Zelda s'interrompit, essoufflée, aussitôt réprimandée par Impa.

« Recommence ! Tu n'as pas le droit à une pause tant que tu n'auras pas maîtrisé ce mouvement. C'est toi qui a voulu apprendre à te battre, non ? Alors, assume un peu, et donne toi un peu plus ! »

Aiguillonnée par le ton accusateur de sa nourrice, Zelda se remit en position et raffermit sa prise sur la lourde épée qu'elle tenait. Impa eut un froncement de sourcil, peu habituée à une telle détermination de la part de son élève : après tout, cela faisait bientôt deux heures qu'elle s'entraînait sans répit, pour des résultats minimes – ce qui était normal, elle venait de commencer l'escrime.

La Princesse effectua encore une fois l'enchaînement que lui avait montré la Sheikah : piqué, blocage avec la garde, deux pas de recul, dégagé, tranché. Sa position était encore très scolaire et ses mouvements trop mécaniques, pas assez fluides, mais elle s'en sortait rudement bien pour quelqu'un qui n'avait jamais touché une épée de sa vie. Elle se tourna, anxieuse, vers son professeur.

« C'est mieux, » répondit celle-ci avec une moue approbatrice. Rien ne pouvait faire plus plaisir à son élève : Impa était très avare en compliments. « On reprend demain. »

Zelda acquiesça et se permit de soupirer de soulagement. Elle posa son arme à l'emplacement qui lui était réservée sur le mur, entre deux autres d'apparence identique et se dirigea vers la porte, désireuse de piquer aux cuisines quelque chose pour se rassasier après cet entrainement qui la laissait pantelante. Impa la suivit, silencieuse, toujours perplexe. Pourquoi donc sa petite princesse voulait-elle apprendre à se battre ? Elle disposait de toute l'armée du royaume, et surtout de Link.

Link était justement aux cuisines, à l'origine simplement pour manger, mais également parce qu'il se sentait bien dans cet endroit fourmillant où l'on prêtait peu – voire pas du tout – attention à lui. Cependant, une ou deux cuisinières, sous le charme de ses longs cheveux blonds, de ses yeux bleus éclatants et de son profil angélique, s'attardaient pour lui faire la conversation de manière plus ou moins suggestive, tandis que le concerné, occupé à engloutir une quantité sans mesure de viande, leur répondait sans vraiment prendre conscience de tous leurs sous-entendus.

La blondinette se figea sur le seuil en reconnaissant le guerrier de dos. Elle soupira en remarqua la pile de viandes qui attendaient d'être englouties, et les deux cuisinières suspendues à ses lèvres – presque littéralement. Mû par son sixième sens du combat, Link se désintéressa aussitôt des jeunes femmes – mais pas de sa nourriture, il ne fallait pas rêver, quand même – pour se tourner et adresser un sourire éclatant à Zelda. Elle lui rendit, et les cuisinières échangèrent un regard avant de disparaître de mauvaise grâce. La Princesse se laissa tomber à côté de son ami et attrapa un pilon qu'elle mordit à pleines dents. Le chevalier haussa et sourcil, étonné, et Zelda se contenta de sourire. Il avala rapidement le morceau saignant qu'il était en train de mâcher, laissant une belle traînée de sang de ses lèvres vers son menton, et Zelda ne put réprimer un léger malaise.

« T'as fait quoi aujourd'hui ? »

La jeune fille hésita.

« Pas grand-chose. Des trucs de filles avec Impa. »

Le guerrier n'insista pas, et engloutit une nouvelle tranche de viande.

« Link, ce n'est pas raisonnable ! Que fais-tu qui demande de manger de autant ? »

Il se tourna vers elle, les yeux rieurs.

« Je fais la guerre. Ça creuse, tu sais, le combat ! »

Zelda ne pouvait qu'approuver : elle n'avait fait qu'un misérable entraînement et elle était claquée. Alors, se battre réellement contre des gens qui essayaient de vous tuer, en plus du stress de ressortir vivant, ça devait bien vider. Et Link était, toutes catégories confondues, un surhomme. Elle avait plusieurs fois eu l'occasion de le voir sur le champ de bataille, et avait été estomaquée : il enchaînait ennemi sur ennemi, sans trêve, à une vitesse hallucinante, imparable, vif comme l'éclair, découpant, tranchant, une machine inarrêtable. Il était terrifiant. Une autre fois, elle avait eu l'occasion de le voir avec les yeux noirs, avec le visage déformé par la haine. Alors qu'au combat il était simplement concentré sur ses gestes, le visage lisse, il n'était pas à proprement parler destructeur. Il faisait son devoir, il exécutait une manœuvre qu'il avait toujours répété. Mais ce jour là, malgré l'opacité de la paroi de cristal, alors qu'il faisait face à Ganon, le Fléau, elle avait clairement vu ses yeux virer au noir d'encre, son visage se fermer, la haine pure déformer son visage angélique. Ganon avait rit, et le jeu d'épée de deux antagonistes étaient passé en triples croches. Malgré la reconnaissance d'avoir été sauvée, Zelda n'avait plus jamais regardé son ami de la même manière, ne pouvant plus ignorer cette part d'ombre en lui – cette part qui lui semblait dévorante.

« Tu as l'air ailleurs. A quoi penses-tu ? »

« On pourrait aller chez les Gerudo ? »

Link se figea, estomaqué. Zelda n'aimait pas les Gerudo, et n'aimait pas non plus voyager, et surtout pas aussi loin. Genre, à l'autre bout du monde.

« Qu'est-ce qui te prend ? »

Elle le dévisagea, surprise.

« Tu les aimes bien, non ? C'est ton peuple préféré ? »

« Oui, mais pas le tien ! Pourquoi tu veux voyager, tout à coup ? Pourquoi chez elles précisément ? »

Le regard de la Princesse se fit lointain.

« Je ne sais pas. J'ai juste envie de partir, et j'ai pensé que ça te ferait plaisir. »

Link essaya de décrypter les paroles de son amie, mais elles sortaient tellement de l'ordinaire qu'il préféra ne pas y penser. Qui sait comment il pourrait les interpréter, quels rêves et autres illusions il pourrait se construire sur les mots de la Princesse… Il acheva sa collation et passa une jambe au-dessus du banc pour bien lui faire face.

« Ça me ferait très plaisir de partir avec toi, peu importe où. Toi, moi, Epona, Fenrir et quelques monstres. Mais tu es la Princesse. Non mais je veux dire, tu dois avoir des devoirs, et le royaume, et… »

Elle posa sa main sur l'avant bras du guerrier, qui se tut aussitôt.

« J'ai vraiment besoin d'une pause. » Par ailleurs, autre chose la chiffonnait : « Et qui est Fenrir ? »

Son ami la regarda un moment, étonné, essayant de déterminer si elle était sérieuse.

« Qui est Fenrir ? Zelda… Je… Tu ne l'as jamais rencontré ? »

La jeune femme secoua la tête, et Link sourit.

« Bon, alors, il faudra que je te le présente. »

Zelda décida d'abandonner, et posa une autre question.

« Quand partons-nous ? »

Link réfléchit un moment.

« Maintenant ? »

Zelda eut un hoquet.

« Mais les provisions ? Le matériel ? Les chevaux ? »

« Et bien ? »

« … »

Zelda eut un grand sourire.

« Non, tu as raison. Maintenant. Je veux voir comment tu vis. »

Link lui lança un drôle de regard, une certaine perplexité mêlée de curiosité, et se leva. Il attrapa sa main et l'entraîna vers les écuries, s'arrêtant cependant sur le seuil des cuisines, quêtant quelque chose que Zelda ne vit pas tout de suite. Impa apparut soudain devant eux, et la Princesse se trouva admirative devant le chevalier qui avait su déceler sa présence. Ces deux là, comme d'habitude, pouvaient se comprendre sans un seul mot et la blondinette supposa qu'il lui demandait l'autorisation. Impa se tourna alors vers la Princesse qui se rappella ce qu'elle avait demandé il y a quelques heures. Elle sourit et dit :

« Ecoute, on a qu'à dire que la trame du temps s'arrête maintenant et qu'elle reprendra quand je rentrerais. Comme ça, le lendemain de mon retour sera le lendemain d'aujourd'hui, et je n'aurai manqué aucun entrainement. Ça te va ? »

Impa haussa les sourcils, amusée, et croisa de nouveau le regard de Link. Un mince sourire étira les lèvres de la Sheikah tandis que celui de Link était éclatant. Zelda supposa qu'elle lui avait donné la permission puisque peu après ils étaient tout deux dans les écuries. Link scella Epona et harnacha le cheval préféré de la Princesse, un étalon du nom de Destan à la robe blanche immaculée. Le guerrier attrapa également toutes ses armes, boucliers, arcs et autres différents types de flèche et ils s'élancèrent en direction des portes de la citadelle, salués par les gardes.

« Link ! »

Celui-ci, grisé par la perspective d'un long voyage uniquement avec celle qu'il aimait, n'écoutait plus, enivré par le vent, la nature, l'excitation qui bouillonnait dans son sang.

« Link, bon sang, attends moi ! »

Confus, le jeune homme tira sur les rennes d'Epona, qui frustrée, rua.

« Chut, chut, la, ma jolie, tout va bien. »

Zelda arriva à sa hauteur, décoiffée, les joues rougies.

« Eh, j'ai perdu l'habitude, moi ! »

Link lui sourit, rayonnant, et son amie fut déroutée par ce feu qui semblait s'être allumé en lui.

« Où allons-nous ? »

Le jeune homme tendit la main vers l'immense forêt d'Hyrule qui s'étendait devant eux, et la Princesse haussa un sourcil, sans ajouter un mot cependant. A l'entrée de la forêt, Link siffla, et au loin, il y a eu un hurlement qu'elle reconnut aussitôt : des loups. Elle tourna son regard vers le jeune homme à ses côtés, débordant d'assurance et de joie de vivre, et décida que non, décidemment, elle n'avait rien à craindre. Cependant, il capta son expression paniquée et la rassura :

« Ne t'inquiète pas, ce ne sont pas des loups. »

Elle eut un hoquet, sidéré.

« Quand même ! C'était un hurlement de loup, ça ! »

« D'un loup, oui. D'un seul loup. »

Même si elle ne comprenait pas tout à fait, Zelda décida d'abandonner, toute concentré qu'elle était sur le visage finement ciselé, le sourire rassurant et les yeux pétillants du guerrier. Soudain, en une fraction de seconde, leurs chevaux toujours au trot, il se redressa, banda son arc et tira dans les arbres. Un magnifique oiseau, un héron, s'écroula lourdement sur le sol, sans un cri, une flèche en travers de la gorge. Tout était allé trop vite pour la jeune femme, qui ne pu qu'exprimer son ébahissement avec un léger « wow » qui n'échappa pas aux fines oreilles de Link, dont les joues se teintèrent légèrement. Il ne ralentit cependant pas la cadence, laissant la carcasse où elle était.

« Tu le laisses là ? »

« De quoi ? L'oiseau ? »

Zelda, perplexe, acquiesça. Elle avait du mal à croire que Link pourrait tuer pour le plaisir.

« Fenrir va s'en occuper, ne t'inquiète pas. Avec un peu de chance, un autre de mes amis sera dans le coin aussi, mais je ne pense pas qu'il en aura besoin. »

« Besoin de quoi ? »

« Bah, du héron. Il peut chasser aussi, hein. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, je ne sais même pas s'il mange. Ni même s'il dort. »

« Mais qui ? »

« Quelqu'un qu'il faudrait que je te présente aussi, avant que tu n'essayes de le transformer en charpie. »

Il rit, et Zelda se contenta de sourire. Link l'étonnait. A vrai dire, elle ne s'était jamais trop demandée tout ce qu'il avait pu faire pendant les six mois qu'il avait passé à sauvé le monde, ni après pendant les deux ans où il avait disparu, avant de refaire surface pour lui demandé d'habiter au château et encore moins avant ses dix ans, lorsqu'il s'était présenté à la citadelle pour devenir chevalier. En fait, Zelda ne connaissait rien de la vie de son ami. C'était en partie pourquoi elle vouait partir avec lui : pour apprendre à la connaître et en particulier chez les Gerudo : elle voulait comprendre pourquoi il les appréciait tant alors qu'elle avait tant de mal à les supporter.

Ils arrivèrent bientôt dans un étrange endroit au cœur de la forêt qu'elle ne connaissait pas : autour d'une petite mare, un seul arbre aux feuilles roses, et des rochers noirs parfaitement ronds. Tout autour, la forêt était normale : terre, herbe, arbres aux feuilles vertes… L'eau de la mare était parfaitement limpide, et elle semblait peu profonde. Link descendit d'Epona, et ôta son harnachement qu'il posa sur un rocher, avant de se tourner vers Zelda. La Princesse observait toujours les alentours, et puis remarqua qu'il lui tendait la main pour l'aider à descendre. Elle sourit, et la saisit de bonne grâce bien qu'elle sache très bien descendre de cheval.

« Tu veux te baigner ou juste faire une pause ? »

Zelda scruta l'eau du regard, puis les rochers sous le soleil.

« C'est profond ? »

« Au centre, oui, je n'ai plus pied. Par contre sur les bords, ça arrive au niveau de la taille environ. »

« Je vais faire trempette alors. Cette chevauchée a réduit mes fesses en bouillie. »

Link rit, et enleva son haut de chausse, dévoilant son corps musclé. La Princesse savait bien qu'il ne faisait pas ça pour l'impressionner, mais elle ne put empêcher une rougeur brûlante d'envahir ses joues. Link le vit et ce fut à son tour de rougir.

« Oh, pardon, j'oublie tout le temps qu'on a pas la même hygiène de vie… »

« Laisse, c'est bon. Tu ne vas te baigner avec tes vêtements. »

Le jeune homme secoua la tête, envoyant valser ses mèches blondes désordonnées, rieur.

« Qui a dit que j'allais me baigner ? »

« Moi, pourquoi ? »

Link croisa son regard, et soupira.

« Tu es impossible. »

« Il est surtout impossible que je me baigne seule pendant que tu prends le soleil. »

« Pourquoi ça, Votre Majestée ? »

L'usage de son titre agaça prodigieusement Zelda, effet escompté par le chevalier.

« Bon sang, fait ce que tu veux ! »

« Je n'ai pas besoin que tu me l'ordonnes pour faire ce que je veux, tu sais ? »

Exaspérée, la petite blonde lui tourna le dos et entreprit de se déshabiller à son tour pour se glisser dans l'eau, sans remarquer qu'il se rapprochait insensiblement d'elle. Lorsqu'elle n'eut plus qu'une chemise, il l'attrapa et la jeta dans l'eau, au centre, pour éviter qu'elle ne se blesse en touchant le fond. Elle remonta en barbotant et crachotant, agitant sa tête pour se débarrasser de ses longs cheveux plaqués sur son visage.

« Link, bon sang, tu vas payer ! »

« Tu comprends pourquoi je ne voulais pas me baigner maintenant ? Pour me faire écorcher vif par une furie comme toi ? »

« Ça ne serait pas arrivé si tu ne m'avait pas balancée tel un paquet de farine dans l'eau ! »

« Qui aurait l'idée saugrenue de balancer de la farine dans l'eau ? Ça n'a aucun sens… »

« Link ! »

Son cri ressemblait plus à un rugissement qu'à un simple cri, et par mesure de sécurité, le jeune homme monta se percher dans l'arbre, vif comme un écureuil.

« Descend et viens te battre, espèce de lâche ! »

Complètement mort de rire, le jeune homme ne vit pas l'ombre qu'il l'avait rejoint et poussé, tout habillé pour son compte, dans l'eau avec Zelda. Celle-ci, perplexe, s'interrompit, tandis que Link inspirait une grande gorgée d'air, encore plus mort de rire si c'était possible.

« T'es fou, et si j'étais tombé sur Zel ? »

« Ça n'aurait pas été une grande perte… »

Link, toujours riant, sorti de l'eau et ôta le reste de ses vêtements, qu'il mit à sécher sur les rochers, et attrapa un simple pantalon de toile de rechange qu'il enfila, pensant à Zelda qui serait sans doute très gêné de le voir entièrement nu.

« On parie que je te touche les yeux fermés ? »

« Pari tenu. Où ? »

« Mmh… J'accroche ton col au tronc derrière toi. »

« Ok, vas-y. »

Link attrapa son arc et ferma les yeux. Les oreilles frémissantes – Zelda n'avait jamais vu des oreilles autant bouger que les siennes – il ajusta son tir et ouvrit les doigts. Le trait fusa, quasiment invisible tant il était rapide, et se ficha avec un bruit mat, accompagner d'un glapissement en haut de l'arbre.

« J'ai gagné. »

« Mince, je pensais que trois ans à languir au château auraient eu raison de ton habileté, mais on dirait bien que je me suis trompé… »

Link s'esclaffa.

« Tu ne crois pas si bien dire ! J'ai fait quasiment six mois de front, plus diverses missions d'infiltration et d'assassinat pour le pouvoir royal… J'ai eu le temps et l'occasion de m'entraîner, crois moi ! »

Il reprit soudain son sérieux.

« Et toi ? Qu'as-tu fait pendant ces trois ans ? »

« Pas grand-chose, honnêtement. »

La direction de sa voix avait changé, et Link devina qu'il s'affairait à retirer sa flèche.

« J'ai essayé de sympathiser avec le loup, mais ça n'a rien donné de probant… »

« Forcément, si tu t'obstines à l'appeler le loup, il ne va pas très bien le prendre. »

« … Et Girahim est venu me rejoindre l'année dernière. »

« Tiens ? Il est là aussi ? »

« Non, il est parti il y a deux jours apporter des cookies à Ganon. »

« Des cookies ? A Ganon ? Mais pourquoi ? »

« Le pauvre, il déprime un peu. Ça fait… Combien de fois, déjà ? Vingt fois ? Vingt-trois fois ? Que tu le bats, alors forcément, il commence à le prendre mal. »

« Bah s'il n'essayait pas en boucle de contrôler le monde et s'il arrêtait d'enlever Zelda, peut-être qu'on s'entendrait, lui et moi. »

« Non mais tu sais, c'est le genre de truc que tu peux pas contrôler. C'est le grand méchant qui doit foutre la merde et se faire battre par le héro, c'est tout, c'est inscrit dans son sang, on y peut rien, voilà. »

« Ouais… Tiens, ça me fait penser. »

Il se tourna vers Zelda qui écoutait leur conversation, silencieuse et perplexe, tentant de deviner l'identité du mystérieux interlocuteur de Link.

« Zelda, comment ça se fait qu'on n'ait pas de cookies nous ? »

Elle réfléchit un moment.

« On en a. Myriam en fait, tu dois juste ne jamais en demander. En même temps, ils partent tous comme des petits pains. »

La voix ajouta, légèrement sarcastique :

« Ah, c'est sur que si c'est toi, le beau et charismatique héro, qui lui demande de ses cookies, cette jeune femme ne rechignera sans doute pas à t'en mettre de côté. »

« Tu rigoles, mais je suis sûr que c'est ce qui va se passer. »

« Rahlala, les femmes, tellement prévisible. »

Soudain, les oreilles de Link perçurent un frémissement familier, et il s'écria exactement en même temps que le personnage inconnu en haut de l'arbre qui essayait toujours de se dépatouiller de la flèche :

« Le voilà ! »

Zelda, perplexe, se demanda de qui ils parlaient avant de voir surgir d'entre deux arbres un gigantesque loup noir, traînant le héron abattu par Link une heure plus tôt. Ce dernier se précipita vers le loup, débordant d'affection.

« Fenrir, bon sang, tu m'as manqué ! »

L'animal lâcha aussitôt le cadavre pour sauter sur son maître et le plaquer au sol, et entreprit de le lécher au visage. La Princesse, toujours dans l'eau, remarqua alors la chaîne brisée à la patte du loup, qui tintait à chaque mouvement. Alors, Fenrir était un loup ? Depuis quand Link le connaissait-il ? Pourquoi n'en n'avait-elle jamais entendu parler ?

« Hey, tu as ramené mon héron, c'est bien ! Tu peux le manger si tu veux, sinon je vais faire cuire les pilons pour Zelda et moi. Je me doute que tu as déjà chassé, et il commence à se faire tard. »

En effet, le soleil déclinait, et la blondinette commença soudain à avoir froid. Elle sortit de l'eau et se mit à sécher sur les rochers. Link, entendant l'eau bouger, se tourna vers son amie et rougit instantanément. Sa chemise, trempée, était devenue presque transparente et dessinait ses courbes harmonieuses. Zelda, en voyant Link s'empourprer de la sorte, devina aussitôt ce qui se passait, mais comme elle ne pouvait rien y faire, elle décida de simplement détourner le regard. Le chevalier alla ramasser du bois mort et fit un feu, sur lequel il déposa la viande équarrie du héron, en brochettes. Puis, en attendant qu'elles grillent, il parut se souvenir de la présence de l'autre personne et tourna son regard limpide vers l'arbre.

« Eh bien, Dark, tu t'en sors ? Ou tu as décidé de rester là-haut à ruminer ta peine et ta vengeance ? »

« Gna gna gna… Non, sérieusement, comment tu as fait pour ficher cette flèche aussi profondément ? »

« Ça ne tiendrait qu'à moi, je laisserais la flèche où elle est et je déchirerais mon col. Je dis ça, je ne dis rien. »

« Ah oui, pas bête. »

Un bruit de déchirure se fit entendre et Dark sauta au bas de l'arbre. Zelda étouffa un cri en reconnaissant l'ombre maléfique de Link, aux yeux brûlants. Mais les oreilles fines des deux amis l'entendirent et ils se tournèrent vers elle en une parfaite synchronisation. Le blond prit la parole, nullement troublé :

« Zelda, Dark Link. Dark, Zelda, tu le sais déjà. Zel, t'inquiète, on est cool tous les deux. Dark est sympa, y a pas de soucis. »

Zelda acquiesça lentement du menton, décidant qu'après tout elle n'avait jamais eu à douter de sa confiance en son ami. Dark la dévisagea, songeur.

« C'est curieux, qu'est-ce que tu lui as fait, Link ? »

« Comment ça ? » Demanda le blond avec un froncement de sourcil. « Je ne lui ai rien fait. »

« A une époque, elle ne t'aurait pas cru et aurait insisté pour tu me transperce sous ses yeux, immédiatement. »

« Ah, ça… Ç'aurait été idiot, de toute façon, on ne peut pas se tuer l'un l'autre. »

« Certes. »

Les deux eurent le même sourire carnassier, et Zelda scruta Dark. Malgré sa gêne en les entendant parler d'elle de la sorte, elle était intriguée par cet être du crépuscule : il lui semblait différent de la dernière fois qu'elle l'avait vu – avant de réaliser qu'elle ne l'avait jamais vu. Elle n'avait entendu parler de lui qu'à travers les rumeurs et les exploits enjolivés de Link par la populace. Elle objecta :

« Mais pourtant, vous avez déjà essayé de vous battre tout les deux… »

« Oui. » Ils acquiescèrent en même temps, et Link ajouta : « C'est là qu'on s'en rendu compte que ça ne servait à rien. Alors, on a sympathisé. Et puis il y a trois ans, Dark est venu me trouver chez moi : il en avait marre d'habiter dans un trou avec Vaati à jouer aux cartes toute la journée, il avait besoin d'air, de bouger. Comme personne ne vient jamais dans ma forêt, je lui ai laissé ma maison et je suis venu au château. »

« Ah, c'est pour ça… »

Zelda ressenti une légère déception : elle avait toujours espéré que Link ne soit revenu que pour elle. Mais hors de question de lui dire, bien entendu.

« Oui, mais au final, je n'y ai pas passé tellement de temps. Entre la guerre au nord, les problèmes de bandits à l'ouest et ce monstre géant à l'est, je ne me suis pas tellement reposé.

« La guerre au nord ? Ah, c'est pour ça que Veran était furieuse ! Elle a même brisé une tasse contenant son thé préféré tellement elle était en colère contre toi. Tu as décimé son armée entière à toi tout seul, c'est ça ? »

« Son armée entière, c'est un peu exagéré, mais j'ai ai tué un bon paquet, oui. Je me suis bien amusé à la voir paniquer et essayer de me posséder. »

« Comment tu l'en as empêché, au fait ? »

Link sortit de sa tunique un pendentif que Zelda reconnut aussitôt : il portait l'emblème des Sheikah. C'était l'amulette d'Impa.

« Elle te l'a donné ? »

« Oui. Elle m'a dit que ce serait vraiment dommage si je devais me retourner contre mon peuple après avoir battu Ganon, encore une fois. » Répondit-il en riant. Puis il lui tendit une brochette : « Tiens, mange. C'est bon le héron. »

« Héron, héron, petit patapon… »

Les deux blonds fixèrent Dark, éberlués, avant d'éclater de rire devant son intervention. Fenrir se lova contre son maître, la tête sur ses genoux, et ferma les yeux. Il commençait à faire nuit et la chemise de la Princesse n'avait pas tout à fait séché, même si près du feu. Link, en essayant de bouger le moins possible pour ne pas réveiller son loup, tendit la main pour attraper son paquetage et en sortit une de ses propres chemises ainsi qu'une couverture qu'il tendit à Zelda. Puis il passa son haut qui était sec, puisqu'il n'avait même pas été mouillé, et tout les trois repus, s'allongèrent sans cesser de discuter.

« Et sinon, vous faites quoi dans cette forêt ? »

« On va chez les Gerudo. »

« Pardon ? … Pourquoi ? »

« J'sais pas, Zelda avait envie. »

Dark se tourna vers la princesse, le feu de ses yeux pétillant de surprise et de curiosité. Zelda haussa les épaules.

« Quand je disais que tu lui as fait quelque chose, Link ! Tu vas l'amener où après ? Oh, je sais ! Amène là à Ecaraille ! Ou à Faroria. Où en Akkala. Non, je sais, sur le Pollimage ! »

« Hein ? Ecraille ? Paul le mage ? C'est où ? »

« Ecaraille, » lui expliqua Link, « est un village de pêcheur de la mer du sud. Faroria, c'est la jungle du sud-ouest, où il y a Ordrac, et tu sais, la source de la force. Akkala, c'est au nord-est, c'est très joli mais il pleut tout le temps. Et le Pollimage, c'est le plus beau lac du monde, mais il est au-delà des falaises infinies, alors je ne peux pas t'y amener. »

« Au-delà des falaises infinies ? Il y a quelque chose ? »

« Bien sûr, » répondit Dark, « tu croyais que le monde avait une fin ? On a des tas de mondes parallèles mais seulement sur quelques hectares ? »

« Oh, c'est un peu plus que quelques hectares, Dark, tu exagères. » Protesta Link. « Mais oui, en effet, il y a tout un monde au-delà des falaises infinies, au-delà de la mer du sud et au-delà du désert Gerudo. »

« Et tu es allé partout ? »

« Oh non, pas partout, mais j'ai vu beaucoup, beaucoup de choses. Il y a même un continent où n'habitent que des noirs ! Et un autre où les gens sont tous des Sheikah, mais par milliers. Mais tu sais quoi, Princesse ? »

Zelda, curieuse, secoua la tête, le dévorant des yeux par delà le feu.

« Il n'y a rien de magique au-delà de notre petit monde. De l'autre côté, ils vivent sans magie, sans dieux ni déesses, sans pouvoirs, sans monstres, sans tout ce qui fait notre monde. Ils se passionnent d'économie et de politique, par contre. Et, tu sais quoi d'autre ? »

« Non ? »

« Ils ont des cartes du monde entier, et même du ciel. Mais nous, nous ne somme nulle part. C'est comme si pour eux, on n'existait pas. »

« Ça alors… J'aimerai bien voir ça. »

Link lui sourit, une certaine tristesse dans les yeux.

« Je crains que ça ne soit pas possible. »

« Pourquoi ? »

« On va manquer de temps. Tu as déjà tellement à apprendre de ton monde, alors si en plus il faut que je t'amène au-delà des falaises infinies, on en a pour des dizaines d'années. »

« Plus tard, alors, quand je n'aurais plus le royaume à gérer. »

« Peut-être, plus tard. »

Dark intervint, très sérieux, à l'intention de Link :

« Si tu es toujours en vie. »

Les deux autres échangèrent un regard, où se reflétaient les mêmes sentiments tumultueux, renforcés par un sentiment d'urgence. Dark se leva en s'étirant, presque invisible dans la nuit de la forêt.

« Bon, écoutez, je vous laisse là, moi, j'ai besoin d'un bon lit pour dormir. Vous pouvez passer chez moi, si vous voulez, par contre. »

Et il se volatilisa. Link et Zelda restèrent parfaitement immobiles, semblant attendre que l'autre propose de bouger, tout en songeant secrètement qu'ils préfèreraient rester là tous les deux. Le temps passa avec le crépitement du feu qui se mourrait. Link fit remarquer, environ deux heures plus tard :

« Il faudrait rajouter du feu… »

Zelda acquiesça dans un murmure.

« J'ai un peu froid… »

« Ah, mince, je n'ai qu'une seule couverture. D'habitude, Fenrir me tient chaud. »

« Il est toujours là ? »

« Oui. »

Leurs murmures couvraient à peine le feu, et Zelda ne fit aucun bruit, même pour les oreilles sensibles de Link, lorsqu'elle se déplaça pour se serrer contre lui. Il eut un sursaut qui n'échappa pas à la jeune femme, mais ne dit rien. Fenrir, décidant que cette humaine était de trop, s'échappa de leur étreinte et s'allongea de l'autre côté du feu, laissant la Princesse seule dans les bras de Link. Celui-ci ne savait pas trop comment réagir, craignant de gêner Zelda, mais celle-ci enfoui sa tête dans son torse. Il enroula alors naturellement ses bras autour de ses fines hanches et caressa ses longs cheveux dans son dos. Link avait pris l'habitude de dormir extrêmement peu, au grand maximum quatre heures par nuit, et il savait qu'il ne trouverait pas le sommeil tout de suite, surtout avec Zelda serrée contre lui. Il la dévora du regard, admirant sa peau pâle, presque translucide, et elle lui sembla soudain si frêle, si fragile ainsi tapie contre lui, qu'il ressentit encore plus le besoin de la protéger, du futur comme du passé. Il resserra son étreinte et posa sa tête dans le creux de son cou, les lèvres contre sa peau au goût de pêche, humant son délicieux parfum. Zelda se réveilla, elle n'était que somnolente, mais le chevalier ne s'en rendit pas compte. Elle comprit très vite qu'il la croyait endormie, et n'ouvrit pas les yeux, savourant ce contact qui, elle le savait, lui manquerait. Elle réalisa alors, au bout d'un bon bout de temps, que Link n'était plus immobile autour d'elle : ses lèvres embrassaient à intervalles réguliers, assez fréquents d'ailleurs, son cou. Ses doigts enroulaient et déroulaient une mèche de ses cheveux, et soudain elle se rendit compte qu'il la désirait. Les lèvres du jeune homme n'avaient soudain plus assez de la base de son cou, et elles se déplacèrent en remontant, embrassant chaque parcelle de peau à leur portée. Au niveau de la mâchoire, à la naissance des oreilles, il s'interrompit et s'éloigna légèrement. Zelda fit de son mieux pour paraître endormie, un peu déçue qu'il résiste aussi bien à son envie et s'arrête aussi tôt.

« Bon sang Zelda, si tu savais comme je t'aime… »

Pardon ? Avait-elle bien entendu ? La voix de Link n'avait été qu'un murmure, voire même en deçà, mais le feu s'était tu et la forêt était parfaitement silencieuse.

« Quand tu m'as proposé de partir tous les deux, j'ai cru à un rêve. Et maintenant que c'est une réalité, je me demande si c'était une bonne idée. »

« Mais oui ! » Eut-elle envie de crier. « Embrasse-moi maintenant, gros bêta ! » Ajouta-t-elle en pensée. Bien sûr, il n'en fit rien.

« J'ai tellement peur de moi-même… Et si je te faisais du mal ? Et si je n'arrivais plus à me retenir ? »

« Aucun risque. » Lui répondit-elle, toujours dans sa tête. « J'ai entièrement confiance en toi. »

Link caressa sa joue, et elle frémit, bien malgré elle.

« Tu m'en voudrais si je te volais un baiser ? Tu es tellement belle, tellement lumineuse, là, dans mes bras, juste pour moi. Ma vie n'aurait plus aucun sens sans cette étoile que tu es et qui éclaire mon ciel. Zelda… Ton nom qui roule sur ma langue est le plus doux à prononcer. Tes yeux... J'ai envie de me noyer dedans, chaque fois que tu me regardes, et même quand tu ne me regardes pas. Chaque mot que tu dis est gravé dans mon cœur, chacun de tes sourires flotte dans mon être… Bon sang, pourquoi faut-il que tu sois une princesse ? Et ma meilleure amie ? »

Il s'interrompit un moment, laissant toujours son doigt glisser sur le visage de la jeune femme. Le cœur de Zelda tambourinait dans sa poitrine, tellement fort qu'il lui semblait impossible que Link ne pût pas l'entendre. Peut-être l'entendait-il. Peut-être savait-il qu'elle était réveillée et qu'elle avait entendu chacun de ses mots, et il n'en avait cure. Peut-être voulait-il qu'elle sache.

« Mais j'ai juré de te protéger. Et puis… J'ai tellement de respect pour toi… Zelda, si un jour… Si un jour je devais te dire ce que je ressens, comment réagirais-tu ? Me rejetterais-tu ? Me conserverais-tu ton amitié ? Ou alors… Zelda, est-ce que tu m'aimes ? »

« Oui ! » Avait-elle envie de crier. Mais elle se tut, submergée par ses sentiments. Elle savait que le lendemain, Link n'y paraîtrait plus, et il fallait qu'elle réfléchisse à sa réponse la tête froide.

« Parce que moi, je t'aime. Comme un fou. Et davantage encore. Depuis… Depuis que j'ai décidé d'aller te sauver de Ganon ? Depuis que je t'ai vu, de dos, dans le jardin, et que tu m'as demandé d'aller sauver le monde ? Depuis… Depuis toujours, en fait. Depuis que le premier Héro, là-haut, au-dessus des nuages, est tombé amoureux de Zelda, la réincarnation de la Déesse. Et toujours, de génération en génération, notre amour s'est perpétré. Enfin, je crois. Parce que comme ça, j'aurais peut-être le droit d'être amoureux de toi. Et puis, tu sais quoi ? En fait, peu importe. Parce que c'est toi, toi toute entière, ta beauté, certes, mais aussi ton courage et ta détermination, ta clairvoyance, ta sagesse, c'est tout que j'aime de toi, et c'est bien moi, pas un héritage quelconque, qui est amoureux de toi. Zelda… Peu importe si tu ne m'aimes pas. Je veux vivre en ayant toujours cette sensation de vide comblé lorsque je te vois, ma gorge qui fond et mes entrailles qui dansent lorsque tu me souris. Je veux vivre en étant comblé par le fait de t'avoir dans ma vie, peu importe comment je veux vivre en remerciant les déesses de m'avoir permis de battre Ganon et de te sauver. Je veux vivre en te sachant en vie, au pouvoir, souriante et lumineuse, adulée par ton peuple. Je veux qu'on t'aime, qu'on t'admire, qu'on te respecte, qu'on te loue, et surtout, par-dessus tout, je veux que tu sois heureuse, ma Zelda. Et si je ne suis pas celui à pouvoir le faire, alors je m'en contenterai. Je me contenterai de t'avoir sauvé la vie et de t'avoir emmené une fois en voyage, rien que tout les deux, parce que tu savais que je me languissais au château. Mais sache, ma Zelda, ma toute belle, mon aimée, que partout où j'ai voyagé, je n'ai pas rencontré de femme comme toi, de ta prestance, de ton charisme, et aucune femme ne m'a jamais bouleversé comme toi. J'ai fait plus de sacrifices pour toi que pour le reste du monde tout entier, et tu sais que je donnerai ma vie sans hésiter si cela pouvait sauver la tienne, ou ton honneur. Parce que Zelda, je t'aime. Et si tu ne veux pas l'entendre, je le penserais simplement. Mais puisque tu dors… Zelda, je t'aime. »

Et, tellement furtivement qu'elle cru avoir rêvé, Link déposa ses lèvres sur celles de sa Princesse. Au contact, elle ouvrit grand les yeux, encore toute chamboulée par la déclaration enflammée du Héro. Il se figea, plus que surpris, totalement pris au dépourvu. Zelda se rendit compte qu'elle serrait dans son poing la chemise de Link, et qu'il avait toujours un bras autour de sa taille. Ils se dévisagèrent ainsi longtemps, silencieux, parfaitement immobiles, se demandant comment réagir. Link était terrifiée et Zelda complètement paralysée. N'en pouvant plus, il rompit le silence.

« Tu as… tu as entendu ? »

« Tout. »

Peur panique du côté du chevalier. Il lui semblait que tous ses membres étaient engourdis, il ne les sentait plus, et sa gorge le brûlait, acide et piquante. Même lorsqu'il avait perdu un combat, il ne s'était jamais senti aussi désemparé, autant à la merci de quelque chose ou de quelqu'un. Zelda avait quatre options : lui briser le cœur, oublier, rester amis ou lui dire qu'elle l'aimait aussi, ce qui, pour le guerrier incertain, semblait hautement improbable. Voyant qu'elle ne réagissait pas mais qu'elle ne paraissait pas en colère non plus, il se risqua à lui demander :

« Et… ? »

Zelda cligna des paupières. Et fit une chose que jamais il n'aurait plus prévoir, mais qui aurait dû lui sembler évidente depuis le début, elle l'embrassa. A pleine bouche. Le temps que mit l'information pour arriver au cerveau de Link parut affreusement long à la princesse, mais il finit par réagir. Il lui rendit son baiser, tout en passant son deuxième bras derrière la nuque de la jeune femme et la fit basculer au-dessus de lui. Elle ne lâcha pas sa prise au niveau du torse mais de son autre main entortilla une mèche perlée du guerrier autour de ses doigts. Elle se pressa contre lui, son corps enflammé demandant le plus de contact possible avec celui, qu'elle trouvait absolument divin, du blond en-dessous d'elle. Elle avait tellement souhaité, rêvé, espéré ce moment qu'elle se rendit compte qu'il se passait qu'elle chose qu'elle n'avait pas réalisé : c'était comme si Link comblait un manque en elle, un manque que, elle le découvrirait plus tard, il était le seul à pouvoir combler. Elle en voulait plus, elle voulait le dévorer.

Link, de son côté, n'arrivait pas à être rassasié des lèvres de Zelda, et refusait de les laisser aller, goûtant encore et encore à leur saveur enivrante. Il avait déjà eu des aventures, mais aucune n'avait le goût brûlant, la sensation profonde et ardente de ce qu'il vivait là avec Zelda.

Elle finit par céder la première, se décollant de Link par manque d'air. Il laissa sa tête retomber sur la terre dure, sans la lâcher des yeux, souriant comme un bienheureux. Zelda aussi souriait, bien qu'un peu incertaine. Elle dévisagea Link comme si c'était la première fois qu'elle le voyait. Il voyait ses yeux se ficher dans les siens, caresser son visage, suivre le contour de ses longues mèches. Elle tendit la main et la posa sur la joue. Elle n'était pas brûlante. Elle était douce, incroyablement douce. Elle releva sa main pour ne laisser qu'un doigt en contact, et lentement, lui fit suivre un sillage invisible, savourant cet effleurement. Une de ses mèche se décrocha de derrière sa longue oreille effilée et tomba dans l'œil de Link qui sourit, avant de lever la main et de replacer la mèche à sa place. Zelda, débordant soudain d'émotions, enfouit sa tête contre la joue de Link, dans ses cheveux, battant des cils pour chasser les larmes qui menaçaient de couler. Link le sentit et caressa doucement sa tête. Ce fut trop pour la Princesse qui se laissa aller dans les bras du Héro.

« Link… Je… »

« Chut… Ça fait du bien, de pleurer, des fois. Il faut que ça sorte. »

Zelda hoqueta, submergée, et songea que Link avait dû pleurer aussi, à un moment ou à un autre. Parce qu'il était hylien, et qu'il était hylien de pleurer.

« Tu ne te demandes pas pourquoi je pleure ? »

« Evidemment que si. Mais tu as tant de raison de pleurer… »

Il lui caressait maintenant le dos, tandis qu'elle serrait convulsivement dans ses mains sa chemise, sanglotante, haletante, essayant de retrouver son calme. Elle finit par se concentrer sur la sensation rassurante de son corps en-dessous du sien, de son bras autour de ses hanches, de sa main qui effectuait de lents va-et-vient dans son dos, de son souffle dans son cou, sa respiration calme et détendue sur laquelle elle se calqua. Elle finit par se redresser, les yeux rouges, et Link l'embrassa.

« Alors, » demanda-t-il, « veux-tu me dire ce qui te mets dans de tels états ? »

Elle posa sa tête sur son torse et se laissa aller, écoutant les battements de son cœur.

« Je ne suis pas trop lourde ? »

« Pas le moins du monde, » assura-t-il.

Il y eut un silence où Zelda essayait essayer de trouver ses mots, ce que le chevalier compris parfaitement.

« Je t'aime, » finit-elle par dire.

Link, surpris, s'entendit demander :

« Tu es sûre ? »

« Oui. Je t'aime, Link, Héro d'Hyrule je suis complètement et indéniablement amoureuse de toi. »

« Et c'est ça qui te fait autant pleurer ? »

« Je ne sais pas. Peut-être. Peut-être est-ce un trop plein d'émotions accumulées qui veulent sortir. Peut-être est-ce le fait de ne réaliser que maintenant à quel point je t'aime. Peut-être de réaliser que je me sens enfin pleine, enfin complète, comme si tout d'un coup je venais de trouver la solution d'un problème auquel j'avais passé énormément de temps. J'ai l'impression que tout à coup, plein de chemins s'ouvrent devant moi, que les étoiles brillent plus fort, que chacun de mes sens est exacerbé, que je pourrais cueillir la lune rien qu'en tendant la main. J'ai l'impression que maintenant, je peux faire ce que je veux, j'ai l'impression de flotter quelque part, ailleurs, où la route des possibles est infinie, j'ai l'impression que quelque chose s'est déverrouillé à l'intérieur de moi. »

Zelda se tut abruptement, à bout de souffle, alors qu'elle avait accéléré de plus en plus tout au long de sa tirade.

« Comme si… Non, pas comme si, parce que c'est exactement ça. J'ai besoin de toi. »

Link, profondément touché, se contenta de prendre sa main, et ce geste eut pour eux tous les mots du monde. Un silence suivit. Un long silence, tranquille, où chacun essayait de reprendre ses esprits, complètement absorbés par l'autre. Zelda finit par s'endormir, toujours la tête appuyée sur le torse de Link, et lui aussi finit par fermer ses yeux remplis d'étoiles, un sourire aux lèvres.