Cet appartement n'était ni chaleureux, ni convivial, ni même beau, mais au moins elle était chez elle. En effet, Amélia venait d'emménager dans ce petit deux pièces et les cartons qui traînaient dans tous les coins, en témoignaient. Elle ferma la porte derrière les déménageurs, qui, après avoir déposés les meubles du salon et bus un café, avaient finalement décidé de partir.

Amélia s'assit sur le canapé, tant bien que mal, dans ce qui semblait être le salon malgré l'épaisse couche de poussière et le désordre apparent. Elle se mit à réfléchir.

Ces trois derniers mois avaient été les plus difficiles de sa vie. Tout commença la veille de son vingt-quatrième anniversaire, le jour où ses parents étaient allés chercher un cadeau, un meuble pour être exact, à leur seule et unique fille.

Amélia se réjouissait de ce présent qui voulait dire bien plus pour elle que quoi que ce soit d'autre. En effet, elle s'apprêtait à quitter le nid familial pour emménager dans un appartement de la banlieue parisienne, et recevoir un meuble en guise de cadeau d'anniversaire, signifiait que ses parents l'encourageaient dans son choix. Ils avaient eu beaucoup de mal à l'accepter, ne comprenant pas pourquoi elle voulait partir et puis après plusieurs heures de discussions, elle les avait convaincus.

Finalement, après leur travail respectif, Mr et Mme Walter avaient pris la route, cherchant le cadeau inestimable. Amélia était restée à la maison, tranquillement devant le poste de télévision, quand le téléphone sonna.

Ce coup de fil, elle s'en souviendrait toute sa vie.

Elle décrocha le combiné, écoutant la voix de l'homme de l'autre côté, mais ne put croire à ce qu'il lui annonçait. C'était un médecin des urgences, qui lui expliqua que ses parents venaient d'avoir un terrible accident de voiture et qu'aucun des deux n'avaient malheureusement survécu.

Le monde, dans lequel Amélia vivait, s'écroula. En l'espace d'un instant, toute sa vie fut bouleversée et rien ne serait plus jamais pareil.

Trois mois avaient passé depuis, trois mois pendant lesquels Amélia découvrit le vrai sens du mot souffrance. Perdre ses parents l'avait évidemment beaucoup fragilisé et cette épreuve, elle n'y était pas préparée.

Après avoir sombré plusieurs semaines dans une dépression dont elle ne pensait pas sortir, elle réussit à se ressaisir, à passer le cap du choc pour entrer dans celui de l'acceptation. Mais ce qui l'attendait n'était guère mieux. Ses parents laissaient derrière eux de nombreuses dettes, et Amélia fut contrainte à vendre la maison pour les rembourser. Elle avait ensuite trouvé un boulot de caissière dans un supermarché ainsi que cet appartement en banlieue parisienne, qu'elle payait avec le peu d'argent qu'il lui restait.

Maintenant, elle était là, assise sur son canapé, au milieu des cartons, loin de tous ses amis, sans aucune famille. Une vie apparente bien misérable, mais pour l'instant, elle ne voulait pas y penser, préférant songer à ce qui l'attendait.

En effet, Thomas, son meilleur ami, était sur le point d'arriver. Ils se connaissaient depuis de nombreuses années, en fait, ils avaient grandi ensemble dans le même village d'Alsace. Les études de Thomas dans le pensionnat de Beaubâtons, les avaient un peu séparé pendant les sept ans où il y était, ne se voyant que pour les grandes vacances ou ceux de Noël. Quand Amélia fêta ses seize ans, son père fut muté sur Paris, et elle dut déménager, ce qui mit encore plus de distance entre eux.

Mais malgré cela, leur amitié resta intacte, peut-être même, qu'elle se renforça.

Et puis en apprenant la mort des parents d'Amélia, Thomas avait accouru pour soutenir son amie et l'aider à surmonter cette épreuve. Il revenait ce week-end là, voir l'appartement et l'encourager dans sa nouvelle vie.

Amélia appréciait vraiment tout ce qu'il faisait pour elle, et son amitié était la seule chose précieuse qu'il lui restait.

Tout à coup, la sonnette de l'entrée retentit et Amélia sortit de sa rêverie : c'était sûrement Thomas. Elle se leva, poussa les boites qui lui bloquaient le passage, et ouvrit la porte avec un sourire rayonnant sur les lèvres.

- Il est pour moi ce sourire ? demanda la personne en face d'elle.

C'était un homme d'une trentaine d'années, plutôt grand au physique d'un top model avec ses dents blanches, ses cheveux châtains, et ses yeux d'un bleu clair dans lesquels toute femme souhaiterait se noyer. Il s'agissait en fait de Pascal, à la grande déception d'Amélia. Son sourire retomba aussi vite qu'il était venu, et elle fixa l'homme d'un air excédé. Celui-ci la dévisagea, en posant son bras contre le pan de la porte, avec un petit sourire narquois sur les lèvres.

- Qu'est-ce que tu veux ?

- C'est comme ça que tu m'accueilles ? Je ne pourrais pas avoir droit à un sourire moi aussi ?

- Ecoute, je n'ai vraiment pas le temps de te recevoir, alors si ça ne te dérange pas, dis-moi tout de suite ce que tu veux ! s'impatienta Amélia.

- Tu pourrais être plus gentil avec ton voisin préféré !

- Qui te dit que tu es mon voisin préféré ?

Pascal ne se laissa pas abattre pour autant et rajouta :

- Ne me dis pas que tu préfères Mme Hauchard ? Cette vieille femme de 70 ans avec ses dix chats ?

Amélia le regarda, la colère en train de monter en elle. Comment se débarrasser de lui ? Il n'avait pas l'air de vouloir lâcher la mise, et même si Amélia commençait à s'y habituer, elle avait hâte d'en finir. Pascal était certes très beau, mais il était d'une arrogance rare, tout ce que détestait Amélia chez un homme. Les trois appartements de l'immeuble lui appartenaient, et Amélia n'avait eu qu'à lui faire un peu de charme pour avoir le sien. Ce qu'elle n'imaginait pas, c'est qu'il avait succombé à ses charmes.

Depuis, dès qu'il la croisait dans les couloirs, il ne pouvait s'empêcher de la draguer et de se croire irrésistible. Il venait parfois même sonner à sa porte, prétextant vouloir un peu de sel ou de beurre, comme si c'était le genre à cuisiner !

Jusque là, elle s'en débarrassait plutôt bien et même s'il était collant, il n'était pas méchant.

- J'attends de la visite alors dis-moi ce que tu veux ! s'exclama Amélia.

- Il me manque des œufs !

Amélia poussa un soupire, et se dirigea vers la cuisine. Elle ouvrit le frigo, et s'écria au travers de l'appartement :

- Combien ?

- Cinq ! C'est pour faire une omelette !

Une omelette ? Il voulait faire une omelette alors qu'il n'avait même pas d'œufs ! Si ce n'est pas n'importe quoi ça ! Amélia les prit et retourna vers la porte. Pascal y était toujours, accoudé sur le bord du meuble qui faisait l'entrée.

- Je n'en ai plus que trois, dit-elle en lui tendant.

- ça ira !

Elle hésita un moment, puis lui demanda, même si elle savait qu'elle allait regretter sa question :

- Tu ne pourrais pas faire autre chose qu'une omelette, si déjà tu n'as pas d'œufs ?

- Bien sûr que non ! affirma Pascal. Sinon je n'aurais pas le plaisir de te voir.

Ça y est, elle regrettait sa question. Pascal la fixait, ce même sourire narquois aux lèvres que lorsqu'il était arrivé. Il resta planté, sans rien dire.

- Tu veux autre chose ? s'impatienta Amélia.

- Oui, un lit avec toi et moi dedans…

Amélia ne put réprimer son agacement, ne sachant si elle devait lui mettre un coup de pied dans le derrière ou plutôt lui donner une gifle. Finalement, elle opta pour la sagesse.

- C'est gentil, mais je n'ai pas le temps !

Elle le prit par le bras, le poussa dehors, et referma la porte derrière lui.

- J'adore les femmes qui ont du caractère ! s'écria-t-il au travers de la porte.

Mais Amélia n'y fit pas attention, et vint se rasseoir sur le canapé. De nombreuses pensées l'envahirent, mais la plus part était joyeuse. Elle se souvint des moments qu'elle avait passé avec Thomas, et du bonheur qu'ils avaient vécu ensemble. Puis, s'allongeant, elle sombra dans le sommeil, sans vraiment le vouloir.

Elle était en train de courir dans une rue noire de monde et se frayait un chemin malgré elle au milieu de ces gens. Personne n'avait l'air de la remarquer bien qu'elle s'aperçut qu'elle était en nuisette. Elle tourna au coin, et se retrouva dans un champ immense où il n'y avait personne, pas un bruit, rien. Ce silence commençait à devenir pesant, et Amélia s'aperçut qu'elle n'entendait même plus sa respiration, comme si elle était morte.

Devant elle, elle vit deux personnes s'approcher, et reconnut ses parents.

- Maman ! Papa ! hurla-t-elle.

Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Ses parents continuaient d'avancer vers elle, dans le calme absolu.

Tout à coup une voix coupa net ce silence :

- Amélia ! Amélia ! Réveille-toi !

Amélia ouvrit les yeux, et s'aperçut qu'elle venait de faire un rêve. Elle se trouvait dans son nouvel appartement, allongée sur son canapé, et devant elle, se tenait un homme aux cheveux bruns et au regard pétillant. Il n'avait pas l'air très costaud, mais son allure donnait confiance. Amélia sourit, se leva du canapé et se jeta dans les bras de son meilleur ami.

Thomas était arrivé !