Disclaimer : Je n'ai d'écossais que ma vieille robe de chambre et les Quaker Oats de mon petit-déjeuner.

Note : Réponse au défi Noël du Snack-Bar (cf. profile) sur un prompt de Taraxacumoff. Attention, j'ai beau le voir comme un conte de Noël, il contient une certaine dose d'angst.

Note2 : Tonks et Remus, au choix, ont clamsé dans la dernière Bataille ou sont en lune... de miel.

Blanc comme neige

Il y avait cinq Weasley dans la pièce, dont deux testaient un Lumos explosif destiné à concurrencer les feux d'artifice moldus et l'un chantait à tue-tête « Les elfes dans nos campagnes », ce qui expliquerait que Sirius, au lieu de recracher son biscuit dans sa bièraubeurre, s'enquit poliment :

- Je vous demande pardon, Molly, vous avez bien dit « avec ses verrues » ?

- Non, je n'ai rien dit de tel. (Molly Weasley pinça la bouche en décochant un regard au canapé où Harry et Ginny testaient quant à eux une variante sans magie du Bloclangue.) J'ai dit qu'Albus nous a informés en septembre que des soucis de santé l'obligeaient à se retirer dans sa maison de famille, et que nous ne devions pas nous inquiéter pour lui parce qu'il y serait...

- ... avec ses vertus, compléta fermement Sirius.

- Avec Severus, cria Molly, dont les nerfs étaient durement éprouvés depuis que sa dinde achetée au marché noir (le cours des denrées sorcières se ressentait encore de la guerre) s'était révélée un poulet aux hormones sous sortilège de Confusion.

Posément, Sirius Black tendit sa bièraubeurre au Weasley le plus proche, hocha la tête et ferma un œil pour mieux viser. Le biscuit transplana aussi sec au milieu du tapis.

A sa décharge, cette soirée s'avérait plus déroutante qu'un portoloin négocié par les bons soins de Mondingus Fletcher. Peut-être avait-il eu tort, à peine réhabilité dans ses droits civiques, de passer les six derniers mois loin de la vieille Europe. Une fuite en avant, bien sûr : comme il l'avait expliqué à Harry en allant chercher son visa pour le Tibet, Sirius ne pouvait plus investir un espace public sans qu'on lui fourre sous le nez un album d'autographes, un contrat exclusif avec la Mère Grattesec (qui dans l'Ordre avait osé envoyer à la presse une photo de lui faisant le ménage square Grimmault en 95 ?) ou sa nouvelle carte de chocogrenouille (« Lord Black, toujours célibataire, apprécie les films de Pasolini, la bonne cuisine méridionale et le Quidditch un contre un »). Quinze ans de huis-clos avaient eu raison de son potentiel sociable : il supportait mal les contacts rapprochés avec des inconnus, et quand ceux-ci prenaient la forme d'une demande en mariage éructée dans un italien douteux, il était à deux doigts de réhabiliter son ancienne réputation.

Le Tibet... fut à la hauteur. Des sommets à flanc de soleil, des plaines libres comme l'air, des chevaux hirsutes et des hommes rasés, les uns et les autres ignorant qui il était. Padfoot but le thé au beurre rance et Padfoot vit que cela était bon. Du Yangzi, Sirius transplana en Chine, fit seul l'ascension du Minya Konga (24.900 pieds), écouta un Sensei bouddhiste lui conter le koan de l'oie enfermée dans une jatte de verre après lui avoir refusé l'entrée au noviciat, se consola dans un karaoké de Shanghaï qui passait les succès acidulés des années 70, poussa jusqu'au Japon où les mèches crêpées des jeunes otoko-ganguro lui rappelèrent opportunément qu'il avait un filleul, fit le plein de mangas pour Harry et remit les pieds à Londres quatre jours avant Noël, lesté de bonne volonté et de globules rouges.

Sa bonne volonté dura le temps de constater que le groupe Weasley avait profité de son absence pour lancer une OPA sur Harry (« Ce garçon n'a pas besoin d'une garçonnière monoparentale, ce garçon a besoin d'un foyer »). Sirius, qui avait poussé l'esprit de conciliation jusqu'à rapporter de Tokyo le dernier single de Celestina Moldubec, tiqua. Et son humeur ne s'améliora pas quand le jeune Fred, entre deux tirs de Lumos, lui demanda gentiment où il comptait passer les fêtes. Harry étant privé de l'usage de sa langue à des fins expérimentales, ce fut Arthur qui intervint pour l'inclure in extremis dans le réveillon de famille.

- Très aimable à vous, mais je n'ai pas encore fait mes plans. Si ça se trouve, je passerai Noël à Poudlard : il y aura bien un coin où me caser dans le château et Albus sera content d'avoir des nouvelles de Sensei Denmasha, il m'avait personnellement recommandé à lui.

SB – SS – SB – SS

- Foutretroll, j'y crois pas.

- Merci de tenir votre langue en laisse dans cette maison.

- Vous l'avez laissé seul et souffrant avec ce traître?

- Parrain, tu n'y es pas! Snape a été inn...

- Harry, tu m'as dit toi-même qu'il avait prévu d'assassiner Albus! Merlin, comment Minerva a-t-elle pu...

- Non, non, Sirius, Dumbledore a bien expliqué que c'était lui qui...

- Arthur, je vous connais, vous feriez du bouche à bouche à un Détraqueur s'il vous implorait ! Bien sûr qu'il s'est expliqué ! Snape a dû le placer sous Impérium avant lui faire boire un poison lent et indétectable, ça tombe sous le sens. Et personne n'a songé à contacter Sainte-Mangouste ?

- Albus a pris sa décision seul, en accord avec Severus. Il en a informé Minerva, qui a bien voulu le remplacer à Poudlard et qui nous a fait part de la situation. Et si vous étiez resté vous occuper de Harry au lieu de courir la gueuze...

- Euh, Mme Weasley, j'ai dix-huit ans depuis juil...

- Quoi ?! Molly, je n'ai encore jamais levé la main sur une femme, mais...

- Oh non, c'est tellement plus facile de lever le pied.

- Chérie. Sirius. Cette conversation est indigne de deux anciens camarades de guerre. Sirius, j'ai moi-même parlé à Albus avant son départ et je vous assure que s'il avait été sous une quelconque contrainte magique, je m'en serais vite aperçu. Il accepte les lettres, mais il a indiqué par avance qu'il refuserait toute visite qu'il n'aurait pas sollicitée et Minerva nous a priés d'observer ses volontés. Albus a plus de cent ans, il a perdu son frère unique dans la Bataille de Poudlard et je crois qu'il a surtout besoin de repos après deux guerres qui ont éreinté des sorciers de notre âge. Est-ce si difficile à admettre ?

- ...

- Eh bien voilà. Chérie, il serait peut-être temps de minuter le bœuf en daube ? Vous restez à dîner, Sirius ?

- Je veux l'adresse.

- Pardon ?

- Vous m'avez parfaitement entendu. Où sont-ils ? Je n'ai jamais connu qu'une maison de famille à Albus...

- Celle-là, oui. Il avait transféré la nue-propriété à mes parents en 81 mais je la lui ai restituée à sa demande, c'est pas comme si j'allais m'installer là-bas avec Ginny. Snape a renouvelé les protections, et...

Sirius n'entendait déjà plus. Un objet vibrant non identifié sifflait dans la cuisine, le feu pétaradait aux éclats dans l'âtre, mais Sirius revoyait en pensée une pièce nue, noircie avant le soir, une pièce que le vent traversait à ciel ouvert – et, portée par le vent, l'odeur d'un commencement de décombres.

Il se leva, traversa la pièce bondée et sortit avant qu'une main puisse l'arrêter. Dehors, le ciel de Loutry Ste Chapelle sentait les feux de cheminée et le jeune froid impatient. Une voix héla ses épaules, mais Sirius, transplanant, attendit pour se retourner que l'odeur de fumée se soit fondue dans celle - traînante et familière - qui suintait du Chaudron Baveur.

SB – SS – SB - SS

Il ne reconnaissait plus Godric's Hollow.

Ce qui était un peu vexant si l'on considérait qu'il avait fait Godric's Hollow by night tous les soirs pendant douze ans, un Godric's Hollow lunatique, plus changant qu'un épouvantard, affichant un soir deux maisons au cadastre et deux cent le lendemain. Parce qu'un rêveur de vingt ans a une banque d'images limitée, Godric's Hollow avait été tour à tour un dock de Greenwich aux briques enfumées, un désert jaune d'œuf que Shacklebolt lui avait montré un jour en photo dans l'Infirmerie des Aurors, le salon de sa tante Drusella, tendu de percale anthracite, le terrain de Quidditch à Poudlard et sa propre cellule. Mais Sirius ne s'était pas laissé prendre à ces changements de décor, pas plus que les Sirius qui avaient suivi au fil des ans, tous certains que s'ils continuaient de tourner sur place, le Secret finirait par le reconnaître et lui montrer une porte dans le sable ou la soie, et derrière la porte il y aurait James et Lily, et il saurait bien convaincre le rêve et le Secret de les faire transplaner avant qu'il se réveille ou que Peter arrive.

Maintenant il était devant Godric's Hollow, sous un ciel bleu qui ne montrait que lui-même, et il ne reconnaissait pas l'endroit.

Est-ce qu'il y avait eu de la menthe en automne, au pied des mûriers ? Est-ce que la première église à la crête du chemin avait eu des vitraux rouges et bleus dans le soir, comme le foyer d'un poêle ? S'il avait mieux cultivé son champ de vision, il aurait eu de quoi se souvenir. A la place, il avait sillonné le ciel en motocyclette, invisible et inaudible sous les sorts, à une époque où il valait mieux ne pas faire la guerre de jour. Il avait des yeux et il n'avait rien vu.

Il entra sur une place de village inconnue. Un cheval buvait dans une flaque assez grande pour refléter le seul nuage du ciel, devant une porte laissée entr'ouverte. La boulangerie sentait encore le feu du dernier pain. Sur le mur de l'église, il lut qu'un tournoi de bavboules aurait lieu le dimanche suivant après l'office.

Sirius traversa la place, détournant le regard du grand monolithe de pierre dont la forme lui rappelait celle d'une épée.

Puis il s'arrêta. Il se rappelait ce que Harry lui avait dit à propos d'un obélisque.

Il revint sur ses pas pour regarder d'un œil fixe James et Lily qui avaient blanchi dans le marbre.

Un mémorial. Est-ce que celui-ci se montrait à Snape chaque fois qu'il prenait le chemin du village ? (A la sortie du village, ce n'étaient plus des mûriers mais des euphorbes. Il ne savait plus où il avait appris le nom.) Est-ce que Snape se rappelait Lily qui avait été son amie d'enfance ? Snape avait la mémoire aussi longue que le nez quand c'était lui l'offensé. Mais à quoi pense un homme à qui l'on demande de vivre dans la maison où deux êtres sont morts par sa faute ? Etait-ce cela qu'avait voulu Albus pour son meurtrier ? (Les têtes jaunes des euphorbes hochaient sous le vent.)

Sirius buta sur une flaque et ferma brièvement les yeux.

Est-ce qu'aux yeux de Dumbledore, rester à la maison était la seule pénitence envisageable quand on avait causé la mort d'un proche ?

Mais Dumbledore, finie la guerre, lui avait donné le nom de Sensei Denmasha, et Sensei Denmasha lui avait dit au premier abord, dans son mauvais anglais limpide : « La voie est sous vos pieds ».

Ses pieds reprirent le chemin.

SN – SS – SB - SS

La maison non plus ne lui disait rien. Mais il ne l'avait vue que deux fois, une de nuit et une désastrée. Le charme de Fidelitas avait dû mourir avec James et Lily, sans quoi il l'aurait sans doute manquée : n'ayant pas écrit pour annoncer son arrivée, il ne pouvait compter sur Albus pour venir à sa rencontre.

Il aurait pu manquer l'écriteau dont le pied servait de tuteur à une foison de tiges dont les fleurs, des anémones, retombaient en toison claire sur les lettres d'or. Padfoot regarda l'or, puis poussa son museau entre deux barreaux de la grille. C'était cela, la maison. La magie faisait bien les choses : si Albus avait pris sa décision en septembre, il en ressortait que trois, quatre mois peut-être avaient suffi pour lui faire recouvrer son état initial. L'aile droite... l'aile droite faisait face à l'aile gauche sans laisser soupçonner une ligne de démarcation sous le lierre qui s'étirait sur la pierre. Là-haut aussi, les tuiles se suivaient et se ressemblaient. L'herbe autour du perron était rase. Et sur la porte, un petit heurtoir en gueule de lion.

Le chien tourna le dos au lion. Il suivit la haie, laissée à l'état sauvage, jusqu'à ce qu'une frayée apparaisse entre les feuilles moutonnantes. Elle sentait la baie fraîche, et Padfoot la traversa nonchalamment jusqu'à ce qu'une odeur plus solide le fasse sortir du bois : dans la maison, à l'arrière, du côté où donnait la frayée, quelqu'un mettait du pain à griller.

Le chien trotta vers le fumet du pain. Et quand l'homme posa une main sur le rebord de la fenêtre, blotti contre le mur extérieur, ce fut d'abord à cause de la faim levée par l'odeur — la faim assourdie dans les neiges du Tibet, mais qui avait flambé de nouveau au Terrier à la vue de Harry dans son cocon de têtes rousses. La faim interminable qui ramenait Sirius en enfance, au temps des médianoches à quatre devant les braises de la Salle Commune, avant le pain dur des années d'adulte. Il se pencha pour mieux respirer l'odeur de la mie grillée et le gros de la pièce lui apparut.

C'était, et ce n'était pas, une cuisine à l'ancienne. Sous les poutres, les murs avaient été chaulés dans une couleur neuve, surprenante, un jaune méridional qui faisait ressortir les ventres noirs des chaudrons. Le pain sortait d'un vrai four à pain aménagé dans le mur de gauche avant de léviter au-dessus d'une table à tréteaux sur laquelle il y avait des scones, deux bols fumant, trois espèces de confitures et ce qui ressemblait fortement à une pensine remplie de miel. Les confitures étaient sous la juridiction du convive en bout de table, dont la main s'étendait au-dessus de chacune d'entre elles avec une gravité patriarcale, comme s'il s'apprêtait à conférer un droit d'aînesse.

Albus.

Tout portait à croire que la marmelade serait bénie la première, quand le four cracha un toast noirci jusqu'à la mie en direction du convive. La scène changea aussitôt de visage. Une ombre sortit du renfoncement créé par la bouche du four et se jeta, baguette au poing, au travers de la table - privant à tout jamais la marmelade de son héritage spirituel. Le toast implosa au-dessus du miel. Dumbledore tourna la tête vers le médiateur, qui avait lâché sa baguette pour inspecter son coude, et dit quelque chose que Sirius n'entendit pas.

Faute d'entendre, il vit. Et ce qu'il vit lui fit lâcher prise sur la tablette de pierre et retomber sur le sol à pieds joints.

- ... Severus ?

« Il est cinq choses qui sont invisibles au plus grand sorcier », lui avait dit Sensei Denmasha le dernier jour de sa visite, alors qu'ils se faisaient face assis sur le shoggi, le banc de méditation. « Un si dièse, l'haleine du poisson, la forme de l'air entre les gouttes de pluie, sa propre naissance et le bonheur dans le monde. »

La porte de la cuisine tourna sur ses gonds.

- Severus, je crois que nous avons de la visite.

Ajoutez, Maître, Severus Snape — Mangemort, pariah, meurtrier — rejetant la tête en arrière et riant sans retenue.

Severus sortit à son tour et contempla Sirius depuis le seuil, les bras croisés. Il n'avait plus l'air de rire et Sirius, avec l'instinct de sa Maison, fit un pas vers Albus.

- Albus, je suis désolé si...

- Est-ce que nous nous connaissons ?

Dans le silence, l'odeur de brûlé prit la forme de l'air.

- Vous êtes du village, peut-être ? dit Albus, avec une cordialité indécise. Je ne me souviens pas vous avoir déjà croisé. Mais je n'habite cette maison que depuis trois mois.

- Il s'appelle Sirius Black et il vient de Londres. Il est des nôtres, Albus.

La voix de Snape était sans expression, mais son regard ne quittait pas Sirius.

- Vous le connaissez depuis près de trente ans. Il a fait partie de l'Ordre pendant les deux guerres. Et j'ai ma petite idée qu'il vient autant pour moi que pour vous.

A suivre...