Salut à toutes et tous ! Je vous propose un petit récit (enfin, « petit », tout est relatif) sur l'univers de Détective Conan et plus précisément sur nos deux compères, Heiji et Kazuha. C'est donc un one-shot en deux chapitres. Toutefois, une grande partie de cette histoire portera sur Kazuha et l'aventure se déroulera dans une habitation revue par mes soins (nous restons malgré tout dans la région d'Osaka). Shinichi et Ran sont donc absents.
Disclaimer : Détective Conan, ses personnages et son scénario appartiennent à Gosho Aoyama sauf quelques persos de ma propre invention.
Avertissement : T pour quelques éventuelles grossièretés et autres bricoles, bien que la barre soit mise un peu haut (je préfère prendre mes précautions).
Sur ce, bonne lecture !
Une réception peut en cacher une autre
Macabre invitation
Enveloppée par la brume nocturne, la demeure campagnarde des Saules oubliés était plongée dans une obscurité totale. Son propriétaire, Mr Kaneo Fujiwara, un riche octogénaire, y coulait des jours paisibles, loin de l'agitation citadine. Fatigué de vivre dans une métropole surpeuplée, ce vieil entrepreneur retraité avait racheté cette habitation et y avait élu domicile. Longtemps laissée à l'abandon, l'ancien propriétaire l'avait cédée à prix d'or à Fujiwara, trop content d'échapper aux nouveaux travaux nécessaires pour maintenir en état l'impressionnante bicoque. Nullement décontenancé, ce dernier avait alors dépensé un quart de sa fortune dans la réparation et la rénovation de son nouveau bien. Cette initiative avait provoqué des grincements de dents de la part de ses héritiers mais étant brouillé avec eux depuis bientôt trente ans, il n'en tint absolument pas compte. Après trois ans de durs et laborieux efforts, la demeure semblait enfin revivre. Semblable à une maison traditionnelle japonaise, elle s'en différenciait par sa grandeur et son ameublement. Fujiwara étant un grand adepte de la culture occidentale et plus particulièrement celle datant du XVIIIème siècle, la décoration pouvait paraître dépassée. Ce curieux mélange avait fortement déplu à Masatane, son fidèle majordome, à son service depuis une quarantaine d'année, qui restait partisan de la tradition nippone mais s'était abstenu d'émettre le moindre commentaire à ce sujet, ne voulant pas s'attirer les foudres de son maître. En effet, Fujiwara détestait que l'on émette la moindre critique sur ses préférences esthétiques et rabrouait quiconque l'entreprenait à ce sujet. Taciturne et réservé, il passait la plupart de ses journées dans son grand jardin, à contempler ses cerisiers, ses pins noirs, ses rangées de bambous près de son grand bassin parsemé de nénuphars et sa collection de bonsaïs. Sirotant son petit alcool de riz, il déambulait souvent sur un chemin pierreux, s'appuyant sur sa canne sinueuse, à la recherche du bon air, se délectant du spectacle des floraisons de ses arbres. L'hiver était sans aucun doute la période de l'année qu'il exécrait le plus. Et bien que l'on ne soit encore qu'en plein mois de novembre, les premières périodes de froids se faisaient déjà sentir.
Alors que la grande pendule en bois laqué faisait résonner les onze heures du soir dans un petit tintement sonore, Fujiwara, emmitouflé dans un épais lainage, avait délaissé d'un air écœuré son habituel thé au jasmin et avait jeté avec mépris son journal sur une petite table vernis. Il s'était rapidement rendu dans sa chambre, laissant le soin à Masatane de fermer les lumières et d'éteindre le feu de cheminée qui consumait les dernières bûches dans un crépitement sonore. Le domestique aux tempes grisonnantes avait rapidement rempli son office et avait ordonné à un autre employé de maison de ranger les derniers couverts traînant sur l'évier de la cuisine avant de prendre congé. Le jeune employé d'une vingtaine d'année aux cheveux blonds avait acquiescé non sans un sourire poli. Une fois sa besogne accomplie, la lumière disparut totalement de la maison. Le calme quotidien régnait désormais dans l'immense propriété. Le silence était total.
Si quelqu'un avait été assez fou ou audacieux pour jeter un œil à cette demeure en pleine nuit, il aurait sûrement aperçu une faible lueur se diffuser à travers les grandes fenêtres donnant sur le salon. Cette douce lumière avança tranquillement, à la manière d'un esprit égaré puis se stoppa net. Dans le salon, une main posa un lourd chandelier responsable de l'inquiétant jeu d'ombre et de lumière et se saisit du journal abandonné quelques heures plus tôt qu'elle posa à plat sur un grand buffet. Ouvrant délicatement presque tendrement le périodique, ses pages furent tournées avec une surprenante lenteur, comme si la personne qui le parcourait prenait le temps de savourer ce moment. Puis, cette dernière se figea lorsqu'une photo apparut devant ses yeux. L'image était suivie d'un article dont le titre était en caractère gras.
« L'Affaire du pendu de la Yodo : le grand détective de l'ouest démêle le vrai du faux »
« Alors que la mort brutale de Mr Akihito Iwasa, directeur de la firme Okuda, retrouvé pendu près de la rivière Yodo avait provoqué une vague de stupeur et d'effroi dans la région, le jeune lycéen de dix-sept ans, Heiji Hattori, détective en herbe, fils du non moins célèbre Heizô Hattori commissaire d'Osaka, est parvenu avec brio à résoudre l'énigme de cette complexe histoire. Après un long interrogatoire des principaux suspects et une fouille minutieuse des lieux de l' « accident », l'identité du coupable a été dévoilée : il s'agit de Mr Daitaro Rokugo, l'un des plus proches collaborateurs de Mr Iwasa. L'enquête a en effet démontré des incohérences dans l'emploi du temps du principal intéressé, ainsi que des preuves matérielles mettant en évidence sa culpabilité. Mr Rokugo a été aussitôt interpellé et transféré à la prison d'Osaka où il séjournera jusqu'à l'attente de son procès. Les services de police ont remercié Heiji Hattori pour sa collaboration volontaire qui s'est révélée, comme toujours, particulièrement fructueuse. Déjà célèbre pour avoir réussi à résoudre de nombreuses affaires épineuses, ce dernier est considéré comme l'un des meilleurs enquêteurs de la région et le digne successeur de son père. Grâce à ce nouveau succès, la relève semble définitivement assurée. Les détails de cette affaire sont consultables, page huit. »
En dessous de cet article, une photo en noir et blanc était parfaitement visible. Cette coupure de journal mettait en scène un jeune homme au teint basané, le torse bombé, les mains sur les hanches, souriant fièrement à l'objectif, entouré de plusieurs policiers. En arrière plan, une jeune fille brune coiffée d'une queue de cheval ne fixait non pas l'objectif mais le jeune détective et arborait une expression à la fois heureuse et admirative. La personne qui avait parcouru des yeux la photo du journal posa un long doigt sur son visage figé puis le releva rapidement. Elle tapa le coin de la photographie où se trouvait la jeune fille à plusieurs reprises, comme si elle était prise d'un tic nerveux. Avec litanie, elle répéta les mots suivants dans un murmure à peine audible :
- Kazuha… Toyama… Kazuha… Toyama… Kazuha… Toyama…
En ce mois de novembre, la cité d'Osaka était plongée dans un halot grisâtre et pluvieux. Au lycée Kaiho, dans la salle de classe du professeur Tajiri, la plupart des élèves somnolaient paresseusement sur leurs sièges. Certains avaient bien essayé de lutter contre le sommeil mais le discours soporifique de leur professeur provoquait indubitablement la somnolence. Heiji Hattori, comme ses camarades de classe, était dans un état léthargique. Les yeux presque clos, la tête menaçant de tomber sur son pupitre, il semblait faire totalement abstraction au cours. Le jeune détective était tellement courbé sur sa chaise qu'il reçut de la part d'une jeune fille, assise deux rangs derrière lui, un regard de reproche. En effet, Kazuha Toyama trouvait son comportement vraiment déplacé mais de toute évidence, son ami n'était pas en état de s'apercevoir de ce qu'il faisait.
Au bout de vingt bonnes minutes, la cloche sonna enfin. Tout le monde sortit, baillant et traînant des pieds, content de quitter sans regrets ce cours passablement ennuyeux. Kazuha s'avança vers Heiji qui s'étirait de manière nonchalante.
- Toujours aussi intéressé par les cours de mathématiques à ce que je vois, lança-t-elle d'un ton sarcastique.
- Ne commence pas, dit Heiji d'un ton lassé. De toute façon, ce cours est une perte de temps…
- Peut-être mais tu ne te gênes pas pour te vautrer sur la table, lui reprocha Kazuha. La politesse, tu connais ?
- Idiote ! Je n'étais pas vautré sur la table ! se défendit le jeune homme en fronçant les sourcils. D'ailleurs, tout le monde roupillait dans la classe, je n'étais pas le seul… et je suis sûr que toi aussi…
- Moi ? s'étonna la jeune lycéenne. Certainement pas ! Contrairement à toi, je sais comment me tenir dans une salle de classe.
- Mouais, c'est ça, dit Heiji, incrédule, tout en marchant vers les portes de sortie du lycée. Tu n'étais pas très réceptive quand même…
Cette remarque agaça davantage Kazuha. Elle savait qu'il avait raison mais jamais elle ne l'admettrait devant lui. Il serait bien trop fier qu'elle avoue une vérité aussi gênante. Alors que Heiji achetait une canette au distributeur du lycée, la jeune fille préféra changer de sujet.
- Dis, lui demanda-t-elle d'une voix étonnamment douce, ça te dirait qu'on se fasse une soirée en ville samedi soir ? Il y a un restaurant que j'ai envie d'essayer et qui m'a l'air très bien.
- Encore un resto ? râla-t-il en levant les yeux au ciel. Franchement, Kazuha, ça fait la troisième fois qu'on y va ce mois-ci ! Ce genre de trucs, c'est sympa une fois et après on s'en lasse. Pourquoi tu ne veux pas aller dans un endroit plus simple et moins cher, comme un fast-food par exemple ?
- Ne m'en veux pas, j'ai besoin de calme pour manger, lui rétorqua-t-elle d'un ton acerbe qui tranchait singulièrement avec celui qu'elle avait employé pour lui faire sa proposition. La dernière fois, on a mit presque trente minutes pour passer la commande à la caisse, les places étaient toutes occupées si bien qu'on a été contraint de rester debout une bonne partie de la soirée et l'idiote de commerçante avait oublié mes baguettes !
- Vu sous cet angle, c'est sûr que ça fait rêver, soupira Heiji en avalant une gorgée de coca. Tu exagères toujours tout, m'étonne pas que les gens aient du mal à te supporter.
Cette remarque la fit tiquer immédiatement.
- Pour ton information, les gens ont également beaucoup de difficultés avec les personnes dotées d'une insupportable arrogance, répliqua-t-elle sèchement en pointant sur lui un doigt accusateur. Mais Monsieur Hattori est si meeeeerrrrrveilleux qu'on peut tout lui pardonner.
Ce fut au tour d'Heiji de froncer les sourcils.
- Tu ne vas pas remettre ça sur le tapis ?
- Et pourquoi pas ?
- Idiote, tu sais très bien que les journalistes ont tendance à déformer la réalité pour les besoins d'un scoop. Les flatteries de cette reporter n'avait que pour seul but de me soutirer des informations exclusives pour son journal. Si tu n'as pas compris cela, je ne peux rien faire pour toi.
- Mouais, ça ne t'as pas empêché de prendre une dizaine de photos pour sa feuille de chou, marmonna Kazuha en arborant une moue boudeuse.
Agacé, Heiji ne répondit pas. Il n'avait pas envie de se disputer une nouvelle fois avec la jeune fille. Non seulement c'était une perte de temps mais il avait l'impression de subir un interrogatoire de police. Il plaignait – parfois – certains suspects qui devaient faire face à ce type de situation. Il soupira et décida d'enterrer la hache de guerre.
- Bon, ptet, râla-t-il. Bref, dis-moi plutôt où tu voulais aller au lieu de m'adresser des reproches.
Kazuha parut surprise. Il était rare que son ami ne veuille pas avoir le dernier mot.
- J'avais envie d'essayer ce restaurant, tu sais celui au centre de la ville…
- Lequel ? s'impatienta Heiji en buvant une gorgée de sa boisson.
- Le Yokoo.
Heiji recracha une partie de son coca.
- LE YOKOO ! s'écria-t-il, consterné. MAIS T'ES COMPLETEMENT CINGLEE MA PAROLE ? T'AS VU LES PRIX QU'ILS AFFICHENT ? TU M'AS PRIS POUR UN FRIQUE OU QUOI ? (1)
Plusieurs élèves près du portail de l'établissement sursautèrent et fixèrent d'un air étonné le responsable du tumulte. Heiji les ignora superbement et observa Kazuha en hochant négativement la tête. Furieuse, celle-ci se sentit bouillir à la fois de rage et de tristesse. Etait-ce trop demander de lui expliquer les choses sans crier ? A chaque fois, il la prenait pour une profonde idiote et ça avait le don de jouer sur ses nerfs.
- J'AI COMPRIS, CE N'EST PAS LA PEINE DE ME PARLER SUR CE TON ! répliqua-t-elle de toute la force de ses poumons.
Les joues de Kazuha étaient rougies par la colère. Heiji soupira longuement et jeta sa canette dans une corbeille. Son sac sur l'une de ses épaules, il se dirigea vers la sortie, dépassant les élèves qui le regardaient avec un mélange de curiosité et de désapprobation.
- Bon, tu viens Kazuha ? lança-t-il sans se retourner. J'ai entraînement de Kendo cet après-midi. J'aimerais éviter d'être en retard cette fois.
Elle demeura interdite pendant quelques secondes puis consentit malgré tout à venir le rejoindre. Leurs fréquentes disputes se terminaient souvent de cette façon. Lorsque l'un des deux était lassé de faire la tête à l'autre, il faisait amende honorable. Evitant les regards interloqués des élèves, elle courut après lui.
- Tu pourrais quand même m'attendre, lui reprocha-t-elle alors qu'elle parvenait à sa hauteur.
- Bien sûr, comme si j'avais que ça à faire, maugréa Heiji, les mains dans les poches. Bon, et si on allait dans un fast-food samedi soir pour changer ?
Kazuha émit un grognement et se renfrogna. Un petit sourire se dessina sur les lèvres du détective de l'ouest. Il adorait la taquiner. A chaque fois, elle arborait cette moue là et il trouvait cela adorable. Cependant, il se gardait bien de le lui dire. La jeune fille ne manquerait pas de se moquer de lui. Et puis, ce n'était pas tellement son truc de raconter ce genre de détails à son amie d'enfance. Il préférait souvent opter pour sa brusquerie habituelle qui, loin de faire ses preuves, évitait de l'embarrasser. Sauf que cette fois, il consentit à faire un effort.
- Mais si tu trouves un resto moins cher, je peux reconsidérer ma position, lui souffla-t-il doucement à l'oreille.
Le visage écarlate, Kazuha n'en croyait pas ses oreilles. Son ami d'habitude si borné serait-il devenu moins entêté avec le temps ?
- Je… je vais voir si c'est possible.
- Oula, incroyable, tu acceptes ! se moqua gentiment Heiji. Cette journée est à marquer d'une pierre blanche. T'es sûre que tu n'es pas malade au moins ?
- Crétin, murmura-t-elle, un léger sourire aux lèvres.
La semaine se déroula sans incidents majeurs et le week-end s'annonça aussi normal qu'à l'accoutumée. En ce samedi matin dans la grande métropole d'Osaka, les rayons du soleil brillaient timidement et le froid était particulièrement persistant. Malgré cette météo maussade, Kazuha, d'humeur joyeuse, se leva de bonne heure et entreprit de faire un brin de ménage. Son père étant souvent absent, elle aidait régulièrement sa mère à mettre de l'ordre dans la maison. Cela concernait aussi bien le dépoussiérage et le rangement que les courses et les diverses autres tâches domestiques. Lorsque les onze heures arrivèrent, elle s'assit sur une chaise, exténuée. Le nettoyage avait été plus long que prévu et elle avait mal partout à force de s'activer en tout sens.
Au dehors, une grande voiture grise s'engagea dans la petite rue et ralentit à mesure qu'elle approchait de la demeure des Toyama. Elle stationna devant le portail et un jeune homme blond sortit par la portière de droite. Ce dernier n'était autre que l'un des domestiques de Monsieur Fujiwara. Il tenait en main une enveloppe rouge vive timbrée. Alors qu'il la déposait dans la boîte aux lettres, la vitre arrière du véhicule s'ouvrit très légèrement et une main jeta négligemment un vieux mégot de cigarette. Sans un mot, le domestique remonta dans la voiture qui démarra aussitôt.
- Tiens, j'ai cru qu'une voiture venait de s'arrêter devant notre domicile, dit Mme Toyama qui jeta un rapide coup d'œil à la rue déserte, perplexe. J'ai dû rêver… Au fait, Kazuha ma chérie, ça ne t'ennuie pas d'aller me chercher le courrier ?
- J'y vais.
Ni une ni deux, Kazuha se saisit de son manteau et frissonna dès qu'elle ouvrit la porte. Un coup de vent glacé balaya son visage et elle se hâta d'ouvrir la boîte aux lettres. Il n'y en avait que quatre, deux publicitaires, une de sa grand-mère qui vivait à la campagne et qui adorait envoyer de longues missives, détestant le téléphone qu'elle trouvait bien trop complexe et une autre qui lui était directement adressée. Surprise, elle fixa l'enveloppe rouge et la décacheta. Il était rare qu'elle reçoive du courrier sauf lorsque cela concernait ses relevés de notes ou les lettres de sa correspondante. D'ailleurs, c'était la première fois qu'elle recevait une enveloppe d'une telle couleur. La personne qui lui avait envoyée cela devait être connue pour son originalité.
Elle déposa les lettres sur un coin de table et monta directement dans sa chambre. Elle sortit un vieux morceau de parchemin qu'elle déplia et remarqua que l'écriture à l'encre était nette et penchée. Elle le lut rapidement, intriguée.
Mademoiselle Toyama,
Etant très intéressé par les arts martiaux et tout particulièrement par l'aïkido, j'ai suivi avec enthousiasme votre prestation lors du championnat régional du mois dernier. J'aimerais si possible vous rencontrer afin d'échanger avec vous de vos aptitudes et de vos succès dans cette discipline et vous permettre ainsi de vous faire connaître du grand public. Ayant noué de solides relations dans le milieu journalistique, j'ai convié Monsieur Etsu Sakai, un éminent reporter du Osaka Sports et ami de longue date que j'aimerais vous présenter à une petite soirée à mon domicile. Monsieur Sakai élabore en ce moment un nouvel article ayant pour sujet « les arts martiaux féminins » et serait enchanté de vous interviewer sur votre parcours et vos récents exploits.
Je vous invite donc à vous joindre à nous le samedi 15 novembre au soir dans mon humble demeure de campagne. Celle-ci se trouve dans la petite bourgade de Natachi (2), à une dizaine de kilomètres au sud de Wakayama. L'adresse exacte est notifiée dans un petit carton à l'intérieur de l'enveloppe. Une voiture passera vous prendre à votre domicile à 19 heures. En cas d'impossibilité, contactez-moi par téléphone. Le numéro est également sur le carton.
En espérant vous compter parmi nous, je vous prie d'agréer, chère mademoiselle, mes meilleures salutations.
Kaneo Fujiwara
Kazuha relut la lettre à plusieurs reprises comme si elle n'en croyait pas ses yeux. Une interview ? Un journaliste qui voulait l'interroger sur ses compétences sportives ? Elle n'en revenait tout bonnement pas. D'habitude, c'était Heiji qui était sollicité par la presse. Dès qu'il résolvait une affaire, tous les journalistes se pressaient pour recueillir ses déclarations. Pour la première fois, elle se sentit réellement importante. On s'intéressait à ce qu'elle faisait et non parce qu'elle était l'amie du détective de l'ouest. C'était particulièrement jouissif.
D'un autre côté, elle hésitait. Elle avait déjà donné rendez-vous ce soir à Heiji. La lettre arrivait bien tard et elle ne savait pas si elle trouverait une tenue adéquate pour sortir. De plus, elle ne se sentirait probablement pas à l'aise dans une telle demeure entourée d'inconnus. Toutefois, elle connaissait tout de même Kaneo Fujiwara de réputation et l'avait déjà aperçu à la télévision. Quant à Sakai, son nom lui disait vaguement quelque chose mais elle ne lisait pas assez la presse sportive pour se faire une idée. Après tout, pourquoi pas ? C'était l'occasion rêvée de faire enfin parler d'elle. Pour une fois que quelqu'un d'aussi important s'intéressait à l'aïkido.
Elle se saisit de son portable, navigua dans son répertoire et sélectionna le nom d'Heiji. Elle décida d'inventer une excuse pour ne pas subir les foudres de son ami et envoya un rapide SMS pour s'excuser de son absence.
« Dsl je ne me sens pas très bien, je ne pourrais pas venir ce soir. On remettra ça 1 autre moment. Passe tt de même une bonne soirée et à lundi ».
Alors que Heiji vadrouillait en ville, les mains dans les poches, l'expression sereine, il entendit un son provenir de son portable. Il l'ouvrit et s'aperçut qu'il s'agissait d'un SMS provenant de Kazuha. Il fronça les sourcils lorsqu'il constata qu'elle annulait leur soirée.
- Quelle idiote ! s'énerva-t-il. Elle me fait tout un cirque pour qu'on aille au resto et au dernier moment elle décommande. Ah là là, j'vous jure !
Il repartit, furibond. La journée s'annonçait bien plus mauvaise qu'il ne l'avait imaginé.
De son côté, Kazuha était parvenue à se procurer une robe pas trop chère dans un magasin après avoir arpentée les rues d'Osaka pendant deux heures et s'était longuement préparée pour la soirée de monsieur Fujiwara. Bon, il était évident que ce genre de soirées était quelque peu barbant mais cela lui permettrait au moins d'obtenir un article dans un journal sportif. Et pour une fois, elle pourrait narguer ouvertement Heiji, en lui disant qu'il n'était pas le seul à être mentionné dans un périodique.
Après que sa mère l'ait aidée à se coiffer, elle attacha soigneusement ses cheveux à l'aide d'une belle broche nacrée qu'elle n'avait pour ainsi dire portée que lors du mariage d'un de ses cousins et enfila sa ravissante robe de soirée mauve lui arrivant jusqu'aux genoux. Elle remonta ses lanières et disposa sur l'une d'elle une belle et discrète fleur de lotus. Elle se maquilla, se poudra, enfila ses bottines noires et se contempla dans le miroir.
« Hum, ça peut aller, se dit-elle en souriant à son reflet. Ni trop, ni trop peu ».
Alors qu'elle rajustait sa robe, on sonna à la porte. Mme Toyama allait ouvrir mais Kazuha, son sac à main sous le bras, l'arrêta d'un geste en descendant à toute vitesse l'escalier.
- Laisse, c'est sûrement pour moi.
Elle rajusta sa coiffure et ouvrit la porte. S'attendant à tomber sur le chauffeur de Monsieur Fujiwara, elle tomba sur le visage passablement grognon d'Heiji.
- Eh bien, on ne perd pas son temps à ce que je vois !
- Heiji, qu'est ce que tu fais là ? s'exclama-t-elle en haussant les sourcils.
- Oh rien, je passais simplement voir comment tu allais, répliqua-t-il sèchement. Finalement, tu as l'air plutôt en forme. On peut savoir où tu comptes aller comme ça ?
Kazuha retroussa sa lèvre inférieure, le visage rougissant de gêne. Elle n'avait pas imaginé que Heiji serait venu pour prendre de ses nouvelles. Elle regretta immédiatement de ne pas avoir inventé une meilleure excuse. Mentir n'avait jamais été son fort.
- Ce… Cela ne te regarde pas, rétorqua-t-elle d'une voix tremblante.
L'expression du détective de l'Ouest s'assombrit. Il détestait quand son amie lui faisait des cachotteries. Ils s'étaient toujours tout dit, ce n'était pas maintenant que cette habitude allait changer.
- Un rendez-vous galant peut-être ? lança-t-il avec froideur.
Kazuha se sentait terriblement mal-à-l'aise. Elle ne voulait pas lui révéler qu'elle allait uniquement à ce dîner pour obtenir une interview exclusive dans un journal sportif. Ce serait le meilleur moyen pour qu'il se moque d'elle. Elle préféra rester évasive dans sa réponse.
- Non, tu te trompes. Je vais… je vais voir une amie.
« Quelle excuse bidon » pensa-t-elle.
- Je croyais que tu étais souffrante ? dit Heiji d'un ton soupçonneux.
- Oui, mais ça va mieux. Mon amie m'a appelée cet après-midi et elle n'allait pas bien, elle non plus. Du coup, je vais aller la voir.
- Bien sûr, c'est tout à fait normal de rendre visite à une amie habillée en robe de soirée et maquillée de la sorte, déclara-t-il ironiquement.
Sa voix cassante et son regard inquisiteur peina la jeune fille qui essaya malgré tout de garder contenance.
- Comme il est également normal de faire faux bond à son ami alors qu'on lui a cassé les oreilles toute la semaine pour aller manger dans un foutu restaurant ! acheva-t-il avec mauvaise humeur.
Elle n'eût pas l'occasion de répondre car un homme aux courts cheveux noirs et habillé en costume de chauffeur fit irruption dans la cour et s'approcha de la porte. Il jeta un rapide coup d'œil en direction d'Heiji puis fixa Kazuha.
- Mademoiselle Toyama ?
- Oui ? dit-elle d'une voix nerveuse.
- Je suis Wakashi Nosuke, le chauffeur de Monsieur Fujiwara, se présenta-t-il en se courbant docilement. Pardonnez mon retard, les routes sont encombrées à cette heure-ci. Pouvons-nous y aller ?
- Euh… oui, je suis prête, dit-elle d'une toute petite voix, évitant le regard accusateur d'Heiji. Je vous suis.
Elle prévint sa mère qu'elle s'en allait, attrapa son manteau qu'elle enfila, referma la porte et suivit Nosuke jusqu'à une grande voiture noire très spacieuse. Heiji la suivit et s'approcha d'elle avant qu'elle ne monte dans le véhicule.
- Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu étais invitée chez Kaneo Fujiwara ? lui reprocha-t-il, furieux. Et d'ailleurs, comment connait-il ton existence ?
- J'ai cru que tu allais te moquer de moi, lui expliqua-t-elle en soupirant, sachant qu'elle ne couperait pas aux révélations. Il m'a gentiment invitée à venir chez lui et je ne l'ai su qu'aujourd'hui par courrier. Il est très intéressé par l'aïkido et m'a proposé de rencontrer un journaliste d'Osaka Sports pour une interview. Voilà toute l'histoire.
- Kaneo Fujiwara, un passionné d'aïkido ? s'étonna Heiji, perplexe. J'aurai vraiment tout entendu…
- Mademoiselle Toyama, si voulez bien prendre place, lui proposa poliment Nosuke. Monsieur Fujiwara aime la ponctualité et nous ne sommes pas en avance.
- Très bien, excusez-moi, dit-elle en mettant un pied dans la voiture. Heiji, rajouta-t-elle en se tournant vers lui, je suis désolée de t'avoir mentie mais ce dîner est peut-être la seule occasion pour moi de…
- N'en dis pas plus, j'ai compris, la coupa Heiji en souriant. Passe une bonne soirée.
Kazuha ne croyait pas en sa chance. Son ami ne lui en tenait pas rigueur. Elle soupira intérieurement.
- Merci.
Soudain, il se rapprocha d'elle et lui murmura doucement à l'oreille comme s'il s'apprêtait à l'embrasser sur la joue.
- En cas de problème, n'hésite pas à m'appeler. Tu as mon numéro.
La jeune fille rougit jusqu'aux oreilles et acquiesça silencieusement. La voiture démarra et Heiji la regarda s'évanouir dans la nuit. Etrangement, il se sentait plutôt inquiet. Il ne savait pas pourquoi mais laisser Kazuha sortir seule en soirée lui causait toujours des soucis. Tentant d'ignorer cette inquiétude, il repartit chez lui, sa caquette vissée sur sa tête, les mains dans ses poches.
Après avoir parcouru une vingtaine de kilomètres, la voiture franchit le portail de la propriété de Monsieur Fujiwara. Le jardin, sanctuaire sacré du propriétaire, était plongé dans un halot brumeux qui rendait difficilement distinguable les arbres et les différentes variétés de plantes. Une fois devant la demeure, Nosuke ouvrit la portière à Kazuha et l'aida à sortir. Cette dernière réprima un frisson et redressa le col de son manteau. Le chauffeur l'accompagna jusqu'à la porte d'entrée et s'excusa auprès d'elle, prétextant devoir remettre la voiture au garage.
Elle sonna à la porte et un jeune domestique blond vint lui ouvrir. Il lui adressa un sourire radieux comme s'il la connaissait depuis toujours et l'invita à entrer. Il lui proposa de retirer son manteau, ce qu'elle fit et en profita pour la complimenter sur sa tenue. Kazuha rosit légèrement et traversa le hall encombré par les plantes vertes disséminés dans de gros pots en cuivre.
Devant elle se trouvait une grande salle de réception où était suspendu un lustre. La table était d'une taille impressionnante cependant, seuls trois couverts reposaient sur la belle nappe blanche aux motifs brodés. Deux hauts buffets en bois étaient disposés de part et d'autre de la pièce et divers objets y figuraient sur le dessus. Une vieille horloge trônait derrière un grand siège en velours qui devait sûrement être la place réservée du propriétaire des lieux. Kazuha marcha sur un long tapis rouge marquant le début de la salle et s'avança vers un présentoir de divers amuse-gueules. Elle se saisit d'un petit toast au foie gras tandis que le domestique commençait à ouvrir une bouteille de champagne.
- Monsieur Fujiwara vous prie de l'excuser, lança le jeune domestique en réussissant à déboucher la bouteille dans un « pop » sonore. Ayant passé une mauvaise nuit et s'étant levé bien tard, il n'est pas encore tout à fait prêt. Il viendra normalement à la fin de l'apéritif. Si cela ne vous dérange pas de patienter.
- Très bien, répondit Kazuha en souriant poliment.
La soirée risquait d'être longue. Elle remercia le jeune employé lorsqu'il lui tendit une coupe de champagne.
- Si vous désirez quelque chose, mademoiselle Toyama, n'hésitez pas à me faire appeler. Je me nomme Mitsumichi Kurogane. Mitsu-san, si vous préférez.
Kazuha hocha la tête et le jeune majordome sortit après s'être courbé devant elle et lui avoir adressé un sourire étincelant. Cette exagération ne la choqua même pas. Cela devait être une excentricité courante au sein de la maison.
Les minutes passèrent. Assisse sur une chaise, Kazuha but sa coupe de champagne dans un silence entrecoupé par les mouvements de balanciers de l'horloge et observa les tableaux et les estampes que possédaient Fujiwara. Il en avait une belle collection mais l'ordre dans lequel ces œuvres apparaissaient était somme toute confus. Il semblait un homme bien étrange. Elle se demandait bien à quoi il pouvait ressembler.
Au bout d'un long quart d'heure, elle entendit la porte d'entrée s'ouvrir et une voix criarde retentit dans toute la demeure. Kurogane entra dans la pièce en compagnie d'un homme d'une quarantaine d'année. Celui-ci, de taille moyenne, le crâne dégarni, les sourcils broussailleux, portait une petite barbiche et des lunettes rondes. Habillé d'un immonde costume rose saumon, il observa la pièce, se rapprochant des sous-verres pour les contempler. Il semblait aussi myope qu'une taupe.
- Dis donc, Karagone, ça a bien changé depuis que je suis venu ici, commenta-t-il en rajustant sa cravate mauve. Trois ans depuis ma dernière visite. Le temps est si rapide de nos jours. Il n'a pas lésiné sur la décoration, c'est toujours aussi laid. Oh, qu'avons-nous là ? ajouta-t-il en observant Kazuha avec intérêt.
- Monsieur Sakai, permettez-moi de vous présenter Mademoiselle Toyama, annonça Kurogane, un petit rictus amusé aux lèvres. Et permettez-moi de rectifier : je m'appelle Kurogane.
- C'est un grand honneur de vous rencontrer, mademoiselle Totoyala, dit-il en effectuant un baisemain sonore, ignorant la remarque de l'employé. Je serais ravi de discuter de judo avec vous après le dîner, cela va de soi. Au fait, où est cette canaille de Fujiwara-san ? Il n'est même pas venu nous saluer ?
- Monsieur se prépare, l'informa Kurogane. Il sera là dans une petite demi-heure si tout va bien.
- Ah parfait, parfait, répondit Sakai en saisissant la coupe de champagne que lui tendait le domestique. Eh bien, buvons à notre futur article, mademoiselle Tolaba. A la vôtre !
- Toyama, rectifia la jeune fille mi-amusée mi-exaspérée. Et je ne fais pas de judo mais de l'aïkido. Santé.
- Tout ça c'est le même jargon, déclara Sakai en avalant son verre cul sec. Je goûterais bien ces petits fours, cela fait bien cinq heures que je ne me suis pas rempli la panse…
Alors qu'il se dirigeait vers le petit présentoir rempli de toasts en tout genre, Kurogane s'approcha de Kazuha et lui chuchota :
- Monsieur Sakai est connu pour être un original...
- Oui, j'avais remarqué, dit-elle en tentant un sourire qui se transforma ostensiblement en grimace.
Elle était clairement mal-à-l'aise avec ce genre de personnes car elle ne savait jamais quelle attitude adopter. Si Monsieur Fujiwara était du même accabit, la soirée s'annonçait particulièrement fatigante.
- Alors dîtes-moi, comment connaissez-vous le vieux Fuji ? la questionna Sakai d'une voix forte en prenant place à côté d'elle tout en s'empiffrant de toasts aux œufs de lymphe.
- Je ne l'ai jamais rencontré, lui avoua Kazuha en réprimant une moue dégoûtée devant sa mastication affreusement bruyante. Il m'a envoyé un courrier pour me convier à cette soirée et je ne l'ai reçu qu'aujourd'hui.
Kurogane lui resservit une coupe de champagne et s'en alla en cuisine, se courbant docilement avant de quitter la pièce. Sakai la scrutait d'un air devenu étonnamment sérieux.
- Hum, je vois où se situe le problème.
- Pardon ?
- Il vous obsède, n'est-ce pas ?
Kazuha haussa les sourcils, l'air dubitatif. De quoi parlait-il ?
- Ah là là, on croit pouvoir échapper aux griffes de son destin mais elles vous rattrapent toujours. Quitte à vous entraîner dans un abysse sans fond.
Le discours de Sakai lui parut d'une rare incohérence. Qu'est-ce qui lui prenait de parler comme cela ? Et à quoi faisait-il référence ?
- Excusez-moi monsieur Sakai, je ne comprends pas bien ce que voulez dire…
- Si j'étais vous, j'essaierais de l'oublier, la prévint-il. Tôt ou tard, il vous entraînera dans sa chute. Prenez garde.
- Mais enfin de qui parlez-vous ?
- Cette ombre permanente risque de vous jouer des tours. Soyez prudente, mademoiselle Tamayo.
- Toyama, corrigea-t-elle par réflexe. Ecoutez, je ne…
- La fuite est-elle une option envisageable ? la coupa-t-il, l'air songeur. Malheureusement, je crois qu'il est trop tard. Bien trop tard.
Kazuha sentit ses nerfs prêts à lâcher. Ce type racontait non seulement n'importe quoi mais il ne semblait visiblement pas tout à fait net. Pourquoi avait-elle accepté une telle invitation ? Si elle devait compter sur ce Sakai pour l'article, ça n'allait pas être triste. Il ne savait même pas faire la différence entre le judo et l'aïkido ! Cette soirée tournait vraiment au ridicule.
« Je ferais mieux de partir, pensa-t-elle. Tant pis, je m'excuserai auprès de Monsieur Fujiwara et je demanderai à son chauffeur de me reconduire. Je vais également passer aux toilettes pour passer un coup de fil à Heiji. Il n'est pas trop tard pour aller manger un morceau dans un fast-food ».
Elle se leva de sa chaise et déclara d'un ton à la fois aimable et forcé.
- Je vous prie de m'excuser, monsieur Sakai, je dois me rendre aux toilettes.
Sakai leva la tête vers elle.
- Certainement. Couloir de gauche, dernière porte à droite.
Kazuha le remercia et fila d'un pas rapide en direction des toilettes. Le couloir était illuminé par plusieurs lampes placées le long du mur de gauche tandis que quatre portes en bois, toutes fermées, étaient alignées du côté du mur de droite. Elle parvint jusqu'à la dernière porte et posa sa main sur la poignée. A cet instant, toutes les lumières s'éteignirent brusquement, plongeant le couloir et le reste de la demeure dans une obscurité totale. Kazuha sursauta légèrement et poussa une exclamation ennuyée.
« Il ne manquait plus que ça ».
Elle farfouilla son sac à la recherche de son portable mais ne réussit pas dans la pénombre à en distinguer le contenu. Elle repartit en direction de la salle de réception à tâtons, s'aidant du mur pour parvenir jusqu'à destination. Elle perçut une faible lueur émanée de la pièce et vit qu'il provenait des bougies d'un grand chandelier en bronze. A son plus grand étonnement, Sakai n'était plus dans la pièce.
- Monsieur Sakai ? appela-t-elle. Vous êtes là ?
Aucune réponse. Kazuha observa les alentours d'un air inquiet. S'il y avait bien une chose qu'elle détestait, c'était se retrouver dans un endroit inconnu plongé dans le noir. D'autant que ce silence oppressant n'arrangeait guère les choses.
- Monsieur Sakai ? Kurogane-san ?
Ces appels n'eurent aucun effet. Elle avait l'impression que toutes les personnes présentes étaient brusquement parties, la laissant seule dans cette atmosphère angoissante. A la lueur du chandelier, elle farfouilla une nouvelle fois son sac dans l'espoir de mettre la main sur son portable. Son exploration fut de courte durée. Un grincement de porte l'interrompit dans sa tâche et elle se tourna aussitôt vers l'origine du bruit, effrayée. Il n'y avait personne.
« Bon sang, si c'est une blague, elle est vraiment de mauvais goût » pensa-t-elle en tentant de calmer son cœur qui battait à folle allure.
Elle scruta les environs, de moins en moins rassurée. Pourquoi semblaient-ils avoir tous disparus ? Et pour quelle raison Sakai avait-il quitté la pièce ? La coupure de courant ne pouvait pas en être la cause. Décidemment, quelque chose ne collait pas.
Se saisissant du chandelier, elle avança lentement et sortit de la salle. Le hall n'était plus visible dans l'obscurité. Cependant, elle se résolut à quitter au plus vite la demeure qui ne lui disait rien qui vaille, surtout dans cette pénombre. Cette ambiance malsaine correspondait parfaitement à celle que l'on trouvait dans les histoires de fantômes. Ce genre de récits l'avait toujours terrorisée. Même à son âge, elle n'arrivait pas à ne pas frissonner lorsqu'on lui racontait de vieilles légendes au sujet d'un esprit frappeur ou d'une villa maudite.
Le chandelier ne diffusant pas une lumière suffisante pour convenablement l'éclairer, elle avança à l'aveuglette jusqu'à la porte d'entrée. Elle le déposa sur un vieux meuble où reposaient trois pots en cuivre et actionna la poignée avec force. Rien ne se produisit. Elle réitéra son geste à plusieurs reprises mais la porte resta ostensiblement fermée. Elle fouilla le vieux meuble dans l'espoir d'y dénicher une clé. Malheureusement, elle ne trouva que de vieilles nappes rongées par l'humidité entassées pèle mêle à l'intérieur. Le pire, c'est qu'elle comprenait ce que cette situation impliquait : elle était tout simplement enfermée.
Déglutissant avec peine, elle prit sa tête entre ses mains. Qu'avait-elle fait pour mériter cela ? Pourquoi fallait-il que ce genre de choses tombe sur elle alors qu'elle faisait tout pour les éviter ?
« Mon portable » se dit-elle aussitôt.
Cet objet demeurait son ultime recours. Avec énergie, elle farfouilla à nouveau son sac afin de mettre la main sur ce satané engin téléphonique. Elle renversa son contenu sur le meuble et continua sa fouille. Néanmoins, au bout de cinq longues minutes de recherche intensive, elle dut se rendre à l'évidence : son portable avait lui aussi disparu. Son cœur rata un battement. Elle ne pouvait prévenir personne de l'extérieur. Elle ne pourrait jamais appeler Heiji. De plus, il ne semblait y avoir aucun téléphone dans la salle de réception. C'était le pire scénario qu'elle puisse imaginer.
Alors qu'elle remettait ses affaires dans son sac, un détail lui échappa : comment son portable avait-il pu disparaître sans qu'elle ne s'en aperçoive ? Elle l'avait laissée dans son sac à main qu'elle n'avait pas une seconde lâchée. Sakai n'avait pas pu lui subtiliser, elle s'en serait forcément aperçue. Kurogane alors ? Il était le coupable idéal. Mais dans quel but ? Pourquoi le domestique de Monsieur Fujiwara se serait-il amusé à dérober le portable d'une invitée de son maître ? Cela n'avait aucun sens.
« Qu'est-ce que je vais faire ? » se lamenta-t-elle.
Soudain, une porte claqua violemment. Le bruit semblait provenir des cuisines mais il résonnait sous forme d'écho à travers les murs. Kazuha poussa un cri et se plaqua contre la porte, affolée.
- Qui est là ? appela-t-elle d'une voix tremblante.
Un petit ricanement très désagréable brisa le silence. Il résonna dans toute la demeure et terrorisa la jeune fille dont le corps était en proie à des tremblements incontrôlables.
- QUI EST LA ? répéta-t-elle d'une voix rendue bégayante par l'émotion.
Le rire déplaisant s'évapora aussi vite qu'il s'était manifesté. Le calme revint dans la sombre habitation. Une main contre son cœur, elle tentait de reprendre une respiration normale.
« Il faut que je sorte d'ici à tout prix, se persuada-t-elle. Qu'importe ce qui peut se passer, je dois me montrer courageuse et forte ».
Cette motivation l'aida à quitter le hall pour rejoindre la salle de réception en s'aidant pour cela de son chandelier. Les bougies fondaient paresseusement sur l'objet en bronze, ne lui donnant qu'un sursis temporaire avant que son exploration ne s'effectue définitivement dans le noir. La meilleure des choses à faire était de trouver une fenêtre. La maison ne possédait qu'un étage elle ne risquerait pas de se briser le cou si elle sautait de l'une d'elle. Elle allait commencer par les pièces du rez-de-chaussée puis elle emprunterait l'escalier menant au premier étage, s'il existait. Elle ne connaissait pas du tout cette maison et elle n'avait aucune envie de la connaître. La quitter était son seul objectif. Partir, rien de plus. Et au diable cet idiot de Fujiwara. Il semblait clairement complice de cette grotesque farce. Enfin, si on pouvait encore appeler cela une farce. Munie de son chandelier, elle emprunta le couloir de tout à l'heure et avança vers la première des quatre portes du mur de droite.
Elle l'ouvrit doucement.
A l'intérieur de cette petite pièce, un vieux piano à queue trônait sur une estrade en bois. Il était recouvert d'une fine particule de poussière et semblait n'avoir pas été utilisée depuis des lustres. Six chaises avaient soigneusement été alignées face à l'instrument. La fenêtre était cachée par un épais rideau blanc qui ne laissait même pas filtré la lumière de la lune.
Ni une ni deux, Kazuha s'y précipita et tira le rideau d'un coup sec. Hélas, la fenêtre avait été condamnée : de solides planches empêchaient toute fuite impromptue. Elle donna un coup pour en tester la solidité et réprima un cri de douleur. Il était impossible de les briser à mains nues. Et visiblement, il n'y avait pas le moindre objet dans les parages pour se débarrasser de ces planches. Cette constatation amère en amena une autre plus terrifiante encore : que ferait-elle si toutes les fenêtres du rez-de-chaussée se révélaient inaccessibles ?
« Evitons d'y penser » songea-t-elle dans l'espoir que cette présomption soit fausse.
Malheureusement, cette crainte se confirma avec l'exploration des trois autres salles. La salle de projection et la salle de repos possédaient toutes deux des fenêtres condamnées par des planches tandis que dans la dernière pièce – en l'occurrence, les toilettes – il n'y avait aucune fenêtre par laquelle s'échapper. Rien ne lui permettait de quitter cette lugubre demeure. C'était devenu un véritable lieu de détention. On ne peut plus angoissée, la jeune fille se sentait particulièrement vulnérable. Sans portable, sans lumière et sans sortie, elle était prise dans un piège insurmontable. Respirant difficilement, elle tenta de reprendre courage puis se dirigea d'un pas mal assuré vers les cuisines. Le ricanement qu'elle avait précédemment entendu provenait de là et elle n'avait aucune envie de vérifier à qui il appartenait. Tenant son amulette fétiche entre ses doigts, pensant de toutes ses forces à Heiji, elle avança à pas de loups et pénétra dans une grande cuisine d'un style assez ancien. Elle reconnut de grands ustensiles en cuivre, un four et un évier grâce à la lumière de son chandelier. Elle parcourut la pièce en jetant des coups d'œil furtifs derrière elle, de peur que quelqu'un de mal intentionné ne la surprenne. Il n'y avait plus aucune trace de Kurogane. Il n'y avait rien de préparé sur la table, ni aucun plat ni aucun dessert. Hormis quelques couverts qui séchaient sur l'évier, elle était étrangement bien rangée, comme si tout avait été laissé dans cet état depuis la veille.
Maintenant, elle en était persuadée : cette invitation n'était qu'un leurre utilisé par un malveillant pour l'attirer ici. Monsieur Fujiwara semblait être dans le coup, tout comme Sakai et Kurogane. Sinon, pourquoi auraient-ils disparus aussi subitement ? Cette panne de courant n'était pas le fruit du hasard. Cependant, elle ne comprenait pas les raisons qui poussaient Fujiwara à la garder prisonnière ici. Par vengeance ? Ils ne se connaissaient même pas. Par intérêt ? Si elle avait été dans une famille aisée, cela aurait été compréhensible mais ce n'était, à son grand regret d'ailleurs, pas le cas. Le mystère restait entier.
Tandis qu'elle quittait la cuisine le visage songeur, Kazuha entendit un raclement de chaise provenir de la salle de réception suivi d'une quinte de toux. Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle marcha d'un pas rapide malgré sa peur au ventre et pénétra dans la pièce. Il n'y avait toujours personne. Toutefois, lorsqu'elle s'approcha de la table avec son chandelier, elle remarqua qu'un mot avait été déposé sur le présentoir des amuse-gueules. En caractère gras, l'écriture était nette et visible.
« RENDEZ VOUS AU PREMIER ETAGE. SIGNE : UN ADMIRATEUR ».
Apeurée, elle reposa le billet sur la table. Elle était tombée sur un dérangé et ça ne la rassurait pas pour la suite des évènements. Essayant d'ignorer son sentiment de panique qui envahissait son esprit, elle prit la direction de l'escalier menant au premier étage. Cet escalier se trouvait au fond de la salle de réception. Les ténèbres y étaient plus persistantes encore et son chandelier ne suffisait pas pour éclairer deux marches à la fois. Au fil de son ascension, elle entendit un grincement sonore provenir de l'étage, ce qui eut pour effet de la faire ralentir. Le grincement se fit plus persistant jusqu'à ce qu'elle parvienne à la dernière marche où il se stoppa net.
Tout à coup, une longue affiche tomba du plafond dans un bruit sourd pour se dérouler juste devant ses yeux. Sous le coup de la surprise, Kazuha poussa un cri de frayeur suraigu et faillit lâcher son chandelier. Dans son élan, elle menaça de tomber en arrière et se rattrapa in extremis à la rampe de l'escalier. S'écroulant à genoux, elle reprit difficilement sa respiration. Sur l'affiche, les mots avaient été écrits de la même manière que sur le billet de la salle de réception.
« BIENVENUE KAZUHA TOYAMA. NOUS VOUS ATTENDIONS. SIGNE : UN ADMIRATEUR ».
Son sang se glaça. Oui, elle avait vraiment affaire à un cinglé. Ou plutôt à des cinglés. Car Fujiwara ne semblait pas être le seul à avoir monté cette sinistre mise en scène.
Le couloir était aussi long que le couloir du rez-de-chaussée à la différence que celui-ci comportait trois portes de chaque côté et une porte au fond. Les peintures et les estampes avaient été remplacées par des notes collées aux murs. Elles se révélaient aussi énigmatiques qu'inquiétantes et étaient disposées à côté de chaque porte comme un avertissement. Kazuha se releva péniblement et passa une main sur son visage pour essuyer la sueur froide qui coulait de son front. A cet instant, elle aurait donné n'importe quoi pour se trouver ailleurs. Elle avait été tellement sotte d'accepter cette invitation alors qu'elle ne connaissait même pas ce Fujiwara. Cependant, comment aurait-elle pu imaginer qu'il se donnait à ce genre d'occupations ? Et pourquoi s'amusait-il à lui faire peur ? Ils ne s'étaient jamais rencontrés ni même croisés ! Tout ce qu'elle savait de lui, c'était sa réputation d'ancien entrepreneur patibulaire et solitaire. Elle connaissait sa situation par les journaux mais ignorait les détails de sa vie. Et vu l'accueil, elle préférait ne pas s'intéresser aux antécédents de cet homme…
Elle avança prudemment vers la porte de gauche où il était écrit sur une feuille de papier scotchée à la hâte : « Le secret de Kazuha Toyama » et l'ouvrit doucement. A peine eût-elle mit un pied dans la pièce que la lumière s'actionna aussitôt. Elle écarquilla les yeux face à une scène stupéfiante.
Et voilà pour ce premier chapitre ! (oui, je coupe en plein suspense mais sinon, le chapitre serait un peu trop long). Le second arrivera dans la foulée, du moins je l'espère^^. N'hésitez pas à me faire part de vos impressions, positives ou négatives, dans les commentaires. A la prochaine !
Notes :
(1) Sincèrement, le Yokoo est un restaurant qui existe à Osaka mais je ne sais absolument pas les prix qu'il affiche. Ce n'est peut-être même pas un restaurant pour une clientèle aisée. Veuillez me pardonner par avance cette « liberté » qui m'arrange bien dans le cas présent^^.
(2) La ville de Natachi est le fruit de mon imagination (comme beaucoup d'éléments de cette fic en fait^^).
