De retour après une looongue absence ! ^^
Et c'est reparti pour un petit défi ! Cette fois, nous sommes passées à quatre participantes : Elowlie, Junk'Peria, Shinory et moi-même ! ^^ Les conditions, en dehors de la date de parution, étaient d'écrire un SanZo et d'y intégrer des perles... Voici ma participation et n'hésitez pas à jeter un œil à celle des autres, les résultats n'ont rien à voir et c'est ça qui est génial ! xD
Bon, petit soucis, je me suis emballée et mon emploi du temps ne m'a pas permis d'en faire un OS complet... Du coup, je ne publierai ce soir que la première partie du texte (oui, bon, j'ai foiré le défi... assumons...) ! Désolée les filles ! Bonne lecture tout de même !
Une perle après l'autre
Tu étais là, face à moi, sans me voir. Assis dans ton éternel costard noir, plissé, tâché, qui n'habillait plus que ta présence. Et cette clope qui se consumait au bout de tes doigts. Le temps agissait sur tout, sur tout autre que toi. Immobile. Interdit. Insensible. Mais le plus étrange, sans doute, c'est que tu ne disais rien.
Les yeux rivés sur mes sabres délaissés entre nous, tu ne les lâchais du regard, comme si, la seconde suivante, ils allaient se fondre dans les planches de bois usé. Pour moi, ils étaient une frontière que je ne m'osais franchir. Pour toi, ils représentaient à eux seuls, l'autre côté, et je n'existais plus. Plus que dans tes souvenirs.
Étrangère, ta voix s'éleva finalement, lourde et sombre, au cœur de ton silence.
« Hey… Zoro… »
Ne m'appelle pas comme ça. Que fais-tu de nos querelles ? Que fais-tu de nous ? Mais je ne peux te reprendre, je ne peux te répondre.
« Zoro… »
Ta voix s'étrangle. C'est pour ça que tu ne parlais pas : tu ne peux pas parler. Et puis, il n'y a pas grand-chose à dire d'autre que notre réalité. Ta voix s'étrangle et ton souffle se déchire. Ta voix s'étrangle et ton corps tremble. Ta voix s'étrangle et toi… Je ne savais pas que tu pouvais pleurer. Pleurer pour moi. Et je ne peux t'approcher, je ne peux te toucher.
« T'avais… pas l'droit… »
Je suis mort. Et ça fait chier.
Il était une fois un petit équipage de gentils pirates qui traversaient les flots à la poursuite de leurs rêves. Naïfs. Le capitaine deviendrait le Roi des Pirates, le second serait le plus grand sabreur de tous les temps et le cuisinier découvrirait All Blue. Naïfs. Et les autres… Naïfs. Et… les… autres… Naïfs. NA-ÏFS. Ta gueule… N-A-Ï-F-S… Non, c'est possible ! C'était. C'est possible… C'était. J'y crois. Il est mort. J'ai besoin d'y croire. Il est mort. Si je n'y crois plus… Il est mort. Il peut pas être mort, putain, il était là… Il était. Il était juste là… Il était. Et.
Et t'as crevé, comme ça. C'était pas toi mais un tas de chaire qui s'est écrasé sur le sol. J'ai flippé, pas assez, c'était pas la première fois que tu nous faisais un coup pareil. Chopper t'a pris en charge et personne ne s'imaginait vraiment que ça se terminerait autrement que d'habitude. Personne, sauf toi. Zoro… Tu l'savais, pas vrai ? T'avais vu la mort assez de fois pour comprendre que celle-ci était la bonne, non ? Quand t'as repris conscience, vaguement, t'as fait rameuter l'équipage. Je sais même pas comment, dans cet état, t'as pu convaincre Chopper d'abandonner ton chevet pour ça. Et.
Et t'as lâché des mots qui te ressemblaient pas. T'avais pas l'choix, pas l'temps pour des longueurs donc t'es allé droit au but. Si jamais ça tournait mal, tu voulais qu'on promette de continuer sans toi. En vie, t'étais déjà à moitié mort de nous dire ça. Ils se sont indignés mais il a suffi d'un regard, d'un regard partagé avec Luffy, de ceux qui n'avaient de sens que pour vous, pour qu'il se taise. Le silence est revenu de lui-même. Il a promis. Puis les autres. Sauf moi. Ils n'avaient pas l'air de comprendre mais c'était pas fair-play de ta part. Comment voulais-tu nous imposer des promesses alors qu'en crevant tu abandonnais les tiennes ? Enfoiré… T'as insisté. Je pouvais pas faire ça pour toi. Te promettre que tout irait bien. T'as insisté, m'offrant un regard douloureux. La confiance et la complicité pour lui, la peine et la déception pour moi. C'était un regard que je ne te connaissais pas qui serait pourtant le dernier. Et.
Et t'as crevé, comme ça.
« Arrêt de l'activité cérébrale. Il est… mort. »
Arrêt de l'activité cérébrale… Ça voulait rien dire. Rien ne s'était arrêté. Le soleil se levait, la nuit tombait et le navire naviguait. Tout continuait, mais sans toi.
T'étais un pirate sans vraiment être un marin alors ils avaient décidé que tu ne finirais pas à la flotte, ils préféraient t'abandonner n'importe où, entre ailleurs et nulle part. Du coup, Chopper a poursuivi les soins, forçant ta respiration et les battements de ton cœur, engrenages douloureusement illusoires, tout ça pour te « maintenir en état » jusqu'à la prochaine île. Qu'y avait-il vraiment à maintenir à part des espoirs vains ? Et.
Et plus rien.
C'était pas noir, c'était pas blanc, c'était rien.
C'était pas rempli de tourments, c'était pas vide de souffrance, c'était rien.
Plus rien.
« Hey… Zoro… »
Mes yeux ne se décollaient plus des sabres délaissés à mes pieds. Ils étaient tout ce qu'il me restait de toi.
Tout.
Plus rien.
Plus rien du tout.
« Zoro… »
…
« T'avais… pas l'droit… »
T'avais pas l'droit de partir avant les autres. T'avais pas l'droit d'abandonner. De nous abandonner. Ça te ressemblait pas. Et c'est ça qui me crevait de douleur, tout doucement. Je pouvais pas y croire. Ce type qui faisait ces adieux, c'était pas toi… Ce type qui revenait sur sa parole, c'était pas toi… Ce type-là… Je le connaissais pas… Il te ressemblait à peine… Les mêmes fringues, peut-être, mais la peau si pâle, le corps si fragile… Comment avait-on pu confondre ? Et toi ? T'étais où pendant ce temps ? Qu'est-ce que tu foutais quand on s'acharnait sur un corps étranger ? Zoro, où es-tu ? Loin de tes sabres ? Et… de moi ?
« Zo…ro ? Zoro, c'est toi ? »
C'était bien toi, là, que j'ai senti… Une minuscule chaleur… Pendant un instant. Rien qu'un instant. Bien sûr que c'était toi ! Tu pouvais pas mourir. C'était toi après tout. Je pouvais pas douter, j'avais même pas l'droit de douter.
« Zoro ! T'es où ? Te… fous pas de moi. »
Je tendis la main dans le vide, elle revint vers moi sans rien agripper d'autre que ma chemise trempée. Mais ma vue brouillée m'autorisait à apercevoir… comme un reflet… Je ricanai.
« Ah. Ah. C'est toi. Je t'ai senti… Je t'ai vu… C'est toi, Zoro, c'est toi. Ah. Zoro, allez, montre-toi, arrête tes conneries. »
Je me levai, parcourant la salle d'un regard flou.
« Fais quelque chose, merde ! Faut qu'je sache ! Zoro ! »
Le silence me répondit calmement.
Je… deviens fou, pas vrai ? Zoro… t'es pas là. Tu peux pas… être là. Alors pourquoi je sens cette chaleur qui m'enveloppe ? Pourquoi ?
« Arrête, Zoro… Putain, arrête… »
Je recule pour échapper à mon délire, jusqu'à rencontrer le mur. Mais la chaleur est toujours là. Je m'accroupis, fuyant la démence. Mais la chaleur est là, elle m'entoure, elle me recouvre.
« Arrête, j'te dis. Ça peut pas être vrai. »
Il n'obéit pas. Il ne part pas. Il est là, tout près, comme s'il ne m'avait jamais quitté.
« Me touche pas… T'entends ? Me touche pas, Zoro ! »
Il me broie. Il me brûle. Il m'étouffe d'espoir stérile.
« T'es mort, putain ! Tu es MORT ! »
Et la chaleur se recule, doucement, me rendant à cette effrayante et glaciale réalité. Tu es bel et bien mort.
« Chopper ? Je… peux te déranger cinq minutes ? »
La boule de poils avait levé le nez de ses préparations. Il avait l'air fatigué, comme tout le monde à bord, à vrai dire. Les mots se faisaient rares, les rires… n'étaient plus de la partie depuis ce qui semblait se muer en éternité. Chacun portait sa peine, à sa manière, se plongeant dans le travail ou n'étant plus bon à grand-chose, s'éloignant des autres ou s'en rapprochant afin d'alléger leur douleur, pour oublier un temps la sienne.
« Oui, bien sûr, Sanji ! Je suis vraiment content que tu viennes me voir, tu ne parlais plus à personne depuis que… enfin…
- Depuis qu'il est mort.
- Oui… »
Le petit renne baissa ses yeux embués. En apparence, il semblait supporter facilement son chagrin mais il jouait seulement son rôle de médecin. Lui aussi avait été très proche du bretteur et sa perte lui coûtait. Je m'en voulus immédiatement d'avoir été aussi abrupt, pourtant, c'était bien à ce sujet que je venais le voir.
« Chopper, j'ai un problème, fis-je en tirant à moi un petit tabouret. »
Immédiatement, il comprit que je venais vers lui en tant que « patient » et effaça courageusement toute trace d'hésitation de son visage, m'invitant à poursuivre d'un mouvement de tête.
« Je… deviens fou. J'ai l'impression de le sentir près de moi en permanence…
- C'est normal, vous étiez souvent ensemble. Tu as pris l'habitude qu'il soit là et tu en oublies parfois…
- Non, c'est pas ça. Je sens vraiment une chaleur qui…
- Qui quoi ?
- …qui se comporte comme lui…
- Qui boit et qui dort ?
- Non ! Qui…
- … qui quoi, alors ?
- … qui me tient la main, me serre contre lui ou me fout des mains au cul ! Zoro, quoi !
- Ah.
- …
- Je savais pas qu'il te…
- Chopper…
- … tenait la main ?
- Bref… Je sais plus quoi faire. J'ai beau l'ignorer, me répéter que c'est impossible, ça ne change rien.
- Tu as besoin de temps, Sanji.
- Mais je deviens taré ! J'peux pas continuer comme ça !
- La séparation a été violente, tu n'as pas pu t'y préparer. Tu as un deuil à faire.
- Et je peux pas l'faire sans perdre l'usage de mes facultés sensorielles, par hasard ? Sérieusement, Chopper… Je sais bien que j'arriverai pas à surmonter ça tout de suite. Je sais même pas si j'y arriverai un jour mais… Je veux juste arrêter de me donner des espoirs inutiles… Des fois, j'aimerais juste pouvoir l'oublier et… »
Je sursautai, la chaleur avait brusquement emprisonné mon épaule.
« Sanji ? Ça va ? Tu es tout pâle, d'un coup…
- C'est cette chaleur qui est revenue…
- Bon… Je crois que j'ai quelque chose pour toi.
- Merci, Chopper… »
Après un examen rapide où il ne sembla rien remarquer d'anormal, il se leva pour aller farfouiller dans un tiroir avant de revenir vers moi, posant son présent sur la table que nous partagions.
« Je ne comprends pas. Tu me donnes… un collier ? »
Sans un mot, il l'ouvrit et en retira la plupart des perles avant de me le tendre pour enfin commencer son explication.
« Nami dit que nous arriverons sur la prochaine île dans une semaine. Là, on s'occupera… de la cérémonie. À ce moment, tu devras accepter votre séparation. C'est court donc, même si c'est irréel, profite de ces sept derniers jours avec Zoro. Prends le temps de vivre les derniers instants que tu aurais voulu partager avec lui et fais-lui tes adieux. Je sais que tu as peur de devenir fou en tolérant tes hallucinations mais si ton corps te les suggère, ce n'est peut-être pas pour rien. La rupture a été trop brusque pour toi et tu n'es pas encore prêt à l'accepter… Du coup, pour te rassurer, garder des repères et t'aider à prendre du recul, chaque jour, prends le temps d'enlever une perle du collier. Tu la jettes, tu la gardes, comme tu veux, mais rappelle-toi en l'enlevant du nombre de jours qu'il vous reste ensemble. D'accord ? »
J'acquiesçai en silence. L'idée me semblait étrange et définitivement mauvaise : comment pouvais-je en terminer avec lui si j'acceptais l'idée qu'il pouvait encore un peu être là ? Mais j'avais confiance en Chopper et, fermant les yeux, acceptant cette chaleur qui n'avait pas lâché mon épaule, comme un soutien, je sentais déjà le poids de la douleur s'alléger doucement. Combien de temps cela durerait-il ? Ma main se resserra sur le collier refermé et ses sept petites perles rondes, blanches, parfaitement identiques, les faisant rouler entre mes doigts. Je quittai la pièce.
J'étais retourné dans ta cabine pour m'allonger à même le sol, près des sabres qui n'avaient évidemment pas bougé en mon absence. Jouant distraitement avec les perles, j'entamai mon énième mono-dialogue de la journée.
« J'devrais foutre ce collier en l'air et juste essayer de t'oublier mais… c'est une sorte de prescription médicale, non ? »
Le silence me répondit avec son habituelle concision. Je soupirai.
« Bien. Alors, que ce jour reste gravé dans les mémoires comme celui, tant attendu, où Sanji la jambe noire est finalement complètement parti en vrille. »
Le silence ne se fit pas davantage original, au contraire de la chaleur qui frôla mon sourcil.
« Ah. Te voilà. Il paraît que je dois faire comme si t'étais vraiment là… Mais d'habitude… ou on se fout sur la gueule, ou on s'envoie en l'air… Ça me parait difficilement envisageable… »
Le silence sembla acquiescer tandis que la chaleur commençait à glisser le long de mon torse.
« Arrête tes conneries, Zoro. »
Le silence nous laissa l'intimité dont nous avions besoin et la chaleur se retira, vexée. J'en profitai pour réfléchir un instant…
« On pourrait trouver une solution pour communiquer… J'sais pas. Si tu me touches la main droite, c'est « oui », et « non » pour la main gauche, par exemple. D'accord ? Non ? Pourquoi non ? Oui ? Hey, t'es pas clair, là… Attends… Nan… T'es pas sérieux ! Tu veux dire que… tu t'es planté entre… »
Le silence se brisa sur un rire douloureux que je n'avais pu restreindre. La chaleur, elle, rencontra brièvement mes côtes.
« Ah, ah. Hey, Zoro, dans ma tête, t'es trop bien imité… Dans… »
Le silence reprit sagement sa place tandis que la chaleur se dissipait.
« Dans… ma… tête… »
Le silence étouffa la pièce entière.
« Putain, Chopper… Qu'est-ce que ça va changer, sérieusement ? »
« Zoro ! Arrête, bordel ! Tu vois bien que je cuisine ! Comment veux-tu que je me concen… Ah… Bien joué, j'y ai presque cru… »
« T'as décidé de venir me coller même pendant mes pauses clope ? T'étais pas comme ça avant, tu sais… La mort, ça te réussit pas… »
« Chopper, je suis inquiète pour Sanji… Il parle tout seul… Beaucoup… Il a vraiment pas l'air bien.
- Je l'ai vu ce matin et je lui ai donné quelque chose. Ça devrait s'améliorer, Nami.
- … devrait ?
- Malheureusement, ça dépendra surtout de lui… »
« Hey, Zoro, reste encore un peu, tu veux… Ouais, je sais, j'me suis foutu de toi, ce matin, mais c'est ok… Reste… Après tout, c'est juste une clope… »
« Que dirais-tu d'une purée d'oignons à la crème pour accompagner ce poisson bizarre qu'Ussop a pêché ? Oui ? Arrête, fais pas semblant de t'y connaître ! … Mais je te pose la question si j'veux ! T'étais juste pas obligé de répondre comme si t'avais une quelconque compétence pour assortir des ingrédients ! … Abruti d'cactus ! … Joueur de mikado ! … Ouais, bah en attendant, c'est pas toi qui vas les couper, ces oignons… »
« Alors, Sanji, comment marche ton traitement ? »
Chopper me dévisageait avec espoir.
« Bah, ça fait drôle… Des fois, ça soulage, j'ai l'impression de le retrouver et des fois, c'est douloureux, quand je réalise qu'il n'est pas vraiment là…
- Bien, c'est plutôt encourageant. Tu t'es débarrassé de la première perle ?
- Non, pas encore… J'y allais. »
Le petit renne ne me retint pas davantage et je quittai son infirmerie.
« Suis-moi, Zoro, on a quelque chose à faire, tous les deux. »
Il prit maladroitement ma main, m'assurant de sa présence, et je l'emmenai à la poupe du navire, m'accoudant au bastingage. Je fouillai distraitement dans ma poche pour en sortir le collier de perles. Je l'ouvris et en retirai la première avant de le refermer.
« Un jour, déjà. Je ne sais pas si ce truc fonctionne. J'ai toujours l'impression d'être à moitié taré mais… c'est vrai que le temps est passé un peu plus vite, aujourd'hui… Tu crois que je serai dans quel état à la fin de la semaine ? Et si je continue à avoir des hallucinations ? Quelque part, ça serait pas si mal… Ah, ah. Non… C'est stupide… »
Je lâchai la perle au-dessus de l'eau et elle disparut, happée par une vague noirâtre.
« Hey, Zoro, tu fais quoi, là ? Tu devrais pas dormir dans ta cab… Ok, c'est bon, juste pour cette fois, c'est bon… »
Je me glissai entre les draps et Zoro s'installa près de moi, son torse dans mon dos, son bras autour de ma taille. Je soupirai. On n'avait jamais fait ça avant, c'était chacun chez soi et c'était dommage… Vraiment…
« Zoro, je me demandais… Tu… regrettes de m'avoir abandonné ? Enfin, je sais que tu l'as pas choisi, mais… tu vois quoi… »
Je sentis son bras délaisser son étreinte pour se diriger vers…
« La main droite, c'est celle-là… au cas où… »
Son geste se suspendit puis il enlaça les doigts de ma main droite avant que son bras ne reprenne sa position initiale.
« Et… Tu m'en veux de pas t'avoir promis de continuer ? »
Il ne bougea pas.
« Et est-ce que tu… Non, rien… »
« Zoro, viens ! Je voudrais essayer un truc ! Installe-toi là et bouge pas. »
La chaleur m'abandonna, sans doute pour répondre à mes exigences, et après quelques instants, je le rejoignis sur la banquette de la bibliothèque. Blotti contre Zoro, j'ouvris mon bouquin, Tour de table, ça s'appelait. C'était un recueil de nouvelles romantiques qui, dans mes mains, avait l'avantage de passer pour un quelconque livre de cuisine.
« Mais je te préviens, je déteste qu'on lise par-dessus mon épaule ! »
« Chopper, donne-moi la même chose.
- Nami ?
- Il revit ! Alors, oui, il est un peu bizarre mais, à part ses monologues, il redevient doucement l'homme qu'il était. Je veux la même chose !
- Nami, c'est pas un médicament que je lui ai donné…
- Comment ça ? »
« Regarde ce que je nous ai trouvé ! Ah… Mais tu connais les règles, au moins ? … Alors allons-y ! »
J'installai le plateau d'échecs sur la table de la cuisine pendant qu'il devait prendre place sur le siège en face de moi.
« Tu veux les blancs ou les noirs ? … Oui, t'as raison, les noirs, ça me paraît plus approprié… »
J'entamai la partie puis laissai la chaleur de ses doigts me guider vers la pièce qu'il souhaitait jouer. Je la soulevai alors que la chaleur glissait déjà de ma main en direction de la case où je reposai son pion. C'était pas évident, au départ, mais on s'en accommoda rapidement.
« Je t'ai explosé ! T'es imprévisible dans tes déplacements, c'est clair… Mais sérieux, sans stratégie… Ok, ok, je t'ai seulement demandé si tu connaissais les règles, c'est vrai, je t'ai pas demandé si tu savais vraiment jouer ! »
Il me poursuivit jusque dans l'aquarium où je m'affalai sur la banquette. Il me rejoignit sans tarder, cherchant à me faire payer mes remarques. Mais, faute de pouvoir tenter grand-chose, il finit par se calmer et s'allonger sur mes cuisses.
« Quoi ? … Pourquoi tu me touches comme ça ? … Tu as quelque chose à dire ? … Oui ? …T'es marrant, toi… Comment tu veux que… Attends… On n'est pas pressés en même temps… Essaie d'être concis… A… B… C… D… Tu penses à m'arrêter, hein, car j'ai vraiment l'air con, là… E… »
Zoro finit par me stopper sur un « T » que je devinais rapidement démarrer un « tu ». La phrase se poursuivit avec un « voulais » bien trop long à comprendre puis un « savoir » qui me permit de trouver rapidement la fin de sa question : « tu voulais savoir quoi, hier ? ». J'hésitai à répondre. C'était stupide, au fond, puisque j'étais seul… Mais pas autant que ces mots que j'avais refreinés la veille au soir. Déjà sans les prononcer, ils me paraissaient puérils alors s'ils devaient franchir la barrière de mes seules pensées… Il m'encouragea, glissant sa main sur la mienne. Zoro était tellement plus tactile quand j'imaginais moi-même, bien qu'inconsciemment, ses réactions…
« Est-ce que tu… Rah, je sais pas comment l'dire sans passer pour un con… Bon… Toi et moi, c'était surtout du sexe mais… j'pense pas me tromper en disant qu'il y avait autre chose derrière… Enfin, ça comptait pour toi, quoi, t'aurais pas pu faire ça avec quelqu'un d'autre. On l'a jamais dit mais on était « ensemble », non ? »
Il entrelaça mes doigts, acquiesçant à mes propos. C'était doux… Faux mais doux…
« Mais… Toi et Luffy, c'était quoi ? Je sais… Je sais que vous n'aviez pas ce genre de relation ! Pourtant… Il y avait quelque chose de fort, tu peux pas dire le contraire… Vous vous compreniez sans rien dire, sans rien faire… Nous, 'fallait qu'on se tape dessus pour piger quelque chose… Rien qu'à voir comment il réagit… Est-ce qu'il aurait autant de mal à s'en remettre pour quelqu'un d'autre de l'équipage ? »
Ma question resta en suspens. Il attendait que je crache le morceau. Je retins mon souffle et lâchai :
« Est-ce que, pour toi, il compte plus que moi ? »
Il lâcha doucement ma main droite pour ma main gauche alors que je reprenais ma respiration, soulagé. Je refusai néanmoins de poser ma question suivante, plus égoïste encore, dont je ne pouvais espérer une réponse positive.
« Sanji, tu as pensé à jeter la perle ?
- Oui, oui…
- C'est important, tu sais, car tu vas beaucoup mieux mais il ne faut pas non plus que tu te décroches trop de la réalité, n'est-ce pas ?
- Oui, Chopper, t'en fais pas… »
À contre cœur, je regagnai la poupe du Sunny, Zoro sur les talons. Sortant le collier de ma poche, j'enlevai la seconde perle et la fit rouler entre mes doigts.
« Deux jours, déjà. C'était pas une mauvaise idée, finalement, ce truc-là… Si seulement ça pouvait… durer encore… Un peu plus que les cinq jours qu'il nous reste… Tu te rends compte de tout ce qu'on a fait, déjà, qu'on avait pas fait avant ? Cinq jours, ça suffira jamais pour ce que je voudrais encore… Mais dans cinq jours… Dans cinq jours… Putain… »
Je fermai les yeux à m'en broyer les paupières. Ne pas y penser. Ne pas y penser. Ça va aller. Il est là. Je le sens, il est là. Surtout ne pas penser au reste. Ne pas y penser. Ne pas y penser.
« Zoro, qu'est-ce que tu fabriques ? Viens, on va s'coucher… J'suis naze, là… »
Visiblement sans entrain, il me rejoignit. Je profitai de sa chaleur dans mon dos et glissant le long de…
« Mais arrête ! Qu'est-ce qui t'arrive depuis tout à l'heure ? Comment veux-tu qu'on couche ensemble ? Tu vois bien que… Tu… »
Que tu n'es pas là. Ne pas y penser. Ne pas y penser. Tu n'es pas là, Zoro, t'as jamais été là. Ne pas… Qu'est-ce que tu pourrais foutre, ici, à t'endormir contre moi… Je me relevai brusquement, trébuchai, tâtonnai dans la chambre à la recherche de mon pantalon et claquai la porte de ma cabine. Je courrai vers la poupe, fouillai dans ma poche, m'effondrai sur les marches, haletant. Je m'accrochai à la rambarde, me redressai, piétinai les derniers mètres qui me séparaient de l'océan si sombre. Je levai le bras vers le ciel, le collier en main, et suspendis mon geste.
Je pouvais pas. Je pouvais simplement pas. Pas encore. Me débarrasser de toi.
Mon bras redescendit le long de mon corps, doucement, et je baissai la tête, ravalant mes larmes. Mécaniquement, je récupérai cette deuxième perle que j'avais refusé de jeter, pour un jour de plus, et la rendis aux ténèbres. Ce soir, je dormirais seul.
Et voilà pour ce premier chapitre ! Merci pour la lecture !
Bon, plus de 4 000 mots, quand même ! Alors, pardonnée ? ;)
... Un petit avis, peut-être ? :)
