferme le battant dans son dos et jette la bourse sur les draps de fourrure. Le tintement des pièces ne lui arrache même pas un sourire. Ses pieds nus foulent le tapis tandis qu'il s'approche du hublot.
Demain, à cette heure-ci, nous serons déjà à Knossos depuis plusieurs heures. Je vais surement devoir enchainer plusieurs contrats à la suite…
Fatigué d'avance à cette idée, le jeune homme appuie le front contre la cloison en bois doré. Les jours à venir promettent d'être chargés en travail. Le Roi de Knossos est actuellement en train de chercher à mettre des alliances de commerces en place avec les plus grandes villes des pays alentours et îles voisines. Chacune envoie donc ses meilleures marchandises et atouts sur place afin d'obtenir le plus de privilèges et de tirer les plus belles parts d'intérêts. En tant que Danseur et Homme de Joie, il va devoir faire pencher la balance en faveur de la ville de Thèbes.
Albafica se détourne de la cloison et se laisse tomber à plat ventre sur le lit.
Je vais juste avoir un peu plus de travail que d'habitude, dans un endroit que je ne connais pas… Rien de bien vraiment différent en réalité.
Il ferme à demi les yeux, laissant la nuit s'installer en silence dans la cabine.
Agé de vingt-trois ans, le jeune homme n'attend déjà plus rien de particulier de sa vie. Gagner son pain. Manger. Travailler. Travailler jusqu'à ce qu'il soit trop vieux ou ait un accident qui fera qu'il ne servira plus à rien et qu'on ne voudra plus de lui…
Au bout d'une heure, le jeune homme finit par se redresser. Avec des gestes automatiques mille fois accomplis, il retire les fils d'or de ses cheveux et tresse rapidement ces derniers en sachant que la plupart de ses clients adorent les lui défaire. Passant dans la toute petite pièce voisine qui lui sert de salle de bain, il entreprend de faire une toilette rapide à l'eau froide, appréciant la fraicheur de liquide en cette nuit particulièrement chaude. Ses doigts agiles font glisser le bracelet accroché à son bras et le posent dans un panier débordant de bijoux divers et variés, aussi bien des cadeaux de ses clients que des achats de son Maître pour l'embellir lors de ses représentations. Dans un chuchotis de satin, Albafica fait glisser sa tunique à ses pieds et en enfile une autre, en simple coton. Comme la précédente, le bas est long et cache ses jambes. Il lui suffit d'un rien, d'un petit geste maitrisé, d'une posture soi-disant nonchalante, pour dévoiler cependant un bout de mollet et cheville… quant au haut, il a plusieurs façons de s'attacher, le laissant libre de décider ce qu'il montre de son torse ou de ses bras. Albafica replie un peu le tissu de façon à couvrir le plus possible son dos, son ventre et le haut de ses épaules.
L'air satisfait, il retourne dans sa chambre. Cette fois, le Danseur prend la bourse qui traine toujours sur son lit et la range avec soin avec ses quelques économies dans une simple petite boite en bois blanc, elle-même rangée dans une grande malle en osier au pied de son lit.
J'espère que Maître Lugonis me laissera souffler quelques minutes et que j'aurais le temps d'aller me promener au marché de Knossos. Autant essayer de voir ce qu'il y a de différent avec Thèbes, les prix vont surement être intéressants si chacun veut se démarquer… Je trouverai peut-être des idées ou accessoires pour essayer d'agrémenter mes danses aussi.
Le jeune homme referme la malle. Son regard de saphir tombe sur la statuette qu'il emmène toujours avec lui lorsqu'il voyage et qui trône sur la table de chevet : une représentation du Seigneur Poséidon. Il la considère un peu comme son porte-bonheur et ce depuis qu'il l'a en sa possession. Un petit sourire étire ses lèvres, le Danseur incline la tête comme pour saluer le Dieu des Mers. Toujours, il a eu l'impression que le Dieu veillait sur lui. Bien sûr, jamais Albafica ne voudra l'avouer à quiconque, même le simple fait de penser qu'un Dieu puisse accorder de l'attention à un petit humain insignifiant comme lui le fait rire. Mais toujours est-il que cet objet sait lui remonter le moral dans les coups durs.
Il attrape une petite bougie et l'allume avant de la poser près de la représentation divine. Il venait d'avoir tout juste quatorze ans quand son Maître Lugonis lui a dit qu'à présent il était temps qu'il passe aux contrats supérieurs. Danser… c'était bien. Mais « ça ne suffisait pas. » Il allait devoir, à partir de maintenant, donner aussi son corps pour avoir plus de clients et devenir plus rentable. L'idée lui avait fait terriblement peur. Le Maître avait promis que son premier serait averti qu'il était novice, qu'il prendrait quelqu'un de compréhensif qui ne serait pas gêné par ses manières de débutant, que certains d'ailleurs payaient juste pour être ceux qui se chargeaient d'être les « premiers ».
Angoissé, le jeune Albafica avait essayé de se changer les idées en attendant, il était allé se balader en ville. Ses yeux avaient parcourus malgré lui tous les visages qu'il croisait tandis que les questions se formaient dans son esprit « lui ? Ou lui ? Et lui ? j'ai dansé pour celui-ci mais il va peut-être vouloir plus à présent ?... et si je n'y arrive pas… ? »
Inquiet, il s'était un peu éloigné du centre de la ville, cherchant à tout prix un endroit où trouver la paix pour tenter de se remettre un peu de ses angoisses. Son choix s'était porté sur un champ dont personne n'arrivait à tirer la moindre semence depuis des années. Au calme au milieu des mauvaises herbes, il avait marché… jusqu'à trouver par hasard la statuette en bois de Poséidon. La peinture s'écaillait, le Roi des Océans avait perdu une dent à son fier trident, il était sale, abîmé et la statuette elle-même semblait pleurer d'avoir été abandonnée au milieu de nulle part. Thèbes n'est pas loin d'Athènes, or il est de notoriété publique que la Déesse et le Dieu se vouent une Guerre mutuelle à la moindre occasion… sûrement avait-on voulu se débarrasser de l'icône du Dieu pour ne pas avoir d'ennui. Mais l'expression si humaine et triste de la statue avait profondément bouleversé le jeune Albafica qui s'était demandé ce qui pouvait chagriner autant un Dieu. Il s'était dit qu'en comparaison lui et ses craintes ne valaient rien devant sa tristesse. Précieusement, il avait glissé l'objet dans ses vêtements et sans attendre avait regagné la ville. En quelques heures, le jeune danseur avait passé toutes ses économies dans de la peinture et acheté une toute petite réserve de bois pour essayer de réparer ce qu'il pouvait. Durant les jours suivants, à chaque temps libre, il essayait de repeindre, de redonner de l'éclat, de retailler un trident alors qu'il n'y connaissait rien à ce genre de travaux manuels. Il s'en fichait de ne pas être doué, il voulait juste rendre un peu d'éclat à cet objet si triste. Combien de fois s'était-il entaillé les mains en donnant un coup de lame trop fort sur le bois qu'il voulait retailler en trident ? Combien de fois avait-il peint, effacé et recommencé ? Il ne le savait pas. Par contre, occupé à cette tâche, il avait oublié ses angoisses et son premier contrat particulier qui devait arriver. Lorsque le moment crucial était arrivé, il n'avait pas eu plus peur que nécessaire. Tout s'était bien passé. Ensuite, il avait regagné sa chambre, sous les félicitations de Maître Lugonis, et regardé sa statue sous toutes les coutures. Avait-il enfin trouvé le coup de main sans vraiment le réaliser ? Ce jour-là, en tout cas, la représentation du Dieu était pleine de vie, les couleurs la rendaient belle et son trident était plus qu'acceptable… et Poséidon semblait le remercier d'un sourire. Depuis, il le gardait près de lui. Un peu comme un ami secret qui savait le rassurer par sa simple présence… tout en sachant tout de même parfaitement, au fond de lui, qu'il se faisait des idées. Jamais un Dieu n'accorderait son attention à un Homme de Joie.
Albafica souffle doucement la bougie. Il est l'heure pour lui de travailler. Le jeune homme s'étire et sort de sa chambre en silence, pieds nus, en espérant qu'il pourra rentrer dormir ici avant l'aube.
Le danseur ne met guère de temps à trouver la cabine de son client. Affichant son expression la plus neutre et la plus polie, il toque à la porte.
- Entrez, répond une voix à l'intérieur.
Allez… c'est parti.
Avec le silence et la discrétion d'une ombre, Albafica pénètre dans la pièce occupée par l'un des plus riches marchands de Thèbes. Drapé dans un vêtement dont les pans sont retenus par une ceinture lâche, l'homme s'assoit dans un fauteuil confortable.
- Quelle ponctualité.
Le Danseur s'autorise un petit sourire « c'est mon boulot en même temps. » Le marchand le déshabille d'un regard appréciateur et lui désigne le pichet de vin posé devant le hublot :
- Tu as soif ?
- Non. Merci.
L'homme se sert un verre et le dévisage par-dessus le rebord de la coupe pleine :
- Quand tu veux.
Albafica ne se le fait pas répéter et commence à bouger. Le contraste d'ambiance avec tout à l'heure ne lui échappe pas… comme toujours lorsqu'il exécute ce genre de contrat. Pas de musicien pour l'accompagner et l'aider à improviser. Seules musiques : sa respiration, celle du client, les froissements de tissu contre sa peau… le son de la mer, de ses vagues en arrière-fond. Le silence.
L'espace pour bouger est également plus restreint, pas question de faire des grand sauts pour « échapper » aux regards, sa danse prend forcément une tournure plus intime.
Une seule personne a les yeux fixés sur lui et non plusieurs dizaines.
L'éclairage également n'est pas en reste. Sur le pont, les lumières ne manquaient pas, le soleil présent l'éclairait totalement. Ici… il n'a qu'un rayon de lune qui passe timidement à travers le hublot et le candélabre qui projettent des ombres difformes sur les murs.
Albafica sait jouer avec les ombres. Il sait comment dévoiler nonchalamment un petit bout de peau dans un peu de lumière, assez pour donner envie à l'autre et le frustrer en même temps. C'est si machinal et facile pour lui. Des mouvements exécutés cent fois et qui pourtant donne l'impression à chacun qu'il les fait pour la première fois, comme si chaque client était unique et privilégié.
L'homme change de position, adoptant une attitude plus décontractée.
- Retire ton haut, ordonne-t-il d'une voix rauque et basse. Sans t'arrêter.
Le plus naturellement du monde, comme si de toute façon les gestes étaient prévus dans la chorégraphie, Albafica remonte les mains jusqu'à ses épaules et défait les boutons qui retiennent le tissu. Les pans glissent gracieusement, caressant lentement au passage son torse qui se dévoile à la façon dont une fleur perd ses pétales, puis retombent de chaque côté de ses hanches.
Le marchand ne cache pas son admiration devant le corps qui se découvre, appréciant le mouvement souple des muscles roulant sous la peau sous les ondulations du bassin du danseur. Son regard s'assombrit légèrement, il meurt d'envie de toucher cette peau qui semble appeler les caresses.
- Le reste aussi, quémande-t-il.
Le jeune homme obéit sans s'arrêter. Lentement, sa tunique complète finit à terre, dévoilant intégralement sa silhouette à faire pâlir de jalousie Apollon lui-même. Son client prend une profonde inspiration et lui désigne le lit sans un mot, décidant qu'il est temps que le spectacle prenne une autre tournure.
Albafica s'allonge à plat ventre sur les couvertures. Les doigts du client défont sa tresse comme il s'y attendait, puis jouent avec ses mèches tandis que les lèvres humides se pressent çà et là sur son dos. Les yeux mi-clos, le danseur se laisse faire. Il a l'habitude. Il ne ressent plus rien. Les clients sont en général bien trop aveuglés par leur propre désir et plaisir pour remarquer qu'il garde une expression relativement neutre et ne se tord pas en couinant à la moindre caresse osée. Tout au plus accentue-t-il un soupir ou laisse-t-il passer un gémissement pour faire croire qu'il aime ça. Il est offert. Il attend que ça passe. Du moment que les clients sont contents et qu'il gagne sa vie…
Albafica laisse le marchand disposer de son corps, les pensées tournées ailleurs avec une certaine nostalgie empreinte de tristesse. La première fois qu'on avait touché à ses fesses, à sa virilité, il s'était senti souillé malgré la gentillesse du client. Il avait eu la sensation de finir de perdre tout ce qu'il lui restait. D'être abimé. Si innocent et candide… il ne l'est plus depuis longtemps. Son corps n'est qu'un instrument dans lequel les autres déversent leur semence sans honte, juste pour s'amuser, juste pour toucher, juste parce qu'ils ont les moyens de se payer ce luxe de prendre un homme pour un objet.
Il attend simplement que ça se termine. Sans émotion… du moins le croit-il… Après tout, s'il ne ressentait rien, pourquoi ce pincement au cœur à chaque fois qu'on le prend… ?
