Le ciel était lourd de nuages sombres, les feuilles du grand chêne planté dans le jardin volaient en tous sens, indiquant que la nature environnante entrait dans l'automne.

La maison de style cauchois était dans la pure tradition normande, hormis les volets d'un vert pimpant qui indiquaient le pays d'origine de l'occupante, l'Irlande. Une des fenêtres qui donnait sur le chêne était ouverte, et on pouvait y apercevoir la lueur d'un feu qui brûlait dans l'âtre de l'imposante cheminée du salon. Tout était calme, seul le vent se faisait entendre.

-Mamé ! cria d'une voix stridente une petite fille à l'intérieur de la maison, perçant ainsi le silence des lieux.

La petite fille en question sortie de ce qui devait lui servir de chambre, une feuille blanche dans une main. L'enfant avait de longs cheveux couleur de braise, un nœud blanc lui permettait de ne pas les avoir dans les yeux. Elle était habillée d'un pull jacquard vert foncé et d'une jupe noire. Des collants en laine blanche et de petites chaussures noires à boucle complétaient sa tenue. Elle courut le long d'un couloir sombre encombré de vieux meubles et de bibelots en tout genre.

-Mamé ! cria-t-elle de nouveau, sans avoir de réponse en retour. Elle fronça le nez face à cela.

Elle s'arrêta de courir près de la rambarde qui annonçait la présence d'un escalier et se pencha, mais ne put rien apercevoir, car ce qui était en bas de l'escalier était aussi sombre que de la poix.

Après plusieurs secondes d'hésitation, l'enfant se dirigea vers le début de l'escalier en chêne sombre et actionna l'interrupteur qui allumait le bas de l'escalier, qui donnait sur l'entrée de la maison. La lumière n'était pas très forte mais permettait à la petite de descendre sans encombre l'escalier. Une fois en bas, elle se dirigea vers le bruit discret que faisait le feu dans la cheminée, sachant que c'est ici qu'elle trouverait sa grand-mère. Elle passa devant un grand miroir vieilli par les années sans y porter plus qu'un coup d'œil, son regard étant attiré par la douce lumière qui s'échappait de la porte du salon.

La pièce était calme malgré le craquement du bois dans l'âtre et du vent qui s'engouffrait par petite brise par la fenêtre. Les lieux étaient chaleureux, de nombreux meuble en bois plus ou moins sombre trônaient dans la pièce ainsi que de nombreux livres, ce qui pouvait donner une impression d'étouffement pour un visiteur lambda, mais les nombreux cadres-photos étaient la preuve d'une vie remplie d'amour et d'amitié, ce qui rendait la pièce plus douillette qu'étouffante.

La petite qui était sur le seuil du salon porta son regard sur le grand fauteuil placé en face du feu. Sa grand-mère devait dormir, sinon elle l'aurait entendu crier. Elle se dirigea vers le fauteuil et le contourna pour réveiller sa Mamé.

La vieille dame était habillée d'une longue robe de chambre beige et ses longs cheveux argentés qui jadis avaient été aussi roux que ceux de sa petite fille étaient relâchés sur ses épaules. Mais ce qui était frappant chez cette femme, c'était sa posture. Elle avait les yeux clos mais rien ne pouvait laisser croire qu'elle dormait. En effet, malgré ses yeux fermés, elle avait le dos si droit que ça ne pouvait être une position agréable. Elle avait agrippé l'accoudoir du fauteuil avec une telle force que le bout de ses doigts étaient blanc et sa bouche bougeait sans qu'elle n'émette le moindre son.

La petite fille regardait sa grand-mère avec de grands yeux apeurés.

-Mamé ?, appela la petite en avançant timidement sa main vers le poignet de sa grand-mère.

Quand elle la toucha, Mamé ouvrit alors grand ses yeux. Les yeux de la grand-mère n'avaient plus d'iris, ils étaient entièrement dorés et brillants. La petite fille hurla alors de terreur, lâchant sa feuille blanche et recula rapidement, faisant tomber le tison normalement utilisé pour entretenir le feu. Mamé entendant le bruit que causa la chute de l'objet, dirigea son regard vers sa petite fille et attrapa son poignet si rapidement que cela accentua la terreur de la fillette.

Le vent s'engouffra au même instant avec force dans la maison, faisant claquer la fenêtre sur le mur et rentrer plusieurs feuilles de chêne dans le salon. Le feu dans l'âtre réagit à ce surplus d'air et s'embrasa d'autant plus.

-Mamé ?! J'ai peur !, cria la petite fille, des larmes coulant sur ses joues. Elle essaya de se défaire de la prise de sa grand-mère, mais celle-ci avait de la force malgré son âge.

-Elle arrive...Rien ne sert de te cacher, elle te trouvera où que tu sois !, cria Mamé au visage de la petite fille qui se débattait de plus en plus. La Dullahan arrive et elle va prononcer ton nom...

L'enfant parvient à s'arracher de l'étreinte de sa grand-mère, qui la regardait avec ses grands yeux dorés. La petite fille recula rapidement pour se mettre à bonne distance de son aînée, le cœur battant tellement fort qu'elle avait l'impression qu'il allait sortir.

-Maman ! Qu'est-ce qui s'est passé ?, cria une belle jeune femme brune qui venait d'apparaître à l'entrée du salon. Cette intervention sembla sortir la grand-mère de sa transe et ses yeux redevinrent normaux.

-Maman !, cria en pleurs et terrifiée la petite fille, qui courut vers sa mère. La brune prit son enfant dans les bras, cherchant à la consoler, tout en regardant d'un air mauvais la vieille femme.

-Comment oses-tu faire cela devant ma fille ! Tu m'avais promis que jamais elle n'aurait à voir ça !, cria la femme, furibonde.

-Je ne sais pas comment c'est arrivé..., tenta d'expliquer la vieille femme, perdue. Je fais à chaque fois attention, mais j'ai dû m'endormir et...

-Je n'en ai rien à faire de tes excuses. C'est fini, dit-alors la femme, glaciale. C'est fini. MA fille est morte de peur par TA faute...Je suis désolé maman, mais je ne veux pas qu'elle voit ça...

-Mais je dois la préparer, elle doit pour se contrô...

-Stop ! Elle n'est pas toi ! Arrête avec ça ! Nous ne reviendrons pas..., dit-elle rapidement, serrant fortement sa fille qui continuait de sangloter.

-Non, s'il te plaît Cat..., dit la grand-mère des sanglots dans la voix, s'avançant vers sa fille et sa petite-fille.

-Au revoir Maman, lui dit Cat, reculant puis sortant de la pièce.

-Non ! Non ! Cria la grand-mère, attendez !

La vieille femme n'avait pas atteint le seuil du salon que Cat claqua la porte d'entrée en sortant. La veille dame entendit peu de temps après le bruit d'un moteur qu'on mettait en marche et une voiture reculer. Vaincue, Mamé retourna s'asseoir sur son fauteuil sans s'occuper de la fenêtre grande ouverte. Le feu n'était plus que braise.

Plus de bruit n'émanait de la maison, le vent n'était pas plus fort qu'une brise, les feuilles du chêne ne s'envolaient plus et le soleil avait fini par percer les nuages qui avaient occupé le ciel toute la journée. Mais le cœur de Mamé était sombre, elle avait perdu tout ce à quoi elle tenait. Elle pleura sur son fauteuil la perte de sa fille, bien que leur relation avait toujours était cernée de rancœur et d'incompréhension… mais surtout, elle pleurait la perte de sa petite chérie, sa petite fille adorée. Oh, qu'elle regrettait son comportement, mais elle n'avait pas pu l'empêcher. Elle avait senti les signes avant-coureurs depuis quelque temps, et son corps avait pris le contrôle quand elle s'était endormie. Son corps ne lui avait pas laissé le choix.

Le choix, elle ne l'avait jamais eu.