AVERTISSEMENTS : (puisque c'est la coutume) heu, que du subtext… mais alors très sous-entendu, à tel point qu'il faut vraiment avoir l'esprit lubrique et de l'imagination à revendre (au fait : j. barde de ff. ch. imagin. Urgent. étudie tte prop.)
Mention les sources par souci de non violation du copyright : je dirai donc que l'écriture de cette fanfic a été précédée ou accompagnée (donc imprégnée) des lectures suivantes : Le Joueur d'échec de Zweig, La pierre de Chronos de DXWP, La métamorphose de Kafka, Xena à Malibu de John Doe & Annaïck, sans oublier le superbe cross-over de Dana Cory, intitulé Xena à South Park. De plus, comme il m'est impossible d'écrire sans fond musical, cette fanfic doit beaucoup au « Songe d'une nuit d'été » de Mendelssohn, ainsi qu'au « Black Album » de Metallica (merci à Vivian Darkbloom qui m'a fait connaître ce groupe, via une scène hilarante où Gaby confond un über Arès avec ce bon vieux James Hetfield dans Des différentes façons de pêcher.) et à la B-O. de « L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ». Bon, il faut que j'arrête avant que toi, ami lecteur et cher confident, ne délaisse ma prose bancale et banale et n'aille fureter vers les œuvres de Missy Good - et tu aurais bon goût !
Ah ! J'oubliais ! Tu es sur le point de lire un cross-over Buffus contre les Bacchantes, pardon ;) Buffy contre les Vampires / Xena la guerrière. Tous les personnages qui se retrouvent dans cette fanfic n'appartiennent qu'à eux-même - ou peut-être à ceux qui les ont créés pour notre plus grand plaisir.
Quoi, violence ? Qui a dit violence ? Angel et Spike se sont limé les crocs, Xena s'est reconvertie dans la couture, les caniches-Garous chantent « Beeelle… » le soir venu, (remarque, certaines comédies musicales françaises peuvent être taxées de violence auditive) et cette chère Buffy a cessé de percer des cœurs avec son pieu en bois pour mieux donner des bois aux pèlerins de son pieu. No more fight, but peace and love? Nous parlons bien de la Princesse Guerrière et la Tueuse, n'est-ce pas ? Biiien. Te voilà averti. J'arrête là mes blablas et te souhaite bonne lecture. N'hésite pas à m'envoyer des commentaires.
Un vent chaud soulevait des vagues de sable fin dans la cour. La pluie clapotait sur la terre battue, projetant des gerbes de boue vers le ciel qui virait au violacé. Des éclairs zébraient l'horizon. Les tambours de Zeus résonnaient déjà, rythmant de leurs grondements sourd les danses éperdues des insectes désorientés.
Argo décocha une violente ruade sous les assauts d'un taon. Le minuscule vampire succomba entre les doigts vifs de la cavalière. Le cheval s'ébroua et franchit les derniers mètres qui le séparaient de l'écurie tant méritée. Xena vida les étriers et guida sa monture dans une stalle. Elle libéra ses lèvres délicates de l'emprise du mors. Les mains de la guerrière flattèrent le poitrail écumeux du cheval d'or et d'argent. Une superbe jument baie venait de franchir la porte à son tour. Argo leva la tête et salua son arrivée d'un bref hennissement.
Les naseaux d'Argo frémissaient de plaisir au contact de l'encolure sombre d'Ambre. Sa queue fouettant l'air témoignait de son empressement à retrouver le parfum de sa compagne. Ses dents taquinaient le garrot qui venait tout juste d'être libéré du poids de la selle. Xena sourit. Décidément, ces deux-là ne perdaient jamais une occasion ! Elle sortit de la stalle avec une dernière tape affectueuse pour Argo.
D'un geste dicté par la routine, elle immergea quelques instants le mors dans un seau avant de commencer à le décaper, tout en cherchant Gabrielle des yeux. L'amazone blonde se tenait dans l'encadrement de la porte et lui tournait le dos.
« Il pleut des cordes… »
Xena savait que la barde pouvait décrire avec bien plus d'éloquence le spectacle qu'offrait la fureur du ciel. La pluie tombait avec violence et le tonnerre se faisait toujours plus menaçant. Les éléments se déchaînaient, mais cela ne les empêcherait pas de traverser la cour pour rejoindre la salle commune de l'auberge. Elles pourraient alors se restaurer et prendre un bain.
Gabrielle restait devant la porte, immobile :
« On va être trempé. »
De plus en plus perspicace… avec ce petit rien dans la voix derrière une banalité désarmante. La Princesse Guerrière ne s'y trompa pas. Le cliquetis du mors entre les cuirs avertit Gabrielle et celle-ci ne broncha pas lorsqu'un bras s'enroula autour de sa taille gracile. Derrière elles, Ambre et Argo piaffaient, se cajolaient et s'ébrouaient. Xena suggéra d'une voix étonnamment douce :
- « Alors attendons une éclaircie… »
Le filet trempé glissa sur le sol. Deux sourires rayonnaient dans l'écurie sombre. Le temps ne devrait pas leur sembler trop long…
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Enfermée… dans une pièce sans fenêtre, sans autre ouverture que cette porte toujours close. Derrière l'épaisseur de la porte, il devait y avoir un homme. Armé, sans doute. Qui ne parlait pas un mot d'anglais, pour éviter tout contact. Ne pas parler, ne plus voir personne. Ne plus sortir, vivre caché aux yeux du monde, ne plus exister pour personne. Attendre. Rien. Absolument rien. Le néant, dans cette non-vie où l'on était encore trop bien soigné pour se laisser mourir.
La jeune femme brune allait de la porte au lit, du lit au mur, puis d'un mur à l'autre, pour toucher les contours de la pièce, s'en approprier les limites, mesurer l'espace réduit dans lequel elle se débattait. Tout ceci ne lui semblait pas réel. Elle était encore dans un rêve où les esprits s'enferment quand ils sont trop fatigués pour trouver le sommeil. Mais les sensations furtivement recueillies sous ses doigts gantés se posaient comme une évidence. Au fur et à mesure qu'elle acceptait cette réalité tactile, la prisonnière sentait la montée de la panique en elle et le poids de la peur étouffer sa respiration déjà difficile. Les draps fins, le sommier grinçant, le papier peint moisi décollé par endroits, les murs suintant d'humidité et cette odeur encore inconnue, qu'elle n'allait pas tarder à identifier comme celle de la captivité. L'angoisse la saisissait à la gorge et la panique tambourinait dans ses tempes au rythme de ses lèvres devenues folles, qui murmuraient inlassablement :
« Melinda Pappas, Melinda Pappas, Melinda Pappas, Mel…
car sa plus grande peur était de se perdre dans cette angoisse, jusqu'à en oublier qui elle était, ce qu'elle était, avant.
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Une douce brise jouait avec le feuillage des arbres. Du ciel sans lune descendait un nuage de brume qui dessinait des auréoles autour des tombes. Cela leur donnait un aspect fantomatique. Pas un bruit, pas une ombre furtive. Le calme plat.
« Tiens, va falloir que je me rachète une paire de bottines… »
Tu rêves. Depuis combien de temps n'as-tu pas mis les pieds au centre commercial, entre les cours au bahut et les séances d'entraînement… Des feuillages agités brisèrent le flux de ses pensées. Une tête couverte d'un affreux masque verdâtre émergea des thuyas.« Vise un peu ça : je suis Méphistophélès ! Arghgrrr !
Tu devrais penser à éteindre ta télé de temps en temps, Xander. Et dois-je te rappeler que l'on devait se voir de 14 h à 15 pour bûcher sur la bio ? Merci pour le lapin.
On ne devrait pas imposer à de jeunes esprits pleins d'innocence et de sensibilité la vision cauchemardesque de notre professeur de sciences naturelles…
Tu es sensé travailler sur ta copie demain, pas t'attarder sur les particularités physiques de Mr Hertaz-Snath.
C'est facile pour toi, Will : tu sais comment les remplir, ces foutues interros ! Je crois que je vais sécher… Ouaih, je vais soutenir Buffy dans son apprentissage d'une spécialité culinaire d'origine coréenne : le cake manchou…
Taekwondo, Xander, Taekwondo !
Ah, je me disais aussi que Giles en cordon bleu, ça le faisait p…
BUFFY ! Tu m'avais promis que tu ferais ce devoir sur table ! »
Xander dut se mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire. Les mains à la taille, Willow Rosenberg sermonnait la Tueuse. Cette dernière eut l'air un peu gênée, comme à chaque fois :
« Tu sais Will, Mr Harold-Smith, il ne connaît même pas mon nom, alors… »
Dépitée, Willow murmura entre ses dents : « Visiblement, toi non plus », avant de s'enquérir de la situation. La nuit était paisible. Peut-être trop calme. Mais Buffy savourait ces rares soirées de répit et ses amis partageaient sa quiétude. En l'absence de Giles, les longues patrouilles avaient été réduites à une simple ronde. Le Scooby Gang – dénomination d'usage dans le dialecte Harrisien – n'aurait qu'à déambuler encore une heure dans les allées du cimetière de Sunnydale, avant de s'offrir le luxe d'une nuit de sommeil.
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Des heures et des jours sans autre présence que le quignon de pain sec que l'on lui glissait deux fois par jour, et puis tout à coup, sans prévenir, la porte s'ouvrait et vomissait deux soldats en uniforme : le prélude de trois ou quatre heures d'interrogatoire intensif. Des questions incessantes qui n'avaient aucun but et si peu de sens étaient lancées inlassablement comme des balles, des projectiles de même forme et de même portée, toujours identiques, sans cesse les mêmes. Melinda répondait tant bien que mal, sous le regard des armes appuyées contre le mur, non loin des mains des bouchers nazis.
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Un homme déambulait dans les sombres ruelles de Los Angeles. Muré dans une tranquillité immuable, il marchait sans but, comme d'autres se seraient promenés de plein jour le long des avenues bordées de boutiques étincelantes. Il devait être deux ou trois heures du matin. Seules quelques Harley perçaient de leurs vrombissements le fond sonore de la routine urbaine. Çà et là étaient répandus des détritus de toutes sortes que pillaient des animaux efflanqués. Quelques pauvres âmes dévorées par l'alcool ou perdues dans les méandres de la drogue, erraient sans obtenir un seul regard de cet homme vêtu de cuir noir. Il allait d'un bon pas dans ce monde de la nuit. Il connaissait parfaitement cet aspect sombre de la Cité des Anges, étant lui-même enfant des ténèbres.
Il faisait ainsi sa promenade quotidienne, au milieu de cette ville infernale, pourtant éloignée de la Bouche des Enfers. Il avait fui Sunnydale et espérait échapper de la même manière à ces anciens démons. Mais c'était également dans cette bourgade californienne qu'il avait fait ses premiers pas vers la rédemption. Faire amende honorable n'était pas simple quand on avait commis de tels crimes. Pourtant, une personne qui ne le connaissait pas lui avait fait confiance. Elle lui avait tendu la main et son sourire blond lui avait montré la voie. Etait-ce dû à une pureté d'âme et d'une innocence sans pareille ou l'explication de ce geste se réduisait-elle à de la naïveté couplée à la folie ? A moins que ce ne soit une autre forme de folie, celle-là même qui lui dévore les entrailles et lui broie son cœur gelé, à force d'aimer sans en avoir le droit.
Ainsi Angel errait seul dans la Cité des Anges, tentant sans y parvenir de distancer ses remords, ses regrets et les hurlements sanglants de toutes les âmes qu'il avait arrachées à la vie et dont le souvenir lui déchirait le crâne.
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«Quels liens entretenez-vous avec le gouvernement américain ?
- Il me semble que, que nous ne nous comprenons pas très bien ! En tant que, que professeur d'université en lettres classiques, hé bien je suis… je n'ai d'ordre à recevoir que du département des recherches archéologiques du Brit… »
Sa voix mourut dans sa gorge. Bonté divine, il ne fallait pas qu'elle faiblisse, pas maintenant… Elle ne savait pas pourquoi elle était là, livrée à ces officiers qui la poignardaient du regard. Livrée à cette femme surtout. Toujours plus de questions impitoyables jaillissaient de sa bouche en une mécanique huilée et savamment orchestrée par le système. Elle dirigeait l'interrogatoire d'une main de maître, avec une habilité redoutable. Son adversaire venait de perdre pied. Elle n'avait alors qu'une dernière question à poser. Les derniers remparts du professeur s'écrouleraient comme un château de cartes sous les assauts du vent. Non, c'était trop tôt, bien trop tôt pour l'officière zélée qui avait vu en cet échange un moyen de rompre la routine dans laquelle le système la plongeait. D'un rapide hochement de tête, elle éteignit les feux qui brûlaient dans ses yeux déments. Elle laissa un moment de répit à sa victime, afin de se désaltérer. Avec un sadisme calculé, elle prit le temps de faire rouler l'eau dans sa bouche et d'en savourer toute la fraîcheur. Un rictus méprisant déforma ses lèvres humides. Campée sur ses jambes de sylphide, elle surplombait de nouveau sa prisonnière. Les questions reprirent mais l'officière ne se souciait guère de la cohérence des réponses. Ce n'était rien de plus qu'un matraquage psychologique dans toute son absurdité.
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L'auberge baignait dans une atmosphère assez inhabituelle. L'éloquence de la barde captivait les clients qui vivaient les dernières aventures en date de la Princesse Guerrière. Les yeux brillaient de curiosité, les mains tremblaient d'émotions et les rires fusaient de toute part. Gabrielle savourait ses instants sacrés où elle transmettait un peu de sa joie de vivre à travers de simples mots. Elle vendait du rêve et façonnait des légendes tout en divertissant, l'espace d'une soirée, les gens murés dans une existence banale ou écrasés par la complexité de la vie.
Cyrène essuyait les verres derrière le comptoir. Elle veillait sur l'assemblée et souriait à Gabrielle et Xena, sa fille, le seul enfant qui lui soit revenu. Un instant, son esprit s'égara loin du récit épique de la barde pour revenir au temps où les petites mains de Lyceus tentaient tant bien que mal de saisir l'un des fruits qui reposaient sur ce même comptoir. Son babillage de bambin imitait les doux piaillements des oiseaux. Derrière le petit garçon blond, un vieux filet de pêche envahissait l'une des tables malgré les protestations de Cyrène. Faisant la sourde oreille, la jeune Xena rafistolait les mailles détendues. Cette tâche minutieuse provoquait chez la petite fille aux longues nattes noires, l'envolée de quelques jurons d'usage, ce qui ne manquait pas d'attiser les foudres maternelles. Au fond de la salle, avec son regard distant et déjà plein de reproches, se tenait Toris. L'aîné s'était retranché derrière des forteresses impénétrables depuis longtemps. Comme à son habitude quand le temps l'interdisait de sortir, il restait dans la même pièce que ses cadets, l'esprit plongé dans ce monde mystérieux qu'il avait créé et qui lui appartenait.
Mais un rire plus clair que les autres s'éleva près de Cyrène et la tira de ses pensées. Il était pur et si beau qu'elle eût une envie irrésistible de se retourner : c'était bien celui de Xena, qui répondait au sourire angélique de Gabrielle. Sa rareté le rendait si agréable ! Cyrène voulut fermer les yeux et s'abandonner à ce bonheur auquel elle n'osait pas rêver. La foudre pouvait bien déchirer le ciel, la pluie inonder les prés et le vent arracher les arbres… ce soir le rire de deux mortelles balaierait toutes les colères de Zeus.
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« Vos travaux en Macédoine l'an passé se sont révélés primordiaux pour notre connaissance de l'histoire antique. Dites-m'en plus…
Mais vous en avez eu le compte-rendu complet entre vos mains.
C'est exact, et nous l'avons étudié avec le plus grand intérêt. Cependant… »
Le soldat ravala sa salive et scruta le visage du professeur pour y trouver ses mots. Peine perdue. La pâleur craintive qui ternissait son visage fatigué était communicative et le soldat sentit une gêne légère l'envahir. Son regard perdu glissait dans les grands yeux bleus qui le fixaient. Le soldat ne pouvait se défaire de son regard. Il lui fallait pour cela baisser les yeux et son code d'honneur lui interdisait pareille faiblesse. Il priait intérieurement pour que sa supérieure hiérarchique réapparaisse. Mais la porte du local restait désespérément fermée. Il était condamné à s'immerger dans les yeux de la jeune femme brune, si grande et pourtant si fragile : une victime qui brûlait ses dernières forces de résistance, recroquevillée sur sa chaise en paille…
La porte s'ouvrit béante et des bottes claquèrent sur le sol carrelé en un garde-à-vous impeccable ; sur les talons du soldat, la fameuse officière blonde et son rictus machiavélique. Une lueur étrange flambait dans ses yeux noisette. Le soldat qui lui avait ouvert la porte l'appela par son nom : Irrsinnstolz. Pour toute réponse, elle le congédia d'un geste, ainsi que toutes les personnes présentes, qui quittèrent la pièce l'un après l'autre comme des moutons très dociles. Plus soumis que Melinda et ses poignets menottés ! Alors la blonde sadique prit une chaise et s'installa en face du professeur Pappas. Lentement, Irrsinnstolz alluma un cigarillo. Le briquet doré disparut dans la poche de son uniforme, et des volutes de fumée nauséabonde s'échappèrent de ses lèvres.
« So… reprenons. N'avez-vous pas mis à jour une crypte sur les bords du Strymon, à deux ou trois kilomètres d'Amphipolis ? Si bien sûr, la mémoire vous revient. Et cette crypte contenait…
- Rien de bien extraordinaire : un corps en très mauvais état, quelques bijoux, des ustensiles d'usage quotidien, d'autres plus spécifiques aux rites funéraires.
- Et un vieux manuscrit antique écrit par une certaine Abigaëlle. De quoi parlait ce parchemin ? »
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Gabrielle peina à ouvrir ses paupières encore scellées par un rêve agréable. Elle l'oublia totalement sitôt que la vue de la chambre avait remplacé le monde du sommeil. Dans l'obscurité, une silhouette se tenait debout, immobile.
« Xena…
- Je ne voulais pas te réveiller. »
Gabrielle l'invita à s'asseoir sur le bord du lit.
« Encore ces cauchemars ? Tu m'avais pourtant… Ah cette fois, s'en est trop. Tu ne m'empêcheras pas d'aller parler à Arès… »
Tant de détermination ! Pourtant, Xena la reprit doucement :
« Arès n'a rien à voir là-dedans. Du moins, à ce que je crois. Non, c'est autre chose. Comme une menace, un danger inconnu…
- Hé, ce n'est pas à moi de faire les prophéties, ici ?
- Ce n'est pas aussi précis, non ! En fait, c'est si vague que je ne sais même pas s'il y a un lien avec moi... enfin, nous.
- Bien… puisque ce je-ne-sais-quoi n'est peut-être pas un pressentiment et qu'en plus rien ne prouve que nous sommes concernées par ce qui n'est sans doute même pas une affaire, une seule issue s'offre à toi, maintenant : n'y pense plus ! »
Xena soupira. La barde s'approcha d'elle et souffla dans le creux de son oreille : « Ne te fais donc pas autant de soucis, je suis là, je veille sur toi » ce qui ne manqua pas d'arracher un sourire à la princesse guerrière.
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« Une prophétie ? Cela ne fera jamais que la quatrième en trois semaines. Ce sera quoi cette fois ? L'apocalypse ? L'anéantissement de la race humaine ? Trois heures de colle ? »
Xander prit une voix nasillarde : « Miiiiss Summers ! La voix des Oracles et les Puissances Supérieures vous condamnent à faire le ménage dans le bureau du proviseur Snyder…
- Arrête, je t'en prie. » Buffy n'était visiblement pas d'humeur à rire des pitreries d'Alexander Harris.
« Ordre du jour : rassemblement du Scooby-Gang au QG. Le Grand Manitou fraîchement revenu d'entre les Rosbifs nous a dégoté un nouvel ordre de mission.
- Alex !
- Oui, je sais : si je n'ai rien à dire qui soit plus beau que le silence, alors je me tais… MERDE ! »
Un délicat parfum français se répandit dans le couloir. Des escarpins claquèrent, les conversations cessèrent, les têtes se retournèrent. Cordélia Chase et son armada de pimbêches venaient d'apparaître à l'autre bout du couloir. La blonde Harmony avait même dégainé son « Brillance charnelle fuschia n°6 » et s'en humectait les lèvres tout en ondulant lascivement des hanches.
Cordélia avançait vers Buffy et Xander. Pourtant, elle ne leur accorda pas le moindre regard et passa son chemin. Cette attitude déplut fortement à Harmony. Leur code exigeait bien plus que de l'indifférence vis-à-vis d'Alexander Harris, ce bouffon raté ! Harmony se planta devant lui, les poings sur son skaï assorti à son rouge à lèvres, tandis qu'elle préparait intérieurement une remarque cinglante. Cordélia revint sur ses pas et prit Harmony par le bras :
« Viens donc…
- Mais enfin, qu'est-ce qui te prend ? Déjà que nous devons supporter sa présence dans notre classe, il faut encore que nous supportions son… regard sur nos corps de rêve !
- Ils n'en valent pas la peine, allez… nous n'avons pas à nous soucier des gens comme eux, viens. »
Harmony lança un regard de mépris et de dégoût à Xander avant de lui tourner le dos, non sans lui asséner la masse volumineuse de sa chevelure décolorée en plein visage. Cordélia lui emboîta le pas, suivie de gloussements d'admiration..
« Les caquètements de basse-cour : la seule langue parlée au club des superficielles présidée par Miss Chase », lança Xander acerbe. Buffy acquiesça d'un air songeur.
« Sans indiscrétion, Xander, dis-moi : si tu ne peux pas supporter ce genre de filles, pourquoi Cordélia et toi avez décidé de poursuivre votre histoire ?
- Hé bien, Miss Je-suis-la-Tueuse-et-je-sors-avec-un-vampire, je pense que ma vie n'était pas assez compliquée sans Cordy. »
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Gabrielle adorait cette auberge et aurait pu y rester des semaines, si elle n'avait pas rappelé de trop mauvais souvenirs à Xena. Ce n'était pas tant la confrontation permanente avec sa mère, mais plutôt le retour aux racines, dans cette maison peuplée de fantômes et de vieux démons. Xena aimait sa mère et ce bien avant leur réconciliation. Mais encore aujourd'hui, la guerrière peinait à lui témoigner son affection, comme elle peinait à s'avouer ses propres sentiments. Il avait fallu que Gabrielle entre dans sa vie pour qu'elle se découvre le droit de ressentir, d'avoir de la peine et l'exprimer, de connaître l'amour et de pouvoir le partager.
En ouvrant sa porte à celle qu'elle avait reniée tant d'années, Cyrène avait accepté un peu de la lumière que lui proposait Gabrielle. La mère et la fille savaient qu'elles ne devaient leurs retrouvailles qu'à la jeune femme blonde. Pourtant, cette dernière ne semblait même pas s'en rendre compte. Elle rayonnait et illuminait les vies autour d'elle sans jamais se défaire de sa naïveté touchante et de sa modestie innocente.
Pourtant l'expérience, le temps et les épreuves avaient transformé Gabrielle. Elle s'était métamorphosée en une amazone redoutable mais jamais impulsive. Elle maîtrisait les arts de la guerre sans devenir esclave de sa propre violence – contrairement à Xena. De plus, elle n'avait rien perdu de son aura qui faisait d'elle un ange perdu parmi les hommes.
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Jennifer Calendar, la jeune stagiaire en informatique, pénétra dans le lieu de loin le moins fréquenté de tout le lycée de Sunnydale : la bibliothèque. Elle-même était loin de s'épanouir dans cette immense pièce sombre, dont les murs soutenaient des étagères croulant sous le poids des ouvrages. La moitié des œuvres entreposées ne s'adressaient qu'à un public très réduit, qui comptait en tout et pour tout deux personnes : le bibliothécaire Rupert Giles et la jeune Willow Rosenberg. Jenny quant à elle délaissait la compagnie des incunables poussiéreux pour celle des PC. Elle préférait de loin le langage binaire aux enluminures gothiques, et ne put contenir un frisson devant les intitulés à rallonge de certains traités exposés sur les rayonnages. La plupart abordaient et déclinaient les sciences occultes et leurs dérivés, en passant par l'étude des créatures que l'on pouvait s'attendre à voir surgir aux environs de la Bouche des Enfers. Avant les vacances scolaires, ces ouvrages peu réglementaires n'auraient jamais été ainsi exposés au regard des quelques élèves qui se risquaient à venir à la bibliothèque. Pour une telle négligence, Giles risquait son poste. Son contrat n'autorisait pas de proposer à de jeunes lycéens des ouvrages traitant de l'interprétation des viscères de poulet, des manuels de dévampirisation à l'usage de la Tueuse, et autres essais sur le rut des loups-garous à travers les siècles. La raison d'un tel laisser-aller ? Giles revenait de Londres où il avait passé deux semaines.
« Retourner dans votre Angleterre natale, goûter à nouveau au nuage de lait tiédissant votre thé, laisser la pluie quotidienne baigner votre visage… vous avez du vivre de merveilleuses vacances !
- Que me vaut l'honneur de votre cynisme, Miss Calendar ? »
- Vous n'aimez pas la Californie, Rupert. Pourquoi vous imposez ce climat ? Et ce n'est pas ce lycée qui va vous réconcilier avec ce pays. Le vieux Snyder ne vous porte pas dans son cœur. Au moindre faux pas, Rupert, il ne vous ratera pas. Vous êtes sur sa liste noire : vous sauterez.
- Le proviseur Snyder fait son devoir, je fais le mien. En ce qui concerne l'Angleterre, j'ai mes raisons… qui ne regardent que moi, d'ailleurs.
- Je ne voulais pas vous vexer. C'était seulement… il fallait que je vous le dise, c'est tout.
- Je sais.
- Mais dites-moi… si les membres du Conseil des Observateurs de Londres vous semblent si peu digne d'estime, pourquoi répondre à leur invitation ?
- C'est bien pour cela que je ne les ai pas rencontrés une seule fois de tout le voyage. Non, j'ai profité de la grisaille anglaise. »
Le bibliothécaire déchaussa ses lunettes et les essuya dans son mouchoir brodé. Un petit sourire mystérieux se dessina au creux de ses lèvres : « Avez-vous déjà mis les pieds au British Muséum ? »
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Si Gabrielle aimait beaucoup Amphipolis, le séjour n'était pas de tout repos pour Xena. A ses insomnies chroniques s'étaient ajoutés d'autres troubles qui ne manquèrent pas d'inquiéter la barde. Parce qu'elle n'avait pas l'habitude de dévoiler ce qu'elle considérait comme des faiblesses, Xena se retirait souvent dans sa chambre. Gabrielle lui accordait ces moments de solitude, mais leur fréquence ne tarda pas à éveiller des soupçons en elle. Xena se reposait, certes, mais sa mine sombre et ses traits tirés livraient une toute autre vérité.
Inquiète pour l'état de santé de son amie, Gabrielle se décida à rompre leur pacte de confiance mutuelle et monta l'escalier. Le couloir était silencieux car les quelques clients se restauraient au rez-de-chaussée. Les chambres étaient toutes fermées, sauf une. Gabrielle était sur le point d'y entrer quand une voix rauque traversa la cloison et l'arrêta sur le pas de la porte.
« Si forte, si invincible ? Une illusion, rien de plus qu'une… façade ! »
Xena s'efforçait à parler à voix basse, mais la rancœur que Gabrielle percevait dans ses paroles la conduisait irrésistiblement à hausser le ton : « Elle me suit comme mon ombre, elle s'attache à moi… et je ne peux m'en défaire. »
Gabrielle tressaillit, n'osant croire que Xena parlait d'elle ainsi. Pourtant son monologue se poursuivait sur le même ton :
« Ecoute, je la traîne comme un boulet depuis… sept, non, cinq ans. Mais cela me semble bien plus long, crois-moi… »
Xena baissa encore la voix et Gabrielle ne put entendre le reste. A moins que ce ne soit la surprise et cette boule de chaleur tambourinant dans son front glacé qui l'empêchaient de distinguer quoique ce soit de plus. Gabrielle sentit son corps s'engourdir. N'y tenant plus, elle chancela et glissa le long du mur. Sa tête coula dans le creux de ses bras : elle en avait trop entendu. Pour un peu, elle aurait souhaité que Xena ne sorte plus jamais de cette chambre. Elle n'aurait pas pu la regarder en face ; encore moins lui demander des explications. Oh, savoir, comprendre, et ne plus entendre ce murmure dont elle ne percevait aucun mot, mais qui s'étalait dans son esprit comme une liste d'atrocités, non ! de vérités : ce que Xena n'avait jamais réussi à lui dire en face et qu'elle livrait tout de go à un inconnu, dont Gabrielle ignorait le visage. Quels yeux recueillaient son regard de braise céleste, quelles oreilles écoutaient ses lèvres injurieuses, quel menton acquiesçait ses paroles immondes ?
Mais les mots se firent plus durs, ils éclaboussèrent tout le couloir et avec lui, la jolie blonde au bustier d'amazone taché de larmes.
« ET TU VOUDRAIS QUE J'EMMENE GABRIELLE ? APRES TOUT CE QUE JE VIENS DE TE DIRE ? CHRONOS, TU NE TE RENDS PAS COMPTE DE CE QUE TU ME DEMANDES. »
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Lorsque Joyce Summers revint de son travail, c'était pour trouver sa fille avachie devant un énième visionnage de « Thelma et Louise ». Buffy daigna décoller ses lèvres de la canette d'Ice Tea Light pour marmonner un vague « 'Soir Mam' ». Joyce avait lu trop de livres disséquant les relations parents-ados pour ignorer ce comportement que l'on pourrait qualifier d'hyperactif chez l'aï et de lessivé chez la lycéenne normale. Mais Buffy était loin d'être une lycéenne normale. Joyce trébucha en effet sur un sac à dos donc la seconde poche – la seule dont la capacité permettait de contenir des ouvrages scolaires – était fermée par une fermeture éclair elle-même scellée par l'oxydation. Même le cancre de base aurait su éviter un tel désastre, en dispensant ses parents de l'achat des livres par exemple. Que disaient donc ces fichus manuels à l'usage des parents ? Ah, oui : dialoguons, dialoguons…
« Bonsoir ma chérie, raconte-moi ta journée ! »
Le ton enjoué de Joyce s'effaça sous les couinements du magnétoscope. Brad Pitt gémissait dans son jean moulant impitoyablement saucissonné par de fines coulées bleues vertes qui striaient l'écran. Ce fut au tour de Susan Sarandon de disparaître, happée par la télécommande rageuse. Puis la cassette ronronna et s'éjecta de son affreux sarcophage noir.
Buffy ne veut pas parler de sa journée. Bon, rien n'est perdu.
« Pour moi aussi, les temps sont durs, tu sais. Mais entre filles, on peut bien se serrer les coudes.
- Mmmh. »
Mmmh quoi ? Pas de panique, c'est juste… une alerte rouge ! Angel disparaît sans laisser de nouvelles et Giles a eu le culot de s'enfuir en Angleterre pendant deux semaines complètes. Il fallait s'y attendre : Buffy sombre dans la dépression et se finit au thé glacé car elle est incapable de se confier à l'étrangère qui l'héberge chaque soir depuis qu'elle l'a mis au monde…
« Hé merde !
- Quoi, maman, qu'est-ce qui ne va pas ? »
Miracle divin ? Hallucination auditive ? Buffy n'est pas un légume irradié par le système scolaire et les histoires de cœur qui finissent mal : ce soir, lundi, 19h42, Buffy Anne Summers a réagi.
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La porte claqua si violemment qu'elle sortit de ses gonds. Désormais inutile, elle s'effondra sur un côté. Gabrielle surgit dans la chambre, les joues brillantes de larmes déjà sèches et de fureur pourpre. Son regard parcourut la pièce. Assis sur le lit, en train de refermer un petit sac en cuir dans lequel s'entrechoquaient quantité de fioles et d'échantillons de pierres, Chronos, le Dieu du Temps qui s'écoule et qui se fige, qui passe et qui fuit, Dieu du passé et de l'avenir, fixait l'Amazone de ses petits yeux globuleux.
Le dieu avait pris l'apparence d'un nain doté d'une barbe noire. Juché sur le lit, bouche bée, pétrifié, il semblait étonnamment vulnérable. Gabrielle réalisa que Xena s'était volatilisée. La colère l'envahit et elle dut s'y reprendre à deux fois avant de pouvoir prononcer des paroles intelligibles :
« C'est toi… c'était toi dès le début… Chronos ! Où est-elle ? Où l'as-tu envoyée ? Pourquoi…
- Tout doux ma belle, reprends ton souffle d'abord. Et assieds-toi donc, on a à parler tous les deux. J'aurais du commencer par ça d'ailleurs, mais ton amie ne voulait pas… »
Gabrielle l'arrêta d'un geste avant que ses paroles n'attisent la colère qu'elle tentait jusqu'alors de réfréner. Mais le Dieu reprit bien vite sa contenance et tenta de renouer le dialogue :
« Tu sais que tu es impressionnante quand tu t'y mets… Arès n'avait pas tort lorsqu'il disait que le disciple était en passe d'égaler son maître… au nom de mon fils, elle t'a même appris son regard qui tue. Tu ne veux pas parler d'Arès ? J'avais compris, ne t'en fais pas…, Je ne voulais pas te tenir à l'écart de tout cela, tu sais, mais Xena m'a fait jurer... enfin, tu la connais mieux que moi ! »
Gabrielle était trop abasourdie pour rétorquer quoi que ce soit et se contenta de lui adresser un regard éberlué. Chronos poursuivit :
« Et c'est bien dommage, si tu veux mon avis, car tu étais à la source de toute cette histoire, si j'ose dire… Mais j'ai juré par le Styx et le serment des Dieux ne peut être violé. Tu n'aurais pas du franchir cette porte, Gabrielle ! Si tu avais attendu sagement avec les autres, elle serait revenue à la seconde près, sans que tu n'en saches jamais rien. Tu as mal, je sais. Il est si facile de ne plus souffrir, d'oublier tout ça, de revenir un peu avant, pas vrai Gabie ? Juste quelques secondes avant tous ces cris et ces larmes ! »
Gabrielle se sentait apaisée par ce discours auquel elle ne saisissait pas grand chose. Chronos approchait sa petite main de son visage, mais elle n'était pas vide : il faisait rouler entre ses doigts une pierre qui brillait, une de ces petites étoiles qui dormaient dans son sac à malice. Juste avant que la pierre ne frôle sa joue creusée par la détresse, Gabrielle réalisa que le Dieu exerçait une sorte de pouvoir hypnotique sur elle. Du revers de la main, elle frappa le bras qui s'avançait vers elle et la pierre roula sur le sol.
Une poignée de secondes suffit à Gabrielle pour immobiliser le Dieu. La pointe de sa botte arrêta la course chaotique de la pierre sur le parquet.
« Maintenant Chronos, tu vas m'écouter attentivement… Je ne comprends pas de quoi tu parles, ni ce que tu as manigancé avec Xena. Mais je sais qu'elle est partie, et vu ton attirail, elle doit se balader quelque part dans le temps. Je sais aussi que toi seul, tu détiens le pouvoir de m'amener auprès elle.
- Mais elle refuse de… et je lui ai promis !
- Pourquoi elle est partie sans moi, ça j'hésite encore à le croire et je préférerais encore l'entendre de sa bouche, les yeux dans les yeux. Elle me doit des explications et je les aurai, Chronos, avec ou sans ton aide. Alors voilà, soit tu m'aides, soit je cherche par moi-même dans ton joli petit arsenal…
- NON ! C'est bien trop dangereux pour un mortel et Xena ne me le pardonnerait pas ! J'ai promis qu'il ne t'arriverait rien…
- Alors tu as intérêt à trouver vite fait un moyen pour moi de la rejoindre. Non, décidément, ce ne sera pas encore cette fois qu'elle parviendra à se défaire de moi », ajouta-t-elle avec amertume.
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Les buildings de Los Angeles luisaient au loin sous le halo de la pleine lune qui jetait de pâles éclairs sur leurs façades rutilantes. Angel en avait vu défiler, des visages urbains, au cours de son errance parmi les vivants ! Près de deux siècles à aller de bourgs en villes, de hameaux en métropoles. Du centre-ville émanait un vent chaud de gaz et de fumées que le souffle figé d'Angel ne pouvait percevoir. Les villes et les hommes avaient repoussé leurs limites. Les immenses tours de béton et d'acier s'élevaient comme un poing dressé vers le ciel. « Un blasphème de pierre » écrivait Primo Levi.
Un cri l'arracha à sa contemplation lascive. Une jeune femme. Il se retourna. Un hideux faciès boursouflé heurta le front pâle d'Angel qui s'effondra sur l'asphalte.
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« Café ? »
Melinda détourna le regard. Irrsinnstolz saisit la tasse que le soldat lui tendait et souffla sur le filet de vapeur qui s'élevait du liquide brûlant.
- « Danke schön ! »
Elle but une gorgée dans un long bruit de succion, puis se lécha les lèvres pour recueillir toute la saveur du café noir. Le liquide brûlant irritait sa gorge et son œsophage pour répandre en son ventre une vague de chaleur à la fois apaisante et stimulante.
« Professeur Pappas… assez de toutes ces conventions. Vous voyez autant que moi que ces préliminaires ne sont qu'une perte de temps pour nous deux. Je ne vous ferai pas l'affront de vous expliquer la raison pour laquelle vous êtes ici, bien sûr. »
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Ses membres étaient encore engourdis. La guerrière peinait à sortir de sa torpeur. Comme Chronos l'avait prévu, elle était allongée dans l'herbe humide au milieu de stèles funéraires. Au-dessus d'elle brillaient quelques étoiles. Leur contemplation l'apaisait : le temps, ni les hommes n'avaient terni l'éclat de ces joyaux célestes. Peut-être était-ce le seul élément des temps antiques ayant subsisté ? Chronos l'avait mis en garde : ce présent-là serait un monde à part, dont elle ne pouvait rien imaginer. Plus aucun repère, hormis les étoiles qui ne tarderaient pas à s'éteindre. Se lever et partir à sa recherche, aller en ville… comment déjà ? Ah oui, Sunnydale.
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Willow et Xander se lançaient des coups de coudes. La nuit étouffait leurs rires. Leur joie de vivre dissipait la morosité de Buffy qui multipliait les sorties en leur compagnie. Buffy parvenait désormais à passer une journée entière sans penser une seule fois à Angel. Du moins jusqu'au soir, car aussitôt rentrée chez elle… Après avoir franchi ce seuil qui était autorisé à recevoir le vampire, elle restait assise une heure ou deux, seule au milieu de ce salon qui l'avait accueilli tant de fois. Elle pensait à lui, à eux deux, aux raisons pour lesquelles il avait pu s'enfuir sans laisser de trace, loin d'elle.
« On sort ce week-end ?
- Il y a une soirée spéciale pour la réouverture du Bronze… ils doivent fêter leur 7ième dératisation en deux ans. Tu viendras, Buffy, ça fait si longtemps qu'on n'a pas été se défouler !
- Je ne suis pas sûre que voir tous ces couples s'enlacer sur fond des « Dingoes ate my baby » constitue un spectacle très réjouissant pour elle, Alex.
- Merci Will de me rappeler que ma vie sentimentale est une succession d'échecs alors que mes amis – comme la plupart de la population estudiantine de Sunnydale - vivent chacun une merveilleuse histoire d'amour. »
Xander jeta un regard plein de reproche à Willow qui le lui rendit. Comme pour s'excuser, il bredouilla :
« Tu sais, Buffy : on a tous nos petites emmerdes. Tiens, rien qu'entre Cordy et moi, tu connais l'histoire. Il fallait que je tombe amoureux de la fille la plus populaire du lycée. Crois-moi, ça doit pas être facile pour elle de sortir avec un looser, tu te rends compte : Harris et Chase ! Tiens, demande à Willow : pour elle non plus, ça doit pas être rose tous les jours.
- Oh, on fait avec. »
Elle leva la tête. Contemplant la lune, elle murmura : « Et pis il y a des jours dans le mois où moi non plus, je ne suis pas marrante à fréquenter. »
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Encore en vadrouille. Joyce Summers en avait plus qu'assez de toutes ses inquiétudes que lui inspiraient les activités nocturnes de la fille. Buffy ne tenait pas à discuter de « son boulot » avec quiconque en dehors de ses patrouilles et des réunions du Scooby-Gang à la bibliothèque du lycée. Cette attitude multipliait les inquiétudes de sa mère. Joyce était parfois plongée dans de vrais délires paranoïaques alimentés par des cauchemars où sa fille subissait les pires atrocités.
Sa toute petite fille qui avait grandi bien trop vite à son goût. Du jour où Giles l'avait abordé à la bibliothèque, lui révélant qu'il était son Observateur, Buffy avait gagné en indépendance vis-à-vis de sa mère. Le code du Conseil était formel sur ce point : elle était la Tueuse avant d'être une lycéenne ou même l'enfant de sa mère. Cette dernière était condamnée à attendre une réponse qui ne viendrait pas, une fille qui ne rentrerait peut-être plus, sans qu'elle sache pour quelles obscures raisons. Et lorsqu'elle n'en pouvait plus, quand son corps réclamait un sommeil que des litres de café et d'inquiétude ne pouvaient lui accorder, alors Joyce saisissait son Valium et avalait des comprimés jusqu'à ce que ses effroyables cauchemars s'engourdissent dans son esprit torturé.
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Un halo perçait la soie effilochée des nuages d'un noir bleuté. Avec la lune d'un blanc laiteux resplendissait le corps pâle de cette jeune fille dansant sur l'asphalte. Ses bras fluides et gracieux rythmaient l'ondulation de ses doigts d'argent. Son bustier, sa jupe et ses bottes se perdaient dans l'obscurité, comme si la femme n'était plus que visage et mains. Ses mouvements livraient à la lune tantôt la courbure délicate d'une cuisse, tantôt la cambrure de son dos dénudé. Une ombre dessinait la pâleur du relief abdominal. La nuit pudique ne consentait à dévoiler que l'esquisse de deux dunes de sable blanc, devant laquelle s'ébattaient les saïs orientaux.
Angel revint à lui doucement, la tête inclinée sur le côté, ne pouvant détourner son regard encore brumeux de cette apparition. La jeune femme était éblouissante et son adresse au combat était aussi admirable que sa splendeur naturelle. Mais l'obscurité semblait la désavantager face à des adversaires redoutables qui renouvelaient leurs assauts avec toujours plus d'ardeur. Angel se leva lentement pour éviter un étourdissement. Puis quand il fut certain que ses forces ne trahiraient pas, il s'élança pour prêter main forte à la jeune femme.
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« Rien à signaler, mon colonel. Attends, si : j'ai faim ! Où qu'ils sont tous passés, les vilains pas beaux ? Tu peux me dire ? … Et Buffy Summers coula des jours heureux. Sa mission de Tueuse était accomplie : elle avait bel et bien éradiqué de la surface de la terre démons, vampires, cafards et autres… tiens, de la compagnie ! »
Les trois adolescents se figèrent sur place. Devant eux, une flamme légère et fugitive dansait dans l'obscurité. Buffy, Xander et Willow gardaient les yeux rivés sur cette petite boule de feu à la fois inquiétante et envoûtante. Derrière elle, une ombre plus menaçante avançait. Droit sur eux. L'ombre noire était parcourue de reflets métalliques dorés par la flammèche. On ne distinguait pas son visage, mais deux yeux luisant flottaient dans le noir.
Buffy extirpa de son jean les pans de sa chemise et ses mains cherchèrent à saisir son pieu… qui n'y était plus. La panique la gagna. Ses mains se mirent à trembler. Le pieu était tombé, elle n'avait rien senti, et l'ombre s'approchait encore. Sa silhouette se fondait dans la nuit. Le frêle feu-follet mourait sous la brise légère. L'obscurité regagnait le cimetière et allait livrer Buffy sans défense à un démon invisible. Elle recula et le talon de sa bottine heurta… Mr Pointu ! Il avait dû rouler à terre lorsque ses mains malhabiles avaient fouillé sa chemise. Elle prit la pose la plus menaçante de son répertoire, suppliant intérieurement Xander et Willow de ne pas crier ni s'enfuir, ou une force irrésistible la pousserait à les imiter lâchement.
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Combattre une troupe de créatures infernales sans rien connaître de leurs faiblesses, était un vrai défi pour Gabrielle. A vrai dire, Xena ne lui avait jamais permis de se mettre dans une telle situation. Sa première tactique avait donc été de déployer les saïs pour intimider ses adversaires. Mais ceux-ci avaient vu de la pure provocation dans le maniement des tridents d'argent.
L'un d'entre eux, le plus imposant, déclencha les hostilités en lançant un uppercut qu'elle para sans grande difficulté. Trois de ses sbires l'attaquèrent en même temps. A l'aide de ses saïs, elle parvint à tenir à distance celui de droite puis lança un coup de pied circulaire qui frappa les deux autres à la tête. Dès que son talon retomba sur le bitume, elle fit tournoyer ses saïs dans ses paumes et planta leurs lames dans l'abdomen qui s'agitait derrière elle. Un hurlement déchira ses tympans mais cela ne suffit pas à la distraire du poing qui menaçait son visage. Un violent coup de coude le détourna.
Puis son avant-bras se déploya vers un horrible faciès surgi de l'obscurité. Un éclair d'argent zébra la base boursouflée du front : une mince gerbe de sang jaillit entre les yeux jaunes qui fixaient la nuque de Gabrielle. Mais elle n'eut pas le temps de savourer cette petite victoire : un coup plus traître que les autres l'atteint au ventre et lui fit perdre l'équilibre. La douleur lui fit lâcher un saï.
Elle tomba sur le dos en s'enroulant sur elle-même et dans un dernier effort, lança ses jambes au-dessus de sa tête. Son pied frappa son assaillant à la mâchoire. Son corps gracile effectua une roulade arrière entre les jambes d'un autre individu. Elle s'aida de ses bras pour se relever juste derrière lui. Elle allait le saisir à la gorge, quand, d'un coup de genoux, il envoya au tapis le monstre à la mâchoire brisée. Gabrielle resta déconcertée quelques secondes, puis se baissa pour récupérer le saï tout en observant son allié inattendu. Celui-ci s'était armé d'une barre de métal. Il la faisait tournoyer pour éloigner les assaillants de Gabrielle. L'art du bâton ne semblait pas lui être étranger. L'amazone sourit et s'élança dans la mêlée.
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« Parlez-moi de cette prophétie. »
Melinda Pappas esquissa tant bien que mal un sourire incrédule.
« Une prophétie ? Vous croyez à ce genre de… sornettes ?
- Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi, professeur. Vous avez consacré des années à l'étude de toutes ces stupidités antiques. Vous n'allez pas me faire croire que… Was? Was passiert? »
Le soldat avait une fois encore ouvert la porte. Visiblement, le règlement acceptait mal ce tête à tête, même en présence d'un officier aussi dévoué qu'Irrsinnstolz. Cependant le cas Pappas faisait partie intégrante d'un ordre de mission confidentiel, tant l'ampleur du projet pouvait influer sur l'avenir du IIIième Reich.
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Angel épousseta son long cache-poussière de cuir noir. Il cherchait des yeux la jeune femme qui l'avait si brillamment défendu lors de leur combat éprouvant contre la horde de vampires. Elle rattachait ses saïs à ses bottes. La lune et les lueurs artificielles de la ville lançaient des reflets électriques dans sa chevelure blonde. Il s'approcha d'elle et lui tendit une main amicale :
« Angel »
Elle lui rendit son sourire.
« Gabrielle.
- Joli nom. C'est la première que tu viens à L.A. ? On pouvait rêver meilleur accueil… Je vais essayer de rattraper ça : tu viens prendre un verre ? »
Son sourire disparut quand il remarqua qu'une mine contrite assombrissait le doux visage de Gabrielle. Avait-il gaffé ?
« Euh, on peut faire autre chose, si tu préfères. Je peux te raccompagner chez toi… les rues sont vraiment peu sûres de nos jours, tu as pu t'en rendre compte. Hé Gabrielle, ça ne va pas ? »
Elle bafouilla quelques bribes de mots dénués de sens pour Angel. Soudain, il comprit. Elle ne parlait pas un mot d'anglais.
Fin de la première partie
