Tome II

Prologue

Une femme aux longs cheveux bruns. Ses mains sont posées sur son ventre rond. Probablement enceinte. Elle ferme les yeux, sourie.

Une fille. C'est une fille. La femme est heureuse. Très heureuse. L'homme qui vient la rejoindre le paraît aussi. Il embrasse tendrement sa femme. Et sa fille.

Quatre jeunes hommes magnifiquement vêtus sont rassemblés autour du berceau de l'enfant. Souriants, ils taquinent la petite. La petite rit.

Elle rit aussi lorsque son père joue avec elle. Il l'élève, l'abaisse, puis l'élève encore. On voit déjà une grande intelligence dans les yeux de la petite fille. Dans les yeux pers de la petite fille.

Des gouttes de sang sur le sol de la salle du trône. Du sang d'orque. Un jeune homme brun, l'épée sanglante, tient la tête d'un de ces monstres par les cheveux. La petite fille est là, elle aussi. Elle observe depuis le couloir. On lui donnerait aux environs de cinq ans en âge d'homme. Car c'est une elfe.

Elle crie d'effroi, horrifiée par ce spectacle. La tête de l'orque la terrifie. Sa mère accourt aussitôt, elle accompagne son enfant. Ailleurs. Elle semble inquiète.

Elle s'est endormie sur un livre, le visage dissimulé. C'est maintenant une gracieuse jeune fille, au cœur de l'adolescence. Ses boucles sont répandues sur le bureau, tout autour d'elle

Le jeune homme brun est en colère. Contre elle. Assise sur le lit, elle baisse la tête.

Soudain, elle se lève de table. Tourbillon de jupes. Elle s'éloigne d'un pas vif, apparemment vexée. Les invités sont forts surpris. Le jeune homme blond, qui était assis à côté de la jeune fille, se lève à son tour. Avant d'aller la rejoindre, il lance un regard plein de reproche à un des attablés aux cheveux noirs. Son frère.

Elle lève la tête. De minuscules traces d'encres tâchent son joli visage. Elle peine à ouvrir ses yeux. Ses yeux bleus.

Elle lutte, se débat dans sa robe, essaie de se relever, risée d'une multitude de personnes qui la regardent en riant. Des larmes coulent sur son visage. Elle s'enfuit.

Elle se regarde dans le miroir. Elle semble à la fois affligée et effrayée.

Elle veut sortir de la chambre. Le jeune homme brun pose sa main sur sa frêle épaule. Elle baisse de nouveau la tête.

Dans la même pièce, dans cette chambre, elle est assise sur le lit, le jeune homme blond la serre contre lui. Elle est en larmes.

L'homme menaçant, vêtu de noir, qui la maintenait immobile, la pousse vers ses complices, qui s'emparent d'elle.

Le jeune homme blond doit partir. Encore une fois.

Un rayon de lumière dans la grande bibliothèque. Puis un seigneur puissant aux cheveux d'ébène, tout de rouge vêtu. Elle se prosterne.

Elle tombe du cheval de l'un de ses agresseurs. Il la menace de la pointe de sa lame. Puis une mèche de cheveux blonds sur une étoffe noire. Ils retirent leur capuche.

Des embrassades, puis une discussion avec une jeune femme aux longs cheveux blonds.

La nuit agitée où la ville est en feu. Des combats partout autour d'elle. Elle ne sait que faire. L'horreur a envahi les environs.

Un vieil homme vêtu de blanc, un long bâton à la main. Il s'incline devant elle.

Entourée de six guerriers, elle quitte la cité incendiée. Ils avancent avec peine dans le marécage vivant et noir des orques.

La blancheur aveuglante de la neige lui fait fermer les yeux.

Une petite boule où apparaît le ciel. Alors qu'ils dorment presque tous.

Tout se passe très vite. Elle se cache et observe le combat. Ils ne mènent pas. Et toutes leurs chances s'effacent lorsque de gigantesques monstres apparaissent. Il est trop tard. Les lames, au loin, s'élèvent, une lueur mortelle glissant sur leur côté tranchant jusqu'à leur pointe.

Leur cœur s'est arrêté de battre. Ils partent avec l'elfe à la chevelure argentée.

Pelotonnée sous un arbre comme s'il pouvait la protéger. La peur se lit dans ses yeux bleus. Elle est perdue. Elle ne sait que faire.

Elle est fascinée par quelque chose qu'elle approche petit à petit de ses yeux.

Lumière et Magie, un livre qu'elle aime beaucoup. Elle glisse un parchemin, en laissant dépasser une partie pour qu'il soit visible. Par le roi et la reine.

Absorbée.

Elle ne veut pas tenir cette épée. Mais le jeune homme brun l'oblige.

Sur le point d'apparaître.

Au galop sur les sentiers bleutés illuminés par la lumière de la pleine lune, guide nocturne. Elle l'emmène jusqu'à sa tâche. Son destin.

Aussi bleue que ses yeux. Aussi mystérieuse qu'un secret. Elle l'a trouvée. La pierre.

La pierre.

Il hurla. Beaucoup d'émotions s'entremêlaient dans ce cri. Beaucoup de joie, un peu de rage, une grande hâte, une étrange folie.

« Ah ! Ainsi elle l'a déjà trouvée… »

Il savait que le dragon était normalement en chemin. Et ses griffes enserraient ce qu'il avait passé tant de temps à chercher.

Enfin, ceci n'était qu'une image. L'animal lui montrerait juste le lieu où il les avait lâchés, et où Malrüwn devait accomplir sa mission.

« Maître…Pourquoi le dragon ne les a-t-il pas apportés immédiatement ici ?

-Je vous l'ai déjà expliqué. Je veux savoir si ce Malrüwn vaut quelque chose. Un homme inutile dans l'ordre n'est certainement pas le bienvenu. Mes doutes s'étaient posés sur lui, alors j'ai décidé de le mettre à l'épreuve. Ainsi, je saurais si je dois le remplacer ou non.

-Vous disiez qu'elle avait trouvé la pierre ? Vous devriez prévenir Malrüwn…

-J'ai réfléchi et je ne sais finalement pas quelle est la meilleure solution la tuer ou non ? Voyez : si elle meurt de la main de Malrüwn en possédant la pierre, je n'aurais pas à m'opposer à une personne maîtrisant ces pouvoirs.

-Comment, Maître, les maîtriserait-elle ?

-Le magicien l'épaule, ce Gandalf le Blanc. Cet homme fourre son nez partout… Continuons : si elle meure, un inconvénient se présentera. Jusqu'où iront ces pouvoirs ? Vers un objet ou une personne que j'ai touchée en les envoyant pour les protéger ? La chance voudrait qu'il me ré imprègnent, mais la certitude n'est pas forcément avec elle. Si l'elfe reste en vie, elle peut tout à fait s'entraîner à maîtriser mes pouvoirs, et se cacher pour le faire. Souvenez-vous, je vous avais dit que je ne parvenais pas à saisir l'esprit d'une personne possédant mes dons. J'avais fait l'expérience avec elle, en vain. L'avantage de cette situation est que je saurais qui exactement a mes pouvoirs j'aurais juste à retrouver le lieu où elle se dissimule. Mais imaginez si Malrüwn réussit à la ramener vivante, ici même, avec une pierre bleue à la main…ah… »

Il rit L'enthousiasme l'envahissait.

« Oui…Et imaginez qu'elle ne maîtrise pas à la perfection ses pouvoirs…Alors je les lui arracherai. Et avant de continuer les recherches, je ferai organiser une immense fête au château…

-Une immense fête ? Pour une quinzaine d'hommes ?

-Je peux aussi ne rien faire, si vous préférez. Je peux rester sec et roide comme une vieille grand-mère acariâtre, à vous donner des ordres comme elle vous donnerait des coups de martinet.

-Je vous demande pardon, Maître. Cette intervention était impertinente et ridicule.

-J'aime mieux. Profitez de cette souplesse, ce ne sera pas tous les jours qu'elle m'emplira, croyez-moi. »

Il rejeta la tête en arrière et s'adossa confortablement dans son immense fauteuil. Des nuages de bonheur l'emportaient.

« Ah…oui…oui ! »

-Excusez-moi, Maître…qu'avez-vous vu il y a de cela quelques instants ? »

Le Maître ouvrit les yeux.

« J'ai vu une multitude de fragments de sa vie.

-La vie de l'elfe ?

-Oui.

-Mais…Que ferez-vous d'elle après la fête ?

-Comme j'aime votre optimisme ! Eh bien…je l'ignore. Vous m'avez donné là un sujet de réflexion intéressant… »

Il se laissa retomber dans son fauteuil, le sourire aux lèvres. Plusieurs idées lui venaient, et il acquiesçait ou secouait la tête à chacune d'elles. Il y avait un vaste choix.

« Maître ? »

L'intéressé répondit calmement.

« Oui ?

-Il arrive. Votre dragon. »

Il inspira longuement, puis se leva, grimpa agilement et rapidement les escaliers, arriva au haut de la tour et vit en effet la silhouette du dragon se dessiner. Atterrissant en remuant l'air en rafale, il fit attention à ne pas bousculer son maître. Lorsque le vent ne fut plus qu'un ténu courant d'air, le Maître lui demanda de rendre compte. L'animal lui fit savoir qu'il avait voulu amener les cibles directement à lui. Le Maître le réprimanda, lui fit comprendre son mécontentement, lui montra qu'il était désobéissant. Mais il cessa immédiatement lorsque le dragon lui envoya une sensation étrange. Il reçut la vision du dragon avec appréhension. Alors que la créature volait au-dessus d'une immense pleine ensoleillée, sa patte gauche commença à le brûler. Et l'immense être de glace, pourtant peu dérangé par les fortes chaleurs d'ordinaire, avait ressenti sensiblement cette offense…Il fut ébranlé. L'elfe maîtrisait donc des pouvoirs plus denses qu'il ne s'y était attendu, chose très dangereuse.

Et lorsque, un peu plus tard, il essaya de contacter Malrüwn, il n'y parvint aucunement. L'assassin ne pouvait pas posséder de pouvoirs, n'ayant jamais été atteint par ceux-ci. Son esprit restait impossible à saisir. Etait-il mort ? Il se promit de faire mourir de ses mains l'assassin de son assassin.

Soudain, il réalisa que la vieille dame exécrable était plus proche que l'immense fête…