Celle-là, je ne l'avais pas vu venir. La mort fonçait vers moi avec un bruit d'enfer, projetant des étincelles de fureur et laissant derrière elle un arrière goût de caoutchouc brûlé. Merde, pensai-je, une seconde avant d'être percutée de plein fouet.

1.

J'aime le noir. J'aime quand il fait noir, c'est un des seuls moments ou on ne doit plus se cacher. Je déteste le blanc. Contrairement aux autres, je ne trouve pas que c'est signe de pureté, c'est seulement vide.

Tout était blanc. Une odeur de désinfectant, non, de stérilisant flottait dans l'air. J'en eus un haut le cœur. Me redressant, je sentis une main qui essayait de me plaquer au lit ou j'étais couchée. Je m'obligeai à ouvrir les yeux.

J'eus presque le souffle coupé. Cet homme était magnifique. Je me sentis horriblement stupide et honteuse car la pensée ridicule –suis-je au paradis? -me traversa l'esprit. Voyons, me ressaisis-je, si le paradis est aussi douloureux, autant aller en enfer.

-Doucement jeune fille, vous êtes encore beaucoup trop sonnée pour vous lever comme ça. Je suis le docteur Cullen. Vous êtes à l'hôpital de Forks.

-Quoi? À l'hôpital! M'écriai-je.

Ça y était, la catastrophe. Ils avaient nécessairement dût faire des prélèvements et des analyses de mon sang, de mes os et de tout le reste. Je jaugeai ce docteur Cullen prudemment pour voir s'il avait découvert quelque chose de louche. Il observait mes yeux démesurés calmement avec un air avenant, mais je jurerais avoir perçu une étincelle de curiosité dans son regard.

-J'aurais quelques questions à vous poser.

- Mmm.

Je ne pouvais décemment pas me sauver par la fenêtre sous ses yeux : j'allais devoir attendre une chance de m'évader plus discrètement. De toute façon, je doutai de mes facultés pour l'instant, je me sentais un peu bizarre.

- Vous êtes un mystère, jeune fille.

Une bouffée de panique m'envahie.

- Forks est une petite ville et pourtant personne ne semble vous connaître. Nous n'avons retrouvé nul véhicule pouvant vous appartenir. Vous n'êtes quand même pas venu à Forks à pieds?

Je déglutis. Il ne pouvait deviner à quel point il était tombé pile. Il parut remarquer mon malaise et je maudis intérieurement mon visage expressif.

-J'ai beau essayer, je n'arrive pas à me rappeler de quoi que ce soit avant l'accident.

Ce n'était pas totalement un mensonge. En fait, je ne me rappelais plus de ce qui s'était passé après l'accident, un détail.

-Vraiment? Me demanda le docteur. Il avait l'air un peu surpris. Je ne savais pas s'il se demandait s'il n'avait pas sous-estimé la force de l'impact ou s'il croyait que je le menais en bateau.

Ça se corsait. C'est ce moment que choisit quelqu'un pour entrer dans la chambre. Merveilleux! Une diversion. Je me retournai pour voir qui était le nouvel arrivant et ne put retenir un hoquet de surprise. En fait ce hoquet était tellement énorme que je me mis à tousser, m'étouffant avec mon air. Pathétique.

-Carlisle, Anne m'a demandé de te remettre ça. Il lui tendis un dossier.

-Merci Jasper. Tu reste encore avec nous?

-Non, je dois retrouver Alice à la maison.

-Très bien alors à ce soir.

-Au revoir. Oh! Et si tu as besoin de quelque chose, Edward doit arriver dans quelques minutes. Il veut voir comment va la marmotte qu'il a ramassée sur le bord de la route.

Il me regarda et me fit une grimace espiègle. J'étais par contre trop bouche bée pour répondre d'une quelconque manière. Heureusement il sortit avant d'avoir le temps de me prendre pour une vraie demeurée.

Le Docteur Cullen, lui, n'avait rien raté de ma réaction. Le Jasper en question était aussi beau que lui! Mais dans quelle ville de top models étais-je tombée?

-C'était mon fils, Jasper, me dit-il.

-Ah.

Bien sûr, ça expliquait tout. Je décidai de changer de sujet.

- C'est mon dossier?

-En effet.

-Mmm, pourriez-vous m'expliquer ce qui s'est passé docteur? Ça s'est passé si vite.

En fait, je n'avais rien vu venir et j'en avais un peu honte. Ce n'était pas dans mon habitude de me faire prendre par surprise.

-Je vais d'abord vous demander votre nom, si ça ne vous dérange pas.

-Elena.

-Enchanté Elena. Excuse-moi, je vais t'expliquer. Après tout, tu dois être morte d'inquiétude et rongée par la curiosité.

J'eus un rire nerveux.

Il feuilleta quelques pages de mon dossier, trop rapidement pour avoir le temps de les lire, remarquai-je.

-Apparemment, une voiture a dérapé sur la route 101 à cause de la pluie battante. Tu devais marcher sur le bord de celle-ci, lorsque mon fils t'a vu et t'a poussé vers les bois pour éviter que la voiture ne te frappe. Par contre, en vous poussant, il t'a fait percuter un arbre de plein fouet. Tu t'es cogné la tête très fort. Ta voiture était-elle en panne?

L'ironie de la situation ne m'échappa pas. Seulement, l'étrangeté d'un fils de médecin qui fait une ballade dans les bois pendant un orage m'apparu. Je stockai cette information dans un coin de mon cerveau.

-Edward est votre autre fils? Demandais-je en espérant qu'il oublierait la question qu'il venait de me poser. Ça fonctionna.

-Oui. Je vois que rien ne t'échappe.

Je trouvais surtout étrange qu'un homme aussi jeune ait déjà deux fils assez vieux.

-Et bien, même si j'ai un mal de tête désastreux, j'aimerais bien remercier Edward car sans lui, je ne serais sûrement pas ici pour m'en plaindre.

Je ne pus retenir un sourire en coin à la pensée qu'une simple voiture aurait pu me tuer. Cependant, le fait qu'un jeune garçon aie pu m'assommer contre un arbre me fit tiquer. Une autre information à laquelle je devrais réfléchir plus tard. Pour l'instant, ça augmentait ma curiosité. Je devais rencontrer l'autre fils du docteur Cullen.

Le regard de celui-ci s'assombris.

- Bien sûr, dit-il. D'ailleurs, il veut aussi faire ta connaissance.

Une désapprobation évidente suintait de ses paroles. Elle ne me démonta pas le moins du monde.

-Quand serait-ce possible?

-Du calme jeune fille. Je te rappelle que tu dois te remettre d'un accident grave. Tu va devoir malheureusement passer une série de tests.

Non! Pensai-je.

-S'il vous plait, voyons cela plus tard.

Trois coups légers frappés à la porte l'empêchèrent de répondre.

-Entres, Edward. Dit le docteur avec un soupir de défaite.

La porte s'ouvrit alors et je ressentis une petite excitation à l'idée de voir à quoi ressemblait l'autre fils du docteur. Quand celui-ci entra, je ne poussai aucun cri. Je ne m'étouffai pas avec mon air. Pour la simple et bonne raison que tout d'un coup, je ne me rappelais plus comment respirer. Une voix dans ma tête se demanda vaguement combien de temps j'allais pouvoir tenir comme ça.

Cet homme était la plus belle chose que je n'avais jamais vu! Il n'était pas blond, comme son père et son frère, mais il avait les cheveux d'un brun tirant sur le roux. Sa mâchoire carrée, ses yeux dorés, ses lèvres bien définies, sa peau plus blanche que les murs. Il ne ressemblait pas autant à un top model que les deux autres. Il émanait plutôt de lui une espèce de beauté naturelle, féroce.

J'essayai de regarder le reste de son corps, mais lorsque j'arrivai enfin à détacher mes yeux de son visage, des points noirs embrouillèrent ma vue. Je me rendais vaguement compte que le docteur me parlait, mais je ne l'entendais qu'à travers un épais brouillard, comme s'il avait parlé à travers un oreiller. La petite voix sortant des tréfonds de mon crâne criait. Lorsque je portai attention à ce qu'elle disait, je me rendis compte qu'elle me couvrait d'insultes.

-Oh! Laissai-je échapper. Et je pris de grandes goulées d'air. Bien entendu, j'avais réussi à me rendre totalement ridicule. Pauvre idiote : oublier de respirer. Voilà la première impression que je faisais à l'homme de mes rêves. La voix dans ma tête, sarcastique cette fois, remarqua : beau à couper le souffle.

Il me fixait avec des yeux ronds, comme sous le choc. Il devait être surpris. Il ne devait pas passer inaperçu auprès des filles mais ce devait être la première fois qu'une de celles-ci était sur le point de sombrer dans l'inconscience avant même qu'il n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche.

Le docteur Cullen avait une main sur mon épaule et me secouait doucement. Sa main était glacée à travers la chemise d'hôpital lilas. Génial, je n'osais même pas imaginer de quoi avaient l'air mes cheveux après cet accident sous l'orage. Je n'avais décidément aucune chance avec cet Edward. J'étais même surprise qu'il ne se soit pas encore sauvé en courant.

-Euuh..., furent ses premières paroles.

Même ce son était mélodieux lorsqu'il sortait de sa bouche.

C'est alors que le monstre s'agita en moi. Oh non! Mon défaut le plus humiliant venait de se réveiller. Lorsque j'étais nerveuse, je me mettais à parler. À dire n'importe quoi. Des stupidités qui en général laissaient des froids inconfortables.

-Hey salut, j'ai entendu dire que c'était toi qui m'a sauvé d'une mort certaine et qui a du même coup faillit me tuer.

-Hmmm.

-C'est bon, il n'y a pas trop de dommages. Il n'y avait de toutes façons pas grand chose à endommager là-dedans!

Et je me donnai trois coups sur le crâne.

Grossière erreur.

Je n'avais pas encore eu le temps, ni la concentration nécessaire pour réaliser à quel point j'avais mal à la tête. Ces trois coups avaient avivé une douleur fulgurante qui me traversa la tête d'un bord à l'autre, soulevant un cris de douleur atroce.

-Mon Dieu, est-ce que ça va? Il s'approcha de moi, dans main tendue, dans un geste instinctif de protection, mais dès qu'il fût à moins d'un mètre, il plissa le nez et recula à toute vitesse au fond de la pièce, le visage dans les mains.

-Désolée, c'est possible que je sente un peu mauvais, je n'arrive même pas à me rappeler la dernière fois que j'ai pris une douche.

(Seigneur, abattez-moi quelqu'un!)

Le docteur me regarda avec un air étonné. Et, ô surprise, un silence de malaise s'installa.

Edward releva enfin la tête avec un soupir. Ses yeux étaient emplis d'une immense détresse. Le docteur, Carlisle si j'avais bien compris, le regarda d'un air interrogatif et Edward lui répondit par un hochement de tête à peine perceptible qui ne m'échappa pas. Il m'intriguait réellement, mais avant que j'aie le temps de lui poser quelque question que ce soit, il se dirigea vers la porte.

-Excusez-moi, dit-il.

-Hey! Attends!

Je n'allais décidément pas le laisser partir avant qu'il ait répondu à mes questions. Le fait qu'il ait été capable de m'assommer contre un arbre en me lançant dessus était trop incroyable. Je ne croyais pas que l'adrénaline puisse avoir un effet si puissant.

Je me levai, prête à partir à sa poursuite. J'étais arrivée au milieu de la pièce lorsque deux choses se produirent simultanément. Premièrement, des points noirs se mirent à danser devant mes yeux pour une deuxième fois : je m'étais levée trop vite et du coup, je me remis à tituber. De plus, un éclair de douleur se répandit dans mon bras droit à partir de l'intérieur du coude : je venais d'arracher violemment ma perfusion.

Je n'y prêtai pratiquement aucune attention et me mis à courir vers le corridor ou l'Apollon avait disparu. Je pris instinctivement à gauche et continuai mon chemin en laissant une traînée de sang sur le sol derrière moi. Je devais avoir l'air démente, les yeux égarés et les joues rougies par le stress. Je ne savais pas réellement pourquoi je tenais à ce point à lui parler, mais j'avais cette impression qu'il me cachait quelque chose, une information qui serait capitale pour moi.

J'étais beaucoup plus sonnée par mon coup sur la tête que je ne l'aurais cru. Je n'avais même pas pensé à demander à Carlisle combien de temps j'étais restée inconsciente. L'accident remontait-il à quelques heures, quelques jours? D'ailleurs je trouvais très étrange que le docteur n'ait pas essayé de m'arrêter lorsque je m'étais levé. Il était resté assis sur mon lit, un air de désapprobation peint sur son magnifique visage.

J'étais en train de me perdre dans ce dédale de couloirs, et je doutais de plus en plus de retrouver Edward. La force qu'il avait dût user pour me projeter contre un arbre et me blesser avait du être ahurissante. Je n'étais pas comme les autres. Je n'étais même plus certaine d'être humaine. Il y avait maintenant deux ans qu'un événement atroce avait chamboulé ma vie. Chamboulé n'était même pas le mot. J'aurais carrément pu dire que cette agression avait mit fin à ma vie. Ma vie humaine du moins, la seule que je connaissais.

J'avais été mordue à la base du cou par un fou furieux qui s'était introduit chez mes parents et qui, après avoir égorgé tous les membres de ma famille, s'était jeté sur moi pour boire mon sang en me mordant au niveau du cœur. Heureusement, Ryan, mon petit ami à l'époque était entré à ce moment et voyant le carnage, s'était mit à crier et avait alerté les voisins. Il m'avait ainsi sauvé la vie car il avait servi de diversion et mon agresseur m'avait lâché avant de m'avoir totalement achevé. Malheureusement aussi, car il s'était alors rué sur lui pour le faire taire et lui avait tordu le coup d'un geste sec et rapide avec l'aisance que confère l'habitude, avant de s'enfuir si vite qu'il avait eu l'air flou. J'avais presque été totalement vidée de mon sang.

Alors, la douleur était apparue. Une douleur insoutenable, l'impression que toutes mes veines étaient en train de fondre, que ma peau était en feu, que des milliers de couteaux entraient et sortaient sans relâche de mon ventre. Les ambulanciers étaient arrivés. Mon agresseur fou n'avait laissé aucune trace de sa présence, aucun témoin pour le confirmer à part moi, agonisante et criant sur le sol. En me transfusant du sang, ils avaient vu que je criais moins, ils avaient finit par vider le peu qui en restait tout en m'injectant celui d'un donneur inconnu.

La douleur m'avait enfin laissé tranquille. Le poison présent dans mon sang n'y était plus, mais il avait eu le temps de faire ses dommages. Il avait changé mon corps, l'avait modifié, l'avait rendu plus fort, plus résistant, plus rapide, il m'avait rendu, et j'avais un peu honte de l'avouer, plus intelligente. J'étais cependant bien consciente qu'il n'avait pas eu le temps de faire son effet, que s'il l'avait eu, il m'aurait sûrement tué. Ce venin avait exacerbé toutes mes qualités, il avait amplifié chez moi tous les côtés positifs, toutes mes forces, autant psychologiques que physiques.

Je continuais à courir, ne sachant maintenant plus très bien pourquoi. Je savais pertinemment que je ne le retrouverais pas. Je m'arrêtai près d'un chariot et pris une bande en rouleau pour en entourer mon bras. Le sang formait une longue coulisse descendant le long de mon bras pour aller goutter au bout de mon index. Dégoûtée, je l'essuyai rapidement. Je détestais la vue du sang. Je la supportais même avec peine. J'en avais assez vu dans ma vie.

Je me remis à avancer, à la marche maintenant. J'errai dans ces couloirs vides. Je m'étais rendue dans une aile en rénovation non-utilisée de l'hôpital, totalement vide. Cela me rassurait. Après ma transformation, je n'étais même pas encore sortie de l'hôpital que des policiers venaient m'interroger sur le massacre dont j'étais la principale suspecte. Dès que j'en avais eu l'occasion après leur interrogatoire, je m'étais sauvée par la fenêtre (qui se trouvait au sixième étage) et j'étais disparue dans la nuit. Depuis ce temps, chaque fois que quelqu'un posait les yeux sur moi, j'avais peur qu'il ne devine. J'avais peur qu'il ne se mette à crier, terrifié par le monstre que j'étais.

Je pris une soudaine goulée d'air et me figeai. Un Adonis se tenait devant moi et m'observait. Il avait l'air apeuré. On aurait dit qu'il me prenait pour un démon venu le chercher pour l'emmener vers les enfers. Edward avait la bouche ouverte, comme s'il allait dire quelque chose, mais que les mots s'étaient perdus dans le chemin menant de sa tête à sa bouche. Je m'approchai de lui, pas à pas. Il tremblait des pieds à la tête, me fixant avec horreur.