Il se balançait doucement d'avant en arrière, le visage neutre. Il fredonnait un air… Une comptine, peut-être. Il ne se souvenait plus où il avait entendu cet air… C'était comme un bruit éloigné qui revenait d'une époque dont il n'aurait pas dû se souvenir.

L'air était glacé en haut de la tour, le vent lui gelait les os, mais il ne le sentait pas. Le soleil commençait à se lever. De là-haut, la vue était magnifique. L'aube illuminait le parc et la forêt de lueurs rouges et claires.

Mais il ne le voyait pas. Il n'avait pas même encore compris qu'il faisait jour. Il chantonnait tout bas, sans relâche… Cette musique, d'où pouvait-elle venir ? Ce n'étaient que quelques notes qui se répétaient encore et encore dans sa tête.

C'était étrange… Si étrange…

Cela lui faisait du bien de rester ici, tout seul. Il se sentait mieux. Comme libéré. Il haïssait le poids du regard des autres, le son de leurs voix bruyantes et inutiles. Il détestait qu'on l'ignore ou qu'on lui porte trop d'attention, il ne pouvait plus supporter les commentaires des serpentards, la simple présence de Severus Rogue provoquait en lui une colère si violente que ça lui faisait mal. Partout dans ce château, il se sentait mal, assiégé par la réalité du monde, pris en otage.

Sauf ici, en haut de la tour. Seul. A l'abri. Au bord du gouffre.

Non, ce n'était pas qu'il voulait sauter. C'était juste qu'il rêvait de le faire. Il s'imaginait là, sur le parapet, debout, les yeux rivés sur l'abîme. Il s'imaginait avancer jusqu'à ne plus toucher terre. Il imaginait l'ivresse de la chute, et puis la violence du choc, et le vide. Et il se disait que oui, qu'il allait le faire, qu'il allait sauter et ne jamais redescendre ces escaliers jusqu'au monde réel.

Et alors, plus rien n'avait la moindre importance. Puisqu'il était presque mort. Puisqu'il n'était plus tellement vivant.

Et il avait enfin le droit de se reposer. Plus près de ses parents et de son parrain, d'une certaine manière. Presque la main posée sur le voile de l'ombre et du silence qui lui avait volée tant de choses.

Ici, rien au monde ne pouvait l'atteindre. Personne ne le voyait, personne ne le jugeait. Personne ne pouvait plus rien attendre de lui. Ici, il avait enfin payé pour tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il aurait dû faire, et tout ce qu'il devrait faire, et personne n'avait le droit de lui en vouloir, et le monde pouvait bien s'écrouler sur lui-même.

Ici, rien ne le concernait plus, il ne pouvait plus rien, ni se battre, ni hurler, ni se défendre. Il avait enfin le droit de ne plus être malheureux, révolté, blessé. Il avait le droit de ne plus être fort, sincère, ou courageux. Il avait le droit de ne plus respirer, s'il voulait.

Ici il était mort.

Presque mort.

Ici, il n'y avait plus ni bonheur ni souffrance, ni présence ni absence, ni mémoire ni avenir. Il ne ressentait plus rien, il n'était plus rien.

Il avait enfin droit à l'oubli.

Le temps n'existait plus, le temps était mort, lui aussi.

Le plus dur, c'était de redescendre. Ca prenait du temps. Il fallait y aller avec une lente délicatesse. La première étape, c'était de se réveiller. Il fallait se répéter, pendant longtemps, demain, je reviendrais demain, et cette fois, je ne redescendrais pas. C'est juste pour aujourd'hui, je n'ai pas rangé ma chambre, et j'ai oublié de dire au revoir à Hedwige. Je vais redescendre juste cette fois encore, et je reviendrais demain. Demain. Demain tout sera vraiment fini.

Et une fois cette idée imprimée dans son esprit, il pouvait à nouveau voir le paysage, et entendre le hululement des hiboux qui arrivaient, pour porter le courrier du matin. Alors, il pouvait se rappeler qu'il avait des mains, des jambes, un visage. Il pouvait se lever doucement, et commencer à descendre les marches.

Et chaque marche était plus raide, chaque pas plus pesant, il s'efforçait de ne pas y penser et s'interdisait de faire demi-tour.

Lorsqu'il avait atteint la dernière marche, la partie était gagnée, il était de nouveau dans le monde des vivants pour une journée entière.

Du moins il l'espérait.